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Décisions

CA Aix-en-Provence, 11e ch. B, 31 mars 2016, n° 15-04754

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Coleno

Conseillers :

Mmes Peltier, Fillioux

Avocats :

Mes Magnan, Czub

TI Tarascon, du 12 mars 2015

12 mars 2015

Le 8 mars 2011, M. M. a commandé auprès de la société CESP une installation de panneaux photovoltaïques avec raccrochement au coffret EDF pour un prix de 17 000 euros et a accepté une offre préalable de crédit accessoire à une vente ou prestation de service auprès de la société Sofemo pour un montant de 17 000 euros, remboursable en 180 mensualités de 179,88 euros assurance comprise au taux de 5,6 %.

Le 25 mars 2011, un document intitulé " attestation de livraison et demande de financement " a été signé par M. M. et les fonds ont été débloqués entre les mains de la société CESP le 28 mars 2011.

Le 15 juin 2011, la société CESP a été placée en liquidation judiciaire, Maître R. étant nommé liquidateur.

Les panneaux n'ont jamais été livrés et l'installation commandée n'a pas été réalisée.

Le gérant de la société CESP a été condamné par jugement définitif du Tribunal correctionnel d'Avignon le 15 juillet 2014 à trois ans de prison, dont deux avec sursis et interdiction de gérer pendant 5 ans, et le tribunal a renvoyé à une audience ultérieure l'examen des intérêts civils dont ceux de M. et Mme M. constitués partie civile.

Le 16 avril 2013, la société Sofemo après avoir notifié la déchéance du terme a fait assigner M. et Mme M. devant le Tribunal d'instance de Tarascon aux fins de les voir condamner à lui payer la somme de 20 263,81 euros correspondant au remboursement du solde du prêt consenti en intérêts et principal.

Par acte du 2 septembre 2013, les époux M. ont assigné en intervention forcée la société CESP, prise en la personne de son liquidateur judiciaire M. R.

Par jugement du 12 mars 2015 le Tribunal d'instance de Tarascon a :

- prononcé la nullité du contrat de vente

- prononcé la nullité du contrat de prêt affecté

- débouté la société Sofemo de sa demande en paiement de la somme de 20 263,81 euros

- dit que la Sofemo a commis une faute dans le déblocage des fonds la privant du droit de demander le remboursement du capital prêté,

- débouté les époux M. de leur demande de dommages et intérêts

- fait injonction à la Sofemo de procéder à la radiation des époux M. au FICP sous astreinte de 50 euros par jour de retard pendant trois mois passé un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement

- condamné la Sofemo à payer aux époux M. la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens.

Le premier juge a considéré que les clauses du contrat conclu avec la société CESP faisaient expressément référence aux dispositions du Code de la consommation et qu'il y avait à tout le moins soumission volontaire à ce régime.

que le contrat ne mentionnait ni délai de livraison ni délai de pose en infraction aux dispositions de l'article L. 121-23 prescrits à peine de nullité, et que la Sofemo ne pouvait opposer l'attestation de livraison établie par M. M. dès lors que cette attestation est inexacte, ce qui est confirmé par l'attestation de M. Q. commercial.

que la Sofemo avait commis une faute en débloquant les fonds au reçu de cette attestation sans s'interroger sur la brièveté du délai incompatible avec la complète réalisation de l'opération financée, ce qui la privait de demander le remboursement des sommes prêtées;

le tribunal a toutefois débouté les époux G. et Sarah M. gendarmes de profession de leurs demandes en retenant qu'ils avaient contribué à leur préjudice en acceptant de signer une fausse attestation.

La Sofemo a relevé appel de cette décision par acte du 22 mars 2015.

Prétentions des parties

Cofidis venant aux droits de Sofemo par conclusions déposées et signifiées le 2 octobre 2015 auxquelles il est fait expressément référence pour le détail de l'argumentation conclut à l'infirmation de la décision et soutient:

que le contrat de vente ne relève pas d'un démarchage à domicile, qu'il ne relève pas des dispositions du Code de la consommation et qu'il s'agit d'un acte de commerce, elle demande à la cour de:

- dire que la Sofemo a consenti un prêt de droit commun au visa des dispositions des articles 1905 et suivants du Code civil,

- constater que les époux G. et Sarah M. ont commis une faute et les entendre condamnés à lui payer la somme de 20 263,81 euros avec intérêts au taux contractuel au taux de 5,56 % à compter du 25 juillet 2012

et subsidiairement dans l'hypothèse où l'annulation du contrat serait prononcée

- les entendre condamnés à lui rembourser la somme de 17 000 euros et à lui payer en tout état de cause 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle conteste l'existence d'un démarchage et par voie de conséquence l'application des dispositions des articles L. 121-21 et 23 du Code de la consommation et en veut pour démonstration le fait que le contrat n'est pas conclu à l'adresse du domicile des intéressé mais à Saint Chamas.

