CA Colmar, 3e ch. civ. A, 2 mai 2016, n° 3 A 15/02319
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Grenke location (SAS)
Défendeur :
Peggy L.
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martino
Conseillers :
Mmes Wolf, Fabreguettes
Le 3 octobre 2011, Madame Lindecker P., exploitant un salon de coiffure à l'enseigne " Escape ", a conclu avec la société Grenke Location un contrat de location de longue durée portant sur du matériel de video-surveillance fourni par la société Cep Protection, prévoyant le paiement de soixante loyers d'un montant de 159,55 euros.
La locataire ayant cessé de payer les loyers, la société Grenke Location lui a notifié la résiliation anticipée du contrat avant de l'attraire devant le Tribunal d'instance de Haguenau en paiement de la somme de 813,20 euros au titre des loyers échus impayés et celle de 7 470,96 euro au titre de l'indemnité de résiliation.
Madame L. a fait valoir que le contrat a été conclu à la suite d'un démarchage effectué à son domicile, lequel avait été cambriolé la veille, que ce démarchage a donné lieu à cinq visites de l'agent de la société Cep Protection et que c'est en considération du montant des échéances mensuelles (80 euro TTC) qu'elle a accepté de signer un contrat de location le 28 septembre 2011 avec la société Grenke Location. Elle explique que le 3 octobre 2011, le représentant de la société lui a proposé de substituer un autre contrat au précédent, lequel serait signé en sa qualité d'exploitante du salon de coiffure, ce qu'elle a accepté en précisant que ce dispositif a été installé à son domicile et qu'à la réception du document, elle a constaté que les mensualités étaient passées à 152,56 euros de sorte qu'elle a suspendu alors tout paiement, demandant l'annulation immédiate du contrat.
Elle s'est prévalue de la prescription de l'action et de la nullité du contrat.
Par jugement en date du 21 janvier 2015, le Tribunal d'instance d'Haguenau a :
Dit que l'action de la société Grenke Location n'est pas prescrite,
Dit que le contrat de location du 13 octobre 2011 est nul par application des articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation,
Ordonné à Madame L. de restituer sous astreinte à la société Grenke Location l'intégralité du matériel loué,
Condamné Madame L. à payer à la société Grenke Location la somme de 1 500 euro en contrepartie de l'usage et du caractère vétuste du matériel objet du contrat et a autorisé la débitrice à s'acquitter de cette somme en 15 versements de 100 euro à compter du 10 du mois suivant le jour où le jugement sera devenu définitif avec clause cassatoire, a condamné la société Grenke Location à payer à Madame L. la somme de 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens.
Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré, d'une part, que la locataire a agi tant au moment de la commande que de la signature du contrat en sa qualité de professionnelle exploitant un salon de coiffure de sorte que la location entre dans la définition de l'article L. 311-3 3° ancien du Code de la consommation relative au financement des besoins d'une activité professionnelle et n'est pas assujettie au délai de prescription de deux ans ; d'autre part, que Madame L. est néanmoins en droit de se prévaloir des dispositions des articles L. 121-21 et L. 121-22 anciens du Code de la consommation prévoyant qu'une personne physique est protégée dans l'hypothèse d'un démarchage sauf s'il s'agit d'une location ayant un rapport direct avec les activités exercées, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, le système d'alarme objet de la location n'ayant aucun rapport au sens de ces textes avec l'activité de coiffeuse, la notion de rapport direct supposant un caractère indispensable de l'objet du contrat au regard de l'activité artisanale exercée.
La nullité est prononcée dès lors que le contrat ne comportait pas la mention de la faculté de renonciation et de ses modalités ni ne comportait de formulaire détachable de rétractation.
La société Grenke Location a interjeté appel à l'encontre de cette décision suivant déclaration en date du 23 avril 2015.
Par dernières écritures notifiées le 28 décembre 2015, l'appelante conclut à l'infirmation de la décision entreprise et demande à la cour, statuant à nouveau de :
Condamner Madame L. à lui payer les sommes de 813,22 euros au titre des arriérés de loyer, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 20 février 2012 et de 8 280,05 euros au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation avec les intérêts au taux légal à compter de la même date.
Elle sollicite en outre la condamnation de la partie intimée à lui restituer le matériel loué sous astreinte ainsi que sa condamnation à lui payer la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de son appel, la société Grenke Location fait valoir que les dispositions du Code de la consommation ne sont pas applicables dès lors que Mme L. a contracté dans le cadre de son activité commerciale afin de protéger cette activité, ce dont elle a fait attester au bas de la première page du contrat liant les parties.
Par dernières écritures notifiées le 8 décembre 2015, Madame L. conclut à la confirmation de la décision entreprise sauf en ce qui concerne la prescription de l'action et sa condamnation à des dommages intérêts et demande à la cour de déclarer l'action prescrite en application des dispositions de l'article L. 137-2 du Code de la consommation.
