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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 1 avril 2016, n° 13-15527

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mariau

Défendeur :

Actena Automobiles (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Lis Schaal, Nicoletis

Avocats :

Mes Rabiller, Bontoux, Ghazal

T. com. Paris, du 1er juill. 2013

1 juillet 2013

Faits et procédure

Monsieur Christophe Mariau, ingénieur en informatique, exerçant une activité de conseil en système d'exploitation et logiciels informatiques, a signé, le 1er juin 1999, un contrat d'exploitation du système d'informations de la chaîne de traitement du réseau informatique d'Actena Automobiles qui exploite des concessions automobiles de marque Volvo. Ce contrat a été reconduit tacitement pendant 12 ans.

Le 23 mai 2012, Actena a adressé à Monsieur Mariau une lettre recommandée avec avis de réception lui notifiant la résiliation du contrat à effet au 23 août 2012.

Le 11 juin 2012, Monsieur Mariau a pris acte du délai de préavis de 3 mois et annoncé qu'il allait procéder à une régularisation de la facturation.

Le 18 décembre 2012, il a mis en demeure Actena de lui payer la somme de 619 277 euros à titre de la régularisation de factures portant sur la période de 2002 à 2012.

Monsieur Mariau a assigné en référé Actena devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamner à lui payer un montant de 520 153 euros à titre provisionnel.

Par ordonnance du 29 janvier 2013, le tribunal de commerce a dit n'y avoir lieu à référé.

Monsieur Mariau a assigné Actena au fond devant le Tribunal de commerce de Paris en paiement des sommes de :

- 376 676,86 euros TTC, au titre de reliquats de factures sur les années 2003 à 2012 ;

- 26 256,15 euros correspondant à l'indexation Syntec ;

- 153 864,20 euros TTC pour rupture brutale d ela relation commerciale, en sollicitant un préavis de 20 mois, somme sur laquelle il convenait d'imputer les factures payées par Actena les 22 mai et 22 août 2012 ;

- subsidiairement il sollicitait une expertise comptable afin d'évaluer l'indemnisation correspondant aux 20 mois de préavis réclamés.

Par jugement en date du 1er juillet 2013, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté Monsieur Mariau de ses demandes fondées sur la régularisation des factures et sur l'indexation Syntec ;

- retenu la rupture brutale des relations commerciales et estimé que le préavis aurait dû être de 10 mois et a accordé à Monsieur Mariau une somme de 22 281 euros à titre de dommages et intérêts (7 mois x 3 183 euros) ;

- débouté Monsieur Mariau de sa demande d'expertise ;

- débouté les parties de leurs plus amples prétentions ;

- condamné Actena à payer à Monsieur Mariau la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le tribunal a retenu que Monsieur Mariau ne pouvait réclamer la régularisation des factures et des frais de déplacement et de téléphone alors que ce dernier avait toujours facturé à la fin de chaque mois un forfait mensuel et ce en contradiction avec les termes du contrat qui prévoyait une facturation au 10 de chaque mois et une régularisation par la suite et alors que Monsieur Mariau n' avait jamais réclamé cette régularisation pendant 13 ans. Il a également estimé que la révision sur l'indice Syntec prévu dans le contrat au 1er juin de chaque année a été appliquée sur les années 2004, 2005, 2006, 2007 et 2008 et en a déduit qu'il y avait eu accord entre les parties pour les autres années de ne pas appliquer la revalorisation, l'année 2010 ayant fait l'objet d'une augmentation selon des critères distincts que ceux de l'indice Syntec.

Monsieur Mariau a régulièrement interjeté appel de cette décision le 26 juillet 2013.

