CA Caen, 1re ch. civ., 18 juin 2013, n° 11-00897
CAEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Régime Social des Indépendants Ile de France
Défendeur :
Gilles (SARL), Chombart, Montage et Assemblage Mécanique (SARL), Montet, RPA Precision Engineering LTG, Grant Thornton UK LLP (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Madame Maussion
Conseillers :
MM. Jaillet, Serrin
Avocats :
SCP Grandsard Delcourt, SCP Mosquet Mialon d'Oliveira Leconte, SCP Terrade Dartois, SCP Ginestet - de Saint Andrieu - Bellier - Ferreira, Lecareux, SCP Parrot-Lechevallier-Rousseau, Mes Corbin-Deschanel, Lelte, Eybert
Faits, procédure et prétentions
Il convient de se reporter
Au jugement déféré pour la présentation exhaustive des faits et de la procédure antérieure.
Aux conclusions déposées par le Régime Social des Indépendants Ile de France le 26 juillet 2011, la société Gilles le 19 janvier 2012, M. Chombart le 5 octobre 2011, la société Montage et Assemblage Mécanique le 25 novembre 2011 et M. Montet le 27 décembre 2011 pour l'exposé des prétentions des parties devant la cour.
Il suffit de rappeler que :
M. Rakover a été grièvement blessé le 10 mai 1997 en maniant une arme à feu qu'il avait achetée le 29 juin 1996 auprès de la société Gilles.
Le Régime Social des Indépendants Ile de France a saisi le 16 septembre 2002 le Tribunal de grande instance d'Argentan aux fins de voir la société Gilles déclarée responsable de l'accident et condamnée à lui rembourser les frais d'hospitalisation de son assuré M. Rakover (décédé le 15 décembre 1997)
Les opérations d'expertise confiées à M. Schlinger par jugement du 9 août 2004 ont été étendues à divers intervenants réels ou potentiels, concepteur, fabricant, monteur et distributeur et ont donné lieu au dépôt d'un rapport le 24 octobre 2007.
Par jugement du 10 février 2011 (dont appel) le Tribunal de grande instance d'Argentan a, en substance :
Déclaré recevable car non prescrite l'action du Régime Social des Indépendants d'Ile de France.
Débouté le Régime Social des Indépendants d'Ile de France de ses demandes dirigées contre la société Gilles.
Déclaré les actions en garantie sans objet.
Débouté la SARL Gilles, M. Chombart, M. Montet, la société RPA Précision Engineering et la société Montage Assemblage Mécanique de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile.
Condamné le Régime Social des Indépendants d'Ile de France aux dépens, avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Le mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société RPA Précision Engineering LTG a été assigné, ès qualités, le 6 février 2012 conformément à l'article 684 du Code de procédure civile.
Motifs
Les articles 1386-1 et suivants du Code civil, qui correspondent à la transposition en droit interne de la directive européenne du 25 juillet 1985 et régissent la responsabilité du fait des produits défectueux, sont issus de la loi du 19 mai 1998 alors que les faits de la cause datent de 1996-1997.
Il est constant que la France, comme les autres Etats membres, devait se conformer à la directive au plus tard trois ans après sa notification (soit le 30 juillet 1988).
Or, il appartient au juge saisi d'un litige entrant dans le champ d'application d'une directive et trouvant son origine dans des faits postérieurs à l'expiration du délai de transposition, de les interpréter conformément aux objectifs poursuivis par cette directive.
Le jugement déféré mérite confirmation par motifs adoptés en ce qu'il a considéré que la directive du 25 juillet 1985 était applicable, par anticipation, à des faits postérieurs à la date limite de transposition, et ce, même s'ils étaient survenus antérieurement à la date, effective, de transposition.
Dès lors que l'action récursoire exercée par le Régime Social des Indépendants Ile de France tend à obtenir une indemnisation de dommages corporels à raison d'un défaut de sécurité d'un produit mis en circulation sur le marché, c'est donc le régime des articles 1386-1 et suivants du Code civil relatifs à la responsabilité du fait des produits défectueux qui doit s'appliquer.
Et seul le producteur, s'il peut être identifié, est responsable du dommage.
