CAA Bordeaux, 2e ch., 23 août 2016, n° 14BX00872
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Centre International de Transaction Immobilière
Défendeur :
Ministère des Finances et des Comptes publics
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pouget
Rapporteur :
Mme Lacau
Rapporteur public :
M. Katz
Avocat :
Me Laudet
LA COUR :
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le centre international de transaction immobilière (CITI) a demandé au Tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion d'annuler la décision implicite du 25 avril 2012 par laquelle le directeur des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la Guyane (DECCTE) a rejeté son recours gracieux du 24 février 2012 dirigé contre la décision de cette même autorité en date du 21 décembre 2011 lui enjoignant de retirer de tout nouveau contrat-type de location plusieurs clauses abusives ou illicites et de s'abstenir de les opposer aux locataires en place. Par un jugement n° 1200578 du 9 janvier 2014, le Tribunal administratif de Saint-Denis a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 17 mars 2014 et 22 avril 2016, le CITI, représenté par Me X, demande à la cour d'annuler ce jugement du 9 janvier 2014 du Tribunal administratif de Saint-Denis, d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 25 avril 2012 et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier :
Vu :
- le Code de la consommation ;
- le Code des procédures civiles d'exécution ;
- la loi du n° 89-462 du 6 juillet 1989 ;
- la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 ;
- le Code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Thérèse Lacau,
- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 21 décembre 2011, le directeur des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DECCTE) de la Réunion a, sur le fondement du V de l'article L. 141-1 du Code de la consommation, enjoint à la société Centre international de transaction immobilière (CITI), qui exerce une activité de gestion locative, de retirer de tout nouveau contrat-type de location plusieurs clauses abusives ou illicites et de s'abstenir de les opposer aux locataires en place. La société CITI fait appel du jugement du 9 janvier 2014 par lequel le Tribunal administratif de Saint-Denis a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 24 février 2012 à l'encontre de la décision du 21 décembre 2011.
Sur la régularité du jugement :
2. Les dispositions de l'article R. 611-7 du Code de justice administrative prévoyant l'information des parties lorsque la décision de justice paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office impliquent qu'un délai suffisant leur soit laissé pour présenter utilement des observations avant que l'instruction soit close. En l'espèce, par un courrier du 21 novembre 2013, les parties ont été informées de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré " du champ d'application de la loi pour annulation de l'injonction en tant qu'elle concerne les clauses abusives " et invitées à présenter leurs observations jusqu'au 23 novembre suivant. La circonstance que le tribunal n'ait ainsi accordé qu'un délai de deux jours aux parties pour répondre à ce moyen est sans incidence sur la régularité du jugement dès lors que ledit délai ne présentait pas un caractère impératif et qu'il ressort des pièces du dossier que l'instruction n'a été close que le 25 novembre 2013 à minuit. La société CITI, qui a d'ailleurs présenté ses observations par télécopie le 22 novembre 2013 avec régularisation par courrier ordinaire le 25 novembre, avant la clôture de l'instruction, n'a en l'espèce été privé d'aucune garantie. Par ailleurs, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments invoqués, ont suffisamment motivé leur jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En vertu du I de l'article L. 141-1 du Code de la consommation, sont recherchées et constatées les infractions ou manquements prohibés notamment aux articles L. 132-1 et suivants du même Code relatifs à la protection des consommateurs contre les clauses abusives et par l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989 sur les rapports locatifs. Le V du même article prévoit que les agents habilités à constater les infractions ou manquements peuvent enjoindre au professionnel, notamment, de cesser tout agissement illicite ou de supprimer toute clause illicite. Aux termes de l'article L. 132-1 du même Code, dans sa rédaction applicable : " Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Un décret en Conseil d'Etat (...) détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse. Un décret pris dans les mêmes conditions détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu'elles portent à l'équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa. (....) Les clauses abusives sont réputées non écrites. (...) Les dispositions du présent article sont d'ordre public. ". Selon l'article R. 132-1 dudit Code : " Dans les contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels ou des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions du premier et du troisième alinéas de l'article L. 132-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : (...) 5° Contraindre le non-professionnel ou le consommateur à exécuter ses obligations alors que, réciproquement, le professionnel n'exécuterait pas ses obligations de délivrance ou de garantie d'un bien ou son obligation de fourniture d'un service ; 6° Supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le non-professionnel ou le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations ".
