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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ. B, 7 avril 2016, n° 13-02779

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Aquitaine (ATI)

Défendeur :

Financo (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barrailla

Conseillers :

Mmes Coudy, Fabry

Avocats :

Mes Kuznik, Marzilger, Maysounabe

TI Libourne, du 27 févr. 2013

27 février 2013

Exposé du litige :

Selon offre préalable acceptée le 7 octobre 2009, la SA Financo a consenti à René B. et Monique B. née G. un prêt d'un montant de 11 700 euro destiné à financer l'installation par la SARL Expereno de menuiseries en PVC ainsi que des volets roulants en PVC électriques.

La SARL Expereno a fait l'objet d'une liquidation judiciaire selon jugement du tribunal de commerce de Périgueux en date du 09 mars 2010 qui a désigné la SCP X en qualité de mandataire liquidateur.

Les échéances du prêt étant restées impayées à compter du 20 mai 2010, la société Financo a prononcé la déchéance du terme avant de saisir le président du Tribunal d'instance de Libourne qui, par ordonnance en date du 15 mars 2011, a condamné René B. à payer à la société Financo la somme de 12 921,02 euro avec intérêts au taux contractuel de 10,08 % outre celle de 837 euro avec intérêts au taux légal.

René B., par l'intermédiaire de son conseil, a formé le 2 mai 2011 opposition à l'ordonnance signifiée le 12 avril 2011.

René B. est décédé le 24 avril 2011.

Par exploit d'huissier en date du 26 Mars 2012, la société Financo a fait assigner Monique G. veuve B. à comparaître devant le Tribunal d'instance de Libourne aux fins de la voir condamner, avec exécution provisoire, à lui payer les sommes dues au titre du contrat. Les deux dossiers ont été joints. Monique B. s'est opposée aux demandes en soutenant que le contrat de prêt était nul en raison de la nullité du contrat principal, résultant d'un abus de faiblesse. A titre subsidiaire, elle a demandé à être relevée indemne par la société Expereno, en la personne de son mandataire judiciaire la SCP X.

Par jugement réputé contradictoire en date du 27 février 2013, le Tribunal d'instance de Libourne a :

déclaré recevable l'opposition formée contre l'ordonnance d'injonction de payer du 15 mars 2011 ;

dit que les époux B. étaient en situation de faiblesse au moment de la souscription des contrats ;

prononcé la nullité du contrat de vente auprès de la société Expereno du 7 octobre 2009 et du contrat de contrat de crédit accessoire à cette vente souscrit le même jour auprès de la société Financo ;

dit que les parties se retrouvaient dans l'état initial aux contrats ;

condamné par suite Monique B. à payer à la société Financo la somme de 15 128,36 euro avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;

condamné la SCP X en qualité de mandataire liquidateur de la société Expereno à relever indemne Monique B. de cette condamnation ;

condamné la société Financo et la SCP X en qualité de mandataire liquidateur de la société Expereno à payer à Monique B. la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile outre les entiers dépens d'instance.

Monique B. a relevé appel de cette décision par déclaration du 2 mai 2013.

Elle a été placée sous curatelle par jugement du juge des tutelles de Libourne en date du 14 novembre 2013 qui a confié la mesure à l'ATI Aquitaine.

Par ordonnance en date du 5 juin 2014, le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de la déclaration d'appel à l'égard de la société P.-L. prise en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Expereno.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 5 mai 2015, Monique B. demande à la cour de :

de la dire et juger, assistée de son curateur, l'ATI Aquitaine, recevable et bien fondée en son opposition contre l'ordonnance d'injonction de payer rendue le 15 mars 2011 ;

dire et juger qu'elle est son époux ont été victimes d'un abus de faiblesse en application des dispositions de l'article L. 122-8 du Code de la consommation lors de la souscription des contrats de vente et de crédit accessoire litigieux du 7 octobre 2009 ;

en conséquence,

prononcer la nullité du contrat de vente auprès de la société Expereno du 07 octobre 2009 et du crédit accessoire à cette vente souscrit auprès de la société Financo ;

en conséquence,

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

déclaré recevable l'opposition formée contre l'ordonnance d'injonction de payer du 15 mars 2011;

prononcé la nullité du contrat de vente auprès de la société Expereno du 7 octobre 2009 et du contrat de contrat de crédit accessoire à cette vente souscrit le même jour auprès de la société Financo ;

