Cass. 1re civ., 14 avril 2016, n° 15-13.859
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Carré prod (Sté)
Défendeur :
Sejourné, Fontaine
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Rapporteur :
M. Truchot
Avocat général :
M. Sudre
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Thiriez, SCP Richard
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Carré prod (la société), reprochant divers manquements à ses salariés, M. Séjourné, successivement directeur technique, puis gérant, et Mme Fontaine, chargée de la comptabilité, les a assignés en réparation de ses préjudices ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société fait grief à l'arrêt de constater l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction conclue le 29 novembre 2011 et de limiter la condamnation de M. Séjourné au paiement de la somme de 7 900 euros, alors, selon le moyen : 1°) que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; qu'en opposant à la société la transaction du 29 novembre 2011, quand elle constatait que seuls y étaient parties ses associés et son gérant, qui tous agissaient en leur nom personnel, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1165 du Code civil, ensemble l'article 2051 du même code ; 2°) que les engagements pris pour le compte d'un tiers ne produisent effet à son égard que pour autant qu'il en ratifie les termes ; qu'en opposant à la société la transaction signée par les seuls associés et gérant au prétexte que cet engagement aurait été pris pour le compte de la société, sans constater que celle-ci aurait été représentée à l'acte ou serait intervenue ultérieurement pour le ratifier, la cour d'appel a en outre violé les articles 1119 et 1121 du Code civil, ensemble l'article 1134 du même code ;
Mais attendu qu'ayant constaté que la transaction du 29 novembre 2011 avait été signée, notamment par le gérant de la société, à titre personnel, mais qu'en agissant ainsi, celui-ci s'était exprimé au nom et pour le compte de cette dernière, dès lors que la transaction portait sur des droits de la société auxquels il avait été porté atteinte par M. Séjourné, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche visée par la seconde branche, que ses constatations rendaient inopérante, en a déduit à bon droit que la transaction engageait la société ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que la société fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) que celui qui contrevient à une obligation contractuelle de ne pas faire doit des dommages-intérêts par le seul fait de la contravention ; que par ailleurs, le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un préjudice ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont eux-mêmes constaté que M. Séjourné avait violé la clause de non-concurrence que la transaction du 29 novembre 2011 mettait à sa charge ; qu'en rejetant néanmoins la demande d'indemnité de la société fondée sur ce manquement pour cette raison que le préjudice invoqué par cette société n'était pas suffisamment établi, les juges du fond ont violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) qu'il s'infère nécessairement d'actes constitutifs de concurrence déloyale l'existence d'un trouble commercial générant un préjudice, fût-il seulement moral ; qu'en l'espèce, outre la violation de la clause de non-concurrence, les juges du fond ont constaté par motifs adoptés que M. Séjourné s'était livré antérieurement à des actes de concurrence déloyale quand il était encore gérant, en utilisant les moyens de la société à l'effet de détourner les principaux clients vers sa propre affaire ; qu'en rejetant toute allocation de dommages-intérêts de ce chef au motif que la société ne démontre pas avoir subi de ce fait une perte de son chiffre d'affaires ou encore une atteinte à son image, les juges du fond ont encore violé l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 1315 du même code ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel n'a pas rejeté la demande d'indemnité formée par la société sur le fondement de la violation de la clause de non-concurrence au motif que le préjudice invoqué n'était pas suffisamment établi, mais a relevé, par motifs adoptés, que les différentes fautes commises par M. Séjourné avaient nécessairement causé un préjudice à la société puisque celle-ci avait perdu la somme de 3 000 euros correspondant à l'indemnisation de la clause de non-concurrence, qui n'avait pas été respectée ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel ayant constaté, par motifs propres, que, selon l'accord transactionnel du 29 novembre 2011, il avait été renoncé à toutes poursuites tant civiles que pénales à l'encontre de M. Séjourné, en particulier au titre des faits allégués de tentative de détournement de clientèle, notamment en ce qui concernait la société KFC, ce dont il résulte que le rejet de la demande en réparation des préjudices nés des actes de concurrence déloyale reprochés à M. Séjourné était fondé sur la transaction conclue entre les parties, la décision se trouve justifiée par ces seuls motifs, abstraction faite de ceux, surabondants, critiqués par le moyen ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, est inopérant en sa seconde branche ;
Sur les deuxième et cinquième moyens, ci-après annexés : - Attendu que ces moyens ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le quatrième moyen, pris en sa troisième branche :
Sur la recevabilité du moyen, contestée par la défense : - Attendu que M. Séjourné et Mme Fontaine soutiennent que le moyen est irrecevable, en ce qu'il se borne à affirmer que la cour d'appel n'aurait pas énoncé, au soutien de sa décision, les motifs propres à justifier légalement le rejet de " toutes les autres demandes " qu'elle avait formulées, sans préciser les " autres demandes " dont le rejet était contesté ;
Mais attendu que le défaut de précision reproché au moyen étant celui du motif qu'il critique et auquel il se réfère, lequel ne précise ni les préjudices sur lesquels il est statué ni les demandes visant à la réparation de ces préjudices, le moyen n'est pas dépourvu de précision, au sens de l'article 978, alinéa 2, du code de procédure civile ; qu'il est donc recevable ;
Et sur le moyen :- Vu l'article 1147 du Code civil ; - Attendu que, pour rejeter les demandes en réparation des préjudices autres que ceux résultants des détournements, l'arrêt se borne à constater que l'existence de ces préjudices n'est non seulement pas établie, mais que le lien de causalité avec les fautes reprochées ne l'est pas davantage ;
Qu'en se déterminant ainsi, par voie de simple affirmation, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale ;
Et sur le sixième moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 624 du code de procédure civile ; - Attendu qu'en application de ce texte, la cassation prononcée sur le quatrième moyen entraîne celle, par voie de conséquence, de la disposition condamnant la société au paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Par ces motifs : Casse et annule.