4. En premier lieu, le rapport de contrôle dressé par un agent assermenté le 8 décembre 2011 relève notamment que le contrat-type proposé par la société CITI aux locataires prévoit, d'une part, que " tout mois commencé est dû intégralement tant pour le loyer principal que pour les charges ", d'autre part, que " le locataire renonce à tout recours contre le bailleur pour le cas où les lieux ne seraient pas libres à l'époque convenue, du fait du précédent locataire ". Ces clauses, qui ont pour effet d'instaurer une obligation de paiement sans contrepartie, également contraire à l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989, ou de s'opposer au droit à réparation du préjudice subi par le locataire, ce qui méconnaît, en outre, le point m de l'article 4 de la même loi, peuvent être présumées abusives de manière irréfragable au sens du 5° et du 6° de l'article R. 132-1 du Code de la consommation. La société requérante soutient que, suite au courrier de " pré-injonction " du 5 décembre 2011, elle a modifié son contrat-type en supprimant les clauses considérées et en précisant les conditions de restitution des sommes payées au locataire n'ayant pu disposer du bien pour des motifs imputables au bailleur. Si cette affirmation est exacte s'agissant de la clause de paiement de tout mois entamé, dont le caractère abusif n'est ainsi plus discuté par la société CITI, il en va différemment en ce qui concerne la clause imposant au locataire d'accepter de payer pour un logement non libéré. Il ressort en effet des pièces du dossier, notamment de la réponse faite par la société le 19 décembre 2011 au courrier de pré-injonction, qu'après avoir dans un premier temps envisagé de supprimer cette clause, elle l'a finalement maintenue tout en prévoyant un remboursement postérieur par le bailleur des loyers acquittés d'avance. Les modifications apportées en termes imprécis à la clause litigieuse ne permettent pas de regarder celle-ci comme ayant perdu son caractère abusif et illicite dès lors qu'elle conserve le caractère d'une clause d'irresponsabilité au moins conditionnelle du bailleur, prohibée par les dispositions précitées du Code de la consommation et par celles de l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989. Par ailleurs, les modifications apportées suite au contrôle opéré par le DECCTE le 19 juillet 2012, postérieurement aux décisions contestées, sont sans incidence sur la légalité de la décision litigieuse.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989 : " Est réputée non écrite toute clause : (...) k) Qui impose au locataire la facturation de l'état des lieux dès lors que celui-ci n'est pas établi par un huissier de justice dans le cas prévu par l'article 3 (...) ". Le contrat-type de la société CITI remis en cause par l'Administration comporte une clause prévoyant que " Les frais d'arrêté de compte dus par le locataire en participation aux frais afférents à l'établissement de son compte liquidatif sont fixés forfaitairement à 39,00 euros ". En admettant que les frais d'arrêté de compte, définis par la société CITI comme une participation aux frais afférents à l'établissement du " compte liquidatif " du locataire, ne seraient pas au nombre des frais d'état de lieux visés par les dispositions précitées, il ne résulte d'aucun texte que de tels frais sont au nombre de ceux pouvant légalement être imposés au locataire. La clause ayant pour effet de transférer au preneur des dépenses ne lui incombant pas crée en effet un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur. Elle présente en conséquence un caractère illicite au regard des dispositions précitées du k) de l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989. A cet égard , le jugement du 9 mars 2015, au demeurant postérieur à la décision contestée, par lequel le Tribunal d'instance de Saint-Denis de la Réunion a qualifié de non abusive une clause prévoyant la mise à la charge du locataire de frais d'assistance d'un montant mensuel forfaitaire de 4 euros, sans d'ailleurs se prononcer sur le caractère licite d'une telle clause, est dépourvu en l'espèce de toute autorité de la chose jugée et n'est, en tout état de cause, pas opposable dans le présent litige.
6. Enfin, aux termes du troisième alinéa de l'article 32 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, alors en vigueur, reprises à l'article L. 111-8 du Code des procédures civiles d'exécution : " Sauf s'ils concernent un acte dont l'accomplissement est prescrit par la loi, les frais de recouvrement entrepris sans titre exécutoire restent à la charge du créancier. Toute stipulation contraire est réputée non écrite ". Le contrat de location en cause comporte une clause qui, en soumettant le locataire à des frais de recouvrement en l'absence de titre exécutoire, est contraire aux dispositions précitées. Si la société CITI a proposé à la suite du courrier de pré-injonction une nouvelle rédaction de la clause en litige stipulant que : " le recouvrement des frais (...) préalables à un commandement de payer ou à une procédure judiciaire ne pourront être entrepris que dans le cadre d'une ordonnance ou d'un jugement donnant titre exécutoire ", une telle modification ne saurait être regardée comme satisfaisante dès lors qu'il appartient à la seule autorité judiciaire d'apprécier la pertinence du recouvrement de frais qui, par ailleurs, doivent avoir été réellement exposés et ne pas présenter un caractère forfaitaire.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société CITI n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Saint-Denis a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative et, en tout état de cause, celles tendant à la condamnation de l'Etat aux dépens, ne peuvent être accueillies.
Décide :
Article 1er : La requête de la société Centre International de Transaction Immobilière est rejetée.