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Décisions

CA Paris, 17e ch. A, 15 mai 2006, n° 05-01376

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Shell Petrochimie Mediterranée (Sté)

Défendeur :

Mardi, Axa Assurances Iard (SA), CPAM de Paris

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mme Giroud, Conseillers : Mmes Chauvaud, Neher Schraub

Avocats :

SCP Bolling - Durand - Lallement, Courchinoux, SCP TAZE-Bernard - Broquet, Finkine, SCP Baskal Chalut-Natal, Florent

TGI Paris, du 19 déc. 2003

19 décembre 2003

Vu l'accident dont Mme Mardi a été victime le 21 mars 1992 à son domicile, suite à la chute d'une bombe aérosol ;

Vu l'ordonnance de référé du 16 octobre 1992 qui a désigné le docteur Piedelièvre en qualité d'expert pour examiner Mme Mardi et son rapport d'expertise déposé le 4 février 1993 concluant à la nécessité de revoir la victime un an plus tard ;

Vu l'acte d'huissier du 20 mars 2001 par lequel Mme Mardi a fait assigner son assureur la société Axa assurances, la société Shell chimies et la CPAM de Paris ;

Vu l'ordonnance du 25 octobre 2001 par laquelle le juge de la mise en état a désigné M. Ricetti en qualité d'expert technique ;

Vu le jugement rendu le 19 décembre 2003 par le tribunal de grande instance de Paris qui a :

- déclaré la société Shell pétrochimie méditerranée, venant aux droits de la société Shell chimie, entièrement responsable des conséquences dommageables de l'accident,

- avant dire droit sur la réparation du préjudice de Mme Mardi, ordonné une expertise médicale,

- renvoyé le dossier à une audience de mise en état pour reprise de la procédure après dépôt du rapport d'expertise

- ordonné l'exécution provisoire de l'expertise,

- condamné la société Shell pétrochimie méditerranée aux dépens et à payer la somme de 2 000 ' à Mme Mardi en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu l'appel relevé par la société Shell pétrochimie méditerranée et ses dernières conclusions du 8 février 2006 par lesquelles elle demande à la cour :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déclaré entièrement responsable de l'accident et de la décharger de toute responsabilité,

- en tout état de cause, dire irrecevable la demande d'évocation présentée par Mme Mardi, la rejeter ainsi que celles présentées par la société Axa France et par la CPAM de Paris,

- très subsidiairement, fixer le préjudice de Mme Mardi soumis à recours à la somme de 118 438,70 ', dont il y a lieu de déduire la créance de la CPAM de Paris de 70 483,70 ',

fixer son préjudice personnel à la somme de 65 000 ' et la débouter du surplus de ses demandes,

- condamner Mme Mardi aux dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 31 janvier 2006 par Mme Mardi qui demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la société Shell pétrochimie méditerranée entièrement responsable des conséquences dommageables de l'accident,

- par application de l'article 568 du nouveau Code de procédure civile, évoquer sur la liquidation de son préjudice corporel et condamner la société Shell pétrochimie méditerranée à la réparation intégrale de son préjudice selon les modalités suivantes :

incapacité temporaire totale . ...........................................................6 860,21 '

incapacité temporaire partielle 25 % ..................... ......................12 767,68 '

Tierce personne .....................................................................................6 000,00 '

incapacité permanente partielle .......................................................200 000,00 '

Frais médicaux et d'hospitalisation.....................................................70 483,70 '

Pretium doloris ................................................................................ 200 000,00 '

Préjudice esthétique ............................................................................75 000,00 '

Préjudice d'agrément...........................................................................80 000,00 '

- donner acte de la mise en cause de la CPAM de Paris et fixer sa créance,

- condamner la société Shell pétrochimie méditerranée aux dépens de première instance et d'appel et à lui payer la somme de 7 500 ' en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 14 septembre 2005 par la société Axa France Iard qui demande à la cour de :

- confirmer le jugement,

- en cas d'évocation, condamner la société Shell pétrochimie méditerranée à lui payer la somme de 935,58 ' par application de l'article L. 121-12 du Code des assurances ,

- en toute hypothèse, la condamner à lui payer la somme de 1 500 ' en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les dépens ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 1er décembre 2005 par la CPAM de Paris qui demande à la cour de :

- confirmer le jugement sur le principe de la responsabilité de la société Shell pétrochimie méditerranée,

- évoquer sur la liquidation du préjudice de Mme Mardi,

- condamner la société Shell pétrochimie méditerranée à lui payer la somme de 70 483,70 ' qui s'imputera par priorité sur le préjudice de Mme Mardi soumis à recours, la somme de 762 ' au titre de l'indemnité forfaitaire de l' article L. 376-1, alinéa 7, du Code de la sécurité sociale ainsi que la somme de 2 000 ' en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- la condamner aux dépens ;

Sur ce, la cour

1) Sur la responsabilité :

Considérant que les parties s'accordent sur les circonstances de l'accident, à savoir que le 21 mars 1992, Mme Mardi, qui voulait prendre une bouteille d'huile entreposée sur l'étagère la plus haute d'un placard dans sa cuisine, a soulevé sa fille pour qu'elle saisisse la bouteille et que, à ce moment-là une bombe aérosol rangée à côté est tombée; que dans sa chute, la bombe aérosol a heurté l'angle de la gâche de la porte, son enveloppe s'est perforée, le gaz contenu s'en est échappé, la bombe aérosol a fini sa course dans la pièce adjacente où se trouvait un radiateur mural à gaz dont la veilleuse était allumée, le gaz propulseur a formé avec l'air ambiant un mélange inflammable qui s'est enflammé au contact de la flamme du radiateur et Mme Mardi a subi des brûlures ;