Par ses conclusions signifiées le 3 février 2016, auxquelles il est fait référence pour plus amples exposé des prétentions, il demande à la cour de :

- condamner la société Actena à lui payer le reliquat de 50 % dû sur chaque facture depuis le 1er juin 2003, soit un montant total de 376 676,90 euros, avec intérêts au taux légal majoré de 5 points par application de l'article 13.4 du contrat ;

- dire qu'il y a lieu à application de l'indice Syntec de l'article 13-2 du contrat auquel Monsieur Mariau n'a pas expressément renoncé ;

- condamner Actena à lui payer un montant de 45 615,34 euros, à titre subsidiaire un montant de 37 806,97 euros si la moitié du forfait devait être retenue, pour la période du 1er juin 2003 au 24 août 2012 ;

- dire que la durée de préavis devait être fixée à 20 mois et condamner Actena à lui payer à ce titre un montant de 153 864,20 euros TTC ;

En tout état de cause,

- débouter Actena de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ;

- la condamner à lui payer une somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Il soutient qu'en application du contrat, reconduit pendant 13 ans, il devait dispenser ses prestations, facturées forfaitairement sans aucune limitation de durée, en termes de plages horaires, à raison d'une disponibilité de 260 jours par an, que la rémunération forfaitaire a été fixée à 228,67 euros HT/jour pour 260 jours, soit 59 454,20 euros HT par mois, hors déplacement et frais téléphoniques, conformément à l'article 13-1 du contrat, qu'une actualisation était prévue annuellement selon indice Syntec (article 13-2). Il estime que les dispositions du contrat étaient claires tant sur la facturation (article 13-1) que sur le nombre de jours, et qu'en cas de dépassement des 260 jours sur commande supplémentaire, il était prévu une tarification journalière fondée sur l'article 13-1 (article 11). Il en infère que les premiers juges ont fait une mauvaise interprétation des clauses du contrat en retenant une possibilité de prestations inférieures à 260 jours fondée sur la rédaction de l'article 13-1 qui évoque " pour un maximum de 260 jours ".

Il ajoute qu'il n'a jamais facturé de prestations supplémentaires au-delà de 260 jours car il n'y en a pas eu, et que, s'il a, par négligence, omis de facturer la totalité de ses prestations et n'en a facturé que la moitié, il ne peut être soutenu qu'il y a pour autant renoncé. Il précise que le contrat n'était pas surdimensionné lorsqu'on le compare à Icar et Midrange. Il soutient également qu'il n'y a eu entre les parties aucun accord de négociation des tarifs, ni aucune renonciation à la revalorisation avec l'indice Syntec.

Sur la rupture brutale, il précise que les dommages et intérêts alloués devront tenir compte à la fois de la durée des relations commerciales et de l'importance de Actena dans son chiffre d'affaires (61 % de 2009 à 2011).

La société Actena Automobiles, par conclusions signifiées le 3 février 2016, conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, à l'exception de celle concernant l'indemnisation sollicitée pour non-respect du délai de préavis. Elle demande à la cour de :

- sur l'indice Syntec, dire que seules les années 2003, 2009, 2011 et 2012 peuvent être réclamées et que l'indexation devra portée sur les prix facturés ;

- sur l'indemnisation pour rupture brutale, dire qu'Actena est redevable d'une somme qui ne saurait excéder 9 037 euros (1 291 euros par mois x 7 mois).

En tout état de cause;

- condamner M. Mariau à lui payer un montant de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Elle soutient que Monsieur Mariau a facturé l'intégralité des prestations qu'il a effectuées au titre du contrat pour les années 2003 à 2012, qu'il a irrévocablement renoncé à indexer le tarif de ses prestations sur l'indice Syntec, que le dernier tarif de Monsieur Mariau au titre du contrat s'élève à 3 183 euros HT.

Sur la rupture brutale de la relation commerciale, elle expose que le préavis de 3 mois est d'une durée raisonnable et suffisante au regard de la durée de la relation établie entre Actena et Monsieur Mariau, qu'aucune exclusivité n'avait été consentie à Actena par Monsieur Mariau, qu'il n'y a pas lieu de comparer le contrat de Monsieur Mariau avec celui conclu avec la société Bilia Trucks France SA, qu'il n'existait aucun usage entre les parties, qu'il n'y a donc pas eu de rupture brutale des relations commerciales, et que Monsieur Mariau devra donc être débouté et condamné à lui restituer la somme de 22 281 euros versée le 24 juillet 2013.