Elle souligne que le contrat avait pour objectif la création d'une station de production d'électricité, qui entraîne l'obligation de céder la totalité de la production à EDF ce qui exclut un usage domestique et une consommation privée, ainsi que toute notion d'amélioration de l'habitat et caractérise un acte de commerce au sens de l'article L. 110-1 du Code de commerce.

Elle relève que par arrêt du 20 juin 2013 la Cour de justice de l'Union européenne a dit que la récupération de la TVA était possible ce qui démontre la dimension professionnelle de l'activité.

Elle soutient que la jurisprudence la plus récente qui a pris conscience du fait que l'intégralité de la production électrique est vendue évolue en ce sens, et que dès lors le litige est soumis non au droit de la consommation mais au droit commun des contrats.

Elle affirme qu'il n'est pas possible d'invoquer une soumission volontaire au droit de la consommation alors que le contrat exclut ces dispositions pour le financement d'activité professionnelle.

Subsidiairement si l'opération de démarchage était retenue elle soutient qu'il existe des actes de réitération incontestables (signature de l'attestation et demande de financement en pleine connaissance de cause), faits d'exécution volontaire déclencheur du financement lequel incombe à la " turpitude " de M. M. dont celui-ci ne peut se prévaloir.

Très subsidiairement en cas d'annulation du contrat, elle soutient

- qu'elle n'était pas chargée en sa qualité de préteur de vérifier la pertinence du contrat,

- que le délai de 17 jours constaté entre la commande et l'attestation de livraison n'est pas irréaliste, un expert désigné par ordonnance de référé du 30 avril 2013, ayant conclu à la possibilité de réaliser le chantier en 48 h.... " sous réserve d'une préparation adéquate du chantier avec une équipe de 3 personnes tout peut être installé en 48 heures " de sorte que l'attestation de réception garde son effet libératoire.

Elle conteste en conséquence toute faute de sa part dans le déblocage des fonds, effectué au vu de l'attestation de livraison particulièrement précise qui lui a été adressée.

Elle souligne que les époux M. se sont constitués partie civile devant le tribunal correctionnel d'Avignon et ne donnent aucune information sur la suite donnée à leur demande.

Elle rappelle encore qu'aucune plainte pénale n'a été dirigée contre elle.

Les époux G. et Sarah M. par conclusions déposées et signifiées le 6 août 2015 auxquelles il est fait expressément référence pour le détail de l'argumentation concluent à la confirmation de la décision et demandent à la cour:

- de dire que l'opération est bien régie par les dispositions du Code de la consommation,

- de dire que la Sofemo a commis une faute en ne s'assurant pas de la bonne exécution du contrat qui la prive de son droit à remboursement des sommes versées

- de condamner la Sofemo à procéder à leur radiation du FICP sous astreinte de 100 euros par jour de retard

- de condamner la Sofemo au paiement de la somme de 7 000 euros à titre de dommages et intérêts outre 4 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile

Ils affirment qu'ils ont contracté à la suite d'un démarchage à domicile et en veulent pour preuve que Saint Chamas est leur domicile de fonction et que le démarchage est confirmé par l'attestation de M. Q. commercial.

Ils soutiennent que le bon de commande est irrégulier au regard des dispositions régissant le démarchage à domicile aucune date précise de livraison n'étant mentionnée, ce qui doit entraîner son annulation et par voie de conséquence l'annulation du contrat de financement s'agissant de contrat formant un tout indivisible.

Ils soulignent que la prestation promise n'a pas été livrée, qu'ils ont porté plainte avec constitution de partie civile et que le gérant de la CESP a été condamné par jugement du tribunal correctionnel d' Avignon du 15 juillet 2014 notamment pour des faits de manœuvres frauduleuses et de tromperie, que dans ce contexte la Sofemo ne peut se retrancher derrière l'attestation signée qui est inexacte.

