CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 24 mai 2016, n° 14-00488
BESANÇON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Amsterdamse diamant maarschappij b.v (Sté)
Défendeur :
Pequignet (SA), SCP L.J. (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mazarin
Conseillers :
Mme : Chiaradia, Uguen Laithier
Faits et prétentions des parties
La Société Montres Pequignet, qui sera absorbée le 21 mars 2002 par la SA Pequignet, a confié, par contrat du 20 juillet 1994, à la société néerlandaise Amsterdamse Diamant Maatschappij BV (ci-après nommée ADM) la mise en place d'un réseau exclusif de distribution et de promotion des montres Pequignet sur le marché néerlandais, ledit contrat devant faire l'objet d'avenants fixant chaque année les objectifs de chiffre d'affaire à atteindre par la société ADM, en accord entre les parties.
Par avenant du 1er janvier 1999, la durée initiale du contrat d'un an a été portée à trois ans renouvelable et le territoire concerné étendu au Royaume-Uni.
Suivant avenant du 1er avril 2003, le marché britannique a été exclu et un premier objectif de chiffre d'affaire a été fixé pour l'année 2003 à 1 100.000 euro.
A compter de l'année 2005, la SA Pequignet a rencontré des difficultés financières et les relations contractuelles se sont dégradées, jusqu'à un courrier du 14 janvier 2008 par lequel celle-ci avisait la société ADM de la résiliation sans préavis du contrat pour non-respect des objectifs.
Par acte du 12 janvier 2009, la société ADM a fait assigner la SA Pequignet devant le tribunal de commerce de Besançon pour voir constater le caractère abusif et brutal de cette résiliation, voir qualifier le débauchage d'un de ses salariés par la SA Pequignet d'acte de concurrence déloyale et obtenir l'indemnisation de ses préjudices.
A la suite du placement de la SA Pequignet en redressement judiciaire par jugement du 26 avril 2012, la société ADM a déclaré sa créance à hauteur de la somme de 2 974 895,06 euro et a assigné en intervention forcée, par actes des 6 juin et 30 août 2012, M. Pascal G. et M. Philippe J., respectivement liquidateur et administrateur judiciaires de la défenderesse.
Par jugement du 16 septembre 2013, le tribunal de commerce de Besançon a considéré que la résiliation du contrat était justifiée par les fautes contractuelles commises par la société ADM et a jugé que le débauchage de M. de G. ne constituait pas un acte de concurrence déloyale, et a ainsi, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, rejeté les entières prétentions de la société ADM, de même que la demande reconventionnelle des défendeurs formée au titre de factures impayées, condamnant la société ADM aux dépens et à verser à la SA Montres Pequignet une indemnité de 5.000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration enregistrée au greffe le 28 février 2014, la société ADM a relevé appel de cette décision et, aux termes de ses dernières conclusions déposées le 17 août 2015, demande à la Cour de :
- infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la SA Pequignet,
dire abusive et brutale la résiliation du contrat,
- condamner la SA Pequignet à lui payer la somme de 2 857 967,50 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi,
- dire que le débauchage de son responsable commercial moins d'un mois après la rupture des relations contractuelles constitue un acte de concurrence déloyale et condamner la SA Pequignet à lui payer une indemnité de 100 000 euro en réparation du préjudice qui en découle,
- débouter la SA Pequignet de son appel incident et la condamner à lui verser une indemnité de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, en sus des dépens d'appel, avec droit pour Maître E. de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du même code.
Par ultimes écritures déposées le 28 avril 2015, la SA Pequignet, M. Pascal G., commissaire à l'exécution du plan, et la Scp Laureau J., administrateur judiciaire, demandent à la Cour de :
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf à condamner la société ADM à payer à la SA Montres Pequignet la somme de 71 303,10 euro, outre intérêts au taux légal à compter du 25 mars 2008,
- condamner la société ADM à payer à chacun des intimés une indemnité de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles et à supporter les dépens.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la Cour se réfère aux dernières conclusions susvisées de celles-ci, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance du 6 octobre 2015.
