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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 22 juin 2016, n° 15-05369

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Homco (SARL)

Défendeur :

Techniques Actuelles France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Delmotte

Conseillers :

Mme Salmeron, M. Sonneville

Avocats :

Mes Morvilliers, Leclerc

T. com. Toulouse, du 6 oct. 2015

6 octobre 2015

Exposé des faits et procédure :

La société Homco exploite plusieurs salles de remise en forme sous franchise Amazonia ou Gigagym.

Depuis 2011, elle entretient des relations commerciales avec la société Techniques Actuelles France (ci-après la société TAF), société spécialisée dans la fourniture de matériel de musculation,

Au printemps 2013, préparant l'ouverture d'une nouvelle salle de gymnastique, elle a passé commande auprès de la société TAF de différents matériels comprenant, notamment, des dalles de sol de marque Disportex.

A l'occasion d'une visite de la commission de sécurité, ces dalles se seraient révélées non conformes au feu de sorte que la société Homco a refusé de régler le montant des factures dues à la société TAF.

Par jugement du 6 octobre 2015, le Tribunal de commerce de Toulouse, constatant que la société Homco a signé des devis sans qu'il soit fait référence à des dalles coupe-feu, a :

- dit que les dalles sont conformes à celles commandées ;

- condamné la société Homco à payer à la société TAF la somme de 17 453,79 euro assortie des intérêts de droit à compter du 19 février 2014 ;

- débouté la société TAF de sa demande en paiement de dommages et intérêts :

Par déclaration du 6 novembre 2015, la société Homco a relevé appel de cette décision.

La clôture de l'instruction du dossier est intervenue le 1er avril 2016;

Prétentions et moyens des parties :

Par conclusions du 21 mars 2016, la société Homco demande à la cour :

- d'infirmer la décision

- de dire que la société TAF a engagé sa responsabilité contractuelle au principal, en vertu des dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, au regard de la tromperie sur une des caractéristiques essentielles de la chose vendue et, subsidiairement, en vertu des dispositions de l'article 1147 du Code civil, au regard du manquement à son obligation de conseil

- de condamner la société TAF à lui payer la somme globale de 38 915,10 euros se décomposant comme suit :

- 27 290,10 euros TTC au titre des travaux de reprise

- 6 625 euros au titre des pertes d'exploitations subies

- 5 000 euros au titre de la résistance abusive

- de fixer la créance de la société TAF à la somme de 17 453,19 euros et de débouter celle-ci du surplus de ses demandes

- d'ordonner la compensation entre les créances respectives des parties et après compensation, de condamner la société TAF à lui payer la somme 21 461,40 euro outre celle de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile (CPC)

Exposant que la société TAF lui a proposé les dalles litigieuses, que celle-ci savait qu'elle recevait du public, elle soutient que les dalles ne sont pas conformes à la réglementation relative à la protection contre les incendies dans les établissements recevant du public.

Elle fait valoir, à titre principal, qu'en proposant à la vente des dalles de revêtement de sol de marque Disportex, spécialement conçues pour les salles de fitness, la société TAF a nécessairement trompé son cocontractant sur une des caractéristiques essentielles du produit vendu, à savoir son aptitude à l'usage attendu du produit vendu.

Elle soutient, à titre subsidiaire, que la société TAF se devait, en tant que professionnel, de connaître les caractéristiques du produit qu'elle offrait à la vente et qu'au regard de la non-conformité du produit tant en ce qui concerne sa réaction au feu qu'en ce qui concerne l'usage de la salle de remise en forme ouverte au public, elle n'aurait jamais dû inciter son cocontractant à porter son choix sur un tel produit.

Par conclusions du 29 mars 2016, la société TAF demande à la cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Homco au paiement de la facture n° 84861 du 5 décembre de 17 453,79 euro TTC avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 19 février 2014

- de rejeter la demande reconventionnelle

- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts et frais irrépétibles ;

- de condamner la société Homco à lui payer la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour son comportement abusif et de mauvaise foi ainsi que pour les injures et menaces proférées à son encontre outre celle de 8 000 euro au titre de l'article 700 du CPC.

Elle soutient que :

- le produit livré est conforme à la commande, que la société Homco, qui est un professionnel dans l'exploitation des salles de fitness recevant du public, a fait le choix et lui a commandé des dalles de sol " Disportex" en toute connaissance de cause, le catalogue de la société TAF comme son site internet et le devis envoyé ne mentionnant aucunement que les professionnel averti, la société Homco devait avoir la connaissance nécessaire du produit qu'elle achetait.

