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Décisions

CE, 1re et 6e sous-sect. réunies, 4 novembre 2015, n° 372718

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société Produits dentaires Pierre Rolland

Défendeur :

Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de sante

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marguerite

Rapporteur :

M. Rémi Decout-Paolini

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Thiriez

CE n° 372718

4 novembre 2015

LE CONSEIL : - Vu les procédures suivantes : - 1° Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 octobre 2013, 7 janvier 2014 et 23 février 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous le n° 372718, le Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 9 juillet 2013 par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a, d'une part, suspendu la mise sur le marché, la distribution, l'exportation, l'importation, la fabrication, la détention en vue de la vente ou la distribution à titre gratuit et l'utilisation de produits mis sur le marché sous le statut de dispositifs médicaux destinés à blanchir ou éclaircir les dents, ayant une concentration en peroxyde d'hydrogène comprise entre 0,1 % et 6 %, jusqu'à leur mise en conformité à la réglementation des cosmétiques, d'autre part, interdit ces mêmes activités pour ces produits lorsque leur concentration en peroxyde d'hydrogène est supérieure à 6 % et, enfin, fait injonction aux fabricants, importateurs, responsables de la mise sur le marché et distributeurs des produits dont la concentration en peroxyde d'hydrogène est supérieure à 6 % de prendre toutes mesures utiles pour faire cesser leur distribution et procéder à leur retrait sans délai ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative et le remboursement de la contribution pour l'aide juridique prévue par l'article R. 761-1 du même Code. - 2° Par une ordonnance n° 1312425 du 31 mars 2014, enregistrée le 2 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous le n° 377005, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du Code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par la société Produits dentaires Pierre Rolland. Par cette requête, enregistrée le 30 août 2013 au greffe du tribunal administratif de Paris, la société Produits dentaires Pierre Rolland demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir la même décision du directeur général de l'ANSM ; 2°) de mettre à la charge de l'ANSM la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative. Vu les autres pièces des dossiers ; Vu : - la directive 76/768/CEE du Conseil du 27 juillet 1976, modifiée notamment par la directive 2011/84/UE du Conseil du 20 septembre 2011 ; - la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 ; - le Code de la santé publique ; - l'arrêté du 24 août 2012 modifiant l'arrêté du 6 février 2001 fixant la liste des substances qui ne peuvent être utilisées dans les produits cosmétiques en dehors des restrictions et conditions fixées par cette liste ; - le Code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de Mme Florence Marguerite, maître des requêtes en service extraordinaire, - les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ; La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du Conseil nationale de l'Ordre des chirurgiens-dentistes ;

1. Considérant que les requêtes du Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes et de la société Produits dentaires Pierre Rolland sont dirigées contre la même décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur le désistement de la société Produits dentaires Pierre Rolland:

2. Considérant que ce désistement est pur et simple ; que rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte ;

Sur la légalité externe de la décision attaquée :

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 5312-1 du Code de la santé publique, dont le dernier alinéa transpose notamment le 2 de l'article 19 de la directive du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux : " L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut soumettre à des conditions particulières, restreindre ou suspendre les essais, la fabrication, la préparation, l'importation, l'exploitation, l'exportation, la distribution en gros, le conditionnement, la conservation, la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux, la détention en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, la publicité, la mise en service, l'utilisation, la prescription, la délivrance ou l'administration d'un produit ou groupe de produits mentionné à l'article L. 5311-1, non soumis à une autorisation ou un enregistrement préalable à sa mise sur le marché, sa mise en service ou son utilisation, lorsque ce produit ou groupe de produits, soit présente ou est soupçonné de présenter, dans les conditions normales d'emploi ou dans des conditions raisonnablement prévisibles, un danger pour la santé humaine, soit est mis sur le marché, mis en service ou utilisé en infraction aux dispositions législatives ou réglementaires qui lui sont applicables. La suspension est prononcée, soit pour une durée n'excédant pas un an en cas de danger ou de suspicion de danger, soit jusqu'à la mise en conformité du produit ou groupe de produits en cas d'infraction aux dispositions législatives ou réglementaires. / L'agence peut interdire ces activités en cas de danger grave ou de suspicion de danger grave pour la santé humaine. / Sauf en cas d'urgence, la personne physique ou morale concernée doit être mise à même de présenter ses observations avant l'intervention des mesures prévues ci-dessus " ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'ANSM a transmis le projet de décision en litige pour observations, notamment, au Syndicat national de l'industrie des technologies médicales, au Comité de coordination des activités dentaires et à la Fédération française de l'éclaircissement dentaire, organismes professionnels dont l'objet est de représenter les intérêts des fabricants de dispositifs médicaux, des fabricants de matériels et matériaux dentaires et des établissements de blanchiment dentaire, ainsi qu'à quinze industriels du secteur dentaire ; que, par suite, le Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes n'est pas fondé à soutenir que l'ANSM aurait méconnu l'obligation prévue par le dernier alinéa de l'article L. 5312-1 du Code de la santé publique ;

