Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-15.642
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Global Technologies (SAS)
Défendeur :
Nevi Grup Srl (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Laporte
Avocat général :
M. Debacq
Avocat :
SCP Jean-Philippe Caston
LA COUR : - Sur la régularité de la procédure, examinée d'office ; - Attendu que, conformément à l'article 23, paragraphe 1, du règlement n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, la France, par communication C 151 à la Commission, a fait savoir que, nonobstant les dispositions du paragraphe 1, de l'article 19 du règlement, le juge français pourra statuer, même si aucune attestation constatant soit la signification ou la notification, soit la remise n'a été reçue, si toutes les conditions du paragraphe 2 sont réunies ;
Attendu que par acte d'huissier de justice du 9 septembre 2014, une demande de signification du mémoire ampliatif de la société Global technologies (la société Global) à la société Nevi Grup (la société Nevi) a été transmise par huissier de justice, conformément à l'article 4 du règlement, à l'entité requise en Roumanie qui l'a reçue le 15 septembre 2014 ; qu'un délai de plus de six mois s'est écoulé et qu'aucune attestation n'a pu être obtenue de la remise de cet acte à la société Nevi, malgré les demandes de l'huissier par lettres des 21 mai 2015 et 12 juin 2015 et par lettre recommandée avec avis de réception du 17 juin 2015 à l'entité requise roumaine ; que toutes les conditions de l'article 19, paragraphe 2, du règlement précité étant ainsi réunies, il peut être statué sur le pourvoi formé par la société Global ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris,12 février 2014), que lors d'un projet de construction d'infrastructure de communications en Afghanistan confié par l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (l'Otan) à la société Thales, celle-ci a sous-traité une partie de la maîtrise d'œuvre à la société Global, laquelle a conclu avec la société Nevi des accords-cadres pour sélectionner des techniciens et des contrats de prestations de services pour chaque salarié retenu ; qu'invoquant un manquement de la société Nevi à son obligation d'exclusivité, la société Global a rompu leurs relations sans préavis ; que la société Nevi l'a assignée en réparation du préjudice résultant de la résiliation fautive des contrats et en paiement de factures ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Global fait grief à l'arrêt de la condamner à réparer les préjudices financier et d'image de la société Nevi alors, selon le moyen : 1°) que les juges ne sauraient méconnaître la loi du contrat, loi des parties ; qu'en considérant, pour retenir la rupture abusive par la société Global des relations commerciales avec la société Nevi et en tirer les conséquences indemnitaires, l'absence d'exclusivité contractuelle de la société Nevi à l'égard de la société Global et, partant, l'absence de manquement contractuel grave de celle-là à son obligation d'exclusivité de nature à justifier la rupture litigieuse, quand il résultait des documents contractuels de la cause que la société Global avait demandé à la société Nevi, son sous-traitant, l'exclusivité dans le cadre de la réalisation du chantier confié par l'Otan à la société Thales, cette exclusivité ayant été contractualisée de manière explicite dans l'accord n° 3 du 12 janvier 2009, précisant que " cette clause de confidentialité et d'exclusivité est un des fondements déterminants conditionnant l'existence même de l'accord ", une mention manuscrite contresignée précisant " cette clause concerne notamment les sociétés Groupe Thales, Geos (France et UK, EMW (USA)... ", la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 2°) que les juges ne sauraient dénaturer les documents de la cause ; qu'en retenant également, pour statuer comme elle a fait, que la clause n° 6 de l'accord n° 3, intitulée uniquement " confidentialité ", mentionnait le mot " exclusivité " mais ne comportait aucune clause ni ligne précisant son objet, quand il résultait de manière claire et précise de cette clause que les parties convenaient que " cette clause de confidentialité et d'exclusivité est un des fondements déterminants conditionnant l'existence même de l'accord ", une mention manuscrite contresignée ajoutant que " cette clause concerne notamment les sociétés Groupe Thales, Geos (France et UK, EMW (USA)... " et, partant, l'obligation