Motifs de la décision :

Il n'est pas contesté que les dalles objet du litige ne sont pas conformes à la réglementation relative à la protection contre les incendies dans les établissements recevant du public (ERP). Selon les documents produits par le vendeur, leur résistance au feu correspond à une norme un classement " efl " insuffisante par rapport au classement " Dfl-s2 ou M4 " exigé pour les ERP.

La société TAF a vendu à la SARL Homco 340 dalles " free weight noir blanc 100 x 100 x 15mm 12kg " à 29,95 euros l'unité et avec la référence du produit " P400003 " comme mentionné dans le devis accepté le 21 octobre 2013 et dans la facture correspondante.

Au principal, la SARL Homco reproche à la société TAF, au visa de l'article L. 121-1 du Code de la consommation de l'avoir trompée sur une qualité essentielle du produit, son aptitude à l'usage attendu du produit vendu, sa conformité relative à la protection contre les incendies exigée dans les établissements recevant du public (ERP).

Si l'article L. 121-1 I dudit code s'applique aux pratiques qui visent les professionnels en application du paragraphe III de l'article et s'étend aux ventes entre commerçants, encore faut-il que les critères posés par le paragraphe I soient réunis.

Il faut établir que le caractère trompeur des modalités de la vente et plus précisément en l'espèce que la vente a été commise dans les circonstances suivantes 2° de l'article L. 121-1 I : " lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants :

b) les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ".

La publicité sur laquelle se fonde la société Homco est la pièce 11 qui mentionne pour la référence de dalle P400003 " dalle de sol caoutchouc noir blanc Disportex spécialement conçu pour les salles de fitness " et, dans la description du produit, est précisé ceci : " les dalles Disportex ont été spécialement conçues pour les salles de fitness et plus particulièrement pour la zone poids libres et machines musculation et cardio ".

Elle en déduit qu'elle a été trompée car le vendeur ne pouvait ignorer que la société Homco recevait du public dans ses salles de remises en forme et ce d'autant plus qu'il lui a proposé ce produit en lui précisant, photo jointe au message, qu'il avait été posé dans d'autres salles de remise en forme similaires notamment Gigagym à Paris.

Comme le relève à juste titre la société TAF, il n'est pas indiqué sur la publicité, alléguée de mensongère, que ses dalles sont coupe-feux ni qu'elles sont adaptées à des ERP.

Par ailleurs, toute salle de fitness ou de remise en forme n'est pas nécessairement qualifiée d'ERP. La société TAF fournit des clientèles très diversifiées en matériel de sport et notamment des particuliers qui peuvent installer chez eux une " salle de fitness " ou salle de " remise en forme " sans recevoir du public.

La tromperie au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation doit être interprétée strictement s'agissant d'une infraction pénale ; or, en l'espèce, la publicité alléguée ne peut être qualifiée de mensongère à défaut de mentionner qu'elle est adaptée pour des ERP et qu'elle présente les caractéristiques coupe-feu. Par ailleurs, le seul fait de ne pas avoir mentionné dans la publicité que la résistance au feu des dalles était classée " efl " n'est pas une tromperie ; aucun texte n'imposant au vendeur de le mentionner dans ses publicités. L'information sur la résistance au feu des dalles a été fournie par la société TAF à la société Homco dès qu'elle l'a sollicitée.

Enfin, le fait d'avoir indiqué que d'autres salles de fitness avaient utilisé ce type de dalles ne signifie pas que la société TAF a cherché à tromper la société Homco sur le caractère coupe-feu des dites dalles, alors que la photographie avait été présentée pour montrer le résultat de la pose des dites dalles dans une salle fitness et non pour répondre à la problématique des exigences d'un ERP, critère qui n'a pas été discuté entre les parties avant la vente. En outre, il n'est pas établi que les salles de fitness, ainsi mises en avant par la société TAF ont effectivement été classées ERP avec ce type de dalles.

Il convient de débouter la société Homco de ses demandes du chef de tromperie.

A titre subsidiaire, la SARL Homco fait grief à la société TAF d'avoir manqué à son obligation d'information et de conseil en ne lui précisant pas que les dalles n'étaient pas adaptées à un ERP alors que la société TAF savait nécessairement que les dalles étaient destinées à équiper une salle de fitness qui devait recevoir du public comme les autres salles que la société Homco exploitait par ailleurs.