dit que les parties se retrouvaient dans l'état initial aux contrats ;

et le réformant pour le surplus :

la condamner à restituer à la société Expereno les marchandises objets du contrat de vente du 7 octobre 2009 ;

dire qu'en cas d'impossibilité de restituer les biens susvisés ceux-ci pourront être conservés à titre de compensation avec le préjudice qu'elle a subi ;

condamner la SCP X en qualités de mandataire liquidateur de la société Expereno à rembourser à la société Financo les sommes perçues au titre de la livraison et l'installation des biens vendus, soit la somme de 11 700 euro ;

condamner la société Financo à lui rembourser le montant des échéances perçues au titre du remboursement du crédit accessoire souscrit le 7 octobre 2009 ;

en tout état de cause , condamner la société Financo à lui payer à la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de procédure, dont distraction pour ceux d'appel au profit de Maître Jérôme Kuznik, avocat à la cour.

Dans ses dernières conclusions, remises et notifiées le 8 août 2013, comportant appel incident, la société Financo demande à la cour de :

déclarer recevable mais mal fondé l'appel interjeté par Monique B. ;

la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident ;

dire et juger irrecevable l'opposition à injonction de payer du 15 mars 2011, Monique B. n'ayant pas qualité à former opposition contre cette ordonnance qui ne visait que René B. ;

en conséquence, dire et juger que faute d'opposition régulièrement formée, cette ordonnance est devenue définitive le 24 mai 2011 ;

constater que seule l'opposition à injonction de payer de Monique B. est recevable mais mal fondée ;

à titre principal,

infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité des contrats de prestation de services et de crédit accessoire ;

condamner Monique B. à lui verser la somme de 15 128,36 euro majorée des intérêts au taux de 10,08 % à compter du 7 juin 2011

à titre subsidiaire,

confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Monique B. à lui verser le capital emprunté avec intérêts au taux légal

en tout état de cause, condamner Monique B. à lui verser la somme de 1 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens .

L'ordonnance de clôture rendue le 25 février 2015 a été révoquée à la date de l'audience de plaidoirie fixée initialement le 11 mars 2015, et l'affaire renvoyée à la mise en état du 06 mai 2015. Une nouvelle ordonnance de clôture a été rendue le 27 janvier 2016.

Motifs de la décision :

Sur les demandes principales :

Sur l'irrecevabilité de l'opposition formée à l'encontre de l'ordonnance d'injonction de payer :

La société Financo fait valoir que l'ordonnance d'injonction de payer du 15 mars 2011 a été rendue à l'encontre de René B. seul, à qui elle a été signifiée à personne le 12 avril 2011 ; que l'opposition formée au nom des époux B. le 2 mai 2011, postérieurement au décès de René B. survenu le 24 avril 2011, est donc nulle et insusceptible de régularisation, Monique B. étant quant à elle irrecevable en son opposition puisque non partie à l'injonction. Elle soutient qu'en conséquence, faute d'opposition régulièrement formée dans le délai d'un mois, l'ordonnance d'injonction de payer est devenue définitive. Il résulte cependant des dispositions des articles 370, 373 et 374 du Code de procédure civile que l'instance est interrompue par le décès d'une partie dans les cas où l'action est transmissible, et que les héritiers d'une personne décédée en cours d'instance peuvent intervenir volontairement dans cette instance qui reprend son cours en l'état où elle se trouvait. En l'espèce, René B., à qui l'ordonnance avait été signifiée le 12 avril 2011, et qui disposait d'un délai d'un mois pour y faire opposition, est décédé le 24 avril 2011, soit avant l'expiration du délai qui s'est trouvé interrompu et a repris son cours lorsque Monique B. a repris l'instance conformément à l'invitation qui lui avait été faite par jugement avant-dire-droit du 27 décembre 2012.

C'est donc à bon droit que le premier juge a déclaré recevable l'opposition formée contre l'ordonnance d'injonction de payer du 15 mars 2011.

