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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 20 juillet 2016, n° 16-00809

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pukka Herbs Limited (Sté)

Défendeur :

Abiocom (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cousteaux

Conseillers :

Mme Pellarin, M. Sonneville

Avocats :

Mes Vibert, Molinière

T. com. Toulouse, du 14 déc. 2015

14 décembre 2015

FAITS ET PROCEDURE

Depuis septembre 2008, la SARL Abiocom a pour activité la distribution de produits biologiques, écologiques ou naturels, dans les magasins biologiques sur tout le territoire français.

La société Pukka Herbs LDT, société anglaise de Bristol, a pour activité principale la fabrication de tisanes biologiques et de compléments alimentaires biologiques.

A compter du mois de mars 2009, la société Pukka Herbs a contacté la société Abiocom pour lui confier la distribution de ses tisanes biologiques sur le marché français. La société Abiocom a accepté de les distribuer.

Les parties sont donc entrées en relations commerciales, exclusives sur le marché français, mais sans jamais signer de contrat de distribution proposé par Pukka Herbs.

Après un démarrage rapide, les ventes ont connu une très forte croissance jusqu'en février 2014, date à laquelle la société Pukka Herbs a fait part à Abiocom de son souhait de modifier sa politique commerciale et son mode de distribution.

Le chiffre d'affaire atteignait alors 420 000 euro annuels, réalisés avec 27 produits et 700 clients, dont les grands comptes : La Vie Claire, Biocoop, Naturalia, etc.

Après plusieurs échanges de courriers, les positions des parties se sont avérées inconciliables et la société Abiocom a donc attrait la société Pukka Herbs devant le Tribunal de commerce de Toulouse sur le fondement des articles 1134, 1146 et suivants du Code civil, article L. 442-6 du Code de commerce, aux fins de voir condamner cette dernière pour rupture abusive de ses relations commerciales avec la société Abiocom et la voir condamner à lui payer la somme de 450 000 euro en réparation de l'ensemble des préjudices subis.

Par jugement du 14 décembre 2015, le Tribunal de commerce de Toulouse a :

- débouté la société Pukka Herbs de son exception d'incompétence au profit des tribunaux britanniques ;

- s'est déclaré incompétent pour juger de la présente instance au profit du Tribunal de commerce de Bordeaux, en vertu des dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce ;

- a dit qu'en application des dispositions de l'article 97 du Code de procédure civile, le dossier sera transmis à la dite Juridiction par le Greffe ;

- a réservé les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Pukka Herbs Ltd a formé contredit le 18 février 2016.

La SARL Abiocom a transmis ses dernières écritures par RPVA le 27 juin 2016.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, au visa du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I, La société Pukka Herbs Ltd demande à la cour de :

- dire le contredit recevable,

- déclarer le Tribunal de commerce de Toulouse incompétent au profit des juridictions d'Angleterre et du Pays de Galles,

- renvoyer par suite la SARL Abiocom à mieux se pourvoir devant les juridictions d'Angleterre et du Pays de Galles.

La société Pukka Herbs Ltd fait essentiellement valoir que :

- dans les deux contrats liant les parties, la clause d'attribution juridictionnelle remplit les conditions de fond,

- même si le contrat portant sur la distribution exclusive des produits Pukka Herbs conclu le 25 avril 2013 n'a pas été signé par les parties, il a été exécuté de façon effective, et les parties sont convenues de la compétence exclusive des tribunaux d'Angleterre et du Pays de Galles.

- le défaut de signature d'un contrat ne peut être opposable pour contester la validité d'une clause attributive de juridiction,

- en matière contractuelle, la compétence juridictionnelle est celle du lieu du domicile du débiteur de l'obligation caractéristique qui n'est pas la livraison de marchandises,

- pour un contrat de distribution, cette obligation est principalement localisée chez le fournisseur en raison de la mise à disposition par lui de produits au distributeur.

Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, au visa du Règlement CE n° 593/2008 du 17 juin 2008 dit Rome I, du Règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I, du Règlement CE en date du 11 juillet 2007 dit Rome II, des articles 1134, 1146 et suivants du Code civil, de l'article 46 du Code de procédure civile, les articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce, la SARL Abiocom demande à la cour d'appel de :

- débouter la Société Pukka Herbs LTD de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- juger que les juridictions françaises sont compétentes,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce en date du 14 décembre 2015 en ses dispositions,

- condamner la société Pukka Herbs LTD à payer à la Sarl Abiocom la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC et aux entiers dépens.

La SARL Abiocom fait essentiellement valoir que :

- nonobstant l'absence de contrat de distribution accepté et signé entre les parties, dès le début de leur relation commerciale entamée courant 2009, au terme d'échanges de courriels et de rencontres, la SARL Abiocom et la société Pukka Herbs LTD, sociétés commerciales, ont alors arrêté les modalités essentielles de distribution commerciale des produits Pukka sur le territoire français par la société Abiocom.