Le Régime Social des Indépendants soutient devant la cour que la directive de 1985 et les articles 1386-1 et suivants ne sont applicables qu'au producteur professionnel alors qu'en l'espèce le fabricant désigné par la société Gilles et par toutes les (autres) parties appelées est M. Chombart, simple particulier.
Alors même qu'il n'a pas conclu à l'encontre de M. Chombart (qu'il désigne comme le fabricant non professionnel de l'arme litigieuse) ni à l'encontre des autres parties (professionnelles de la fabrication d'armes à feu) le Régime Social des Indépendants ne peut échapper aux mécanismes de la responsabilité du fait des produits défectueux.
Le dossier révèle que M. Chombart, seul non professionnel ayant participé à l'opération de mise en circulation de l'arme utilisée par M. Rakover, est intervenu en qualité de conseil d'un fabricant professionnel (la société RPA) et a servi d'intermédiaire entre des professionnels de l'armurerie et de la mécanique (la société RPA, la société MAM, M. Montet).
Il a, de toute évidence, mis en œuvre son savoir-faire et son industrie dans le processus, en effectuant des opérations d'assemblage de pièces (voire en fournissant quelques éléments accessoires) mais il n'est contractuellement intervenu à aucun stade de la facturation.
Sa présence aux côtés de professionnels de la production ne modifie donc pas le cadre juridique dans lequel s'est déroulée la mise en circulation du produit défectueux sur le marché et qui doit régir globalement l'action en réparation du dommage.
Le pistolet litigieux a été vendu par la société Gilles à l'issue d'une opération de fabrication à laquelle ont participé plusieurs professionnels.
C'est bien la société anglaise RPA Précision Engineering LTG qui a livré à la société MDA des boitiers complets (" Pistol Bodies Complete ") suivant facture du 15 mai 1996.
Et la société MAM (" montage/assemblage/mécanique ") a, elle-même, vendu l'arme à la société Gilles après l'avoir fait passer au banc d'épreuve de Saint-Etienne par l'intermédiaire d'un autre professionnel la société MDA (M. Montet).
Si l'expert Schlinger a considéré qu'aucun élément objectif ne permettait d'affirmer que la société MAM avait réalisé une opération mécanique sur le pistolet litigieux et que la société MDA (M. Montet) était intervenue dans l'assemblage du canon sur le boitier de culasse et le montage du canon (alors qu'il était 'très probable' que M. Chombart ait procédé au montage du pistolet) cet avis circonspect ne suffit pas à désigner M. Chombart (simple particulier) comme producteur de l'arme.
Comme l'a justement rappelé le tribunal, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux exclut l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle de droit commun fondés sur le défaut d'un produit qui n'offre pas la sécurité attendue, à l'exception de la responsabilité pour faute ou de la garantie des vices cachés.
Si le tribunal a exactement considéré que l'action du Régime Social des Indépendants Ile de France n'était pas prescrite au regard de la date à laquelle cet organisme avait pu connaître l'identité du producteur (au moment des opérations d'expertise judiciaire), il a aussi, à bon droit, rejeté la demande formulée et maintenue à l'encontre du seul vendeur sur le fondement des articles 1147 et 1603 du Code civil.
Quant à la demande subsidiaire du Régime Social des Indépendants Ile de France fondée sur l'article 1382 du Code civil, elle n'est absolument pas étayée : la faute délictuelle de la société Gilles, qui s'est bornée à vendre une arme qui avait été présentée avec succès au ban d'épreuve et qui lui avait été livrée par un professionnel, n'est aucunement démontrée.
L'action principale ne prospérant pas plus en appel qu'en première instance, les actions en garantie demeurent sans objet.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a mis les dépens à la charge du Régime Social des Indépendants Ile de France sans faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de ses adversaires.
Les dépens d'appel seront aussi exclusivement supportés par le Régime Social des Indépendants.
Mais il n'y a pas lieu, en équité, d'y ajouter des indemnités au profit de quiconque compte tenu des circonstances de droit et de fait très particulières de l'affaire.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt de défaut, Confirme le jugement déféré, Condamne le Régime Social des Indépendants Ile de France aux dépens d'appel avec application de l'article 699 du Code de procédure civile au profit des auxiliaires de justice de la cause qui en ont fait la demande, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel au profit de quiconque.