Ils contestent avoir eu la qualité de commerçant et revendiquent la qualité de consommateurs en soulignant que le contrat n'a pas de destination professionnelle, quand bien même porterait il sur un acte de commerce, et soulignent que selon le bulletin officiel des impôts les résultats dégagés par la revente d'électricité par des particuliers sont à déclarer en bénéfice industriel et commerciaux non professionnels.

S'agissant de la faute reprochée à Sofemo ils affirment qu'elle ne pouvait ignorer la nullité du contrat, qu'une jurisprudence abondante retient dans de telles hypothèses la faute du prêteur, qu'aucune confirmation de la nullité ne peut être invoquée, que l'attestation de livraison manque de crédibilité compte tenu des délais administratifs et d'exécution du chantier et que la Sofemo a procédé à un déblocage intempestif des fond qui la prive de son droit à remboursement.

Maître R. liquidateur a été assigné le 22 juin 2015 par acte remis à tiers, et n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 février 2016.

Motifs de la décision

Sur l'application des dispositions du Code de la consommation

* L'existence d'un démarchage:

Le contrat a été signé à Saint Chamas, adresse qui ne correspond pas au siège social du vendeur sis à Avignon mais au logement de fonction des époux M., ainsi qu'il résulte des énonciations de l'acte de prêt (page Renseignements concernant les emprunteurs).

M. Q. ancien commercial de la CESP confirme avoir démarché les époux G. et Sarah M.

Ces éléments concordants établissent donc le démarchage.

Pour écarter les dispositions des articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation la société Sofemo sollicite l'application des dispositions du droit commun du prêt au visa des articles 1905 et suivants du Code civil (et non des dispositions de droit commercial) et soutient que les époux G. et Sarah M. ne peuvent être considérés comme des consommateurs, l'activité de production et de vente d'énergie constituant un acte de commerce par nature.

Toutefois, d'une part la société Sofemo est mal venue à soutenir que le contrat est exclusivement destiné à produire de l'énergie vendue pour la totalité à EDF puisque le préambule des conditions générales du contrat produit aux débats (Pièce 1 de l'intimé) précise le contraire en indiquant:

" les installations fournies par CESP sont destinées à produire de l'électricité qui peut être utilisée soit pour un usage domestique soit pour être redistribuée par sur le réseau RDF dans le cadre de contrat de fourniture d'électricité à ERDF .... "

Au surplus aucune autre disposition du contrat ne fait état d'une production d'électricité réservée à ERDF.

Les époux M. font en outre à juste titre référence à l'extrait du Bulletin officiel des Finances Publique (pièce 14 de l'appelante) qui précise que l'activité de vente d'énergie par des personnes physiques ne présente généralement pas de caractère professionnel, et prévoit les conditions d'exonération de revenus tirés de la vente d'électricité d'origine photovoltaïque par les personnes physiques confortant ainsi l'exclusion du champ professionnel des installations de faible puissance.

En outre l'installation composée de 16 panneaux pour une puissance totale de 2960 Wc est de très modeste dimension et n'est pas destinée à une production quantitativement significative, ni considérablement lucrative, l'objectif annoncé étant un auto-financement à long terme de l'installation.

Enfin les époux G. et Sarah M. tous deux gendarmes de métiers, n'ont pas la qualité de commerçant, ils ne réalisent pas d'actes de commerces à titre habituel et aucune stipulation du contrat ne stipule de manière expresse et dépourvue d'ambiguïté une destination professionnelle du prêt.

Il en résulte que quand bien même une part de la production serait revendue à ERDF le contrat n'a pas été conclu pour les besoins d'une activité exercée à titre professionnel et n'a aucun rapport avec l'activité professionnelle des contractants ce dont il se déduit que ceux-ci ont conclu en qualité de particulier dans le cadre d'un démarchage à domicile, les dispositions des articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation sont donc applicables ainsi que l'a retenu à juste titre le premier juge.

Sur la validité du contrat de vente.

Le premier juge a exactement énuméré les prescriptions régissant le contrat souscrit dans le cadre d'un démarchage à domicile, il a relevé par des motifs qui ne sont pas démentis ni critiqués devant la cour que le contrat ne mentionnait aucun délai de livraison ni à fortiori de pose du matériel.

La demande de financement signée par M. M. ne peut valoir renonciation à se prévaloir de l'irrégularité formelle du contrat et de la protection qui en découle ni ratification du contrat irrégulier, elle n'a pas été donnée en connaissance de cause du vice affectant ce contrat.

