CA Toulouse, 2e ch., 29 juin 2016, n° 13-06266
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Esmokeclean (SAS)
Défendeur :
Herande (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cousteaux
Conseillers :
M. Baïssus, Mme Pellarin
Faits et procédure
La SNC Herande exploite un commerce de débit de tabac et presse à l'enseigne de tabac Le Totem, [...].
La SAS Esmokeclean, qui a un établissement au [...], commercialise notamment des cigarettes électroniques et les produits accessoires à cet article.
Voyant dans ce commerce une violation de la loi sur le monopole des tabacs et une violation de l'interdiction de faire de la publicité sur le tabac et les produits associés et par la même, des actes de concurrence déloyale à son encontre, la SNC Herande a attrait la SAS devant le tribunal de commerce de Toulouse sur autorisation d'assigner à jour fixe.
Par jugement du 9 décembre 2013, le tribunal de commerce de Toulouse a :
- dit que la promotion et la publicité par la SAS Esmokeclean des cigarettes électroniques et e-liquides dans les deux boutiques situées à Colomiers et à Plaisance du Touch et sur son site Internet est illicite et constitutive d'un acte de concurrence déloyale au préjudice de la SNC Herande,
- ordonné à la SAS Esmokeclean de cesser toute promotion ou propagande des cigarettes électroniques et e-liquides dans les deux boutiques situées à Colomiers et à Plaisance du Touch et sur son site Internet et sur la page Facebook associée, ainsi que par tous autres procédés,
- dit que la commercialisation, c'est-à-dire la vente, par la SAS Esmokeclean des cigarettes électroniques et e-liquides, porte sur des produits soumis au monopole des buralistes, qu'elle est illicite et constitue un acte de concurrence déloyale au préjudice de la SNC Herande,
- ordonné à la SAS Esmokeclean de cesser toute commercialisation, c'est-à-dire toute vente, des cigarettes électroniques dans les deux boutiques situées à Colomiers et à Plaisance du Touch et sur son site Internet et la page Facebook associée, ainsi que par tous autres procédés,
- condamné la SAS Esmokeclean pour concurrence déloyale, à verser à titre d'indemnité forfaitaire 1 euros symbolique à la SNC Herande,
- débouté la SNC Herande de ses autres demandes,
- condamné la SAS Esmokeclean à verser la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à la SNC Herande,
- condamné la SAS Esmokeclean aux dépens, frais de greffe compris.
La SAS Esmokeclean a interjeté appel le 11 décembre 2013.
Par arrêt du 27 janvier 2016, la cour d'appel de TOULOUSE a notamment:
- rouvert les débats afin que soit produite l'intégralité du rapport et avis d'experts sur l'e-cigarette en date de mai 2013,
- dit que les parties ont le choix d'accompagner cette production de toute conclusion en complément de celles déjà transmises,
-réservé les dépens ainsi que les demandes des parties autre que la fin de non-recevoir.
La SAS Esmokeclean a transmis ses dernières écritures par RPVA le 14 mars 2016.
La SNC Herande a transmis ses dernières écritures par RPVA le 29 février 2016.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 30 mars 2016.
Moyens et prétentions des parties
Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, au visa des articles 122, 123 et 31 du Code de procédure civile, L. 3511 et L. 3512 et suivants du Code de la santé et 34 et 37 de la Constitution de la Vème République, la SAS Esmokeclean demande à la cour de :
- infirmer la décision de première instance en toutes ses dispositions,
- débouter la SNC Herande de l'intégralité de ses demandes,
- juger que la SNC Herande n'a pas intérêt, ni qualité à agir concernant l'application des articles L. 3511 et L. 3512 du Code de la santé publique,
- juger que la SNC Herande ne démontre pas l'existence d'une faute de la SAS Esmokeclean, l'existence d'un préjudice et un lien de causalité entre les deux,
- condamner SNC Herande à lui payer :
- la somme d'un euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
- la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamner la SNC Herande aux entiers dépens de première instance.
L'appelante fait essentiellement valoir que :
Sur la recevabilité :
- les demandes de la SNC Herande concernant la commercialisation illicite sont irrecevables pour défaut de qualité à agir puisque la SNC Herande n'a pas qualité pour défendre les intérêts collectifs des buralistes.
Seul l'Etat, titulaire du monopole, a qualité pour défendre le périmètre de ce monopole contre les personnes qui l'enfreindraient. L'exercice seul du monopole étatique de la vente au détail des tabacs manufacturés est confié à des débitants de tabac.
