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ADLC, 29 février 2016, n° 16-DCC-32

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à la prise de contrôle conjoint d'un actif immobilier à usage commercial situé à Villebon-sur-Yvette (91) par le Groupe Crédit Agricole et la Banque Fédérative du Crédit Mutuel

ADLC n° 16-DCC-32

29 février 2016

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 28 janvier 2016 et relatif à la prise de contrôle conjoint d'un actif immobilier à usage commercial situé à Villebon-sur-Yvette (91) par le Groupe Crédit Agricole et la Banque Fédérative du Crédit Mutuel, formalisée par une lettre d'offre ferme en date du 24 décembre 2015 et un protocole d'investissement en date du 7 janvier 2016 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. Groupe Crédit Agricole (ci-après, " GCA ") est un groupe mutualiste français, offrant un large éventail de services bancaires et d'assurance. Le Groupe Crédit Agricole contrôle notamment la société Crédit Agricole Assurances (ci-après, " CAA ") qui propose des produits d'assurance principalement destinés aux professionnels ainsi que des produits d'assurance de personnes.

2. La société Banque Fédérative du Crédit Mutuel (ci-après, " BFCM ") est la holding d'un groupe bancaire mutualiste constitué par 11 fédérations régionales de Crédit Mutuel. Le groupe BFCM exerce une activité de banque détail, de banque de financement, de banque privée, d'assurance, de marché et de capital développement. La BFCM contrôle la société Assurances du Crédit mutuel vie SA (ci-après, " ACM ") qui commercialise des produits d'assurances de personne à destination de la clientèle de particuliers du groupe.

3. La cible est un ensemble immobilier à usage de commerces situé à Villebon-sur-Yvette (91), actuellement détenu par la société d'investissement Hammerson PLC.

4. L'opération, formalisée par une lettre d'offre ferme en date du 24 décembre 2015 et d'un protocole d'investissement en date du 7 janvier 2016, consiste en l'acquisition de l'actif cible, par l'intermédiaire de la SCI Frey Retail Villebon spécialement créée pour les besoins de l'opération. En application des statuts de la SCI et du projet de pacte d'associés, la cible fera l'objet d'un contrôle conjoint des sociétés CAA et ACM dès lors que les décisions stratégiques, telles l'approbation du budget annuel ou la conclusion et la résiliation des baux, seront adoptées à la majorité des deux tiers des associés lesquels détiennent respectivement 47,5 % des actions et des droits de vote. La cible de l'opération est un ensemble immobilier d'une surface de [...] m2 et composé d'un parking de [...] places et de [...] cellules actuellement louées à des enseignes nationales et internationales (Darty, ToysRus, Intersport) pour un loyer annuel de [...] d'euros. L'immeuble constitue donc un actif générant un chiffre d'affaires.

5. En ce qu'elle se traduite par la prise de contrôle conjoint par le Groupe Crédit Agricole et la Banque Fédérative du Crédit Mutuel d'un immeuble à usage de locaux commerciaux, l'opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du code de commerce.

6. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires hors taxe total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (Groupe Crédit Agricole : [...] d'euros au 31 décembre 2014 ; BFCM : [...] d'euros pour le même exercice). Deux au moins de ces entreprises réalisent en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (Groupe Crédit Agricole : [...] d'euros au 31 décembre 2014 ; BFCM : [...] d'euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, les seuils prévus par l'article 1, paragraphe 2, a) et b) du Règlement (CE) n°139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 sont atteints. Néanmoins, chacune des entreprises concernées réalisant plus des deux tiers de son chiffre d'affaires dans l'Union européenne en France, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatives aux concentrations économiques.

II. Délimitation des marchés pertinents

7. L'opération entraîne un chevauchement d'activités dans le secteur des services immobiliers.

A. LES MARCHÉS DE PRODUITS ET DE SERVICES CONCERNÉS

8. Les autorités de concurrence nationale1 et européenne2 ont envisagé, tout en laissant la question ouverte, différentes segmentations dans le secteur des services immobiliers selon (i) les destinataires des services (particuliers ou entreprises), (ii) le mode de fixation des prix (immobilier résidentiel libre et les logements sociaux ou intermédiaires aidés), (iii) le type d'activité exercée dans les locaux (bureaux3, les locaux commerciaux4 et autres locaux d'activités5), et (iv) la nature des services ou biens offerts6.

