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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 juin 2016, n° 14-00389

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Jean Louis David France (SAS)

Défendeur :

JSMG (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mme Mouthon-Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Taze Bernard, Binder, Guizard, Verrier

T. com. Paris, du 18 déc. 2013

18 décembre 2013

Faits et procédure

La société JSMG, dont la gérante est Madame Paule-Marie Pires, exploite un salon de coiffure à Aubagne et est titulaire d'un contrat de franchise avec le groupe Provalliance depuis le 23 juillet 2003, sous l'enseigne Jean Louis David.

Le contrat de franchise a été renouvelé le 3 décembre 2009 pour une période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014.

La société Jean Louis David France exploite un réseau de franchise dans le domaine de la coiffure, appartient au groupe Provalliance.

La société Jean Louis David expose avoir reçu, à partir du mois de juin 2011, plusieurs lettres du salon de coiffure d'Aubagne critiquant l'accueil et la prestation de service du salon franchisé, et en particulier de sa gérante, Madame Pires.

La société Jean Louis David France, par courrier du 30 mai 2012, a résilié le contrat de franchise aux torts exclusifs de la franchisée et a réclamé une somme de 40 262,34 euros correspondant aux redevances à échoir jusqu'au 31 décembre 2014.

Ce courrier de résiliation a été signifié par la société Jean Louis David France à Madame Pires par d'acte d'huissier en date du 20 juin 2012.

Par acte du 28 novembre 2012, la société Jean Louis David France a assigné JSMG devant le Tribunal de commerce de Paris en demandant qu'il soit jugé que le contrat de franchise avait été valablement résilié.

Par jugement du 18 décembre 2013, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté les parties de toutes leurs demandes,

- condamné la société Jean Louis David France à verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à la SARL JSMG, déboutant pour le surplus,

- condamné la société Jean Louis David France aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,17 euros dont 13,25 euros de TVA.

La société Jean Louis David France a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions du 28 juillet 2014, la société Jean Louis David France demande à la cour de:

- recevoir la société Jean Louis David en son appel et en ses présentes écritures, y faisant droit et l'y déclarant bien fondée,

- infirmer le jugement du 18 décembre 2013 du Tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions,

Et, statuant à nouveau :

- juger que la société JSMG a engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de la société Jean Louis David France, en violant les articles 5.2.2 (l), 19.4, et 20.1.1 du contrat de franchise,

- juger que le contrat de franchise a valablement été résilié par lettre du 30 mai 2012, en application de son article 18.1, aux torts et griefs exclusifs de la société JSMG,

- condamner la société JSMG à verser à la société Jean Louis David France une somme de 42 826,90 euros correspondant aux redevances de franchise non payées et à échoir jusqu'au terme du contrat au 31 décembre 2014,

- condamner la société JSMG à verser à la société Jean Louis David France une somme de 15 245 euros correspondant au montant prévu par l'article 18(v) relatif à la résiliation anticipée du contrat de franchise,

- condamner la société JSMG à verser à la société Jean Louis David France une somme de 3 060 euros correspondant au montant prévu par l'article 22 relatif à l'application de la clause pénale,

- condamner la société JSMG à verser à la société Jean Louis David France une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'article 19.4 du contrat de franchise relatif à la clause de non réaffiliation,

- condamner la société JSMG à verser à la société Jean Louis David France une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice d'image et violation de l'article 5.2.2 (l) du contrat de franchise,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois revues locales, au choix de Jean Louis David, et aux frais exclusifs de la société JSMG, pour un montant total n'excédant pas 5 000 euros HT,

- rejeter l'ensemble des arguments et demandes adverses, notamment la demande indemnitaire reconventionnelle pour rupture abusive du contrat de franchise,

- condamer la société JSMG à verser à la société Jean Louis David France, une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que 682,92 euros correspondant aux frais d'huissiers,

- condamner la société JSMG aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La société Jean Louis David France fait état de la mauvaise réputation du salon d'Aubagne et des commentaires désapprobateurs des clients, qui portent préjudice à son image : ainsi, plusieurs clientes auraient pris son attache pour se plaindre de l'accueil désagréable et des prestations de mauvaise qualité qu'elles avaient reçus, et pour dénoncer l'attitude agressive de la gérante.

Elle explique avoir résilié le contrat de franchise avec la société JSMG à laquelle elle reproche d'avoir porté atteinte à sa réputation, de n'avoir pas respecté ses obligations en matière d'accueil du public et de se présenter comme un institut Kerastase.