Motifs de la décision
* Sur le caractère abusif et brutal de la résiliation contractuelle :
Attendu qu'en vertu d'un contrat intervenu le 20 juillet 1994 pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, la société Montres Pequignet a confié à la société ADM la mise en place d'un réseau exclusif de distribution et de promotion des montres Pequignet sur le marché néerlandais ;
Que le contrat stipule que 'des quotas et objectifs de chiffre d'affaires annuel doivent être définis chaque année par le mandant en présence des deux parties et représenteront une annexe au présent contrat' ;
Qu'il prévoit en outre que chaque partie pourra mettre un terme au contrat à l'issue d'un préavis de six mois avant la date anniversaire et, en son article 11, que le contrat pourra également être rompu avec effet immédiat si l'agent devient insolvable ou en cas de non-respect grave d'un terme de cet accord ou si cela est jugé nécessaire à la date de remise du pli recommandé dans l'hypothèse où les quotas ne sont pas atteints ; que toutefois l'avenant du 1er avril 2003 a remplacé le terme " quotas " initialement employé par celui d' " objectifs d'achats " ;
Qu'aux termes d'un courrier recommandé en date du 14 janvier 2008, la SA Pequignet a notifié à la société ADM la résiliation de son contrat de distribution exclusive au visa de l'article 11 ; qu'il y est exposé de façon circonstanciée les motifs de cette résiliation tenant à la faiblesse persistante des chiffres de vente de montres et produits de sa marque par son distributeur sur le territoire hollandais ;
Attendu que la société ADM soutient en premier lieu que la rupture fondée sur le non-respect des objectifs d'achats est abusive dès lors qu'aucun objectif n'avait été contractuellement fixé, à l'exception de l'année 2003, et qu'alors qu'elle était manifestement programmée depuis plusieurs mois cette résiliation lui aurait été cachée, la laissant croire à un renouvellement du contrat ;
Attendu à cet égard qu'il n'est pas contestable qu'un seul avenant soit intervenu, en dépit des termes du contrat initial, afin de fixer pour l'année 2003 des objectifs aux termes d'une stipulation intervenue le 1er avril 2003 fixant contractuellement un chiffre d'affaires cible de 1 100 000 euro pour l'année de référence ;
Que toutefois la SA Pequignet a, dès le 20 septembre 2005, appelé l'attention de son distributeur sur l'effondrement vertigineux de son chiffre d'affaires et l'évolution à la baisse de ses commandes depuis 1999, le premier étant passé de 1 318.850 euro à 307 980 euro au 19 septembre 2005 ; qu'en des termes bienveillants l'intimée déplorait alors un plan de communication et un niveau de stocks insuffisants et faisait part de son inquiétude quant au maintien de la présence de la marque sur le territoire de référence ainsi même que de leurs relations contractuelles en l'absence de reprise des ventes à la hausse, évoquant une éventuelle renégociation des termes du contrat ;
Que par un pli recommandé du 10 novembre 2005, l'intimée, après avoir déploré le refus obstiné de son cocontractant, à chaque réunion, de souscrire à aucun objectif alors que cela constituait une obligation contractuelle, de régler sa difficulté à stocker et à communiquer sur la marque, alors que le chiffre d'affaires ne cessait de s'effondrer, a mis en demeure la société ADM de s'engager sur ces points sans délai, sous peine de résiliation du contrat ;
Qu'aux termes d'une lettre recommandée du 10 février 2006, la SA Pequignet a pris acte de l'absence de volonté de son cocontractant de s'engager sur des objectifs d'achats et de la baisse persistante et considérable du chiffre d'affaires de ventes (70,23% de 2001 à 2004) et a dénoncé une première fois le contrat de distribution ;