9. Pour cette dernière segmentation, les services suivants ont été identifiés :

(i) la promotion immobilière qui comprend les activités de construction et de vente de biens immobiliers ;

(ii) la gestion d'actifs immobiliers pour compte propre ;

(iii) la gestion d'actifs immobiliers pour compte de tiers (des investisseurs institutionnels, principalement des banques et des compagnies d'assurances) qui recouvre le conseil et la gestion de portefeuille immobilier (arbitrage et valorisation d'actifs), le montage des opérations d'investissement immobilier et la gestion d'actifs immobiliers et de véhicules d'investissements spécialisés (notamment les sociétés civiles immobilières) ;

(iv) l'administration de biens immobiliers qui recouvre les activités de gestion des immeubles pour le compte de propriétaires et qui peut être segmentée entre la gestion locative et la gestion de copropriété ;

(v) l'expertise immobilière ;

(vi) le conseil immobilier ;

(vii) l'intermédiation dans les transactions immobilières pour laquelle l'intermédiation dans les opérations d'achat/vente est distinguée de l'intermédiation dans les opérations de location.

10. En l'espèce, les parties sont simultanément actives sur les marchés de la détention et gestion pour compte propre d'actifs immobiliers à usage de locaux commerciaux.

11. La pratique décisionnelle française, tout en laissant la question ouverte, a envisagé une segmentation entre centres commerciaux et locaux commerciaux en pied d'immeuble7, ainsi qu'une segmentation des centres commerciaux selon leur taille, à savoir :

(i) les petits centres commerciaux (" PCC "), dont la surface commerciale utile est comprise entre 5000 et 20 000 m² et qui contiennent entre 20 et 40 boutiques (magasins et services);

(ii) les grands centres commerciaux (" GCC "), dont la surface commerciale utile est comprise entre 20 000 et 40 000 m² et qui contiennent entre 40 et 80 boutiques;

(iii) les centres commerciaux régionaux (" CCR "), dont la surface commerciale utile est supérieure à 40 000 m² et dont le nombre de boutiques est supérieur à 80; et

(iv) les centres à thèmes spécialisés (" CCT "), par exemple, dans l'équipement de la maison et les boutiques de fabriquant.

12. La question de la délimitation exacte des marchés du secteur de l'immobilier peut toutefois être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle de la présente opération demeurent inchangées quelles que soient les hypothèses retenues.

13. En l'espèce, l'actif repris est un ensemble immobilier à usage de commerces d'une surface de [...] m2.

B. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

14. La pratique décisionnelle française a considéré que les marchés de la gestion pour compte propre de centres commerciaux pouvaient être de dimension nationale ou infranationale, tout en laissant la question ouverte.

15. Au niveau national, la pratique décisionnelle a déjà relevé qu'une partie de la demande provient de groupes d'envergure nationale suivant une stratégie d'implantation dans des centres commerciaux selon une logique de maillage du territoire. En outre, elle a considéré, tout en laissant la question ouverte, que le marché des services immobiliers est de dimension nationale lorsque les investissements sont réalisés par de gros investisseurs professionnels8.

16. Au niveau infranational, deux niveaux d'analyse ont jusqu'à présent été retenus: la région et l'agglomération, l'analyse étant généralement menée au niveau régional lorsque la taille de l'aire urbaine est trop réduite pour permettre une véritable analyse concurrentielle.

17. En ce qui concerne spécifiquement l'Ile-de-France, la pratique décisionnelle française retient que " la région parisienne possède des propriétés particulières de continuité des zones urbaines. En effet, il existe une vaste zone très urbanisée et homogène recouvrant la majeure partie de l'Île-de-France, desservie par un réseau global de transport; les habitants sont toujours en mesure d'arbitrer entre différentes parties de la région. Cette substituabilité entraîne une convergence au niveau des prix. Dès lors le niveau régional est le plus approprié pour l'analyse concurrentielle "9.