- les demandes de la SNC Herande concernant la publicité illicite sont irrecevables pour défaut d'intérêt à agir puisque le demandeur qui ne démontre pas avoir subi un préjudice direct et personnel.
- la responsabilité délictuelle de la SAS Esmokeclean ne peut pas être engagée puisque :
- Aucune faute n'a été commise.
Sur la publicité :
- à la date des faits reprochés à la SAS Esmokeclean, aucun texte règlementaire ou législatif ne prohibait expressément la publicité pour les cigarettes électroniques dans la mesure où l'interdiction de publicité en faveur du tabac est prévue aux articles L. 3511-3 et L. 3511-4 du Code de la santé publique n'a été étendu aux dispositifs électroniques de vapotage et aux flacons de recharge qui leur sont associés que par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016.
- au contraire, la publicité pour la cigarette électronique a été encadrée donc autorisée par une circulaire du 25 septembre 2014.
Sur la commercialisation :
- les cigarettes électroniques ne sont pas des produits à fumer relevant du monopole des débitants de tabac et leur vente n'est pas soumise au monopole des débitants de tabac.
- la cigarette électronique n'est pas un produit à fumer tel qu'il ressort de l'analyse des textes :
- les commerces de tabac et de cigarettes électroniques sont distincts puisqu'à travers la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016, le législateur a étendu des dispositions, jusque-là réservées aux distributeurs des produits du tabac, aux distributeurs de dispositifs électroniques de vapotage ou des flacons de recharge.
- dans la directive n° 2014/40/UE du Parlement européen et du conseil du 3 avril 2014, les cigarettes électroniques relèvent des produits connexes et non des produits du tabac.
- le rapport de mai 2013 de l'Office français de prévention du tabagisme indique que la cigarette électronique ne peut, en l'absence de combustion, être un produit fumé.
- la cigarette électronique ne peut entrer dans le champ d'application du monopole sans une disposition législative et/ou réglementaire expresse. Seule une intervention des institutions françaises pourrait permettre de placer les cigarettes électroniques dans le giron du monopole de la vente au détail des tabacs manufacturés.
Sur la concurrence déloyale et le dénigrement ou parasitisme
- aucun acte de concurrence déloyale ne peut être imputé à la SAS Esmokeclean (le dommage concurrentiel n'est pas en soi illicite puisqu'aucune réglementation n'a été violée, ni dénigrement ni parasitisme (la SNC Herande n'apporte pas la preuve que la SAS Esmokeclean aurait tenté malicieusement de détourner sa clientèle).
- aucun préjudice n'est démontré.
- la SNC Herande n'a nullement caractérisé l'existence d'un dommage direct et personnel, qui résulterait de l'activité de promotion indirecte en faveur du tabac dont elle fait grief à la SAS Esmokeclean.
- la SNC Herande commercialise également des cigarettes électroniques et les demandes se trouvent à géométrie variable au gré des procédures (1 500 euros devant le Président du tribunal de grande instance, portées à 5 000 euros devant le tribunal de commerce) démontrant l'impossibilité pour la SNC Herande d'établir sérieusement le moindre préjudice.
-le lien de causalité n'est pas établi. Aucun élément objectif ou subjectif ne permet de laisser penser qu'un prétendu préjudice serait dû à la promotion alléguée de la SAS Esmokeclean pour la vente de cigarettes électroniques.
- Sur les demandes non-pécuniaires de la SNC Herande destinées à faire cesser la prétendue concurrence déloyale, la publicité sur le site internet a cessé de fait puisque le site a été piraté par un tiers. Quant à la nouvelle page Facebook de la SAS Esmokeclean, elle ne contient aucune publicité interdite pour la cigarette électronique. Faire cesser toute commercialisation de cigarettes électroniques ne serait pas de nature à faire cesser des prétendus actes de concurrence déloyale.
- sur les demandes indemnitaires, aucune pièce probante n'est produite pour justifier la demande indemnitaire de la SNC Herande.
Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, au visa des articles decies, 565, 568, 568 ter, 573 du Code général des impôts, L. 3511-1, L. 3511-3, L. 3511-4 et L. 3512-2 du Code de la Santé Publique, 121-1-1 9ème du Code de la consommation, 1382 et 1383 du Code civil , la SNC Herande demande à la cour d'appel de:
- confirmer le jugement dans toutes ses dispositions à l'exception de celles portant sur le montant du préjudice commercial subi par la SNC Herande.