contractuelle d'exclusivité de la société Nevi, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 3°) que les juges doivent indiquer les pièces sur lesquelles ils se fondent et les analyser, ne serait-ce que sommairement ; qu'en outre encore, en affirmant qu'en réalité les seules références à une clause d'exclusivité des prestations étaient contenues dans " certains contrats nominatifs souscrits entre les parties pour chaque technicien " et dans les " pièces produites ", sans donner de plus amples indications sur ces pièces, ni les analyser, ne serait-ce que sommairement, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 4°) que les juges peuvent reconnaître l'exclusivité dès lors que les stipulations contractuelles interdisent en fait à la partie débitrice de l'exclusivité de contracter avec une partie autre que celle créancière de cette exclusivité, ou dans le silence de l'acte en la déduisant du comportement des parties ; qu'au demeurant et en toute hypothèse, en se bornant à considérer, pour retenir la rupture abusive par la société Global des relations commerciales avec la société Nevi et en tirer les conséquences indemnitaires, que les parties n'étaient liées par aucune clause expresse d'exclusivité générale contraignant celle-ci à ne proposer qu'à la société Global du personnel susceptible de travailler sur le projet de l'Otan et que l'obligation de loyauté contractuelle ne contenait pas en elle-même l'obligation d'exclusivité de fournitures de services, sans rechercher si cette exclusivité ne résultait pas des stipulations contractuelles litigieuses dès lors qu'en fait celles-ci interdisaient à la société Nevi, débitrice de l'exclusivité litigieuse, de contracter avec une personne autre que la société Global, créancière de cette exclusivité, ou du comportement des parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard l'article 1134 du Code civil ; 5°) que les juges ne sauraient méconnaître la loi du contrat, loi des parties ; que, de surcroît, en considérant, pour retenir la rupture abusive par la société Global des relations commerciales avec la société Nevi et en tirer les conséquences indemnitaires, que l'information donnée dans le courrier du 4 mars 2009, par celle-ci à la société Thales, donneur d'ordres de la société Global, relative à l'absence de paiement de ses factures et de ses conséquences éventuelles, ne constituait pas une violation de la clause contenue dans le contrat de confidentialité telle que visée dans la lettre de rupture ni de celle contenue dans l'acte du 12 juin 2006, quand il résultait de ce contrat de confidentialité que " le bénéficiaire s'engage à accepter que tous les contrats concernant des questions techniques et d'achat de ce projet avec Thales ne peuvent survenir que par le biais du prestataire. Le bénéficiaire reconnaît par les présentes qu'un contact direct concernant des questions techniques et d'achat de ce projet avec Thales ne pourra être pris sans l'agrément écrit du prestataire " et que l'acte du 12 juin 2009 contenait " une clause de confidentialité et d'exclusivité ", " un des fondements déterminants conditionnant l'existence même de l'accord " et une mention manuscrite contresignée précisant " cette clause concerne notamment les sociétés Groupe Thales, Geos (France et UK, EMW (USA)... ", de sorte que la société Nevi s'était engagée contractuellement à n'avoir aucun contact direct avec la société Thales sauf accord préalable de la société Global et, partant, que la lettre du 4 mars 2009 constituait un manquement contractuel grave de la société Nevi justifiant la rupture litigieuse, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 6°) que la faute suffisamment grave du contractant justifie une rupture unilatérale immédiate de la part du cocontractant ; que, de plus, en excluant que la lettre du 4 mars 2009 adressée à la société Thales par la société Nevi puisse constituer une faute de celle-ci, ni a fortiori établir le caractère de gravité de fautes antérieures, motif inopérant pris, en aval, que le fait que celle-ci ait ajouté qu'elle laisserait son personnel à disposition de la société Thales pour poursuivre le marché en cas de cessation de son contrat de sous-traitance avec la société Global pour défaut de paiement ne pouvait constituer en lui-même un acte de déloyauté, sans rechercher si, en amont, le simple fait pour la société Nevi d'avoir, indépendamment de toute prétendue faute