Sur ce point, elle soutient que la société JSMG a violé l'article 20.1.1 du contrat de franchise qui stipule une interdiction de concurrence pendant la durée du contrat, en se présentant dès juillet 2011 comme un institut Kerastase, car l'activité de la société Kerastase n'est pas limitée à la vente de produits de beauté mais il s'agit d'un réseau de coiffure mis en place par L'Oréal, qui est une enseigne directement concurrente de la société Jean Louis David.

Elle distingue l'utilisation des produits de marque Kerastase dans les salons Jean Louis David et l'apposition d'une enseigne "institut Kerastase" pour un salon affilié Jean Louis David, en l'absence d'un accord entre les sociétés Jean Louis David et L'Oréal, et alors qu'elle n'a jamais toléré la présence d'un tel macaron sur ses salons franchisés.

Elle considère aussi que la société JSMG a violé la clause de non-réaffiliation en concluant immédiatement après la résiliation du contrat de franchise, un nouvel accord avec la société L'Oréal, pour passer sous enseigne "Institut Kerastase", alors que le contrat de franchise prévoyait un délai de viduité d'une année.

Elle reproche enfin à la société JSMG de manquer à ses obligations de courtoisie envers les clients, d'avoir été insultante et incompétente, et conteste l'utilisation faite par la société JSMG d'un document portant sur le respect par cette société du concept de la franchise.

Elle en déduit que sa décision de résilier le contrat de franchise de la société JSMG est justifiée.

Par conclusions du 28 mai 2014, la société JSMG demande à la cour de :

- débouter la société Jean Louis David de son appel en ce qu'il est mal fondé,

- juger que la société JSMG est recevable et bien fondée en ses demandes fins et conclusions,

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a retenu une rupture abusive de la part de la société Jean Louis David,

- juger qu'il n'y a pas eu manquement à ses obligations contractuelles par la société JSMG,

- juger que la rupture du contrat de franchise est abusive,

En conséquence,

- débouter la société Jean Louis David de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société JSMG,

- condamner la société Jean Louis David à payer à la société LSMG la somme de 25 000 euros au titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

A titre subsidiaire,

- juger que les échéances des mois de juin et juillet 2012 ont bien été réglées,

- juger que la demande de dommages et intérêts au titre de l'article 18(v) du contrat n'est pas justifiée, que la demande de condamnation au titre de la clause pénale sera ramenée à de plus juste proportion, que les demandes relatives aux dommages et intérêts pour atteinte au droit à l'image et non-respect de l'obligation de non ré affiliation ne sont pas fondées,

- condamner la société JLD au paiement de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Elle déclare avoir toujours entretenu de bonnes relations avec le franchiseur jusqu'à ce que celui-ci reçoive en juin 2011 plusieurs courriers de récriminations sur l'agressivité ou l'incompétence de sa gérante, qui a incité la société Jean Louis David France à résilier le contrat de franchise, avant de l'assigner en lui reprochant des manquements à ses obligations contractuelles.

Elle souligne l'intervention régulière d'un représentant du franchiseur afin de s'assurer de la conformité de ses prestations aux attentes du franchiseur, et note qu'à l'époque des plaintes en juillet 2011, il lui avait attribué un taux de réussite du respect du concept du franchiseur de 91 %.

Elle relativise les messages provenant de clients mécontents en soulignant leur nombre limité, l'absence de fondement de certains griefs, certaines incohérences ou le fait que les reproches sont formulés dans l'espoir d'un retour financier.

Elle relève que de nombreux salons franchisés proposent des offres promotionnelles, de sorte que cela ne peut lui être reproché.

Elle explique exploiter depuis 2003 son salon Jean Louis David avec la qualification "institut Kerastase", laquelle est un label correspondant à des soins des cheveux et non à une technique de coupe, observe que la société Jean Louis David demande à ses franchisés de s'approvisionner en produits Kerastase et que d'autres salons Jean Louis David portent aussi cette dénomination.

Elle fait état de l'absence de modification de son visuel depuis 2002, de sorte qu'aucune atteinte à la clause de non-concurrence ne peut lui être reprochée.

Elle en déduit que la société Jean Louis David France a abusivement rompu son contrat de franchise, de sorte qu'elle devra être déboutée de ses prétentions financières.