18. Au cas d'espèce, l'analyse sera donc conduite à l'échelle nationale, de la région Ile-de-France et du département Essonne (91).

III. Analyse concurrentielle

19. Au niveau national et régional, selon les estimations fournies par les parties, la part de marché de la nouvelle entité demeurera inférieure à [0-5] % quelle que soit la segmentation envisagée.

Elle restera par ailleurs soumise à la concurrence exercée par de nombreux opérateurs concurrents tels que Klépierre et Mercialys.

20. Au niveau départemental, selon les données fournies par les parties, la part de marché de la nouvelle entité demeurera inférieure à [20-30] % quelle que soit la segmentation envisagée. Elle restera par ailleurs soumise à la concurrence exercée notamment par quatre centres commerciaux d'une surface comprise entre 39 000 et 85 000 m².

21. Par conséquent, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés de la détention et de la gestion pour compte propre d'actifs immobiliers à usage de locaux commerciaux.

DECIDE

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 16-004 est autorisée.

La vice-présidente,

(1) Voir notamment la décision de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-16 du 22 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d'Épargne et Banque Populaire, la décision n° 14-DCC-46 du 1er avril 2014 relative à la prise de contrôle conjointe d'un actif immobilier industriel en Moselle par la Norges Bank et Prologis ainsi que la décision C2008-79 / Lettre du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi du 22 août 2008, aux conseils des sociétés CDC et Eurosic, relative à une concentration dans le secteur de l'immobilier, BOCCRF N° 8 bis du 23 octobre 2008.

(2) Voir les décisions de la Commission européenne COMP/M.2110 Deutsche Bank / SEI / JV du 25 septembre 2000, IV/M.2825 Fortis AG SA / Bernheim-Comofi SA du 9 juillet 2002 COMP/M.3370 BNP Paribas/ARI du 9 mars 2004.

(3) Voir les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 12-DCC-156 du 12 novembre 2012 relative à la prise de contrôle conjointe d'une société civile immobilière pour l'acquisition d'un immeuble à usage de bureaux par CNP Assurance et Sogecap et n° 12-DCC-157 du 15 novembre 2012 relative à la prise de contrôle conjoint d'une société civile immobilière pour la détention d'un immeuble de bureaux situé à Lyon par les sociétés Prédica et la Caisse des Dépôts et Consignations.

(4) Voir la Lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie C2004-123 du 22 juillet 2004 aux conseils de la société Immobiliaria Colonial SA relative à une concentration dans le secteur de la location de locaux commerciaux.

(5) Voir notamment la décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-DCC-146 du 22 octobre 2013 relative à la prise de contrôle conjoint d'une société civile immobilière pour la détention d'un actif immobilier à usage d'EHPAD par la Foncière Malherbe Claudel (Groupe Crédit Agricole) et la Caisse des Dépôts et Consignations.

(6) Voir les décisions de l'Autorité de la concurrence n°11-DCC-178 du 13 décembre 2011 relative à la prise de contrôle conjoint par la Caisse des Dépôts et Consignations et CNP Assurances de la société Althazar SAS, n°10-DCC-112 du 17 septembre 2010 relative à la prise de contrôle conjoint par Prédica et Altaréa de la société Alta Marigny Carré de Soie et la lettre du ministre de l'économie C2007-52 du 22 mai 2007 aux conseils de la société Unibail, relative à une concentration dans le secteur des services immobiliers.

(7) Voir la décision de l'Autorité de la concurrence n°11-DCC-178 du 13 décembre 2011 et la lettre du ministre de l'économie C2007-52 du 22 mai 2007 précitées et la décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-DCC-36 du 18 mars 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe Carrefour d'un portefeuille de 57 galeries commerciales auprès la société Klépierre.

(8) Voir la décision de l'Autorité de la concurrence n°10-DCC-112 du 17 septembre 2010 précitée et les lettres du ministre de l'économie C2007-85 du 16 juillet 2007 aux conseils de la société Compagnie Altarea Habitation, relative à une concentration dans le secteur de la promotion immobilière résidentielle et C2007-52 du 22 mai 2007 précitée.

(9) Voir la décision de l'Autorité de la concurrence n°11-DCC-178 du 13 décembre 2011 précitée.