Considérant que la société Shell pétrochimie méditerranée fait valoir que l'aérosol n'a pas explosé de lui-même par suite d'un vice interne, mais que le gaz qu'il contenait s'est enflammé à la suite d'une maladresse de Mme Mardi qui avait la garde du comportement et que, dans les circonstances de l'espèce, la faute de la victime revêt un caractère imprévisible et irrésistible constitutif d'un cas de force majeure ; qu'elle conteste donc toute responsabilité sur le fondement de l' article 1384, alinéa 1, du Code civil ;

Considérant que l'appelante soutient, par ailleurs, que la directive européenne du 25 juillet 1985 ne s'applique pas aux produits mis en circulation avant sa transposition en droit français par la loi du 19 mai 1998 sous les articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil ; qu'elle ajoute que l'article L 221-1 du Code de la consommation , résultant de la loi du 21 juillet 1983 et de la directive européenne de 1985, ne pose le principe de la responsabilité du fabricant qu'à raison du défaut du produit fabriqué, ce défaut s'appréciant au regard de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu dans des conditions normalement prévisibles par le professionnel; qu'elle précise que ces textes laissent à la charge de la victime la preuve du défaut du produit, du dommage et du lien de causalité entre les deux; qu'elle conteste tout défaut de sécurité et tout manquement à son obligation d'information ;

Mais considérant que Mme Mardi fait justement valoir, s'agissant d'un produit fabriqué avant 1998, qu'il convient d'interpréter l'article 1384, alinéa 1 du Code civil à la lumière de la directive européenne n° 85374 du 24 juillet 1985 ;

Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise de M. Ricetti, que la bombe aérosol Kerex pour jardin et plantes d'appartement, qui lui a été remise, porte sur son enveloppe extérieure, en sa partie supérieure le mode d'emploi et les précautions d'emploi avec la mention suivante : ' Ne pas laisser la bombe près d'une source de chaleur, ni à une température supérieure à 50° ou en plein soleil. Ne pas pulvériser sur une flamme. Tenir hors de portée des enfants et à l'écart des denrées alimentaires', et en sa partie inférieure les indications : " Dangereux , Produit Shell chimie, distribué en France par Celor Diffusion "; que l'expert précise que la nature du gaz propulseur n'est pas indiquée sur l'enveloppe mais qu'il peut s'agir d'un gaz inflammable tel que le butane ou l'isobutane habituellement utilisé; qu'il indique qu' aucune disposition particulière n'est imposée par la réglementation pour la résistance au poinçonnement de l'enveloppe métallique des bombes aérosol, que la société Shell n'a pas été en mesure de lui communiquer le cahier des charges imposé au constructeur de l'enveloppe et qu'il ne lui a donc pas été possible de déterminer si les contraintes contractuelles imposaient une résistance au poinçonnement en cas de chute de la bombe aérosol ;

Considérant qu'il apparaît des circonstances de l'accident et des constatations de l'expert que la perforation de la bombe aérosol n'est pas due à une utilisation anormale ; que la maladresse de Mme Mardi ne peut être constitutive d'une faute ; que la chute involontaire d'un aérosol, même sur un angle de gâche de porte, ne présente pas un caractère imprévisible et irrésistible pour le fabricant; que son produit dangereux ne comportait pas une enveloppe ayant une résistance suffisante aux chocs et présentait donc un défaut de sécurité ; que le jugement doit donc être confirmé ;

2) Sur la demande d'évocation :

Considérant qu'il n'a pas lieu d'évoquer les points non jugés par le tribunal, lequel statuera sur le préjudice corporel de Mme Mardi, les demandes de la CPAM de Paris et de la société Axa France Iard ;

Mais considérant que, au regard des blessures subies par la victime, dont le docteur Piedelièvre a évalué l'incapacité permanente partielle à 25 %, les souffrances à 6,5/7 et le préjudice esthétique à 5/7, il convient de lui allouer la provision de 80 000 ' à valoir sur l'indemnisation de son préjudice; qu'il convient d'allouer la provision de 50 000 ' à la CPAM de Paris, à valoir sur le remboursement de ses débours ;

3) Sur les demandes en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile :

Considérant que la société Shell pétrochimie méditerranée devra payer à Mme Mardi la somme de 2 000 ', en sus de celle allouée par le tribunal, la somme de 1.000 ' à la CPAM de Paris et la somme de 1 000 ' à la société Axa France Iard ;

Par ces motifs, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Dit n'y avoir lieu à évocation, Condamne la société Shell pétrochimie méditerranée à payer : - à Mme Mardi, la provision de 80 000 ' à valoir sur l'indemnisation de son préjudice et la somme complémentaire de 2 000 ' en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - à la CPAM de Paris, la provision de 50 000 ' à valoir sur le remboursement de ses débours et la somme de 1 000 ' en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - à la société Axa France Iard, la somme de 1 000 ' en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Shell pétrochimie méditerranée aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.