En effet il résulte tant de l'attestation de M. Q. que du constat dressé le 18 avril 2012 par Maître T. huissier, que le matériel n'était pas livré, et ne l'a pas été et que la rédaction de ce document était précisément destinée, fut ce à tort, à provoquer une livraison qui n'était pas intervenue, et qu'enfin les époux M. n'ont fait aucun paiement volontaire en exécution du contrat de vente.

Dès lors et s'agissant de mentions prescrites à peine de nullité le premier juge a sanctionné à juste titre ces carences par la nullité du contrat, qui entraîne la nullité de plein droit du contrat de financement par application pure et simple de l'article L. 311-21 du Code de la consommation.

Si en principe l'annulation ou la résolution du crédit entaine pour l'emprunteur l'obligation de rembourser au préteur la capital versé il n'en est pas de même en cas de faute du préteur dans la remise des fonds.

Sur la faute du prêteur

En l'espèce la société Sofemo a débloqué les fonds au vu d'une "attestation de livraison demande de financement" en date du 25 mars 2011 signée de M. M. qui a écrit de sa main la formule suivante:

"je confirme avoir obtenu et accepter sans réserves la livraison des marchandises. Je constate expressément que tous les travaux et prestations qui devaient être effectués à ce titre ont été pleinement réalisés.

En conséquence je demande à Sofemo de bien vouloir procéder au décaissement de ce crédit et d'en verser le montant directement entre les mains de la CESP".

La rédaction et la signature de ce document n'est pas contestée par M. M., qui n'a pu en méconnaître le sens ou la portée compte tenu de la longueur et de la consistance des mentions écrites de sa main et dénuées d'ambiguïté.

Il appartient aux époux G. et Sarah M. qui invoquent une faute du prêteur dans le déblocage des fonds opéré au vu de cette attestation, de caractériser cette faute.

Or l'attestation vise expressément et de façon précise non seulement la livraison des matériels mais la réalisation des prestations contractuelles, ce qui désigne sans équivoque les opérations de pose et d'installation.

L'attestation a été établie le 25 mars soit 17 jours après la commande.

La société Cofidis produit aux débats (pièce 27) un rapport d'expertise établi par M. D. expert à Dijon désigné par le Tribunal d'instance de Chalons-sur-Marne dans le cadre d'un autre litige concernant une installation de 24 panneaux photovoltaïque et deux onduleurs pour un coût de 35 000 euros et qui conclut que " sous réserve d'une préparation adéquate du chantier avec une équipe de trois personnes tout peut être installé en 48 heures ".

Au vu de cet avis technique qui n'est contredit par aucun autre, les époux G. et Sarah M. qui se bornent à des considérations générales sur les délais administratifs n'apportent pas la preuve que le délai de 17 jours était objectivement irréaliste ou tout au moins dénué de crédibilité au point qu'il aurait dû attirer l'attention du preteur.

Au surplus les énonciations du contrat de vente ne faisaient pas apparaître la signature d'un contrat dans le cadre d'une vente à domicile, et ne mettaient pas la société Sofemo en situation de s'interroger sur la conformité du contrat avec les dispositions régissant le démarchage.

En conséquence la faute de la société Sofemo dans le débloquage des fonds eu vu d'une attestation précise circonstanciée de l'emprunteur dépourvue d'anomalie apparente n'est pas démontrée, de sorte que la société Sofemo qui n'avait pas d'investigations plus approfondies à mener n'est pas privée de son droit de demander le remboursement du capital prêté.

En conséquence les époux G. et Sarah M. seront condamnés solidairement à rembourser à la société Cofidis venant aux droits de la société Sofemo la somme de 17 000 euros, sans qu'il y ait lieu à anatocisme les intérêts qui courent à compter du présent arrêt n'étant pas dus pour une année entière.

La condamnation prononcée à l'enconte des époux G. et Sarah M. justifie le rejet de leurs demandes accessoires.

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR statuant par défaut, confirme la décision déférée en ce qu'elle a prononcé la nullité du contrat de vente du 8 mars 2011 et la nullité du contrat de prêt affecté du 8 mars 2011, l'infirme pour le surplus et statuant à nouveau, dit que la société Sofemo n'a pas commis de faute dans le débloquage des fonds, condamne les époux G. et Sarah M. solidairement à payer à la société Cofidis venant aux droits de la Sofemo, la somme de 17 000 euros, rejette la demande de capitalisation des intérêts, rejette la demande de la société Cofidis venant aux droits de la Sofemo au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne les époux G. et Sarah M. aux entiers dépens.