Que cependant, à la faveur d'un engagement de la société ADM par courriel du 12 avril 2006, la relation contractuelle a perduré ; qu'aux termes de ce document, l'appelante a expressément proposé à la SA Pequignet de s'engager sur des objectifs de vente de 1 100 000 euro en 2006, 1 275 000 euro en 2007 et 1 400 000 euro en 2008, soit pour la SA Pequignet respectivement 675 000 euro, 775 000 euro et 850 000 euro, en les qualifiant de réalistes ;
Que si la société ADM dénie en la cause toute valeur contractuelle à cette proposition à défaut d'avoir été acceptée par son cocontractant et concrétisée en avenant, il doit être néanmoins considéré qu'en l'absence d'opposition de la SA Pequignet, celle-ci est présumée avoir accepté cet engagement, ce que confirme au surplus sa renonciation à se prévaloir de la résiliation du contrat, et que cet engagement chiffré est entré dans le champ contractuel ; que le respect de son engagement pour l'année 2006 est rétrospectivement de nature à corroborer que pour la société ADM les objectifs d'achats ainsi proposés, fermement et par écrit, l'engageaient ;
Que dans la mesure où l'engagement n'a pas été atteint pour l'année 2007 dès lors qu'il n'a été que de 491 350 euro au lieu de 775 000 euro, ce qui n'est pas discuté, la partie intimée peut valablement soutenir qu'elle était légitime à se prévaloir de l'article 11 du contrat et à résilier le contrat de distribution ; que l'appelante ne peut sérieusement soutenir que la crise des subprimes aux Etats-Unis, dont les effets indirects sur l'économie réelle n'ont pas été perceptibles dès 2007 en Europe, rendait irréalistes l'objectif qu'elle s'était fixé ;
Que si la société ADM argue de ce que l'intimée lui aurait laissé espérer une reconduction pérenne du contrat, la chronologie ci-dessus rappelée milite en faveur du contraire et qu'à l'évidence l'intention de rompre le contrat en 2006 n'a été abandonnée qu'en raison de l'engagement ferme de l'appelante sur des éléments chiffrés, qui n'ont finalement pas été tenus ;
Attendu que la société ADM considère en second lieu qu'au regard de l'ancienneté des relations d'affaires entre les parties, cette résiliation sans préavis est brutale et engage la responsabilité de son auteur, ce d'autant que le contrat prévoit un préavis de 6 mois dans une telle hypothèse ;
Attendu que selon de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait pour un commerçant de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ;
Que ce texte prévoit néanmoins in fine que les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ;
Qu'il a été précédemment démontré que les conditions prescrites contractuellement tenant à une résiliation sans préavis ont été observées par la SA Pequignet, en sorte que la rupture ne peut être considérée comme fautive à raison de son caractère brutal, alors au surplus qu'il a été démontré que des avertissements avaient été donnés au cours des périodes précédentes et qu'une chance avait offerte à la société ADM de poursuivre sa mission sous réserve d'une amélioration des chiffres de vente, qui avait été observée pour l'année 2006 ;
Attendu qu'il résulte des développements qui précèdent que la rupture du contrat de distribution par la SA Pequignet n'est ni fautive, ni brutale au regard des éléments chronologiques ci-dessus examinés et des dispositions de l'article 11 du-dit contrat et qu'elle a donc pu intervenir dès réception de sa notification au distributeur ; que le jugement querellé qui a rejeté les demandes indemnitaires de la société ADM à cet égard devra donc être confirmé de ce chef ;
* Sur les actes de concurrence déloyale :
Attendu que la société ADM expose que l'un de ses anciens salariés, M. De G., chargé depuis 2003 de la gestion des ventes des montres Pequignet aux Pays Bas, a été débauché par la SA Pequignet afin de bénéficier de ses connaissances du marché local et conserver la clientèle locale, tout en économisant la marge perçue jusqu'alors par son distributeur ;