de la société Global et antérieurement à la rupture litigieuse, pris directement attache avec la société Thales afin de l'informer de ses problèmes de paiement de factures par la société Global et lui proposer de lui fournir du personnel directement, sans l'intermédiaire de celle-ci, n'était pas une faute suffisamment grave pour justifier la rupture unilatérale immédiate par celle-ci de la relation contractuelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; 7°) que les juges sont tenus d'indiquer les pièces sur lesquels ils se fondent ; qu'en considérant également que, s'agissant des faits postérieurs aux accords visés, la société Global n'établissait pas de fautes de la société Nevi de nature à justifier la rupture des relations commerciales, et ce en se fondant sur " des pièces " sans indiquer desquelles il s'agissait, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 8°) que l'exercice du droit de rompre un contrat n'est abusif qu'en cas d'abus caractérisé ; qu'en considérant au final que la société Global n'établissait pas de fautes de la société Nevi de nature à justifier la rupture des relations contractuelles et que la rupture effectuée sans préavis était donc nécessairement abusive, sans caractériser l'existence d'un abus de la société Global dans l'exercice de son droit de rompre les relations contractuelles avec la société Nevi, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil ; 9°) que l'exercice du droit de rompre un contrat n'est pas abusif lorsque le contractant est en mesure de justifier la précipitation avec laquelle il a notifié la rupture en invoquant un intérêt personnel impératif à préserver ; qu'en toute hypothèse, en se contentant de considérer que la rupture litigieuse, effectuée sans préavis, était donc nécessairement abusive, sans rechercher dans quelle mesure la société Global n'avait pas été contrainte de notifier comme elle l'avait fait la rupture afin de préserver les impératifs liés au projet sensible, confié par l'Otan à la société Thales, qui lui en avait rétrocédé certaines phases, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ; 10°) que seul est réparable le préjudice actuel, direct et certain ; qu'en condamnant enfin la société Global à verser la somme de 2 000 euros à la société Nevi au titre de son préjudice d'image, motif pris que la rupture brutale, qui avait dû être justifiée en sa propre faveur par la société Global à la société Thales, avait nécessairement entraîné une appréciation négative de cette société sur la qualité des relations commerciales de la société Nevi, sans vérifier si le prétendu préjudice d'image de celle-ci était actuel, direct et certain, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; 11°) que seul est réparable le préjudice actuel, direct et certain ; qu'en considérant également, pour condamner la société Global à verser la somme de 2 000 euros à la société Nevi au titre de son préjudice d'image, que la rupture brutale, qui avait dû être justifiée en sa propre faveur par la société Global à la société Thales, avait nécessairement entraîné une appréciation négative de cette société sur la qualité des relations commerciales de la société Nevi, sans rechercher dans quelle mesure ce préjudice n'était pas inexistant, la société Nevi n'ayant pas été privée de la possibilité de travailler avec d'autres sociétés de télécommunication puisqu'elle avait fourni du personnel à la société Geos par l'intermédiaire de la société Red Roller, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir analysé la clause litigieuse de l'accord n° 3, l'arrêt constate qu'elle s'intitule uniquement " confidentialité " ; qu'il relève que si elle mentionne le terme " exclusivité ", aucune clause ni aucune ligne du contrat ne précise sa définition ni sa teneur tandis que les seules références à une clause d'exclusivité figurant dans certains contrats nominatifs conclus par les parties pour chaque technicien ne sont pas pertinentes dès lors que la société Global ne s'est pas prévalue de la violation de ces contrats particuliers lorsqu'elle a rompu ses relations avec la société Nevi ; qu'en l'état de ces appréciations souveraines, la cour d'appel, qui s'est suffisamment expliquée sur les pièces qu'elle mentionnait et qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée par la quatrième branche qui n'était pas demandée, a pu en déduire que la société Nevi n'avait pas contracté d'obligation d'exclusivité à l'égard