Sur la nullité des contrats de prestation de services et de crédit accessoire :

Le tribunal a prononcé la nullité du contrat de vente par application notamment des dispositions de l'article L. 122-8 du Code de la consommation selon lesquelles : " Quiconque aura abusé de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour lui faire souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements au comptant ou à crédit sous quelque forme que ce soit sera puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 9 000 euro ou de l'une de ces deux peines seulement, lorsque les circonstances montrent que cette personne n'était pas en mesure d'apprécier la portée des engagements qu'elle prenait ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour la convaincre à y souscrire, ou font apparaître qu'elle a été soumise à une contrainte.(...) Lorsqu'un contrat est conclu à la suite d'un abus de faiblesse, celui-ci est nul et de nul effet . "

La société Financo fait grief au tribunal d'avoir prononcé la nullité des contrats en relevant que les époux B. ont signé le procès-verbal de réception de l'installation sans émettre de réserves, que Monique B. ne conteste ni la livraison ni la pose du matériel dont elle ne critique pas non plus le prix, que les certificats médicaux sont manifestement des attestations de complaisance dépourvues de force probante, qu'en tout état de cause, l'abus de faiblesse revendiqué n'est pas établi, et qu'aucune contestation ni réclamation ne lui a jamais été adressée avant que le compte se retrouve en situation d'impayés, soit 18 mois plus tard.

Il résulte cependant des pièces versées aux débats que lorsqu'ils ont souscrit les contrats de vente et de crédit litigieux les 30 septembre et 7 octobre 2009, René B., qui était âgé de 81 ans pour être né le 5 juin 1928, était affecté d'une importante sénilité, notamment à la suite d'un accident vasculaire cérébral survenu plusieurs années auparavant. Il ressort notamment d'un certificat du Docteur J. Arrive en date du 18 octobre 2010, dont rien ne permet de mettre la sincérité en doute, que René B. présentait : " une démence sévère ne lui permettant pas de prendre des décisions ". Quant à Monique B., qui avait 55 ans, pour être née le 19 octobre 1954, elle présentait un retard psychologique ancien ne lui permettant pas, selon le même certificat, d'être responsable de toutes ses décisions, ce dont atteste par ailleurs la carte d'handicapé délivrée par la Préfecture de la Gironde, valable du 5 décembre 2000 au 5 décembre 2010, fixant son taux d'incapacité à 80 %.

Cet état de vulnérabilité et de handicap, qui ne leur permettait à l'évidence pas de comprendre la portée de leurs engagements, existait donc incontestablement lorsqu'ils ont tous deux été démarchés par Monsieur A., agissant pour le compte de la SARL Expereno, lequel n'a pu manquer de se convaincre de leur état de déficience psychique à l'occasion de leur échange verbal. Comme l'a relevé par ailleurs le premier juge, les erreurs grossières affectant le contrat de financement attestent à tout le moins des conditions peu rigoureuses et exemptes de toute explication dans lesquelles les contrats ont été établis. C'est donc par une exacte appréciation des faits que le premier juge a estimé que le contrat de vente, conclu à la suite d'un abus de faiblesse, était nul en application de l'article L. 122-8 du Code de la consommation.

Cette annulation, à effet rétroactif, emporte obligation pour l'appelante de restituer les biens objet du contrat, cette obligation étant néanmoins conditionnée par le remboursement par la société Expereno des sommes versées.

Sur la nullité du contrat de contrat de crédit accessoire à cette vente souscrit le même jour auprès de la société Financo :

Aucune des parties ne remet en cause le principe selon lequel, compte tenu de l'interdépendance existant entre le contrat principal de fournitures et le prêt consenti pour le financement de ce contrat, l'annulation du premier entraîne ipso facto l'anéantissement du second en application des dispositions de l'article L. 311-32 du Code de la consommation.

Monique G. veuve B. reproche au jugement de ne pas avoir tiré justement les conséquences de la nullité du contrat de vente principal ainsi que du contrat de crédit accessoire et soutient que le tribunal a commis une erreur en la condamnant à payer à la société Financo la somme de 15 128,36 euro alors qu'il aurait dû,

d'une part, la condamner à restituer les menuiseries et les volets roulants électriques objet du contrat de vente du 07 octobre 2009 souscrit auprès de la société Expereno ;

d'autre part et surtout, condamner La SCP X en qualité de mandataire liquidateur de la société Expereno à rembourser à la société Financo les sommes perçues au titre de la livraison et de l'installation des biens vendus, soit la somme de 11 700 euro.

