Cass. crim., 1 juin 2016, n° 15-82.845
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
M. Sadot
Avocat général :
M. Mondon
Avocats :
SCP Rocheteau, Uzan-Sarano
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par M. Noureddine X, M. Anthony Y, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 12 mars 2015, qui, pour abus de faiblesse, les a condamnés, chacun, à 5 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de publication, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I - Sur le pourvoi formé par M. X : - Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
II - Sur le pourvoi formé par M. Y : - Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 122-8, L. 122-9 et L. 121-26 du Code de la consommation, 121-1, 121-3 du Code pénal, article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, article préliminaire, 427, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. Y coupable d'abus de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne démarchée et en répression l'a condamné à une amende délictuelle de 5 000 euros ;
" aux motifs qu'il est établi par les déclarations concordantes de MM. X et Y que les deux bons de commandes n° 13 et 61 qu'ils ont fait signer successivement au couple Z, à la suite de démarchages à leur domicile, ont été faussement datés du même jour, le 17 mars 2010, puisque la deuxième commande (n° 61) se rapportant aux travaux d'assèchement des murs et à un complément d'isolation dans les combles, n'a été souscrite qu'à la suite d'une seconde visite, quinze jours après la première commande (n° 13) alors même que les travaux se rapportant à cette première commande étaient en cours et que la facture de ces premiers travaux est elle-même datée du 25 mars 2010 ; qu'il en résulte la preuve que MM. X et Y sont parvenus à faire signer aux époux Z, d'une part, un deuxième bon de commande (n° 61) alors que ce document était antidaté d'au moins quinze jours, d'autre part, une offre de crédit de l'organisme GE Money Bank pour le financement de ces travaux, soit de 10 200 euros (remboursable sur 10 ans) qui a été pareillement antidatée puisqu'étant datée également du 17 mars 2010, afin de permettre aux démarcheurs de se faire remettre une autorisation de prélèvement datée du 31 mars suivant ; qu'outre ces irrégularités, qui témoignent de pratiques abusives et illégales de la part des deux démarcheurs et de l'incapacité manifeste des époux Z à comprendre la portée des engagements qu'ils ont signés, l'examen des documents afférents à la première commande n° 13 témoigne tout autant d'une pratique irrégulière dès lors qu'il révèle que M. Y a fait souscrire aux époux Z, le jour de la signature de cette commande datée du 17 mars 2010, une offre de crédit auprès de l'organisme Financo pour le financement de ces travaux (3 400 euros), qui a pareillement été signée le même jour, le 17 mars 2010 ; que l'audition de M. Z tant le 31 août 2010 que le 7 juin 2012, a confirmé que celui-ci, qui était diminué par la maladie et des pertes de mémoire, n'était pas en mesure de préciser à quels travaux se rapportaient les documents qu'il avait signés sauf à préciser que les démarcheurs étaient venus plusieurs fois lui faire signer plusieurs documents ; que, s'agissant de Mme Z, son audition du 22 avril 2010 démontre qu'elle avait d'abord cru que M. Y travaillait pour l'entreprise Vaillant (PPHF) qui avait effectué les premiers travaux d'isolation et de ravalement et qu'elle ignorait manifestement la portée exacte des engagements par elle souscrits, puisqu'elle n'évoquait alors, que les seuls travaux d'assèchement des murs (objet de la deuxième commande et du financement GE Money Bank) et non ceux à l'origine de la première commande n° 13 (isolation des combles) dont elle n'a fait mention, pour la première fois, devant les gendarmes, qu'à l'occasion de sa deuxième audition, le 20 août 2010, après avoir reçu un avis de prélèvement de l'organisme Financo avec lequel elle déclarait ne pas avoir souscrit d'engagement ; que, dans la déclaration suivante recueillie le 31 août suivant, elle confirmait qu'elle ignorait avoir signé deux contrats ainsi que le montant des travaux en réaffirmant que les démarcheurs, comme elle l'avait initialement déclaré, lui avaient assuré qu'elle n'aurait quasiment rien à payer avec les réductions d'impôt ; que l'enquête de voisinage, si elle n'a été réalisée qu'en juin 2012, suffit à démontrer que les époux Z sont perçus (depuis leur arrivée dans le quartier remontant à plus de quatre ans au jour de l'enquête), ainsi qu'en ont témoigné, MM. A et B, comme des personnes vulnérables et influençables " limités mentalement ", que M. Z est décrit comme étant " affaibli par la maladie " et que l'état de vulnérabilité de Mme Z est décrit comme étant perceptible par toute personne s'adressant à elle ; que les gendarmes ayant recueilli leurs auditions à partir d'avril et août 2010 ont pareillement relevé l'état de vulnérabilité de Mme Z qui, au moment de signer, déclarait avoir oublié " sa signature " et les incohérences de M. Z qui avait oublié qu'une de ses filles vivait à son domicile, et ont confirmé au terme de leurs investigations, que le couple étant sans voisinage, considéré comme " simple d'esprit et influençable " et que leur vulnérabilité était tout à fait perceptible par un interlocuteur, en raison de leur attitude et de leur manière de parler ; qu'il ressort en conséquence à suffire de l'enquête que les époux Z présentaient, à la date de la souscription des contrats, un état manifeste de vulnérabilité qui était apparent et connu, comme en témoignent d'ailleurs, tant les pratiques abusives et illégales dont ils ont fait l'objet de la part de MM. Y et X et leur état d'ignorance par rapport à la