CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 6 septembre 2016, n° 15-00108
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Swatch AG (Sté), The Swatch Groupe France (SAS)
Défendeur :
TV-Distrinet (SARL), Soinne (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rajbaut
Conseillers :
Mmes Auroy, Douillet
Avocats :
Mes de la Taille, Berthault, Fisselier
La société de droit suisse Swatch AG (ci-après, Swatch), est propriétaire des marques communautaires suivantes :
- la marque verbale communautaire " Swatch " n° 000226019 enregistrée le 2 octobre 1998 en classe 14, renouvelée le 3 mai 2006, visant les " métaux précieux et leurs alliages et produits en ces matières ou en plaqué non compris dans d'autres classes, joaillerie, bijouterie, pierres précieuses, horlogerie et instruments chronométriques ",
- la marque figurative communautaire " Swatch " n° 000226316 enregistrée le 12 novembre 1998, en classe 14, désignant les " métaux précieux et leurs alliages et objets en ces matières ou en plaqué (excepté coutellerie, fourchettes et cuillers) ; joaillerie, pierres précieuses, horlogerie et autres instruments chronométriques ".
La société Swatch AG fait partie du Swatch Group. Les produits marqués Swatch sont commercialisés en France par la filiale française, la société The Swatch Group France (ci-après, Swatch Group), dans le cadre d'un réseau de distribution sélective.
La société TV-Distrinet, située dans le Nord de la France, exploite son activité sous l'enseigne commerciale TicTacTime et sur le site Internet www.tictactime.com.
Les sociétés Swatch et Swatch Group, ayant constaté la commercialisation, sur le site www.tictactime.com, de montres de leur marque, alors que la société TV-Distrinet n'est pas revendeur agréé, l'ont mise en demeure, le 24 octobre 2012, de cesser l'offre à la vente de ces produits. Cette mise en demeure est restée sans réponse.
Autorisée par ordonnance sur requête du 21 décembre 2012, la société Swatch AG a fait procéder à une saisie-contrefaçon au siège de la société TV-Distrinet, qui a indiqué s'être approvisionnée auprès d'une société belge Axe Line, celle-ci s'étant fournie auprès de la société Greentime, revendeur agréé de la société The Swatch Group Belgium.
Par acte du 8 février 2014, les sociétés Swatch AG et The Swatch Group France ont fait assigner devant le TGI de Paris la société TV-Distrinet en contrefaçon de marques communautaires (pour la société Swatch AG) et concurrence déloyale (pour les deux sociétés Swatch).
Dans le jugement déféré, le tribunal a :
- rejeté les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité et d'intérêt à agir de la société Swatch Group,
- débouté la société Swatch de ses prétentions au titre de la contrefaçon de marque,
- débouté la société Swatch Group de sa demande en concurrence déloyale,
- condamné les sociétés Swatch et Swatch Group à payer à la société TV-Distrinet, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamné les sociétés Swatch et Swatch Group aux dépens,
- a dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire.
Le 29 décembre 2014, les sociétés Swatch et Swatch Groupe ont interjeté appel de ce jugement.
