CA Aix-en-Provence, 3e ch. A, 28 avril 2016, n° 15-11388
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
La Manade (SCI)
Défendeur :
Atelier Paul Zoppi & Fils (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Castanie
Conseillers :
M. Delage, Mme Mars
Avocats :
Mes Mazel, Musacchia, Deplano, Tossan
La SCI La Manade, dont la gérante est Christelle M., a confié à la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils, divers travaux dans deux villas sises aux Saintes Marie de la Mer.
Se plaignant de désordres, la SCI La Manade a sollicité devant le Juge des référés du Tribunal de grande instance de Tarascon le prononcé d'une expertise.
L'expert désigné par ordonnance en date du 3 mars 2011, a déposé son rapport le 15 septembre 2012.
Par acte en date du 20 mars 2013, la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils a assigné la SCI La Manade devant le Tribunal de grande instance de Tarascon aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 85 045,74 euros outre intérêts légaux à compter du 4 février 2010.
Dans le même temps, par acte d'huissier en date du 11 mars 2014, Christelle M. et la SCI La Manade ont assigné la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils aux fins d'obtenir réparation suite aux travaux effectués par cette société.
Par jugement du 15 mai 2015, le Tribunal de grande instance de Tarascon a :
- Condamné la SCI La Manade à payer à la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils la somme de 65 766,24 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 février 2010,
- Débouté Christelle M. et la SCI La Manade de toutes autres demandes,
- Condamné la SCI La Manade à payer à la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Christelle M. et la SCI La Manade ont relevé appel de cette décision le 23 juin 2015.
Vu les conclusions de Christelle M. et la SCI La Manade, appelantes, notifiées le 4 février 2016, puis de nouveau le 17 février 2016, aux termes desquelles il est demandé à la cour de :
- Infirmer le jugement en date du 15 mai 2015 en toutes ses dispositions,
- Dire l'action engagée par la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils à l'encontre de la SCI La Manade et Christelle M. irrecevable ou prescrite,
- Dire que la demande tendant à obtenir la condamnation de la SCI La Manade au paiement de la somme de 5 000 euros pour difficultés d'exécution des décisions de première instance, est irrecevable car nouvelle,
A titre subsidiaire :
- Débouter la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils de toutes ses demandes, fins et conclusions, tant à l'égard de Christelle M. que de la SCI La Manade,
- Condamner la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils au paiement à Christelle M. de:
* 6 431 euros pour la réfection du bloc porte, avec intérêts de droit au jour du dépôt des conclusions, soit le 17 février 2014, avec indexation sur l'indice BT01,
* 76 770 euros correspondant aux deux cuisines avec intérêts de droit au jour du dépôt des conclusions, soit le 17 février 2014, avec indexation sur l'indice BT01,
* 2 260,44 euros en remboursement des frais de déménagement de la cuisine partiellement installée par la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils, avec intérêts de droit au 17 février 2014,
* 1 320,11 euros en remboursement des frais de garde meubles, avec intérêts de droit au 17 février 2014,
* 11 000 euros à titre de privation de jouissance des cuisines, avec intérêts de droit au 17 février 2014,
* 10 131,53 euros en remboursement de l'électroménager avec intérêts de droit au 17 février 2014.
Pour le cas où la cour considérerait que la SCI La Manade a contracté avec la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils, il conviendrait de :
- Condamner la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils au paiement à la SCI La Manade des mêmes sommes,
- Condamner la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils au paiement de la somme de 5 000 euros à Christelle M. en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile pour la première instance, 5 000 euros pour la procédure d'appel.
Vu les conclusions de la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils, intimée, notifiées le 4 novembre 2015, aux termes desquelles il est demandé à la cour de :
- Dire et juger qu'il résulte de l'aveu même de la SCI La Manade qu'elle a contracté avec la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils,
- Dire et juger que l'action de la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils est recevable à l'encontre de la SCI La Manade,
- Confirmer le jugement rendu le 15 mai 2015 en ce qu'il a débouté Christelle M. et la SCI
La Manade de leurs demandes visant à l'irrecevabilité et à la prescription de l'action,
- Le réformer pour le surplus et recevoir la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils en son appel incident,
- Condamner la SCI La Manade au paiement d'une somme de 85 045,74 euros augmentée des intérêts de droit à compter du 4 février 2010 et à la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- Déclarer Christelle M. irrecevable en ses demandes et la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- Condamner la SCI La Manade au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION:
- Sur l'irrecevabilité:
Christelle M. et la SCI La Manade demandent que soit déclarée irrecevable l'action engagée par la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils à leur encontre.
Concernant la SCI La Manade, si le devis n° 0907184 " référence chantier Sainte Marie de la Mer " en date du 31 juillet 2009, est au nom de " Madame R.-M " et porte une signature sous la mention: " Bon pour accord ": le client, il convient de noter que:
- c'est la SCI La Manade, dont Christelle M. est la gérante, qui, le 21 décembre 2010, a assigné la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils devant le Juge des référés du Tribunal de grande instance de Tarascon aux fins de désignation d'un expert invoquant l'existence de désordres affectant la cuisine intégrée commandée par la SCI La Manade à la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils.