MOTIVATION

Sur la résiliation du contrat de franchise :

La société appelante fait notamment grief à la société JSMG d'avoir violé les obligations contenues à l'article 5.2.2 du contrat de franchise, en ayant réservé un accueil au public et fourni des soins ne correspondant pas au niveau de compétence et de qualité du réseau Jean Louis David, et s'appuie sur une demi-douzaine de témoignages de clientes faisant part de leur insatisfaction sur les prestations reçues.

L'article 5.2.2 prévoit que le franchisé doit s'engage " à tout moment, à offrir à sa clientèle un service rapide, courtois et efficace, à faire preuve d'une grande compétence dans l'exécution des travaux de coiffure qui lui sont confiés par la clientèle et dans toutes ses relations avec le public, à faire preuve d'honnêteté, d'intégrité et de haute moralité".

La société appelante verse trois courriers provenant de clientes portant récrimination sur l'accueil et la qualité des soins reçus dans le salon de coiffure de l'intimée, dont deux provenant d'une mère et de sa fille qui s'y seraient rendues à plusieurs mois d'intervalle, ainsi que quatre courriels émanant de clientes mécontentes, et deux courriels internes se rapportant pour l'un à une plainte de cliente et pour l'autre contenant plusieurs témoignages défavorables.

Il convient cependant de constater, comme l'a fait le tribunal de commerce, que si ces lettres et témoignages peuvent amener à s'interroger sur la qualité de l'accueil reçue dans le salon de coiffure de l'intimée, l'appréciation du niveau de courtoisie de l'accueil peut varier d'une personne à l'autre.

Ces témoignages portent pour la plupart sur des faits survenus entre juin à novembre 2011.

Or, alors que la société Jean Louis David France s'assure de la qualité de service et de la conformité des prestations des franchisés à ses exigences par des visites in situ, le "document Conformité & Performances" dressé le 7 juillet 2011 par son représentant au salon de coiffure de l'intimée conclut à un "taux de réussite pour le respect du concept" de 91%.

Ce taux a été attribué alors que ce document mentionne que deux réclamations de clientes étaient parvenues au siège, auxquelles l'intimée devait répondre afin de prendre contact avec les clientes.

S'agissant du degré de courtoisie, ce document a relevé que le salon de coiffure en question et son personnel respectaient les règles du concept sur les critères suivants : "accueil/sourire/bonjour Madame et/ou Monsieur", "phrases d'accueil adéquates", "gestion de l'attente avec café, lectures, collection", "conclusion / sourire / au revoir Madame et/ou Monsieur".

Ce document relève aussi que le salon de la société JSMG répondait aux exigences du concept sur les points suivants : processus de coupe respectés, processus de technique respectés, conseils sur les produits utilisés pour le coiffage... ce qui atteste de la compétence du personnel.

Le compte-rendu de la visite suivante le 17 février 2012 du représentant de la société Jean Louis David France précise que l'intimée a fait installer des caméras dans le salon afin de se prémunir des réclamations, dont elle soupçonne d'anciennes collaboratrices d'être à l'origine.

Aussi, et au vu du nombre limité de plaintes reçues sur une période de plusieurs mois rapportée au nombre de clients que doit recevoir l'établissement de l'intimée sur cette période pour fonctionner, ces éléments n'apparaissent pas suffisants pour caractériser le non-respect par la société JSMG de ses obligations prévues par l'article 5.2.2 du contrat de franchise.

Il sera de plus relevé que les sites de ventes groupées répertorient des offres de la société Jean Louis David France, concernant ses salons en France et à l'étranger.

Dans une lettre non datée (pièce 27 appelante) la société Provalliance indiquait à ses franchisés qu'elle ne cautionnait pas les sites Internet proposant des offres groupées et mettait en garde ses franchisés contre les pratiques de ces sociétés. Pour autant, si elle indiquait "contracter avec ce type de sociétés peut vous conduire à contrevenir à vos obligations de franchisés", elle ne leur interdisait pas de conclure des contrats de ce type.

S'agissant de la violation de la clause de non-concurrence, le contrat de franchise prévoit en son article 20.1.1 que le franchisé s'engage "pendant toute la durée du contrat, à ne pas s'intéresser directement ou indirectement... à une autre enseigne de coiffure, concurrente étrangère, nationale ou régionale de celle(s) du franchiseur ou à une entreprise ou société similaire ou semblable exploitant un salon de coiffure dans un territoire ou il pourrait dans un territoire où il pourrait concurrencer un membre du réseau de franchise Jean Louis David, y compris le franchiseur sans l'autorisation préalable écrite du franchiseur.

