CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 10 mars 2016, n° 2016-01281
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Concurrence (SARL)
Défendeur :
Samsung Electronics France (Sté), Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Douvreleur
Conseillers :
Mmes Michel-Amsellem, Faivre
Avocat :
Me Thibault
Faits et procédure
L'Autorité de la concurrence a, par décision n° 15-D-11 du 24 juin 2015, rejeté la demande de mesures conservatoires que la société Concurrence avait présentée accessoirement à la saisine au fond par laquelle elle avait mis en cause les agissements, notamment, de la société Samsung Electronics France (ci-après société Samsung).
Par arrêt du 3 décembre 2015, la Cour d'appel de Paris a rejeté le recours que la société Concurrence avait formé contre cette décision.
Le 18 janvier 2016, la société Concurrence a saisi la cour d'appel d'une requête en interprétation de son arrêt du 3 décembre 2015, en lui demandant de "dire qu'en l'état, le refus de Samsung de vendre directement en circuit court, constitue une atteinte immédiate aux intérêts de Concurrence, justifiant de répondre positivement à la demande d'injonction de livrer". Par conclusions responsives en date du 22 février 2016, elle demande à la cour :
- de rejeter les demandes, fins et conclusions de la société Samsung ;
- de donner acte qu'elle ne demande pas de réformation de l'arrêt ;
- de dire si le refus visé, pour justifier une atteinte immédiate, est le refus des demandes de livraison directe en circuit court, avec une convention annuelle, dans des conditions non discriminatoires, alors que le nouveau point de vente est en état de fonctionner.
La société Concurrence expose d'abord que la société Samsung qui a agréé son nouveau local commercial et son site internet les 9 et 21 octobre 2015, et avec laquelle elle a signé un contrat de distribution sélective, a cependant refusé de la livrer et elle indique qu'elle a été, pour cette raison, conduite à l'assigner, le 23 décembre 2015, devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir sa condamnation, sous astreinte, à lui livrer les produits qui sont l'objet du contrat qui a été signé.
Elle fait valoir ensuite que l'un des passages de la motivation de l'arrêt du 3 décembre 2015 est l'objet d'interprétations différentes de la part de la société Samsung et de sa part, et qu'il y a lieu, en conséquence, que la cour en clarifie le sens et la portée. Le passage en cause a trait à la demande de mesures conservatoires par laquelle la société Concurrence sollicitait de la cour qu'elle prenne "acte de l'existence d'un local commercial [...]" et qu'elle enjoigne "à la société Samsung Electronics France d'agréer la société Concurrence en tant que membre de son contrat sélectif, et de livrer directement en circuit court, avec une convention annuelle, dans des conditions non discriminatoires notamment de remises et de ristournes, de délais et de modalités de livraison et de service annexes" ; il est ainsi rédigé : "[que] dans ces conditions, la société Concurrence ne fait état que d'une atteinte potentielle à ses intérêts ; [que] cette atteinte résulterait en effet, lorsque ce nouveau point de vente sera en état de fonctionner, du refus qu'elle suppose que la société Samsung lui opposera ; [que] dès lors, faute pour la société Concurrence de démontrer que les pratiques qu'elle dénonce porte à ses intérêts une atteinte immédiate, sa demande sera rejetée ".
La société Concurrence prétend que, par cette motivation, la cour d'appel a affirmé qu'il serait porté atteinte à ses intérêts s'il s'avérait que la société Samsung refuse de la livrer ; elle soutient qu'en revanche, la société Samsung considère qu'une atteinte ne serait caractérisée que si elle refusait de visiter son nouveau point de vente afin de s'assurer qu'il remplit les conditions requises pour la commercialisation de ses produits.
Par conclusions en date du 17 février 2016, la société Samsung demande à la cour de :
A titre principal,
- constater que Concurrence demande une réformation et non une interprétation de son arrêt ;
Et en conséquence,
- déclarer irrecevable la requête en interprétation de Concurrence ;
A titre subsidiaire,
- constater que son arrêt est dépourvu d'ambiguïté et qu'il n'y a pas lieu à interprétation ;
Et en conséquence,
- rejeter la requête en interprétation et toute demande formulée par Concurrence ;
En tout état de cause,
- condamner Concurrence à payer à Samsung la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et la condamner aux entiers dépens.
La société Samsung soutient, à titre principal, que la requête de la société Concurrence n'a, en réalité, pas pour objet une interprétation de l'arrêt précédemment rendu par la cour d'appel, mais qu'elle vise à une modification de cet arrêt et qu'elle est donc irrecevable. A titre subsidiaire, elle fait valoir que les dispositions en cause de cet arrêt sont dépourvues de toute ambiguïté ; elle fait valoir, en effet, que par ces dispositions, la cour a, de façon évidente, signifié l'absence en l'état d'atteinte aux intérêts de la société Concurrence et qu'une telle atteinte ne serait éventuellement caractérisée qu'au cas où elle refuserait de visiter le nouveau point de vente.