- La SCI La Manade a consigné,
- Lors de l'expertise la SCI La Manade a présenté des demandes, notamment quant à l'existence d'un préjudice de jouissance (pièce 105 dire du 8 novembre 2011).
Dès lors, à juste titre, le premier Juge a appliqué la règle de l'estoppel et retenu la SCI La Manade dans l'instance, le fait pour cette société de soulever l'irrecevabilité de l'action en paiement engagée à son encontre par la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils, alors qu'elle a sollicité et obtenu le prononcé d'une expertise au titre de désordres consécutifs à la réalisation de la prestation effectuée par la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils, ne constituant pas un simple " un changement de stratégie de défense ".
De même l'article 1347 du Code civil prévoit qu'il peut être dérogé à la règle de l'article 1341 du même Code, lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit, lequel est défini comme un acte de celui auquel on l'oppose et qui rend vraisemblable le fait allégué, ce commencement de preuve par écrit devant être accompagné d'éléments extérieurs tels que des témoignages, indices, présomptions ou acte d'exécution.
En l'espèce si les deux devis en date du 8 octobre 2009, n° 0910225 et 0910226, afférents à la commande des deux cuisines " Christelle " et " Élisabeth " " ne portent pas la signature du gérant de la SCI La Manade ou de Christelle M. à titre personnel, les éléments du dossier démontrent et notamment par son courrier adressé le 22 janvier 2010 à la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils dans lequel elle indique ": " cuisines selon devis " n° 0910225 et 0910226 en date du 8 octobre 2009 aux Saintes Marie de la Mer (...) tout cela n'est rien au regard de la qualité des matériaux que vous avez choisi et que les devis ne justifiaient en rien (...) il en ressort une fabrication grande distribution qu'elle était parfaitement informée, par sa connaissance des deux devis, de la nature et du montant de la commande.
Enfin l'article L. 122-3 du Code de la consommation, n'est pas applicable concernant une société civile immobilière au fait de l'espèce au vu de ce qui précède.
- Sur la prescription:
L'article L. 137-2 du Code de la consommation n'est pas applicable à la société civile immobilière.
En ce qui concerne Christelle M., comme le souligne à juste titre le premier Juge, l'ordonnance de référé en date du 3 mars 2011, qui avait notamment pour objet de faire les comptes entre les parties, ayant interrompu le délai de prescription jusqu'au dépôt du rapport d'expertise le 16 septembre 2012, l'action en paiement introduite par la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils n'est pas prescrite.
- Sur les demandes de la SCI La Manade et Christelle M:
* Sur le bloc de porte:
L'expert note: " il s'agit d'un ouvrage destiné à assurer le clos et le couvert de cette habitation (...) le principe constructif massif prescrit par l'entreprise de menuiseries (...) induit dans ses assemblages, l'existence de nombreux joints laissant pénétrer l'humidité de ruissellement en provenance de ses façades (...). La conception de cet ouvrage induit par sa nature, son instabilité permanente par piégeage. Enfin l'absence de traverse dormante inférieure (basse) rend l'ouvrage en partie basse et en période d'humidification, fuillard. Il s'agit d'un défaut d'exécution ".
La SARL Atelier Paul Zoppi et Fils fait valoir que le devis servant de base à l'accord des parties ne prévoyait pas l'étanchéité de la porte d'entrée, qu'elle a été réalisée selon la commande du maître de l'ouvrage, sur la base d'un modèle existant situé à quelques mètres.
Sur ces points, cette société se devait, dans le cadre du devoir de conseil auquel elle est soumise, en tant que professionnel, d'informer Christelle M., que le bloc porte choisi par elle était impropre à l'usage qui allait en être fait, peu important que le modèle existant ne soit pas étanche, fait qui n'est d'ailleurs pas établi en l'espèce, l'expert précisant au surplus concernant celui-ci: " le modèle existant date d'une époque (XIXe siècle) où les performances énergétiques de l'habitation n'étaient pas de règle, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui ", fait que ne pouvait ignorer la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils.
De même le principe d'une porte d'entrée, qui se doit d'assurer le clos d'une habitation, est d'être notamment étanche lors de périodes humides, même si ce point, qui relève d'un simple bon sens, n'est pas précisé dans le devis signé.
Au surplus le fait que cette porte " se situe en retrait de la façade " alors " qu'un emmarchement formant seuil empêche les eaux de ruissellement de venir sous la porte " ou " qu'un large auvent place l'ouvrage à l'abri total des pluies " " ne l'empêche pas de subir, lors de période humide, les effets de celle-ci, comme l'atteste les constations de l'expert ayant précisément noté : " l'existence de nombreux joints laisse pénétrer l'humidité de ruissellement en provenance de ses façades ".
