CA Bourges, ch. civ., 28 juillet 2016, n° 16-00337
BOURGES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ecosystème (SAS)
Défendeur :
Agence commerciale du Sud-Ouest (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Decomble
Conseillers :
MM. de Romans, Perinetti
Avocats :
Mes Levoir, Rahon, Rivière
EXPOSE DU LITIGE
La SAS Ecosystème, en qualité de mandant, et la SARL Agence Commerciale du Sud, en qualité de mandataire, ont conclu le 3 décembre 2013 un contrat d'agent commercial, ayant pour objet l'exclusivité de la vente de machines de dépollution de moteur d'automobiles ou de poids lourds proposée essentiellement aux garagistes sur les secteurs des départements de la Gironde, des Landes, du Lot et Garonne, de la Dordogne et des Pyrénées Atlantiques. Ce contrat prévoyait un quota de quatre ventes par mois de même qu'une clause de non-concurrence. Par avenant du 1er avril 2014, la dénomination commerciale de l'agent était modifiée, le département du Gers ajouté au secteur et les taux de commissions modifiés.
Au cours des six premiers mois une quinzaine de ventes étaient réalisées. Estimant que le quota de vente n'était pas atteint la société Ecosystème dénonçait le contrat par courrier du 1er juillet 2014 pour le rétablir, après négociation, le 10 juillet suivant. Une trentaine de ventes étaient réalisées les six mois suivants.
Un litige survenait entre les parties concernant le recrutement par la société Ecosystème d'un agent commercial sur le secteur concédé en exclusivité à l'agent commercial. Un avenant au contrat était alors établi le 8 octobre 2014, à effet du 1er novembre suivant reporté au 15 décembre 2014, par lequel l'agent commercial renonçait à l'exclusivité surs les départements du Gers et des Landes en contrepartie de quoi le mandant lui fournissait un véhicule de service et le quota de ventes était ramené à 33 par an.
Un nouveau litige survenait alors du fait du recrutement par la société Ecosystème d'un agent commercial sur le département de la Gironde, le mandant reprochant à la société Agence Commerciale du Sud un manque de résultat sur ce département. Des annonces de recrutement d'agents commerciaux exclusifs sur les secteurs confiés à l'agent commercial paraissant dans la presse fin décembre, la société Agence Commerciale du Sud considérait son contrat comme rompu et le faisait savoir à son mandant fin février 2015, lui restituant le véhicule mis à sa disposition de même que la machine de démonstration.
La société Agence Commerciale du Sud a saisi le Tribunal de commerce de Nevers d'une demande tendant à obtenir paiement d'une indemnité de préavis de deux mois (9 328 euro HT) et d'une indemnité de rupture de 14 mois (65 300 euro).
Par jugement du 10 février 2016 le tribunal a :
Dit que la rupture du contrat d'agent commercial est imputable à la société Ecosystème,
Fixé la date de rupture au 28 février 2015,
Condamné la société Ecosystème à payer à la société Agence Commerciale du Sud les sommes de :
- 65 300 euro au titre de l'indemnité de rupture de l'article L. 134-12 du Code de commerce,
- 3 328 euro HT au titre de l'indemnité de préavis prévue à l'article L. 134-11 du même Code,
Débouté la société Ecosystème de sa demande reconventionnelle,
Condamnée celle-ci à payer 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le tribunal a considéré que la rupture du contrat était le fait de la société mandante qui avait violé la clause d'exclusivité et qui ne pouvait reprocher une faute grave à son agent commercial, seule possibilité pour le priver du droit à indemnité de rupture.
La SAS Ecosystème a relevé appel de ce jugement le 7 mars 2016.
La SARL Agence Commerciale du Sud a alors sollicité par requête du 9 mai 2016 du premier président de cette cour l'autorisation d'assigner à jour fixe la société Ecosystème et une ordonnance d'autorisation est intervenue le 10 mai suivant fixant l'audience devant la cour au 15 juin 2016 à 14 h. L'assignation a été délivrée le 17 mai 2016 et lors de l'audience du 15 juin l'affaire a été reportée au 5 juillet 2016.
L'appelante a conclu en dernier lieu le 24 juin 2016. Elle demande à la cour de, infirmant le jugement :
Dire et juger que la rupture du contrat est intervenue dans les conditions de l'article L. 134-13 §2 du Code de commerce, c'est-à-dire à l'initiative de l'agent commercial non justifiée par des circonstances imputables au mandant par suite desquelles la poursuite de l'activité ne pouvait plus être raisonnablement poursuivie, le privant de son droit à indemnité,
Constater que la SARL Agence Commerciale du Sud n'a pas respecté le préavis contractuel de rupture et en conséquence la condamner à lui payer une indemnité compensatrice de 5 000 euro,
Subsidiairement,
Dire et juger qu'elle porte une part de responsabilité dans la cessation du contrat conduisant à fixer le montant de l'indemnité de rupture prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce à 32 650 euro,
Et qu'elle n'est pas fondée à réclamer une indemnité de préavis,
En tout état de cause,
Ordonner la mainlevée de l'inscription provisoire de nantissement judiciaire prise la 8 mars 2016 au greffe du Tribunal de commerce de Nevers,
Condamner la SARL Agence Commerciale du Sud à lui payer 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SARL Agence Commerciale du Sud a conclu en dernier lieu le 10 juin 2016. Elle demande à la cour de confirmer le jugement sauf à préciser que les intérêts prendront effet à la date de rupture soit le 28 février 2015 par application de l'article 1153 du Code civil, et de condamner l'appelante à lui payer 14 558,97 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Lors de l'audience du 5 juillet 2016 les parties ont repris et développé leurs écritures respectives.