Sur ce

Sur la régularisation des factures

Considérant qu'il est établi que les parties ont été liées par un contrat d'assistance et d'exploitation, ayant pris effet le 1er juin 1999 et ayant pour objet de confier à Monsieur Christophe Mariau, exerçant en nom propre sous l'enseigne MGCI, l'exploitation du système d'information et de la chaîne de traitement du réseau de la société Actena Automobiles SA en France ; que l'article 13.1 du contrat concernant le prix stipule que " le prix global et forfaitaire des prestations définies à l'article 3 est de 1 500 F HT par jour pour un maximum de jours facturés de 260 jours sur la période. Les frais de séjours et de déplacement de la société MGCI lui seront remboursés sur présentation des justificatifs, s'ils n'ont pas été pris en charge directement par la société Actena Automobiles SA " ; que les modalités de facturation et de règlement étaient prévues dans l'article 13.3 qui prévoit que " La société MGCI établira au plus tard le 10 du mois une facture mensuelle équivalent à 50 % du forfait de 260 jours, soit 16 250 Francs HT + frais de télécom + frais de déplacements " ;

Considérant que la société MGCI a facturé pendant 13 ans le montant mensuel de 16 250 F ; qu'elle réclame à présent le reliquat de 50 % dû, selon elle, sur chaque facture ainsi que les frais téléphoniques et frais de déplacement qui n'auraient pas été réglés ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient Monsieur Mariau, il ne résulte pas des clauses du contrat qu'il avait une prestation garantie d'au moins 260 jours, l'article 13-1 du contrat comprenant les termes " pour un maximum de jours facturés de 260 jours ", ce dont il se déduit que la facturation ne pouvait dépasser 260 jours, mais pouvait être moindre ; que le prix forfaitaire contractuel est un prix par jour de 1 500 F HT, soit 228,67 euros HT par jour pour un maximum de 260 jours, et non un prix annuel intangible de 59 454,20 euros HT ;

Que, par ailleurs, la facturation comprend les frais téléphoniques et les frais de déplacements ; que les factures de 2002 à 2012 émises par Monsieur Mariau portent d'ailleurs la mention " forfait mois de... ", ces termes signifiant qu'était facturée, pour le mois considéré, une rémunération forfaitaire couvrant l'ensemble des frais de Monsieur Mariau ; que Monsieur Mariau n'a, à aucun moment, réclamé, de quelque façon que ce soit, la régularisation de ses factures en 13 ans avant sa lettre recommandée AR du 18 décembre 2012 ; qu'ainsi, le 2 novembre 2012, il a adressé à Actena le courriel suivant :

" En dépit de mes précédentes relances, je constate qu'à la date de cet email, vous restez redevable de la somme de 8 762,98 euros TTC, soit:

- forfait du mois de juillet (4 626,49 euros TTC) à échéance au 20/08/2012,

- forfait du mois d'août (4 236,49 euros TTC) à échéance au 20/09/2012, (suivant la clause 13.3 du contrat d'assistance d' exploitation) " ;

Que Monsieur Mariau utilise à nouveau, dans une lettre de relance, le terme de " forfait mois ", montant contractuel facturable sans justification particulière ; que le débat sur la comparaison, avec les prestations et leur coût, des remplaçants de Monsieur Mariau est étranger au litige ;

Qu'il en résulte que Monsieur Mariau, qui se facturait lui-même, a bien établi en fin de mois, pendant 13 ans, les factures correspondant à la totalité de ses prestations conformément au contrat ; qu'en conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Monsieur Mariau portant sur la régularisation des factures ;

