CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 7 avril 2016, n° 13-19023
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Hall 26 (SARL)
Défendeur :
Des Cuirs Spain (SAS), DCCO (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
M. Loos, Mme Schaller
Faits et procédure
Vu le jugement prononcé le 29 mai 2013 par le Tribunal de commerce de Paris qui a condamné la société Des cuirs Spain à payer à la société Hall 26 la somme de 409,15 euros au titre des commissions arriérées avec intérêts au taux légal à compter du 4 août 2011 et capitalisation des intérêts, déboutant pour le surplus, dit que l'effondrement des commandes constaté au début de l'année 2011 était constitutif d'une faute grave de l'agent commercial, la preuve n'étant pas rapportée d'une cause extérieure à celui-ci, a débouté en conséquence la société Hall 26 de l'ensemble de ses demandes d'indemnités de préavis et de "cessation", débouté la société Des cuirs Spain de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive et condamné la société Hall 26 à payer à la société Des cuirs Spain la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel formé par la société Hall 26 le 2 octobre 2013.
Vu l'arrêt de cette cour du 16 avril 2015 qui a ordonné la réouverture des débats et ordonné à la société Des cuirs Spain, sous une astreinte de 100 euros par jour de retard, de produire tous documents comptables propres à établir le montant des ventes réalisées en 2011 et entrant dans le champ d'application du mandat d'agent commercial donné à la société Hall 26 ou, à défaut, de produire le relevé des commissions qui lui sont dues, s'est réservé la liquidation de l'astreinte, a renvoyé à l'audience de mise en état du 17 septembre 2015 et réservé les dépens.
Vu les dernières conclusions du 5 janvier 2016 de la société à responsabilité limitée de droit français Hall 26 qui demande à la cour d'infirmer le jugement, au visa des articles L. 134-1, L. 134-11-5 et L. 134-12 du Code de commerce, de dire qu'à défaut de produire les relevés de commissions à compter du 1er juillet 2010 jusqu'au 31 décembre 2011, la société Des cuirs Spain sera condamnée à payer la somme de 28 000 euros sauf à parfaire au titre des commissions sur la collection 2010/2011, de juger qu'elle n'a commis aucune faute, de condamner la société Des cuirs Spain à lui payer la somme de 250 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive outre celle de 3 080,63 euros en règlement d'un préavis de deux mois ainsi que celle de 5 000 euros pour non remise des documents comptables et payement des commissions et celle de 8 000 euros au titre de ses frais irrépétibles et de dire que ces sommes porteront intérêts avec capitalisation à compter de l'assignation qu'elle a délivrée devant le tribunal.
Vu les dernières écritures du 15 septembre 2015 de la société de droit espagnol Des cuirs Spain, prise en la personne de son liquidateur Mme Christina F. G., qui conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société Hall 26 de l'ensemble de ses demandes, à son infirmation en ce qu'il l'a déboutée elle-même de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, à la condamnation de l'appelante à lui verser les sommes de 30 000 euros pour procédure abusive et de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur ce,
Considérant que la société Reservoir Team, concessionnaire exclusif de la marque Kaporal, a concédé à la société Des cuirs Spain une licence exclusive d'exploitation de cette marque pour la fabrication et la distribution de ses modèles de chaussures sur le territoire français à effet du 1er décembre 2009 pour la livraison de la collection été 2010 et ce pour une durée de quatre années ; que par contrat du 15 juillet 2009, la société Des cuirs Spain a confié à la société Hall 26, représentée par M. Stéphane A., un mandat d'agent commercial à titre exclusif pour la distribution des chaussures de marque Kaporal dans les départements français 91 à 95, 75, 77 et 78 auprès des magasins " Jeanners " pour une durée indéterminée sauf rupture du contrat de licence ; que par lettre du 13 mai 2011, la société Des cuirs Spain a rompu ce contrat, sans préavis ni indemnité, au motif que les ventes s'étaient effondrées en 2011 par suite du manque de diligences et des carences de la société Hall 26 et que celle-ci avait fait preuve de déloyauté à son égard en la dénigrant auprès de la clientèle ; que contestant cette rupture, la société Hall 26 a fait assigner la société Des cuirs Spain en payement de différentes sommes devant le Tribunal de commerce de Paris qui a statué dans les termes susvisés ;