portée des engagements qu'ils leur ont fait souscrire, que l'importance des dépenses de travaux qu'ils ont engagées pour l'isolation, le ravalement et la pose de panneaux photovoltaïques, entre 2008 et 2010, et dont le coût est en totale disproportion avec leurs revenus ; que si les éléments recueillis par l'enquête ne permettent pas d'établir avec certitude la preuve de l'absence de remise au couple d'un exemplaire des contrats dans les termes visés à la prévention, il est en revanche amplement démontré que les prévenus se sont rendus coupables envers eux d'abus de leur état de faiblesse et d'ignorance pour leur faire signer deux contrats de crédits successifs, sans respecter le délai de rétractation et en apposant de surcroît de fausses dates sur les documents et en leur laissant croire, pour emporter leur consentement et signature, malgré le caractère dispendieux des travaux et leur impossibilité manifeste d'en supporter le financement sur leur budget, compte tenu notamment, des charges des crédits qu'ils avaient antérieurement souscrits pour des travaux similaires d'isolation, qu'ils n'auraient pratiquement rien à payer en raison des réductions d'impôts dont ils bénéficieraient, ainsi que l'a toujours formellement déclaré Mme Z lors de ses auditions successives ; qu'en dépit de son état manifeste de faiblesse et d'ignorance, ne lui ayant pas permis de déjouer les subterfuges des deux démarcheurs et de mesurer la portée des engagements que ces derniers lui ont fait souscrire, Mme Z a montré lors de ses auditions qu'elle avait connaissance de ses revenus et charges, notamment, des deux crédits qu'elle avait en cours (l'un pour rembourser déjà les travaux d'isolation réalisés par l'entreprise Vaillant, l'autre pour le financement des panneaux photovoltaïques) et qu'elle était consciente de son incapacité à rembourser de nouveaux crédits ; qu'aucun élément ne permet en conséquence de mettre en doute ses déclarations selon lesquelles les démarcheurs, auxquels elle avait fait part de son incapacité à financer les travaux, lui avaient déclaré qu'elle n'aurait rien à payer en raison des réductions d'impôts, propos qui l'avaient ainsi déterminée à signer les contrats ; qu'il s'en déduit, contrairement à ce que le tribunal a jugé, que les deux prévenus se sont rendus coupables au préjudice de M. et Mme Z, d'abus de faiblesse et d'ignorance dans les termes de la prévention justifiant de déclarer leur culpabilité ; que le jugement sera donc réformé sur ce point et les prévenus déclarés coupables ;
" 1°) alors que le juge correctionnel ne peut prononcer une peine à raison d'un fait qualifié de délit qu'autant qu'il constate dans sa décision l'existence des circonstances exigées par la loi pour que ce fait soit punissable ; qu'en déclarant M. Y coupable d'abus de faiblesse sans caractériser aucun abus de sa part en l'état de l'utilité des travaux en cause et de leur conformité au prix du marché, qui n'ont jamais été contestés par la partie poursuivante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
" 2°) alors que le délit d'abus de faiblesse est caractérisé, en ses éléments matériel et moral, au regard de l'anormalité des conditions de l'opération effectuée au détriment de la personne vulnérable ; que l'acceptation d'une offre de crédit pendant le délai de rétractation n'est pas fautive en ce qu'elle ne constitue pas, à elle seule, un commencement d'exécution prohibé par la loi ; qu'en retenant M. Y dans les liens de la prévention à la faveur d'un motif en réalité inopérant selon lequel la signature par les époux Z des contrats de prêt avant l'expiration du délai de rétractation aurait constitué une faute caractérisant un subterfuge de sa part, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
" 3°) alors que toute personne poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie ; qu'il en résulte que les déclarations de la partie civile ne peuvent légalement servir de preuve, faute d'être corroborées par des éléments objectifs susceptibles d'être soumis à la discussion des parties ; qu'en se fondant sur le seul témoignage la partie civile, selon laquelle M. Y lui aurait indiqué qu'elle n'aurait pratiquement rien à payer pour les travaux réalisés en raison des réductions d'impôt dont elle bénéficierait, quand cette déclaration n'était corroborée par aucun élément objectif susceptible d'être soumis à la discussion des parties, la cour d'appel a méconnu le principe de présomption d'innocence " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le 17 mars 2010, M. Y s'est rendu au domicile des époux Z après un démarchage téléphonique, en compagnie de M. X, et leur a fait souscrire des commandes de divers travaux, financés au moyen de contrats de crédit entraînant une charge mensuelle de remboursement correspondant à plus du tiers de leurs faibles ressources ;
Attendu que, pour déclarer M. Y coupable du délit d'abus de faiblesse prévu par l'article L. 122-8 du Code de la consommation, la cour d'appel énonce notamment qu'il ressort des auditions des plaignants que M. Z, qui était diminué par la maladie et les pertes de mémoire, n'était pas en mesure de préciser à quels travaux se rapportaient les documents qu'il avait signés, et que son épouse ignorait avoir signé deux contrats ainsi que le montant des travaux, et affirmait que les démarcheurs lui avaient assuré qu'elle n'aurait quasiment rien à payer avec les réductions d'impôt ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que M. Y a abusé de la faiblesse, au sens de l'article précité, des époux Z, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié la portée des éléments de preuve contradictoirement débattus, a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette les pourvois.