- juger que la promotion et la publicité par la société Esmokeclean des cigarettes électroniques et e-liquides dans les deux boutiques situées à Colomiers et Plaisance du Touch et sur son site internet et la page Facebook associée, activité interdite, est illicite et constitutive d'un acte de concurrence déloyale au préjudice de la SNC Herande.
- juger que la commercialisation par monsieur Eric F. et la Société Esmokeclean des cigarettes électroniques et e-liquides, tant dans les boutiques que sur le site internet porte sur des produits soumis au monopole des buralistes, est illicite et constitutive d'un acte de concurrence déloyale au préjudice de la SNC Herande.
- ordonner à la Société Esmokeclean de cesser toute promotion des cigarettes électroniques et e-liquides dans ses deux boutiques situées à Colomiers et à Plaisance du Touch et sur son site internet et la page Facebook associée, ainsi que par tous autres procédés dans 8 jours de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard, passé ce délai.
- ordonner à la Société Esmokeclean de cesser toute commercialisation des cigarettes électroniques et e-liquides dans ses boutiques et sur son site internet dans les 60 jours la signification de la décision à intervenir, sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard, passé ce délai.
- condamner Société Esmokeclean à verser à la SNC Herande :
+ 5 000 euros à titre d'indemnité forfaitaire,
+ 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
- condamner la société Esmokeclean aux dépens de la procédure de référés.
L'intimée fait essentiellement valoir que :
- La responsabilité délictuelle de la société Esmokeclean doit être engagée pour concurrence illégale et déloyale :
Sur la publicité :
- les cigarettes électroniques sont un produit assimilé au tabac dans la mesure où par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou d'un autre signe distinctif, il rappelle le tabac. (produit dénommé " cigarettes ", enseigne qui reprend le verbe anglais smoke, rappelle les traditionnels fume-cigarettes, emblèmes rappelant incontestablement des marques de cigarettes).
- les produits assimilés au tabac sont soumis aux mêmes restrictions de publicité que le tabac donc la société Esmokeclean viole l'interdiction de publicité indirecte en faveur du tabac.
- l'interdiction prévue au code de la santé publique est conforme au droit européen dans la mesure où, bien que le droit communautaire a la primauté sur le droit national et que les directives européenne ne prévoient pas de réglementation spécifique aux cigarettes électroniques, il va plus loin par l'introduction de normes encore plus favorables pour la santé publique.
Sur la commercialisation :
- le monopole est applicable aux produits assimilés au tabac (cigarettes et produits à fumer, même s'ils ne contiennent pas de tabac).
- les cigarettes électroniques classiques ne relevant pas de la catégorie des médicaments sont bien des produits à fumer même si elles ne contiennent pas de tabac.
- la société Esmokeclean viole l'interdiction de vendre des produits du tabac dans la mesure où le monopole d'Etat s'exerce exclusivement par l'intermédiaire de préposés désignés à cet effet, les débitants de tabac.
- il n'existe aucun vide juridique mais des dispositions du droit national conformes au droit européen et immédiatement applicables en matière de monopole et en matière d'interdiction de publicité.
Sur la concurrence déloyale : les actes de concurrence déloyale de la société Esmokeclean créent un trouble commercial pour la SNC Herande, notion de trouble commercial qui permet, même en l'absence de préjudice évaluable, de faire droit à des actions en concurrence déloyale.
- la prolongation de la situation illicite créée ne peut qu'être préjudiciable à la société Herande, l'action en concurrence déloyale ayant aussi vocation, outre la réparation du préjudice, de supprimer la situation illicite.
- la demande principale porte sur la demande de cessation du trouble alors que la demande de réparation du préjudice est accessoire.
Motifs de la décision
Selon le rapport et avis d'experts en date de mai 2013 sur la e-cigarette rédigé par un groupe d'experts réunis par l'office français de prévention du tabagisme avec le soutien de la direction générale de la santé, " le terme d'e-cigarette ou cigarette électronique désigne un produit fonctionnant à l'électricité sans combustion, destiné à simuler l'acte de fumer du tabac . Il produit un brouillard de fines particules, appelé communément " vapeur " ou " fumée artificielle " ressemblant visuellement à la fumée produite par la combustion du tabac. Cette " vapeur " peut être aromatisée (arôme de tabac, de menthe, de fruits, de chocolat, etc...) et contenir ou non de la nicotine ".