Considérant que la société Hall 26 fait valoir que des dysfonctionnements sont apparus lors de la saison 2010/2011 du fait de sa mandante, la société Des cuirs Spain, à laquelle elle reproche une livraison de marchandises non conformes à la commande ainsi qu'une augmentation subite des prix et des délais de livraison, de nouvelles exigences auprès des clients telles que la remise d'un chèque à la commande, la limitation des ventes de produits basiques, l'allongement du réassortiment (en septembre pour des produits vendus l'été) et le refus d'escompte pour payement comptant, conditions refusées par certains clients ; qu'elle relève que la société intimée ne verse aux débats aucune attestation de clients mécontents de son comportement ; qu'elle fait grief à la société Des cuirs Spain d'avoir rompu de façon abusive le contrat qui les liait de sorte que cette dernière est redevable envers elle d'un préavis de deux mois et d'une indemnité pour rupture de contrat ; qu'elle affirme que les pièces qu'elle produit démontrent que le relevé de commissions communiqués par l'intimée à la suite de l'arrêt du 16 avril 2015 est un faux relevé, le chiffre d'affaires qu'elle a réalisé à compter du 1er juillet 2010 devant être évaluée à 350 000 euros, soit une commission de 8 % soit 28 000 euros ;
Que la société Des cuirs Spain objecte que les commandes ont chuté du fait de la société Hall 26 et que les attestations communiquées par celle-ci à l'appui de ses prétentions soit ne la visent pas, soit émanent de sociétés débitrices envers elle et ont toutes été rédigées à la demande de M. M., employé de la société MBO, alors que cette société est le fournisseur des produits, que M. A., rédacteur de l'une des attestations n'a jamais travaillé avec la société Hall 26 puisque sa société H. est un magasin de chaussures et non un " jeanner " et que ces attestations concernent un autre litige ; qu'elle soutient que l'augmentation des prix ne portait que sur un modèle, ne s'appliquait qu'aux nouvelles commandes et non aux commandes en cours et correspondait aux prix pratiqués avant le mois d'août 2010 ; qu'elle ajoute qu'une livraison au mois de septembre pour des commandes du mois de mars est normale dès lors qu'en matière de prêt à porter et d'accessoires les saisons sont décalées ; qu'elle allègue la déloyauté de l'appelante qui l'a discréditée auprès de certains clients en distillant de fausses informations ;
Considérant, cela exposé, que le montant des commissions perçues par l'agent commercial constituant l'un des éléments de calcul de l'indemnité de rupture éventuellement due à ce dernier, il convient de statuer en premier lieu sur les commissions réclamées par la société Hall 26 pour l'année 2011, les parties s'accordant sur la somme de 18 483,85 euros pour l'année 2010 ;
Considérant que la société Des cuirs Spain a, conformément aux termes de l'arrêt de cette chambre du 16 avril 2015, produit le relevé des commissions dues à la société Hall 26 ; que celle-ci conteste le contenu de ce relevé en soutenant qu'il s'agit d'un " faux relevé " ; qu'en l'absence de plainte pénale, cette pièce doit être considérée comme reflétant les ventes réalisées à défaut de production par l'appelante de documents probants portant sur des ventes non mentionnées dans le relevé, étant rappelé que l'article 4.2 du contrat d'agent signé par les parties stipule que le droit à la commission de l'agent commercial sera acquis dès que, et dans la mesure où, les clients auront exécuté leurs obligations aux termes du contrat de vente notamment auront payé le prix des produits et toutes autres sommes dues au mandant au titre de la vente considérée (c'est-à-dire dès que le mandant aura encaissé ce prix et ces sommes) à moins que le défaut du payement par les clients ne résulte du défaut du mandant d'exécuter ses propres obligations ; que contrairement à ce qu'indique la société Hall 26, le tableau des commissions laisse apparaître des ventes effectuées en 2011 mais comprend un correctif pour les ventes bénéficiant d'un taux de 4 % tel que prévu à l'annexe IV du contrat d'agent commercial ce qui explique le montant final de 409,15 euros ; que l'appelante prétend avoir réalisé un chiffre d'affaires de 350 000 euros pour l'année 2011 (soit quatre mois et 13 jours) alors que son chiffre d'affaires pour l'année 2010 s'élevait à la somme de 231 000 euros ; que cette société ne verse aux débats aucun document portant mention des commandes qu'elle a reçues justifiant d'un tel chiffre, chiffre d'autant plus surprenant que cette société indique dans un courriel adressé le 25 mars 2011 à la société Des cuirs Spain que nombre de ses clients étaient partis à la concurrence et que d'autres avaient réduit leurs commandes et, dans sa lettre du 27 mai 2011 adressée à sa mandante en réponse à la lettre de rupture, que les chaussures sont invendables et que les clients ne veulent pas des modèles de la collection de la société Des cuirs Spain ; qu'au regard de ces éléments, il convient de fixer à la somme de 409,15 euros le montant des commissions restant dues à la société Hall 26 et de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Des cuirs Spain au payement de cette somme ;
Considérant que l'article L. 134-11 du Code de commerce énonce que chaque partie à un contrat d'agence à durée indéterminée peut y mettre fin moyennant un préavis sauf faute grave de l'une des parties ; qu'aux termes des articles L. 134-12 et L. 134-13 du même Code, l'agent commercial a droit, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, cette indemnité n'étant pas due lorsqu'elle est provoquée par la faute grave de l'agent ; qu'en l'espèce, la société Des cuirs Spain a, par lettre du 13 mai 2011, mis fin pour faute grave au contrat la liant à la société Hall 26 en arguant de la déloyauté de la société Hall 26, affirmant que celle-ci cherchait à lui nuire auprès de la clientèle, clientèle qu'elle négligeait par ailleurs en ne réalisant que peu de ventes, soit 9 commandes entre le 1er janvier et le 13 mai 2011 au lieu de 86 ordres de commande pour la même période de l'année précédente ;