Qu'elle indique ainsi, en s'abstenant de produire toute pièce à l'appui de ces assertions ainsi d'ailleurs que le contrat de travail du salarié, que l'embauche de M. De G., qui a fait suite à une offre d'emploi publiée par l'intimée le 18 février 2008, est concomitante avec la rupture du contrat de travail du salarié le 28 janvier précédent, et en déduit que la SA Pequignet a commis à son détriment un acte de concurrence déloyale ;
Attendu que la SA Pequignet conteste tout acte de débauchage de sa part et rétorque que M. de G. a librement répondu à son offre d'emploi ;
Attendu que si le contrat de travail intervenu entre le salarié et la SA Pequignet n'est pas davantage produit, il n'est pas contesté en l'espèce qu'il est intervenu postérieurement à la rupture du contrat de travail de celui-ci avec la société ADM, intervenue le 28 janvier 2008 ;
Que le débauchage, qui consiste, par des manœuvres déloyales, à inciter des salariés à quitter un employeur pour venir travailler chez un autre, n'est pas présumé ;
Que la société ADM n'apporte en la cause la démonstration d'aucune manœuvre de cette nature imputable à la SA Pequignet qui aurait incité M. De G. à délaisser la première pour la seconde ;
Que la liberté du travail qui a valeur constitutionnelle permet à un salarié de choisir librement son employeur et d'en changer le cas échéant, y compris s'il s'agit d'une entreprise concurrente, sous réserve du respect de ses obligations contractuelles de loyauté et de non concurrence ; qu'à cet égard, la partie intimée fait observer à juste titre que le juge néerlandais, saisi par la société ADM d'une action en concurrence déloyale à l'encontre de son ancien salarié, a débouté celle-ci au motif notamment qu'aucune clause de non concurrence n'était stipulée à son contrat ;
Que cette même liberté implique également celle pour l'employeur d'embaucher qui bon lui semble sous les réserves précitées ;
Qu'il résulte de ce qui précède qu'aucune manœuvre déloyale de débauchage n'étant établie à l'encontre de la SA Pequignet, qui a embauché un salarié libre de tout engagement à l'égard de l'appelante, les premiers juges ont pertinemment rejeté la demande d'indemnisation formée à ce titre par la société ADM ;
Que de ce chef, le jugement querellé doit être également confirmé ;
* Sur la demande en paiement :
Attendu que la SA Pequignet, M. Pascal G. et la Scp L.-J. ès qualités, réitèrent à hauteur de Cour la demande reconventionnelle soumise aux premiers juges portant sur une créance de 71 303,10 euro au titre de factures impayées, dont le bienfondé est contesté par la société ADM ;
Attendu qu'en vertu de l'article 1315 du Code civil, il appartient à la partie intimée d'apporter la preuve de l'existence de cette obligation, dont elle sollicite l'exécution ;
Qu'au soutien de celle-ci, elle ne verse aux débats, pas plus qu'en première instance, les éléments de preuve objectifs de la réalité de la créance alléguée, qui n'apparaît en l'état que dans une correspondance datée du 25 mars 2008 ; que dans ces circonstances, le jugement déféré qui a rejeté la demande à ce titre, devra être confirmé de ce chef ;
* Sur les demandes accessoires :
Attendu que la société ADM qui succombe au principal devant la Cour sera condamnée à supporter à hauteur de 1 500 euro les frais irrépétibles d'appel exposés par la partie intimée, qui a fait le choix de prendre le même conseil ;
Que pour les mêmes motifs elle sera condamnée aux dépens d'appel, les dispositions accessoires du jugement entrepris étant confirmées ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et après en avoir délibéré, Confirme le jugement rendu le 16 septembre 2013 par le tribunal de commerce de Besançon en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Condamne la société ADM à payer à la SA Pequignet, M. Pascal G. et la Scp L.-J. ès qualités, ensemble, la somme de mille cinq cents euros (1.500 euro) en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société ADM aux dépens d'appel.