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

5. Considérant, d'une part, qu'aux termes du 1 de l'article 1er de la directive du 27 juillet 1976 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux produits cosmétiques, en vigueur à la date de la décision attaquée : " On entend par produit cosmétique toute substance ou mélange destiné à être mis en contact avec les diverses parties superficielles du corps humain (...) ou avec les dents et les muqueuses buccales en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d'en modifier l'aspect (...) ou de les protéger ou de les maintenir en bon état " ; que le 1 de l'article 4 de la même directive dispose que : " (...) les États membres interdisent la mise sur le marché des produits cosmétiques contenant : (...) b) des substances énumérées dans la première partie de l'annexe III au-delà des limites et en dehors des conditions indiquées (...) " ; que la directive du 20 septembre 2011 modifiant cette directive en vue d'adapter son annexe III au progrès technique complète la première partie de cette annexe, à la suite d'un avis du comité scientifique pour la sécurité des consommateurs, pour prévoir que la concentration maximale autorisée de peroxyde d'hydrogène dans les produits de blanchiment ou d'éclaircissement des dents est de 6 % et que, au-delà d'une concentration de 0,1 %, ces produits doivent être vendus uniquement à des praticiens de l'art dentaire et faire l'objet, pour chaque cycle d'utilisation, d'une première utilisation par un tel praticien, ou sous sa supervision directe si un niveau de sécurité équivalent est assuré ;

6. Considérant, d'autre part, que le d) du 5 de l'article 1er de la directive du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux dispose qu'elle ne s'applique pas "aux produits cosmétiques couverts par la directive 76/768/CEE " ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 5131-1 du Code de la santé publique, dans sa rédaction alors en vigueur : " On entend par produit cosmétique toute substance ou mélange destiné à être mis en contact avec les diverses parties superficielles du corps humain (...) ou avec les dents et les muqueuses buccales, en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d'en modifier l'aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état (...) " ; que, selon l'article L. 5211-1 du même Code : " On entend par dispositif médical tout instrument, appareil, équipement, matière, produit, à l'exception des produits d'origine humaine, ou autre article utilisé seul ou en association, y compris les accessoires et logiciels nécessaires au bon fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé chez l'homme à des fins médicales et dont l'action principale voulue n'est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 5211-1, les dispositifs médicaux sont " destinés à être utilisés à des fins : / 1° De diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d'atténuation d'une maladie ; / 2° De diagnostic, de contrôle, de traitement, d'atténuation ou de compensation d'une blessure ou d'un handicap (...) " ; que l'article R. 5211-3 précise que les produits cosmétiques ne sont pas régis par les dispositions relatives aux dispositifs médicaux ;

8. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'il résulte des termes mêmes de la décision attaquée que le directeur général de l'ANSM ne s'est pas cru lié par le manuel d'aide à la qualification au regard de la réglementation communautaire des dispositifs médicaux, publié par la Commission européenne, mais a seulement pris en compte ce document pour décider de qualifier de produits cosmétiques les produits de blanchiment dentaire contenant du peroxyde d'hydrogène ; que, d'autre part, il pouvait légalement qualifier de produits cosmétiques une catégorie de produits présentant les mêmes caractéristiques et la même finalité, sans avoir à procéder à un examen spécifique de chaque produit ; que, par suite, le Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que la décision attaquée serait entachée d'erreur de droit ;

9. Considérant, en second lieu, que les produits de blanchiment concernés par la décision attaquée sont destinés à être apposés sur la face externe des dents en vue d'en modifier l'aspect et répondent ainsi à la définition des produits cosmétiques donnée par l'article L. 5131-1 du Code de la santé publique ; qu'en vertu de l'article R. 5211-3 du même Code, les produits cosmétiques ne sont pas régis par les dispositions relatives aux dispositifs médicaux ; que si les requérants soutiennent que les produits de blanchiment des dents comportant une concentration supérieure à 6 % de peroxyde d'hydrogène, destinés à traiter les altérations les plus sévères de la coloration des dents, lesquelles peuvent être le résultat de maladies et peuvent être perçues comme un handicap, répondent à la définition des dispositifs médicaux, les dispositions du Code de la santé publique citées au point 7 doivent être interprétées à la lumière des directives du 27 juillet 1976 et du 14 juin 1993 qu'elles transposent ; qu'il résulte des dispositions de ces deux directives citées aux points 5 et 6 que les produits de blanchiment dentaire contenant du peroxyde d'hydrogène, quelle qu'en soit la concentration, sont regardés comme des produits cosmétiques et, dès lors, ne relèvent pas du régime des dispositifs médicaux ; que, par suite, le directeur général de l'ANSM a exactement qualifié l'ensemble des produits de blanchiment contenant du peroxyde d'hydrogène et destinés à être apposés sur la face externe des dents de produits cosmétiques ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque ; que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être également rejetées ;

Décide

Article 1er : Il est donné acte du désistement d'instance de la société Produits dentaires Pierre Rolland.

Article 2 : La requête du Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes, à la société Produits dentaires Pierre Rolland et à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Copie en sera adressée à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.