Considérant que la faute grave, exclusive du versement de l'indemnité de résiliation, s'entend de la faute qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et qui rend impossible le maintien du lien contractuel, la preuve d'une telle faute incombant au mandant ;
Que la société Des cuirs Spain soutient que la baisse des ventes sur un peu plus de quatre mois caractérise l'existence d'une faute grave ; que toutefois, une chute des ventes sur une telle période et alors que cette société fait elle-même état, en page 8 de ses conclusions, d'une période de vente difficile, si elle peut justifier la rupture du contrat, n'est pas constitutive d'une faute grave au sens de l'article L. 134-13 précité en l'absence de preuve de ce que cette baisse des ventes trouve sa cause dans une faute du mandataire ;
Que pour établir la réalité de la déloyauté de son agent, la société Des cuirs Spain produit une réponse de l'une des clientes, la société Leclerc Walpy, à un envoi de sa part proposant un réassort immédiat à des conditions avantageuses ; que cette réponse, libellée comme suit : " Dcco les chous invendable!!! Attention au procès avec kappo. Ça va douiller... ", ne permet cependant pas d'affirmer comme le fait la société intimée que le mandataire a informé la société Leclerc Walpy de ses difficultés avec la société Reservoir team Kaporal et a ainsi manqué de loyauté envers sa mandante ;
Considérant que la preuve de manquements constitutifs d'une faute grave de nature à priver la société Hall 26 de l'indemnité de résiliation n'étant pas rapportée, il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté cette société de ses demandes afférentes au délai de préavis et au versement d'une indemnité réparatrice ;
Considérant que l'article L. 134-11 du Code de commerce fixant à deux mois le délai de préavis pour la deuxième année commencée et le contrat, conclu le 15 juillet 2009, ayant été rompu le 13 mai 2011, soit au cours de la deuxième année, la société Hall 26 a droit à une indemnité de préavis correspondant à deux mois ; que le montant des commissions versées en 2010 s'élevant à (13 446,08+5 037,77) 18 483,85 euros auquel doit s'ajouter la somme de 419,15 euros pour l'année 2011, soit la somme totale 18 903 euros, la société Des cuirs Spain est redevable envers la société Hall 26 de la somme de 1 718,45 euros au titre du préavis ;
Que l'indemnité de rupture due à l'agent commercial doit réparer le préjudice résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune ; que la durée des relations, soit moins de deux ans, justifie que soit versée à la société Hall 26 une indemnité représentant une année de commissions calculée sur la base de 22 mois d'exercice du contrat, soit la somme de 10 310,72 euros ;
Que les sommes allouées à la société appelante seront assorties des intérêts au taux légal à compter de l'assignation délivrée le 4 août 2011 ; que la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ;
Considérant que la société Des cuirs Spain ayant produit le relevé des commissions dues à la société Hall 26 comme le lui avait enjoint la cour dans son arrêt du 16 avril 2015, la société appelante sera en conséquence déboutée de sa demande en payement de la somme de 5 000 euros pour non remise des documents comptables ;
Considérant que le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par la société Des cuirs Spain pour procédure abusive ;
Et considérant qu'il y a lieu de condamner la société Des cuirs Spain à payer à la société Hall 26 la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles, la demande formée du même chef par la société intimée étant rejetée et le jugement infirmé en ce qu'il a alloué à celle-ci la somme de 5 000 euros sur ce même fondement.
Par ces motifs, Infirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Des cuirs Spain à payer à la société Hall 26 la somme de 409,15 euros au titre des commissions arriérées avec intérêts au taux légal à compter du 4 août 2011, a ordonné la capitalisation des intérêts dus pour au moins une année entière dans les conditions de l'article 1154 du Code civil et a débouté la société Des cuirs Spain de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive. Statuant à nouveau des chefs infirmés, Condamne la société Des cuirs Spain à payer à la société Hall 26 les sommes de 1 718,45 euros au titre du préavis et de 10 310,72 euros au titre de l'indemnité de rupture avec intérêts au taux légal à compter du 4 août 2011. Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil. Condamne la société Des cuirs Spain à payer à la société Hall 26 la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Rejette toute autre demande. Condamne la société Des cuirs Spain aux dépens de première instance et d'appel lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.