En vertu du caractère rétroactif de l'anéantissement du contrat de prêt, les parties doivent être remises dans l'état antérieur à la conclusion de la convention, ce qui emporte pour l'emprunteur, hors le cas de l'absence de livraison du bien vendu ou de faute du prêteur dans la remise des fonds, l'obligation de rembourser au prêteur les sommes qu'il a versées pour son compte, cependant que le prêteur doit restitution des intérêts et accessoires contractuels qu'il a perçus.

En l'espèce, Monique B. ne conteste ni la livraison ni la pose ni même le bon fonctionnement du matériel dont elle se borne à soutenir qu'il était d'une utilité douteuse, aucune des prestations proposées n'étant nécessaire ni envisagée. Elle soutient en revanche que la faute de l'organisme prêteur est engagée.

L'organisme de crédit est tenu d'un devoir d'information envers l'emprunteur, qui consiste à l'informer et le conseiller quant au choix du crédit, à lui fournir les explications pour déterminer si le crédit est adapté à ses besoins et à sa situation financière et à l'informer sur les conséquences de son engagement. Il ne lui appartient pas en revanche de le conseiller plus avant sur l'opportunité de s'engager dans une opération, ni de rechercher les raisons de leurs opérations financières, une telle démarche lui étant au contraire interdite sous peine de se voir reprocher son immixion dans les affaires de ses clients, sauf en cas d'irrégularités manifestes et évidentes.

En l'espèce, l'appelante invoque, à l'appui de ses allégations, les erreurs répétées concernant l'âge notamment de René B. figurant sur l'offre de prêt (mentionné comme étant né le 16 octobre 1943 et percevant un salaire de 1 032 euro, alors qu'il était né le 5 juin 1928 et retraité depuis longtemps), erreurs délibérées de la part du vendeur, destinées à masquer l'âge avancé de l'intéréssé et à convaincre l'organisme prêteur d'apporter son soutien financier. Il doit être déduit de cette affirmation que l'organisme prêteur a lui-même été victime des agissements du vendeur. Aucune faute personnelle caractérisée ne peut en l'état lui être reprochée, les emprunteurs ayant attesté sur l'honneur de l'exactitude des mentions erronées qui présentaient toutes les apparences de la réalité, et le montant de leurs ressources (1 357 euro) n'étant pas incompatible avec le montant des mensualités (170,24 euro). L'annulation du contrat de crédit ne saurait dès lors avoir pour effet de libérer l'appelante de tout engagement vis-à-vis du prêteur de deniers.

En conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a condamné Monique B. à verser à la société Franfinance la somme versée en paiement du prix, soit la somme de 11 700 euro (et non 15 808,06 euro (16 000 euro - 191,94 euro) comme indiqué par erreur dans le jugement), le versement du prix directement entre les mains du vendeur n'étant pas de nature à dispenser l'emprunteur de son obligation de remboursement.

Sur les demandes accessoires :

Aucune faute n'étant retenue à l'encontre de la société Financo, le jugement qui l'a condamnée, in solidum avec la SCP X ès qualité, à payer à Monique B. la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens de première instance doit être infirmé.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société Financo les sommes exposées par elle dans le cadre de l'appel et non comprises dans les dépens. Sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile sera rejetée.

Monique B. sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal d'instance de Libourne en date du 27 février 2013, sauf en ce qu'il a condamné Monique B. à payer à la société Financo la somme de 15 808,06 euro en restitution des sommes versées, et en ce qu'il a condamné la société Financo, in solidum avec la SCP X ès qualité, à payer à Monique B. la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et les entiers dépens d'instance, Statuant à nouveau sur ces points, Condamne Monique B. à payer à la société Financo la somme de 11 700 euro en restitution des sommes versées, Déboute Monique B. de ses demandes formées en première instance à l'encontre de la société Financo sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et au titre des dépens ; dit que ces sommes resteront à la charge exclusive de la société Expereno représentée par la SCP X, Y ajoutant, Condamne Monique B., assistée de son curateur, l'ATI Aquitaine, à restituer les biens objet du contrat contre remboursement par la société Expereno représentée par la SCP X de la somme de 16 000 euro versée en paiement du prix, Déboute la société Financo de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel, Condamne Monique B., assistée de son curateur, l'ATI Aquitaine, aux dépens de la procédure d'appel.