La commande litigieuse mentionnant l'achat de 340 dalles carrées d'un mètre de coté pouvant couvrir une salle d'environ 5m/6m de surface, il est plus que vraisemblable que la société TAF a considéré que la commande des dalles litigieuses visait à aménager une nouvelle salle de sport exploitée commercialement par la société Homco, conformément à son activité commerciale et alors qu'elle avait déjà été cliente de la société TAF.

La SARL Homco produit l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public et qui précise à l'article AM7 " les sols des dégagements non protégés et des locaux sont classés DFL-s2 ou en catégorie M4 ", classement ne correspondant pas aux qualités des dalles litigieuses.

Les établissements recevant du public (ERP) sont constitués de tous bâtiments, locaux ou enceintes dans lesquels des personnes extérieures sont admises, en plus du personnel, que l'accès soit payant ou gratuit, qu'il soit libre, restreint ou sur invitation.

Les ERP sont classés en types ou en catégories qui définissent les exigences réglementaires applicables (type d'autorisation de travaux ou règles de sécurité notamment) en fonction des risques : catégories de 1 à 5 en fonction de leur capacité d'accueil et types par lettres selon la nature de leur activité et de leur exploitation avec une 5ème catégorie prévoyant des seuils d'assujettissement.

En l'espèce, selon les mentions du rapport du Bureau Veritas du 15 janvier 2014, la salle de remise en forme de la SARL Homco concernée par le litige a été classée X de 4e catégorie à partir du dépôt du permis de construire ou de l'autorisation de travaux prise en compte en date du 3 octobre 2013. Ce classement X correspond aux établissements sportifs clos et couvert, supérieur à la 5e catégorie, alors que, pour le seuil d'assujettissement de la 5e catégorie, il était prévu une capacité maximale de 200 personnes pour l'ensemble des niveaux, dont 100 en sous-sol et 100 en étage.

La cour en déduit que la société Homco, à la date où elle a accepté le devis le 21 octobre 2013, savait que son établissement serait un ERP de 4e catégorie et qu'elle devait subir le contrôle de la commission de sécurité correspondant à un ERP.

Il n'est pas contesté qu'elle avait déjà ouvert plusieurs établissements du même type, elle était donc un client averti de la société TAF qui avait la compétence d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du produit recherché et de plus, elle bénéficiait des conseils d'un architecte dont le nom figure dans le rapport du Bureau Veritas, Benet architecte.

La société Homco ne pouvait donc ignorer qu'elle devait se renseigner sur les qualités et caractéristiques des matériaux en matière de risque incendie utilisés pour les travaux d'ouverture de sa salle de fitness ouverte au public.

Le manquement au devoir d'information et de conseil, qui existe même si le client est un professionnel, s'apprécie en fonction du caractère averti du cocontractant. Seule l'ignorance légitime est en la matière recevable.

En l'espèce, la SARL Homco avait ouvert plusieurs salles de fitness au public et connaissait nécessairement la réglementation en matière d'ERP ; sans être spécialiste de la fabrication des dalles qu'elle entendait acquérir, elle savait que ces produits devaient correspondre aux exigences de sécurité pour les risques d'incendies et de panique des ERP et dès lors mettre en avant cette exigence primordiale dans sa démarche d'acquisition des dites dalles auprès du vendeur, ce qu'elle n'a pas fait .

Elle ne peut mettre en avant la seule mention " adaptée à des salles de fitness " sur le catalogue pour affirmer qu'elle a pu croire par cette seule mention que les dalles présentées étaient des dalles coupe-feux conformes à la réglementation.

Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Homco de ses demandes de dommages-intérêts.

- Sur la demande de paiement de la facture de la société TAF :

En cause d'appel, la société Homco ne remet pas en cause la créance de la société TAF. Il convient de confirmer le jugement de ce chef

- Sur la demande de dommages-intérêts de la société TAF pour procédure abusive :

L'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute pouvant donner lieu à des dommages-intérêts que si le demandeur a agi par malice ou de mauvaise foi, ou avec légèreté blâmable tous faits insuffisamment caractérisés en l'espèce ; il semble plutôt que la société Homco se soit méprise sur l'étendue de ses droits en qualité de client professionnel averti.

La demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par la société TAF doit être rejetée.

Le jugement sera également confirmé de ce chef.

Par ces motifs : LA COUR, - confirme le jugement, - condamne la société Homco aux entiers dépens d'appel avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Vu l'article 700 du Code de procédure civile, - condamne la société Homco à payer à la SAS TAF la somme de 2 000 euros.