CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 23 juin 2016, n° 14-21935
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bordeaux Magnum (SARL)
Défendeur :
Duclot Professionnels (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
M. Loos, Mme Schaller
Avocats :
Mes Soustre, Trassard, Fromantin, Dolfi
Faits et procédure
La société Duclot Professionnels (ci-après " Duclot ") est une société spécialisée dans le négoce de vin. La société Bordeaux Magnum a pour activité la vente de vins. Dans le cadre de son activité, elle achète un certain nombre de bouteilles de vins en primeurs à la société Duclot Professionnel.
Le processus de vente des vins dits " primeurs " signifie que les primeurs de l'année N sont proposés en allocation aux clients au cours de l'année N+1, à la fin de l'été et à l'automne, pour une livraison au cours de l'année N+3 ou N+4 selon les vins.
Le 30 août 2011, la société Bordeaux Magnum a demandé à la société Duclot de lui livrer 12 caisses de primeur millésimé 2009, en lui indiquant qu'elle n'avait pas reçu l'offre au titre des primeurs qui aurait dû lui parvenir en 2010.
Le 23 septembre 2011, la société Duclot lui a répondu que la réservation des primeurs 2009 était close depuis le 15 septembre 2010 et qu'il lui était donc impossible de donner une suite favorable à sa demande.
Le 20 janvier 2012, la société Bordeaux Magnum a reproché à la société Duclot d'avoir interrompu unilatéralement leurs relations commerciales et a sollicité une indemnisation du fait de cette rupture. Elle sollicitait également par ce même courrier la livraison des primeurs 2008 qu'elle avait commandés en 2009 et livrables en 2011-2012.
Le 5 avril 2012, la société Duclot a adressé à la société Bordeaux Magnum un devis pour des vins 2009 livrables et non " primeurs ". En réponse, la société Bordeaux Magnum a demandé de bénéficier des tarifs " primeurs " du millésime 2009, ce que la société Duclot a refusé.
C'est dans ce contexte que la société Bordeaux Magnum a, par acte extrajudiciaire du 13 juin 2012, assigné la société Duclot afin d'obtenir, sous astreinte journalière de 100 euro, la livraison de 12 bouteilles de Château Yquem 2008 et le paiement de dommages et intérêts au titre d'une rupture des relations commerciales et d'une perte de marque [sic].
Par jugement en date du 19 septembre 2014, le Tribunal de commerce de Paris [sic] a :
- Donné acte à la société Bordeaux Magnum SARL de ce qu'elle abandonne sa demande à l'encontre de la société Duclot SAS concernant sa commande de primeurs au titre de l'année 2008,
- Débouté la société Bordeaux Magnum SARL de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Duclot SAS,
- Débouté la société Duclot SAS de sa demande à l'encontre de la société Bordeaux Magnum SARL pour procédure abusive,
- Condamné la société Bordeaux Magnum SARL à payer à la société Duclot SAS la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu l'appel interjeté par la société Bordeaux Magnum le 3 novembre 2014,
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Bordeaux Magnum le 28 janvier 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- Dire et juger que la société Duclot Professionnels a rompu brutalement les relations commerciales établies entre elle et la société Bordeaux Magnum à compter de la campagne des primeurs 2009.
- Condamner la société Duclot Professionnels à verser à la société Bordeaux Magnum la somme de 59 500 euro à titre de dommages et intérêts, outre 10 000 euro, ces sommes avec intérêts à compter de la date de délivrance de l'assignation.
- Condamner la société Duclot à payer à la société Bordeaux Magnum une indemnité de 1 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Duclot Professionnel le 26 mars 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- Débouter la société Bordeaux Magnum de l'ensemble de ses demandes,
- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bordeaux en date du 19 septembre 2014,
- Condamner la société Bordeaux Magnum à verser à la société Duclot Professionnels la somme de 6 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du CPC.
La société Bordeaux Magnum indique que depuis 2002, elle était approvisionnée en primeurs par la société Duclot, mais que les commandes étaient, pour des raisons qui lui appartiennent, passées directement par des filiales, ou par des employés ou par le gérant lui-même, mais qu'il était parfaitement clair dans l'esprit des parties que ces commandes visaient à approvisionner la boutique Bordeaux Magnum, que les relations commerciales établies ne sont pas contestables. Elle soutient qu'en ne lui envoyant pas, comme elle le faisait pourtant chaque année, l'offre de commande de primeurs pour l'année 2009, et en refusant de régulariser la commande en 2011, la société Duclot a rompu brutalement leurs relations commerciales et doit l'indemniser pour la perte de marge correspondant à la vente qu'elle aurait pu réaliser pour le millésime 2009, ainsi que pour la perte d'image auprès de sa clientèle.
La société Duclot conteste toute relation commerciale établie entre les deux sociétés et toute rupture brutale. Elle expose qu'aucun lien contractuel ne liait les deux sociétés, la société Bordeaux Magnum n'ayant passé qu'une commande de 6 caisses de vins primeurs en 2007 et 9 caisses en 2008, ce qui ne démontre pas une relation commerciale stable et régulière, de sorte que la société Duclot n'était nullement tenue d'adresser annuellement une offre de commande pour ses primeurs à la société Bordeaux Magnum, que cette dernière connaissait au demeurant parfaitement les modalités d'achat des vins primeurs, qu'il lui appartenait d'être diligente et d'adresser sa commande pour les primeurs 2009 plus tôt. Elle conteste tout caractère de rupture brutale à son refus de livrer des vins primeurs commandés hors délai au tarif primeur et rappelle que la vente restait possible aux tarifs " livrables ". Elle s'oppose à toute demande d'indemnisation.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) " ;
Qu'il est constant que la notion de relation commerciale établie suppose, même en l'absence de convention, l'existence d'une relation d'affaires qui s'inscrit dans la durée, la continuité et dans une certaine intensité ;
Considérant qu'en l'espèce, nonobstant les commandes ponctuelles de vins primeurs à raison de 6 et 9 caisses passées en 2007 et 2008, il n'est pas démontré que la société Bordeaux Magnum ait tissé une relation continue d'une certaine intensité avec la société Duclot qui s'inscrive dans la durée ;
Que c'est à juste titre, par des motifs que la cour adopte, que les premiers juges ont estimé que l'existence de relations commerciales établies entre les deux sociétés n'était pas démontrée ;
Considérant en outre qu'en l'absence de toute convention entre les parties et compte tenu des pratiques habituelles et connues des professionnels dans le domaine de la vente des vins en primeur, il appartenait à la société Magnum de se manifester auprès de la société Duclot pour passer commande en 2010 des primeurs millésimés 2009 ;
Qu'aucune obligation de proposer ses vins à la vente en " primeur " n'est établie à l'encontre de la société Duclot ;
Qu'en ne faisait pas de démarche proactive auprès de la société Bordeaux Magnum, la société Duclot n'a commis aucune faute ;
Qu'il n'y a dès lors pas eu de rupture brutale des relations commerciales ni de faute commise ouvrant droit à indemnisation ;
Que la société Bordeaux Magnum ne peut réclamer ni indemnisation d'une perte de marge, ni indemnisation d'une perte d'image, à l'égard de ses clients, étant seule responsable de l'absence de commande de vins " primeurs " ;
Qu'il y a lieu de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dans les termes exposés au dispositif ci-après.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne la société Bordeaux Magnum à payer à la société Duclot la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.