Pendant la durée du contrat, le franchisé s'interdit en outre :

- d'entrer directement ou indirectement dans un réseau de franchise similaire on concurrent de ceux exploités par le franchiseur...".

La société Jean Louis David France reproche à l'intimée de revendiquer et d'afficher "institut Kerastase" alors qu'elle est sous franchise Jean Louis David, et soutient qu'"institut Kerastase" ne désigne pas seulement un soin pour les cheveux mais constitue une enseigne de coiffeurs appartenant à la société L'Oréal concurrente.

La société JSMG montre cependant au travers des pièces qu'elle verse que la société Jean Louis David présente dans ses courriers aux franchisés L'Oréal comme un partenaire avec lequel elle a obtenu des remises tarifaires sur ses produits notamment de la gamme Kerastase, et qu'elle incite ses franchisés d'acquérir ces produits et de bénéficier de ces réductions.

La société Jean Louis David France propose également des modalités de disposition des produits Kerastase à côté des siens dans les salons de coiffure franchisés.

Par ailleurs, si la société Jean Louis David France distingue les produits Kerastase des instituts Kerastase, lesquels ne seraient pas seulement des établissements de soins des cheveux mais également des salons de coiffure, il est avéré par les pièces versées que de nombreux salons de coiffure sous enseigne Jean Louis David, dont certains bénéficiant d'emplacements emblématiques, sont également des "instituts Kerastase".

La société Jean Louis David France ne peut soutenir l'ignorer, alors que son propre site Internet montre une photographie d'un salon type sur lequel figure en devanture, sous l'enseigne Jean Louis David, l'indication "institut Kerastase".

Au vu de ces éléments, l'appelante ne peut soutenir que le fait pour la société JSMG de faire figurer sur sa devanture "institut Kerastase" constituerait une violation de l'article 20.1.1 du contrat de franchise susceptible de justifier sa résiliation aux torts de la société JSMG.

La société Jean Louis David France reproche également à la société JSMG une violation de l'article 19.4 du contrat de franchise, selon lequel "le franchisé ainsi que ses représentants légaux - qui par l'effet du contrat a bénéficié d'une clientèle attaches aux Services et Techniques et à l'image de marque Jean Louis David, s'interdit pendant une durée d'un (1) an à compter de l'échéance du contrat, quelle qu'en soit la cause, de conclure tout contrat de franchise, convention ou accord avec quelque groupement de coiffure que ce soit dans le Territoire".

Pour autant, et comme indiqué précédemment, le fait pour la société Jean Louis David France d'inciter ses franchisés à se fournir auprès d'elle en produits Kerastase et d'accepter que ses franchisés se présentent comme des "instituts Kerastase" au moyen de panneaux figurant en vitrine, révèle qu'elle ne considérait pas "institut Kerastase" comme un groupement de coiffure concurrent, de sorte que la présence d'une enseigne "institut Kerastase" en vitrine du salon de coiffure de l'intimée après la résiliation du contrat de franchise du fait de la société Jean Louis David France ne saurait constituer une affiliation concurrente au sens de l'article 19.4 du contrat.

Par conséquent, la société Jean Louis David France n'a pas démontré que la société JSMG avait violé les dispositions du contrat de franchise. La rupture de ce contrat à l'initiative de la société Jean Louis David France apparaît ainsi non fondée, et cette société sera déboutée de l'ensemble de ses demandes.

Sur la demande reconventionnelle :

La société JSMG sollicite la condamnation de la société Jean Louis David France pour rupture abusive du contrat de franchise, en avançant qu'elle employait à l'époque quatre salariés, a dû licencier et n'en emploie plus que deux à présent.

Cependant, la société JSMG ne justifie pas de la réalité de ces licenciements.

Aussi, faute de démontrer l'existence du préjudice dont elle allègue, elle sera déboutée de sa demande.

Sur les dépens et frais irrépétibles :

La société Jean Louis David France succombant au principal, elle sera condamnée au paiement des dépens.

L'équité commande de fixer à 2 000 euros le montant de sa condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, Déboute la société Jean Louis David France de l'ensemble de ses demandes, Déboute la société JSMG de sa demande reconventionnelle, Condamne la société Jean Louis David France aux dépens de l'instance, Condamne la société Jean Louis David France au paiement à la société JSMG de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.