MOTIFS
Pour une bonne administration de la justice il convient de joindre les deux dossiers enregistrés au greffe sous les numéros 16/337 et 16/730 qui seront appelés sous le premier d'entre eux.
En application des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce il est dû à l'agent commercial à la cessation de ses relations avec son mandant une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. Toutefois cette indemnité n'est pas due, aux termes de l'article suivant, notamment dans deux hypothèses, la faute grave commise par l'agent, et la cessation du contrat à son initiative, à moins que celle-ci ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée.
En l'occurrence la rupture du contrat d'agent commercial est intervenue à l'initiative de l'agent, la société Agence Commerciale du Sud, celui-ci se prévalant de faits imputables à son mandant la société Ecosystème.
Des pièces versées au débat et des explications des parties, il ressort que la société Ecosystème a, une première fois effectué l'embauche d'un agent commercial en la personne de M. G., dans le cadre d'un contrat d'agent commercial exclusif sur partie du secteur confié en exclusivité à la société Agence Commerciale du Sud, le département des Pyrénées Atlantiques. Quoique cela ne soit pas précisé à l'avenant du 1er octobre 2014, les parties s'accordent pour indiquer que celui-ci résulte d'une négociation relative à l'engagement de M. G. L'exclusivité de l'activité de la société Agence Commerciale du Sud était rappelée à cet avenant de même que l'obligation pour son mandant de s'interdire de recruter un autre agent sur les départements concernés par cette exclusivité. Or, et alors que les effets de l'avenant ont été reportés, aux dires des parties, au 15 décembre 2014, la société Ecosystème a fait paraître le 29 décembre suivant des annonces de recrutement d'agents commerciaux exclusifs sur l'ensemble des départements (pièces n° 13 à 18 de l'intimée), et un agent commercial, M. Hervé G., a été engagé à effet du 2 février 2015 sur le département de la Gironde, son contrat lui confiant l'exclusivité des ventes sur ce département.
Malgré ses demandes d'explications adressées à son mandant, l'Agence Commerciale du Sud n'a pas eu de réponse satisfaisante de la part de la société Ecosystème concernant cette embauche en violation de sa clause d'exclusivité. Aucune assurance ne lui a été donnée, tout au contraire, sur le fait qu'elle pourrait bénéficier des retombées financières, dans le cadre des commissions qui lui sont dues pour toute vente réalisée sur son secteur, de l'embauche de cette personne. Il en ressort que la société Ecosystème est à l'origine de circonstances rendant impossible la poursuite des relations commerciales entre les deux parties lui rendant imputable la rupture du contrat intervenue à l'initiative de l'agent par suite de la violation de sa clause d'exclusivité.
Contrairement à ce qu'elle soutient, la société Ecosystème ne peut se prévaloir du comportement de son agent commercial et de ses prétendues insuffisances de résultat, d'autant qu'elle n'invoque pas la faute grave, seule circonstance permettant de faire échec au paiement de l'indemnité prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce. Elle ne peut non plus affirmer que M. G. devait être le sous-agent de la société Agence Commerciale du Sud dans la mesure où cela n'est aucunement précisé au contrat d'embauche de cette personne qui n'a aucunement confirmé cette possibilité. Si elle avait motif de se plaindre de l'activité de son agent commercial exclusif en terme d'insuffisance de résultat, il lui appartenait de mettre en œuvre les procédures appropriées, lesquelles ne comprennent pas la violation de la clause d'exclusivité la liant à son agent. Elle n'est pas plus fondée à venir soutenir que la faute, non justifiée, de l'agent commercial, viendrait diminuer son droit à indemnisation du préjudice qui résulte de la cessation de son contrat imputable aux seuls agissements du mandant.
Par ces motifs substitués à ceux des premiers juges et sans avoir à répondre aux autres arguments de la société Ecosystème, le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que la rupture du contrat d'agent commercial lui était imputable.
Concernant l'évaluation du préjudice de la société Agence Commerciale du Sud il n'est pas discuté par la société Ecosystème que la moyenne mensuelle des commissions était de 4 664 euro. Compte tenu de la durée d'exécution du contrat, c'est par une juste appréciation du préjudice subi par l'agent commercial, que les premiers juges lui ont alloué deux mois de commissions hors taxes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et quatorze mois au titre de l'indemnité de rupture destinée à l'indemniser de la rupture anticipée de son contrat.
Le jugement sera confirmé également de ce chef. Il sera dit en outre que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice du 10 avril 2015.
La rupture étant imputable à la société Ecosytème elle sera déboutée de sa demande reconventionnelle en paiement d'une indemnité de préavis à la charge de l'agent commercial, et de sa demande de mainlevée l'inscription provisoire de nantissement.
Il est équitable d'allouer à l'intimée une nouvelle indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, celle allouée en première instance étant confirmée.
Les dépens resteront à la charge de l'appelante.
Par ces motifs, LA COUR, Ordonne la jonction des procédures enregistrées au greffe sous les n° 16/337 et 16/730 et dit qu'elles seront appelées sous le premier d'entre eux, Confirme le jugement, Y ajoutant, Dit que les sommes allouées au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité de rupture porteront intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2015, Déboute la SAS Ecosystème de sa demande en paiement de la somme de 5 000 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de sa demande en mainlevée de l'inscription provisoire de nantissement, Condamne la SAS Ecosystème à payer à la SARL Agence Commerciale du Sud la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, La condamne aux dépens.