Sur la recevabilité des demandes
Le non-respect d'une réglementation administrative par une entreprise commerciale cause un préjudice de concurrence déloyale pour les autres entreprises qui s'y soumettent. Par ailleurs, les faits de concurrence déloyale, à les supposer établis, générateurs d'un trouble commercial, impliquent l'existence d'un préjudice.
La SNC Herande exploite un commerce de débit de tabacs et presse à l'enseigne de tabac Le Totem, [...]. Elle sollicite la cessation, sous astreinte, par la SAS Esmokeclean de la promotion et de la publicité pour les cigarettes électroniques et des produits e-liquides qu'elle vend dans ses deux boutiques implantées à Colomiers et Plaisance du Touch, au 46 de la même avenue, et sur son site internet et sa page Facebook, ainsi que la cessation, sous astreinte, de la commercialisation de ces cigarettes électroniques et produits et la condamnation de la SAS Esmokeclean à lui payer la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité forfaitaire en réparation du préjudice causé par ces actes de concurrence déloyale .
L'assignation introductive d'instance délivrée à la demande de la SNC Herande vise l'article 1382 du Code civil, les fautes invoquées consistant en une rupture d'égalité entre commerçants concurrents du fait de la violation de textes d'ordre public pris en faveur des consommateurs, à savoir le monopole de la vente des produits assimilés aux tabacs manufacturés, et de la santé publique, à savoir l'interdiction de la publicité indirecte en faveur d'un produit rappelant le tabac .
Dès lors, la SNC Herande est recevable à agir du chef de concurrence déloyale à l'encontre de la SAS Esmokeclean, cet intérêt n'étant pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action.
Sur la commercialisation des cigarettes électroniques et des produits e-liquides
L'article 564 decies du Code général des impôts dispose que :
Sont assimilés aux tabacs manufacturés :
- Les produits destinés à être fumés, prisés ou mâchés, même s'ils ne sont que partiellement constitués de tabac ;
- Les cigarettes et produits à fumer, même s'ils ne contiennent pas de tabac, à la seule exclusion des produits qui sont destinés à un usage médicamenteux. "
Les articles 568 et 568 ter du Code général des impôts précisent que :
" La vente au détail des tabacs manufacturés est réservée à l'Etat.
Le monopole de vente au détail est confié à l'administration qui l'exerce, dans les conditions et selon les modalités fixées par décret, par l'intermédiaire de débitants désignés comme ses préposés et tenus à droit à licence.
La vente à distance des produits du tabac manufacturé, y compris lorsque l'acquéreur est situé à l'étranger, est interdite en France métropolitaine et dans les départements d'outre-mer.
Pour le tribunal de commerce, la formulation " les produits destinés à être fumés, même s'ils ne contiennent pas de tabac ", contenue dans l'article 564 decies du Code général des impôts, recouvre tous les produits dégageant un fluide gazeux chaud que l'on peut inhaler, tout en relevant que l'Académie française précise que fumer, c'est " faire brûler du tabac ou une substance comparable en portant à ses lèvres une cigarette, une pipe, etc., et en aspirant la fumée qui s'en dégage " . Ainsi, la juridiction consulaire a jugé que la cigarette électronique était naturellement concernée par cet article.
Or, une seule définition d'un mot de la langue française, en l'espèce fumer, même si elle fait partie du dictionnaire de l'Académie française, ne permet pas d'affirmer que la cigarette électronique est un produit visé par le second alinéa de l'article 564 du Code général des impôts, alors au surplus que le rapport établi par des experts en mai 2013 sus-cité donne les définitions de la fumée, de la vapeur et de l'aérosol, extraites non seulement du dictionnaire de l'Académie française mais aussi du Larousse .
De même, il importe peu que la société Google, qui n'a aucune compétence dans le domaine scientifique, ait décidé de ne pas autoriser les publicités sur ses diverses applications faisant la promotion du tabac ou des alternatives au tabac et à la cigarette, telles que les cigarettes sans tabac et les cigarettes électroniques, même si elles sont présentées comme un moyen d'arrêter le tabac.