- ce n'est pas le Règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I général qui tend à s'appliquer, mais plutôt le Règlement particulier et postérieur CE du 17 juin 2008 dit Rome I, qui énonce des règles propres aux contrats de distribution.

- la loi française est seule applicable, conformément à toutes les règles du droit commun européen, puisque la France est :

- le lieu du domicile du distributeur,

- le lieu de l'exécution de l'accord de distribution,

- le lieu du préjudice subi.

- quel que soit au demeurant le règlement européen considéré et applicable au cas d'espèce, la loi française et les juridictions françaises, sont seules compétentes en application de la réglementation européenne et de la jurisprudence actuelle, pour juger des conséquences de la rupture abusive d'un accord de distribution commerciale entre les sociétés Abiocom et Pukka Herbs.

MOTIFS de la DECISION

D'une part, il doit être constaté qu'aucun contrat n'a été signé entre les parties, domiciliées dans deux Etats membres de l'Union européenne.

Les parties ayant engagé des relations commerciales à compter de mars 2009 s'il peut être considéré qu'un contrat a été conclu verbalement entre elles pour du commerce international, aucune clause attributive de compétence n'a été valablement conclue, celle insérée dans un simple projet de contrat de distribution adressé par la société Pukka Herbs Ltd à la SARL Abiocom, en avril 2013 ne pouvant pas être opposable à cette dernière qui n'a exprimé aucun consentement à sa mise en œuvre.

D'autre part, il convient de faire application des dispositions du règlement CE n° 44/2001, qui établit les règles de droit commun en matière de compétence juridictionnelle européenne, et plus précisément de son article 5, relatif aux compétences spéciales, disposant que : " Une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre :

1 a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée,

b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :

- " pour la vente de marchandises, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées " ;

- " pour la fourniture de services, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ".

Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 19 décembre 2013, Corman-Collins, C-9/12), la règle de compétence édictée à l'article 5, § 1, b, second tiret, du règlement Bruxelles I, pour les litiges relatifs aux contrats de fourniture de services, est applicable à une action en justice par laquelle le demandeur, établi dans un Etat membre, fait valoir, à l'encontre d'un défendeur établi dans un autre Etat membre, des droits tirés d'un contrat de concession, ce qui implique que le contrat liant les parties comporte des stipulations particulières concernant la distribution par le concessionnaire, choisi par le concédant à la suite d'une sélection, des marchandises vendues par ce dernier ; aux termes de cette jurisprudence, la prestation caractéristique fournie par le concessionnaire consiste à assurer la distribution des produits du concédant et, partant, à participer au développement de leur diffusion.

En l'espèce, l'objet du contrat verbal liant les parties était la distribution en France par la SARL Abiocom des produits de la société Pukka Herbs Ltd, ainsi que l'illustrent notamment un message électronique de cette dernière en date du 21 juin 2011 rédigé en ses termes " j'ai le plaisir de vous communiquer que la SARL Abiocom est le distributeur de nos produits en France " ainsi qu'un message du 29 juillet 2011 ainsi rédigé " voici les coordonnées de notre distributeur en France ".

La SARL Abiocom invoque des droits liés à la rupture du contrat de distribution, certes verbal, conclu nécessairement à l'issue d'un processus de sélection et mettant tout aussi nécessairement en œuvre des stipulations particulières concernant la distribution, sur le territoire français, des produits de la société Pukka Herbs Ltd, de sorte que la règle de compétence énoncée à l'article 5, § 1, b, second tiret, du règlement Bruxelles a vocation à s'appliquer et à fonder la compétence de la juridiction française saisie, en tant que tribunal du lieu de réalisation de la prestation caractéristique du distributeur.

En dernier lieu, il doit être relevé que cette interprétation de la règle de compétence ne heurte pas le principe de cohérence entre juridiction compétente et loi applicable édicté par le considérant 7 du règlement CE n° 864/2007 Rome II.

En conséquence, il convient de rejeter le contredit formé par la société Pukka Herbs Ltd, étant relevé que la SARL Abiocom ne consteste pas la décision du Tribunal de commerce renvoyant l'affaire devant le Tribunal de commerce de Bordeaux par application des dispositions des articles D. 442-3 et L. 442-6 du Code de commerce.

Enfin, la société Pukka Herbs Ltd qui n'obtient pas satisfaction, la société Pukka Herbs Ltd sera condamnée aux dépens du contredit.

Par ces motifs, LA COUR, Rejette le contredit formé par la société Pukka Herbs Ltd, Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Toulouse, Y ajoutant, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Pukka Herbs Ltd au paiement de la somme de 1 000 euros sur ce fondement, Condamne la société Pukka Herbs Ltd aux dépens du contredit.