La responsabilité de la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils, qui a réalisé et installé ce bloc porte d'entrée, dont l'expert note, aux termes de ses constatations qui ne sont pas utilement critiquées, que les voilements et déformations dont elle est affectée, gêne son fonctionnement, et qui n'assure pas sa fonction de clos et couvert de l'habitation, doit donc être retenue.
La décision du premier Juge sur ce point sera réformée, la mission de la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils n'étant pas " de restaurer l'aspect de la façade à l'identique d'une partie existante " mais d'installer un bloc porte fonctionnel.
L'expert pour remédier aux désordres constatés préconise deux solutions: une, qu'il chiffre à 3 000 euros mais pour laquelle il indique " réserve sur la faisabilité de ces reprises au vu des voilements, ajours consécutifs à l'instabilité de l'ouvrage ", l'autre consistant à un remplacement de l'ouvrage et qu'il chiffre, selon le devis fourni par " Fenêtrier Azur Baie ", à la somme de 6 431 euros TTC.
Il convient de retenir la seconde préconisation, Christelle M., qui a accepté un devis de 16 610,97 euros pour ce bloc porte, étant en droit d'attendre une solution pérenne.
* Sur les cuisines:
Christelle M. fait valoir que les deux cuisines " Christelle " et " Élisabeth " réalisées par la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils ne correspondent pas aux devis présentés.
° Cuisine Christelle:
Christelle M. fait valoir que le devis précisait l'installation d'un mobilier en chêne massif.
Cette cuisine a été réalisée sur la base du devis en date du 8 octobre 2009 n° 0910225 d'un montant de: menuiserie: 37 114 euros HT (39 155,27 euros TTC) et marbrerie: 4 640 euros HT. Ce devis, comme il l'a été rappelé, même s'il ne porte pas la signature de Christelle M., a été accepté dans son intégralité par cette dernière, comme en atteste son courrier du 22 janvier 2010.
Ce devis prévoit: " extérieur ébénisterie panneaux chêne teinté gris cérusé blanc. Intérieur mélaminé sable ", ce qui ne correspond pas, malgré le prix, à des éléments en chêne massif, ce que même un consommateur non averti ne peut ignorer.
Dès lors, à juste titre, le premier Juge a écarté une des solutions proposées par l'expert s'agissant du remplacement total de la cuisine (38 385 euros TTC) et a retenu la seconde correspondant à la " mise en œuvre des plans de travail et finition de pose, comme prévu au contrat initial ": devis n° 0910225" soit 5 000 euros TTC.
Sur cette première cuisine, alors que le poste marbrerie a été abandonné, la somme due par la SCI La Manade est de : 39 155,27 TTC - 5 000 euros TTC = 35 155,27 euros TTC.
° Cuisine Élisabeth:
Christelle M. fait valoir que le devis précisait l'installation d'un mobilier en chêne massif.
Cette cuisine a été réalisée sur la base du devis en date du 8 octobre 2009 n° 0910226 d'un montant de: menuiserie: 42 457 euros HT et marbrerie: 4 205 euros HT.
Ce devis prévoit expressément: extérieur panneau ébénisterie, intérieur mélaminé sable, ce qui ne correspond pas, là encore, à des éléments en chêne massif.
Christelle M. a demandé dans le courrier du 22 janvier 2010, à la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils, d'arrêter tous les travaux concernant la cuisine Élisabeth.
L'expert note que la marbrerie (4205 euros HT) a été abandonnée et que, selon la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils, l'avancement serait évalué à 70 % du marché, soit 34 460 euros TTC.
Sur ce point, aucun élément n'est produit par la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils permettant de confirmer ce montant. De plus son devis du 8 octobre 2009, ne différencie pas les montants afférents à la fourniture et à la pose.
Ainsi au vu de ces éléments, la décision du premier Juge, fixant à la somme de 10 000 euros, le montant dû, sera confirmée.
* Sur les préjudices accessoires:
Au vu de ce qui précède quant à la nature réelle des biens prévus aux deux devis acceptés par Christelle M., il n'y a pas lieu de recevoir ses diverses demandes relatives aux frais de déménagement de la cuisine partiellement installée, aux frais de déménagement, aux frais de garde meubles, et aux frais de remboursement de l'électroménager ou de jouissance.
- Sur les comptes entre les parties:
Il y a lieu de fixer à la somme de 35 155,27 euros + 10 000 euros = 45 155,27 euros la somme due par la SCI La Manade, à laquelle il convient de soustraire celle de 16 610,97 euros TTC soit : 28 544,30 euros.
- Sur la demande de dommages et intérêt:
Aucun motif n'impose l'allocation de dommages et intérêts au profit de la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils.
Par ces motifs : LA COUR, par décision contradictoire et en dernier ressort : - Infirme le jugement en date du 15 mai 2015, Et statuant à nouveau : - Condamne la SCI La Manade à payer à la SARL Atelier Paul Zoppi et Fils la somme de 28 544,30 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision, - Confirme le jugement en date du 15 mai 2015 pour le surplus, - Déboute les parties de l'intégralité de leurs autres demandes, - Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, - Condamne la SCI La Manade aux dépens avec recouvrement direct au profit des avocats de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.