Par jugement du 2 mars 2015, la société TV-Distrinet a été placée en liquidation judiciaire et Me Soinne a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Dans leurs dernières conclusions, transmises le 30 septembre 2015, les sociétés Swatch, poursuivant l'infirmation du jugement si ce n'est en ce qu'il a rejeté les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité et d'intérêt à agir de la société Swatch Group, demandent à la cour :
à titre principal :
- de juger que la société TV-Distrinet a commis des actes de contrefaçon des marques Swatch à l'égard de la société Swatch et des actes de concurrence déloyale à l'égard des sociétés Swatch et Swatch Group,
- en conséquence,
- d'interdire sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne à la société TV-Distrinet, de faire tout usage des marques Swatch et notamment de vendre et présenter à la vente toutes montres revêtues desdites marques à compter de la signification de la décision à intervenir et ce sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée ;
- d'inscrire au passif de la société TV-Distrinet :
- la somme de 10 000 euros au titre de la réparation du préjudice de la société Swatch relatif aux conséquences économiques négatives de la contrefaçon,
- celle de 13 484,84 euros au titre des bénéfices indûment réalisés,
- celle de 20 000 euros au titre de la réparation du préjudice moral de la société Swatch,
- celle de 40 000 euros au titre de la réparation du préjudice de la société Swatch Group du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
- d'ordonner la publication " du jugement " (sic) à intervenir en haut de la page d'accueil du site Internet www.tictactime.com et sans que l'internaute ait besoin d'effectuer la moindre manipulation pour y avoir accès,
- de débouter Me Soinne, ès qualités de liquidateur de la société TV-Distrinet, de l'ensemble de ses demandes et prétentions
- de le condamner, ès qualités, aux dépens et au paiement de la somme de 45 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
à titre subsidiaire :
- de surseoir à statuer et de poser les questions préjudicielles suivantes à la Cour de justice de l'Union européenne :
" 1. Le titulaire d'une marque communautaire de renommée et notoirement connue apposée sur des produits qui, sans constituer des produits de luxe, eux-mêmes bénéficient d'une forte renommée et sont notoirement connus grâce notamment à des investissements publicitaires et une politique de communication très développés et un réseau de distribution constitué de points de vente propres au titulaire de la marque et de franchisés et revendeurs agréés peut-il bénéficier d'un juste motif, au sens de l'article 13 alinéa 2 du Règlement 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 tel que modifié par le Règlement 207/2009/CE du 26 février 2009, fondé sur une atteinte à la renommée de sa marque résultant de la commercialisation de ses produits par un revendeur non autorisé et uniquement sur Internet " ;
2. Le titulaire d'une marque communautaire de renommée et notoirement connue apposée sur des produits qui, sans constituer des produits de luxe, eux-mêmes bénéficient d'une forte renommée et sont notoirement connus grâce notamment à des investissements publicitaires et une politique de communication très développés et un réseau de distribution constitué de points de vente propres au titulaire de la marque et de franchisés et revendeurs agréés peut-il bénéficier d'un juste motif, au sens de l'article 13 alinéa 2 du Règlement 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 tel que modifié par le Règlement 207/2009/CE du 26 février 2009, fondé sur le profit indûment tiré de la renommée de sa marque résultant de la commercialisation de ses produits par un revendeur non autorisé et uniquement sur Internet ".
Dans ses conclusions transmises le 31 juillet 2015, Me Soinne, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société TV-Distrinet, intimé, demande à la cour :
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité à agir et du défaut d'intérêt à agir de la société Swatch Group,
- pour le surplus, à titre principal :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Swatch de ses prétentions au titre de la contrefaçon de marque et la société Swatch Group de sa demande en concurrence déloyale,
- de juger qu'il n'est pas démontré l'existence d'un réseau de distribution sélective licite et donc rejeter l'ensemble des demandes des sociétés demanderesses,
- de constater que les produits commercialisés par TV-Distrinet sont des produits authentiques acquis auprès d'une société belge Axe Line qui s'est elle-même approvisionnée auprès d'un revendeur agréé en Belgique étant rappelé que TV-Distrinet n'avait pas l'obligation de vérifier la licéité de l'approvisionnement de son fournisseur,
- de dire que la société Swatch a donc épuisé son droit de marque,
- de dire qu'elle ne démontre pas la renommée des marques qu'elle invoque sur le territoire de l'Union européenne ni une quelconque atteinte à cette renommée,
- qu'elle est irrecevable et mal fondée à agir en ce qu'elle ne démontre pas l'existence de motifs légitimes sérieux de nature à faire échec à la règle de l'épuisement de son droit de marque,
- par voie de conséquence, de rejeter l'ensemble de ses demandes au titre de la contrefaçon de marque,
- à titre subsidiaire :
- de s'estimer suffisamment informée pour statuer en droit et en fait sur l'intégralité du présent litige et de rejeter la demande de sursis à statuer formée par les sociétés Swatch et visant à poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne sur l'appréciation du motif légitime au sens de l'article 13 alinéa 2 du règlement européen n° 207/2009 sur la marque communautaire,
- de rejeter l'ensemble des demandes de la société Swatch Group fondées sur la contrefaçon de marque,
- de juger que les sociétés Swatch et Swatch Group ne démontrent pas des faits de concurrence déloyale distincts ni des pratiques commerciales déloyales commises par TV-Distrinet et de rejeter leurs demandes de ce chef,
- à titre infiniment subsidiaire : de rejeter les demandes des sociétés Swatch en jugeant
- qu'elles ne rapportent pas la preuve des préjudices qu'elles allèguent,
- et que leurs demandes sont disproportionnées,
- en toute hypothèse :
- de rejeter les demandes de publication judiciaire et dire 'n'y avoir lieu à assortir la décision à intervenir de l'exécution provisoire' (sic),
- de condamner solidairement les sociétés Swatch au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 février 2016.