Surtout, et tout d'abord, le rapport et avis d'experts de mai 2013 sus-cité indique à plusieurs reprises que l'e-cigarette n'est pas un produit de tabac:
'page 153: aucun pays européen ne classe les e-cigarettes comme produits du tabac et ne pourrait le faire car la définition européenne commune précise que ces produits doivent contenir du tabac, ce que n'est pas le cas de l'e-cigarette,
'page 156 : bien que la composition des émissions d'une e-cigarette réponde mieux à la définition d'une fumée que d'une vapeur, il est difficile de considérer que l'e-cigarette est un " produit fumé " car il n'y a pas de combustion,
'page 156 : on ne peut considérer en France l'e-cigarette comme un produit du tabac.
Ensuite, la directive européenne 2014/40/UE du parlement européen et du conseil du 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, règlementaires et administratives des Etats membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, transposée par l'ordonnance 2016- 623 du 26 mai 2016, comprend quatre titres : 1 -dispositions communes, 2-produits du tabac, 3-cigarettes électroniques et produits à fumer à base de plantes, 4-dispositions finales . Il ressort ainsi de ce plan que les cigarettes électroniques ne sont pas des produits du tabac.
Enfin, dans son avis du 22 février 2016 relatif aux bénéfices-risques de la cigarette électronique ou e-cigarette étendus en population générale, en page 10, le haut conseil de la santé publique indique que " si les cigarettes électroniques ou leurs recharges ne peuvent être qualifiées de médicament lorsqu'elles ne présentent pas l'un des critères alternatifs sus-énoncés, elles ne peuvent pas non plus être assimilées à un produit du tabac, comme en témoigne le contentieux ". L'avis cite l'arrêt inédit de la chambre criminelle de la cour de cassation en date du 26 novembre 2014 (14-81.888) rejetant le pourvoi formé à l'encontre d'une décision de relaxe de l'infraction d'interdiction de fumer dans l'enceinte d'une gare SNCF, ayant jugé que la cigarette électronique ne saurait être assimilée à une cigarette traditionnelle.
En l'état de la législation actuelle, seules sont interdites la vente des cigarettes électroniques et des produits e-liquides aux mineurs (article L. 3511-2-1 du code de la santé publique) ainsi que la publicité en faveur des produits du vapotage (article L. 3513-4 du code de la santé publique). Dès lors, ces produits doivent être considérés comme étant de consommation courante sans réglementation de leur circuit de distribution.
En conséquence, aucun acte de concurrence déloyale ne peut être imputé à la SAS Esmokeclean pour la commercialisation de cigarettes électroniques et de produits e-liquides.
Sur la promotion et la publicité des produits e-liquides
Selon les deux premiers alinéas de l'article L. 3511-1 du code de la santé publique, dans leur rédaction applicable à l'espèce, sont considérés comme produits du tabac les produits destinés à être fumés, prisés, mâchés ou sucés, dès lors qu'ils sont, même partiellement, constitués de tabac, ainsi que les produits destinés à être fumés même s'ils ne contiennent pas de tabac, à la seule exclusion des produits qui sont destinés à un usage médicamenteux, au sens du troisième alinéa (2°) de l'article 564 decies du Code général des impôts.
Est considéré comme ingrédient toute substance ou tout composant autre que les feuilles et autres parties naturelles ou non transformées de la plante du tabac, utilisés dans la fabrication ou la préparation d'un produit du tabac et encore présents dans le produit fini, même sous une forme modifiée, y compris le papier, le filtre, les encres et les colles.
Selon les dispositions de l'article L. 3511-3 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à l'espèce, la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, des produits du tabac ou des ingrédients définis au deuxième alinéa de l'article L. 3511-1 ainsi que toute distribution gratuite ou vente d'un produit du tabac à un prix inférieur à celui mentionné à l'article 572 du Code général des impôts sont interdites.
Ces dispositions ne s'appliquent pas aux enseignes des débits de tabac, ni aux affichettes disposées à l'intérieur de ces établissements, non visibles de l'extérieur, à condition que ces enseignes ou ces affichettes soient conformes à des caractéristiques définies par arrêté interministériel.
Selon le premier alinéa des dispositions de l'article L. 3511-4 du même code, dans sa rédaction applicable à l'espèce, est considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou la publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac, un produit du tabac ou un ingrédient défini au deuxième alinéa de l'article L. 3511-1 lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou un autre signe distinctif, elle rappelle le tabac, un produit du tabac ou un ingrédient défini au deuxième alinéa de l'article L. 3511-1.