de la société Global ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt relève qu'étant sous-traitante de la société Global, elle-même sous-traitante de la société Thales, la société Nevi, qui disposait d'un droit direct de s'adresser au maître d'ouvrage pour le paiement de ses factures en vertu de la loi d'ordre public du 31 décembre 1975, à laquelle il ne peut être dérogé, avait la faculté, voire l'obligation, d'informer le donneur d'ordres de la société Global du non-paiement de ses factures et des conséquences susceptibles d'en découler, de sorte que l'information donnée dans ce contexte par la société Nevi ne constituait pas une violation de la clause de confidentialité, qui ne concernait que les questions techniques et d'achat du projet et non le paiement des sommes dues ; qu'il relève encore que la proposition faite au maître d'ouvrage par la société Nevi de laisser son personnel à sa disposition pour poursuivre le marché, en cas de cessation du contrat de sous-traitance la liant à la société Global pour défaut de paiement des factures, ne pouvait constituer une déloyauté de sa part puisqu'elle impliquait la cessation préalable de leurs relations en raison des fautes de celle-ci ; qu'en l'état de ces énonciations et appréciations, la cour d'appel, qui a indiqué les pièces desquelles elle a déduit que les manquements postérieurs aux accords n'étaient pas démontrés et qui a effectué la recherche invoquée par la sixième branche, a pu retenir que ces faits n'étaient pas imputables à faute à la société Nevi ;
Attendu, en troisième lieu, qu'en dépit de l'utilisation des termes inappropriés de rupture abusive, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée par la neuvième branche qui ne lui était pas demandée, et qui a réparé le préjudice économique subi au titre du préavis manquant, a sanctionné une rupture brutale, donc fautive, du contrat par la société Global ;
Attendu, enfin, qu'en retenant que la rupture brutale des relations par la société Global, dont elle a dû se justifier auprès de la société Thales, a entraîné une appréciation négative de celle-ci sur la qualité des relations de la société Nevi et était constitutif d'un préjudice d'image, la cour d'appel, qui a ainsi effectué la recherche invoquée par la dixième branche et qui n'avait pas à effectuer celle inopérante invoquée par la onzième branche, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa huitième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen : - Attendu que la société Global fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Nevi une certaine somme au titre de factures, avec intérêts au taux légal, alors : 1°) que les juges sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; qu'en condamnant la société Global au paiement de la somme de 6 158,88 euros au titre des factures impayées, avec intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2009, pour les prestations réalisées antérieurement au 5 mars 2009 sur le fondement de trois factures, sans répondre au moyen de ses conclusions faisant valoir qu'elle avait procédé au règlement de la somme de 36 448,29 euros, correspondant à la partie justifiée des factures pour la période antérieure à la rupture des relations contractuelles, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) que les juges sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; qu'en ne répondant en outre pas plus aux conclusions de la société Global en tant que celle-ci faisait valoir que les accords commerciaux régularisés entre les parties prévoyaient que la société Nevi devait fournir chaque semaine un relevé des présences hebdomadaires de ses techniciens à leur poste de travail afin de permettre la validation de la facturation et qu'aucun relevé de présence hebdomadaire n'avait été produit par la société Nevi, de même que les factures litigieuses comportaient des imprécisions, erreurs et omissions constituant des obstacles à leur règlement, la cour d'appel a encore violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que la société Global n'a pas soutenu que la créance de la société Nevi était éteinte aux motifs que la somme de 36 448,29 euros ne faisait plus l'objet de contestation ;
Et attendu, d'autre part, que la cour d'appel, qui a condamné la société Global au seul montant des factures figurant sur un tableau récapitulatif établi par la société Nevi qu'elle avait admises, n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.