Cass. 1re civ., 29 juin 2016, n° 15-20.269
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Nalit
Défendeur :
Les laboratoires Servier (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Rapporteur :
Mme Duval-Arnould
Avocat général :
M. Sudre
Avocats :
SCP Hémery, Thomas-Raquin, SCP Meier-Bourdeau, Lécuyer
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Nalit, à qui a été prescrit du Mediator, comportant du benfluorex, en janvier 2002, puis de mai 2008 à novembre 2009, présente une insuffisance aortique ; qu'après avoir sollicité une expertise judiciaire, elle a assigné en référé la société Les Laboratoires Servier (la société), producteur du Mediator, pour obtenir notamment le paiement d'une provision à valoir sur la réparation de son dommage ;
Sur le moyen unique, pris en ses quatre premières branches, ci-après annexé : - Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement d'une telle provision ;
Attendu, d'abord, aux termes de l'article 1386-4, alinéas 1er et 2, du Code civil, qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, et qu'il doit être tenu compte, dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ; que la constatation, par le juge, du défaut d'un produit, à la suite de la mise en évidence de risques graves liés à son utilisation que ne justifie pas le bénéfice qui en est attendu, n'implique pas que le producteur ait eu connaissance de ces risques lors de la mise en circulation du produit ou de sa prescription ; qu'il s'ensuit qu'en ce qu'il se prévaut de l'absence de connaissance par la société de la toxicité de son produit, pour en contester la défectuosité, retenue par la Cour d'appel, le moyen, en ses trois premières branches, est inopérant ;
Attendu, ensuite, que la Cour d'appel ayant caractérisé, par des motifs propres, l'imputabilité d'une partie de la pathologie de Mme Nalit à la prise du Mediator, les motifs erronés du premier juge, justement critiqués par le moyen, en sa quatrième branche, sont surabondants ;
Mais sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche : - Vu les articles 1386-11 du Code civil et 809, alinéa 2, du Code de procédure civile ;
Attendu qu'en vertu du premier de ces textes, le producteur est responsable de plein droit du dommage causé par le défaut de son produit à moins qu'il ne prouve, selon le 4°, que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ; qu'il résulte du second de ces textes que le juge des référés ne peut ordonner l'exécution de l'obligation que dans le cas où l'existence de celle-ci n'est pas sérieusement contestable ; que l'invocation d'une cause d'exonération de responsabilité constitue une contestation dont le sérieux doit être examiné par le juge des référés, sans que puisse être exigée l'évidence de la réunion des conditions de l'exonération ;
Attendu que, pour accorder une provision à Mme Nalit, après avoir écarté cette cause d'exonération de responsabilité invoquée par la société, l'arrêt relève que, dès 1993, celle-ci savait que le Mediator se métabolise en norfenfluramine dont la toxicité a justifié, en 1997, le retrait de toutes les amphétamines produites par elle, puis la mise sous surveillance du Mediator dans d'autres pays européens en raison de l'implication possible de la norfenfluramine dans les valvulopathies cardiaques, que cette société à laquelle incombe la preuve de la cause d'exonération, n'oppose pas d'éléments sérieux permettant de considérer que le défaut n'avait pas été décelé à la date à laquelle le médicament avait été prescrit à Mme Nalit et que son affirmation selon laquelle le très faible nombre de cas rapportés n'a pas permis la mise en évidence d'un signal significatif, justifiant le retrait du médicament ou la modification des informations à destination des professionnels de santé ou du public, ne suffit pas à établir avec suffisamment de vraisemblance l'existence d'une cause d'exonération ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la société faisait valoir qu'avant novembre 2009, l'existence d'un risque cardiotoxique n'était pas avéré et versait aux débats, à l'appui de sa contestation, certaines études scientifiques en ce sens ainsi que des documents diffusés par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, en 2009 et 2011, la Cour d'appel a tranché une contestation sérieuse relative à l'établissement d'une cause d'exonération de responsabilité et violé les textes susvisés ;
Par ces motifs, Casse et annule et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la sixième branche du moyen, mais seulement en ce qu'il condamne la société Les Laboratoires Servier à payer à Mme Nalit la somme de 12 000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de son dommage, l'arrêt rendu le 9 avril 2015, entre les parties, par la Cour d'appel de Versailles.