L'interdiction de la propagande et de la publicité en faveur des produits du vapotage par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, entrée en vigueur le 20 mai 2016 (article L3513-4 du code de la santé publique complété) n'a aucune incidence sur l'interdiction des publicités indirectes rappelant le tabac, interdiction sur laquelle la SNC Herande fonde en partie son action.
Or, il résulte du constat d'huissier dressé le 17 octobre 2013 que sur le site Internet et sur la page Facebook mis en ligne par la SAS Esmokeclean, des produits e-liquides étaient en vente.
Parmi ceux-ci, se trouvaient des produits e -liquides avec les étiquettes reproduites ci-dessous :
Or, il doit être constaté que l'un de ces logos, rouge et blanc, reprend à l'identique les codes couleur et la police de la marque de cigarettes Marlboro, et comporte en outre un " M ", ainsi que le mot " tabac ", et que l'autre logo reprend les codes couleur et la police de la marque Camel, tout en faisant figurer un dromadaire, emblème de cette marque de tabacs, au-dessus de l'inscription " tabac " .
A l'évidence, les étiquettes de ces deux produits, par leur graphisme et l'utilisation d'une partie d'une marque ou d'un emblème publicitaire rappellent un produit du tabac au sens de l'article L. 3511-1 du Code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à l'espèce.
En revanche, les étiquettes des autres produits e-liquides en vente portant mention du seul mot Tabac auquel est accolé : 1975, Hampton, Maté Vert, Thé vert, Vanille, Virginia, Cuba, Gold ou Master Blend, ne constituent pas des publicités interdites, en l'absence d'une présentation des saveurs ou arômes de ces produits par référence au tabac.
En conséquence s'il doit être fait interdiction, sous astreinte selon les modalités définies au dispositif, à la SAS Esmokeclean de faire toute publicité directe ou indirecte en faveur du tabac sous quelque forme que ce soit et sur tout support, cette interdiction ne peut concerner que les deux flacons de recharge reproduits ci-dessus.
Sur l'indemnisation de la SNC Herande
La SNC Herande sollicite une indemnité à titre forfaitaire de 5 000 euros, en ne fournissant comme élément d'appréciation du préjudice allégué que les chiffres d'affaires réalisés de juin 2012 à fin septembre 2012 et pour la même période de l'année suivante. Il doit être relevé que pour les ventes de tabac il apparaît une baisse de 1,92 %, le cabinet d'expertise comptable, qui a effectué cette comparaison, précisant en outre que la baisse des ventes du tabac est encore plus forte en volume puisque le prix des cigarettes a augmenté d'environ 6 % en octobre 2012 et 3 % en octobre 2013.
Par ailleurs, et surtout, les actes de concurrence déloyale ne concernent que deux produits e-liquides.
Dès lors, il sera alloué à la SNC Herande la somme d'un euro en réparation du préjudice occasionné par ces seuls faits.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a condamné la SAS Esmokeclean au paiement de la somme d'un euros en réparation du préjudice causé, aux dépens et au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles, et de l'infirmer sur la commercialisation de la cigarette électronique et des produits e-liquides ainsi que sur l'étendue de l'interdiction de la publicité en faveur des produits e-liquides .
Enfin, la SAS Esmokeclean, bien que succombant très partiellement, sera condamnée aux dépens d'appel.
Par ces motifs : Déclare recevable l'action introduite par la SNC Herande du chef de concurrence déloyale, Confirme le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a condamné la SAS Esmokeclean au paiement de la somme d'un euros en réparation du préjudice causé, aux dépens et au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles, L'infirme sur la commercialisation de la cigarette électronique et des produits e-liquides et sur l'étendue de l'interdiction de la publicité en faveur des produits e-liquides, Et statuant sur les chefs infirmés, Déboute la SNC Herande de ses demandes relatives à la commercialisation des cigarettes électroniques et des produits e-liquides, Interdit à la SAS Esmokeclean de faire toute publicité directe ou indirecte en faveur du tabac sous quelque forme que ce soit et sur tout support, notamment sur un site Internet et une page Facebook, dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, sous peine passé ce délai d'une astreinte provisoire de 100 euros par produit interdit de publicité, au nombre de deux, et par jour de retard et pendant un délai de 90 jours, Y ajoutant, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la SAS Esmokeclean et la SNC Herande de leurs demandes sur ce fondement, Condamne la SAS Esmokeclean aux dépens d'appel.