Sur l'indexation Syntec

Considérant que la révision du prix était prévue au 1er juin de chaque année (en cas de renouvellement du contrat), par application annuelle de l'indice Syntec selon une formule indiquée dans l'article 13.2 du contrat ; qu'en 2010, la tarification a été revalorisée en raison de l'ajout de deux sites, les parties ayant alors décidé d'une nouvelle tarification ; que cette révision contractuelle ne peut être réclamée que pour les années 2003, 2009, 2010, 2011 et 2012, dès lors que, pour l'année 2002, la prescription est acquise, et que la révision a été appliquée pour les autres années (de 2004 à 2008) ;

Considérant que la cour observe que la révision n'a, à aucun moment, été réclamée par Monsieur Mariau, alors que ce dernier a appliqué celles des années 2004 à 2008 ; qu'il ne peut donc s'agir d'un simple oubli de Monsieur Mariau alors que celui-ci négociait une nouvelle tarification en 2010 ; qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur Mariau de sa demande de ce chef ;

Sur la rupture brutale de la relation commerciale

Considérant que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce dispose qu' "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution, par l'autre partie, de ses obligations ou en cas de force majeure " ;

Considérant que le contrat stipule que "le présent contrat prend effet le 1er juin 1999 pour une durée initiale d'un an, renouvelable par tacite reconduction, sauf dénonciation expresse par lettre recommandée avec accusé de réception par une des parties à l'autre en respectant un préavis de trois mois " ; que, par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 mai 2012, la société Actena a informé Monsieur Mariau de la résiliation du contrat à l'issue d'un délai de trois mois expirant le 23 août 2012 ; que, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 29 mai 2012, Monsieur Mariau a contesté la date de résiliation et a fait remarquer que le contrat ne pouvait prendre fin que le 31 mars 2013 ; que, par courrier recommandé du 11 juin 2012, en réponse à celui d'Actena du 7 juin 2012, Monsieur Mariau a pris acte du délai de préavis de trois mois à échéance du 23 août 2012;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les parties étaient en relations commerciales depuis 13 ans ; que leurs relations revêtaient un caractère suivi, stable et établi au sens de l'article L. 442-6 I 5° ; que la société Actena Automobiles a respecté le délai de préavis de 3 mois prévu contractuellement ; qu'aucun manquement contractuel n'est reproché à Monsieur Mariau ;

Mais considérant que le délai de préavis doit tenir compte de la durée de la relation commerciale ; qu'au vu de l'ancienneté des relations et de l'importance du client Actena Automobiles dans son chiffre d'affaires (61 % en 2009, 2010 et 2011), la préavis de 3 mois accordé n'était pas suffisant pour permettre à Monsieur Mariau de trouver un autre client et d'opérer une reconversion ; que la cour dispose des éléments pour dire qu'un préavis de 10 mois aurait dû être mis en œuvre ;

Considérant que le préjudice doit être évalué en considération, non du chiffre d'affaires, comme l'a justement retenu le jugement entrepris, mais de la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance de préavis, soit en l'espèce 7 mois ; qu'au vu des pièces produites, en retenant une facturation annuelle de 38 196 euros HT (3 183 euros HT par mois), et compte tenu des prestations réalisées, la cour dispose d'éléments suffisants, sans qu'il y ait lieu de recourir à une expertise judiciaire, pour estimer la marge brute à 50 % du chiffre d'affaires, hors frais, soit un montant de 11 140,5 euros HT sur 7 mois (1 591,50 euros x 7) ; qu'il convient donc d'infirmer le jugement entrepris sur le montant de l'indemnisation et de condamner la société Actena à payer une somme de 11 140,50 euros HT à titre de dommages et intérêts ;

Considérant que l'équité n'impose pas l'application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens ;

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, à l'exception du montant de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie, Statuant à nouveau du chef infirmé, Condamne la société Actena Automobiles à payer à Monsieur Mariau la somme de 11 140,50 euros à titre dommages et intérêts en réparation de la rupture brutale de leurs relations commerciales, Déboute les parties de leurs plus amples prétentions, Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.