Elle affirme avoir été démarchée en tant que simple particulier, sa profession n'ayant jamais été évoquée lors des premiers contacts et soutient, comme devant le premier juge, que le matériel de vidéo-surveillance, objet du contrat, a été installé à son domicile privé à Schirrein. Elle fait grief au commercial de la société Cep de l'avoir conduite à faire supporter par son entreprise le coût de l'installation à son domicile personnel en apposant le cachet du salon de coiffure qu'elle exploite à Bischwiller.
À titre subsidiaire, elle souligne que l'objet du contrat est sans rapport avec l'activité exercée de sorte que le contrat de location du 3 octobre 2011 doit encore faire l'objet d'une annulation pour non-respect des règles sur le démarchage à domicile.
À titre infiniment subsidiaire, elle sollicite l'annulation du contrat en raison du fait que la société Cep l'aurait volontairement induite en erreur en lui faisant croire que le contrat qu'elle signerait le 3 octobre 2011 porterait sur les mêmes prestations et sur le même prix que celui qu'elle avait précédemment signé le 28 septembre 2011 pour des mensualités de 80 euro seulement.
L'ordonnance de clôture est en date du 12 janvier 2016.
MOTIFS DE LA DECISION
Vu les écritures des parties ci-dessus spécifiées et auxquelles il est référé pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile,
Vu les pièces régulièrement communiquées entre les parties ;
Sur la prescription
Madame L. demande à la cour de faire application des dispositions de l'article L. 137-2 du Code de la consommation suivant lequel " l'action des professionnels pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ".
Doit être considéré comme consommateur au sens de ce texte la personne qui se procure ou utilise un bien ou un service dans un but personnel ou familial étranger à son activité professionnelle.
En l'espèce, et comme le premier juge l'a exactement énoncé par des motifs pertinents que la cour approuve, le " contrat " de commande et le contrat de location versés aux débats portent la signature et le cachet du salon de coiffure exploité en nom propre par Madame L. qui ne soutient pas que ce cachet lui aurait frauduleusement été subtilisé par le représentant de la société Cep.
Dans le contrat de location, Mme L. reconnaît expressément que le matériel loué est exclusivement et strictement destiné à l'exercice de son activité professionnelle. La présomption résultant de cette déclaration corroborée par le tampon du salon de coiffure ne peut, vis à vis de la société Grenke, être renversée par les seuls témoignages de parents ou amis, versés aux débats et il eût été avisé à ce sujet d'attraire en la cause le vendeur qui a réalisé l'installation du matériel de vidéo-surveillance acquis.
Il résulte de ces énonciations que les dispositions de l'article L. 137-2 du Code de la consommation ne sont pas applicables au cas d'espèce et que c'est , à bon droit, que le premier juge a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action.
La décision déférée mérite donc confirmation de ce chef.
Sur la nullité du contrat de location
La réglementation concernant le démarchage à domicile sur laquelle s'est fondé le premier juge pour annuler le contrat de location n'est pas applicable en cas de location ayant un rapport direct avec les activités exercées dans le cadre d'une exploitation agricole, industrielle, commerciale ou artisanale ou de toute autre profession.
L'appréciation du caractère direct avec les activités exercées relève des seuls tribunaux indépendamment de la qualification que les parties ont pu donner à ce rapport dans la convention.
En l'espèce, la location d'un système de vidéosurveillance par le salon de coiffure tenu par Mme L. ne peut être considéré comme ayant un rapport direct avec l'activité exercée en ce sens qu'elle n'est ni utile ni nécessaire à l'activité même de coiffure et n'est pas de nature à développer ou promouvoir cette activité, quand bien même elle est utilisée dans le cadre de cette activité.
C'est donc par une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties et par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a prononcé la nullité du contrat de location pour défaut de respect des règles régissant le démarchage à domicile, règles dont la violation n'est pas contestée à hauteur d'appel, a ordonné les restitutions qui s'imposaient et a accordé à Mme L. un délai de paiement, toutes dispositions qui ne sont pas critiquées par l'appelante, même à titres subsidiaire.
La décision déférée sera donc intégralement confirmée.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Attendu que, la société Grenke Location, partie perdante doit être condamnée aux dépens conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du même Code ;
Attendu que l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de Mme L. qui bénéficie de l'aide juridictionnelle totale et alors que son mandataire n'a pas demandé à ce qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 2° du Code de procédure civile
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare l'appel recevable en la forme, Au Fond, Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions, Et y ajoutant, Deboute la société Grenke Location de toutes ses demandes, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de Madame L., Condamne la société Grenke Location aux dépens.