LA COUR,
Vu la requête en interprétation de la société Concurrence en date du 18 janvier 2016 ;
Vu les conclusions en réponse de la société Samsung Electronics France déposées le 17 février 2016 ;
Vu les conclusions responsives de la société Concurrence en date du 22 février 2016 ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 23 février 2016 la société Concurrence, qui a été en mesure de répliquer, le conseil de la société Samsung Electronics France, ainsi que le ministère public ;
SUR CE,
Comme cela a été rappelé plus haut, la requête en interprétation de la société Concurrence porte sur la motivation contenue dans l'arrêt du 3 décembre 2015 par lequel la cour d'appel avait statué sur ses demandes de mesures conservatoires tendant, notamment, à "prendre acte de l'existence d'un local commercial [...]" et d'"enjoindre à la société Samsung Electronics France d'agréer la société Concurrence en tant que membre de son contrat sélectif, et de livrer directement en circuit court, avec une convention annuelle, dans des conditions non discriminatoires notamment de remises et de ristournes, de délais et de modalités de livraison et de service annexes" . La cour a rejeté ces demandes en motivant ainsi sa décision : "Considérant qu'au soutien de ces demandes, la société Concurrence expose qu'elle dispose désormais d'un nouveau point de vente passage de La Madeleine ; qu'elle précise qu'ayant sollicité la société Samsung, celle-ci lui aurait répondu "qu'elle attendra l'ouverture du magasin pour procéder à la visite" destinée à s'assurer que les conditions de l'agrément de ce point de vente pour la commercialisation de ses produits sont remplies ; que dans ces conditions, la société Concurrence ne fait état que d'une atteinte potentielle à ses intérêts ; que cette atteinte résulterait, en effet, lorsque ce nouveau point de vente sera en état de fonctionner, du refus qu'elle suppose que la société Samsung lui opposera ; que dès lors, faute pour la société Concurrence de démontrer que les pratiques qu'elle dénonce porte à ses intérêts une atteinte immédiate, sa demande sera rejetée".
Il ressort de la lecture même de cette motivation qu'elle a pour objet de déterminer si sont remplies en l'espèce les conditions d'application de l'article L. 464-1 du Code de commerce relatif au prononcé de mesures conservatoires et en particulier la condition tenant à l'existence d'une "atteinte grave et immédiate (...) à l'entreprise plaignante". La cour a considéré, sur ce point, que tel n'était pas le cas puisque la société Concurrence, en déclarant disposer désormais d'un nouveau point de vente et attendre la visite d'un représentant de la société Samsung destinée à s'assurer que les conditions de son agrément étaient réunies, ne démontrait qu'une "atteinte potentielle à ses intérêts". La cour, en revanche, n'a nullement entendu statuer pour l'avenir et régler le sort des relations à venir entre les sociétés Concurrence et Samsung en énonçant par avance les conséquences qu'il y aurait lieu de tirer du comportement de telle ou telle des parties.
Or, force est de constater que la société Concurrence, loin de prétendre que l'arrêt qu'elle défère serait affecté d'une contradiction entre différents chefs de son dispositif, ou que sa motivation en rendrait le sens et la portée obscurs ou ambigus, demande explicitement à la cour d'en appliquer les dispositions à la situation qui a cours depuis qu'il a été rendu. C'est ainsi que dans sa requête, elle demande à la cour "de dire qu'en l'état, le refus de Samsung de vendre directement en circuit court constitue une atteinte immédiate aux intérêts de Concurrence justifiant de répondre positivement à la demande d'injonction de livrer" et, dans ses conclusions responsives, "de dire si le refus visé, pour justifier une atteinte immédiate, est le refus des demandes de livraison directe en circuit court, avec une convention annuelle, dans des conditions non discriminatoires, alors que le nouveau point de vente est en état de fonctionner". Le sens de ces demandes est, au demeurant, éclairé par les développements que comportent ces mêmes conclusions responsives sous l'intitulé suivant : "III- Application de l'attendu de la Cour à la situation de février 2016 (...) Concurrence applique donc les attendus à la situation actuelle, ce à quoi s'oppose Samsung en invoquant une autre explication des attendus".
De ces constatations, il résulte que la requête de la société Concurrence, loin de tendre, dans la mesure nécessaire à son exécution, à l'interprétation de l'arrêt déféré, a pour objet d'obtenir de la cour qu'elle en applique les dispositions à une situation dont elle n'était pas saisie ; cette requête sera dès lors rejetée comme irrecevable.
En ce qui concerne les frais irrépétibles, il serait inéquitable, au regard de l'ensemble de ce qui précède, de laisser à la charge de la société Samsung la totalité des frais irrépétibles engagés pour faire valoir ses droits et la société Concurrence sera condamnée à lui payer la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile
Par ces motifs, Rejette comme irrecevable la requête en interprétation de la société Concurrence, Condamne la société Concurrence à payer à la société Samsung Electronics France la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Concurrence aux dépens de la présente instance.