MOTIFS DE L'ARRET
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées ;
Sur la contrefaçon
Considérant que la société Swatch soutient que la société TV-Distrinet a commis des actes de contrefaçon de ses marques Swatch en faisant usage desdites marques sans son autorisation, et ce, en violation de l'article 9 du règlement (CE) 207/2009/CE du 26 février 2009 sur la marque communautaire ; qu'elle argue que la société TV-Distrinet ne prouve pas l'épuisement de ses droits ; qu'elle prétend, en tout état de cause, disposer de motifs légitimes pour s'opposer à la commercialisation de ses produits ;
Que la société TV-Distrinet répond qu'elle a commercialisé des produits authentiques acquis auprès de la société belge Axe Line qui s'est elle-même approvisionnée auprès d'un licencié belge de produits à marque Swatch, Greentime et que, dans ces conditions, par l'effet de l'épuisement des droits de la société Swatch sur la marque Swatch pour les produits litigieux, dont il appartient à la société appelante de démontrer l'absence, celle-ci ne peut agir en contrefaçon à son encontre ; qu'elle ajoute que la société Swatch ne démontre aucun motif légitime de nature à empêcher l'épuisement de son droit de marque ;
Sur l'épuisement du droit de la société Swatch sur ses marques communautaires
Considérant qu'en application de l'article 9 du règlement (CE) 207/2009/CE du 26 février 2009, la marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif qui l'habilite à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe identique à la marque communautaire pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ; qu'aux termes de cet article, " Il peut notamment être interdit (...) b) d'offrir les produits ou de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins (...) d) d'utiliser le signe dans les papiers d'affaires et la publicité " ;
Que cependant l'article 13 § 1 du même règlement prévoit l'épuisement du droit conféré par la marque communautaire : " Le droit conféré par la marque communautaire ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement " ; qu'en vertu de ces dispositions, le titulaire de la marque ne peut pas s'opposer à la libre circulation des produits marqués à l'intérieur de l'Espace économique européen, après que ces produits ont été mis dans le commerce de cet espace, par lui-même ou avec son consentement ; qu'en revanche, l'importation de produits marqués dans l'Espace économique européen, sans l'autorisation du titulaire, donne à ce dernier un droit de suite et de contrôle jusqu'à l'acquéreur final ;
Qu'il incombe à la partie qui se prévaut de l'épuisement du droit de marque de démontrer cet épuisement pour chacun des exemplaires authentiques du produit concerné par le litige, c'est-à-dire d'établir que chaque exemplaire des produits argués de contrefaçon a été mis dans le commerce dans l'Espace économique européen par le titulaire de la marque ou avec son consentement ;
Que cependant, l'existence d'un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux fait obstacle à ce que le tiers poursuivi par le titulaire de la marque supporte la charge de la preuve de l'épuisement du droit de marque ; que le défendeur à l'action en contrefaçon est alors autorisé à ne pas révéler sa source d'approvisionnement (un membre du réseau de distribution agréé) et il appartient au titulaire de la marque de prouver que les produits en cause ont été initialement mis dans le commerce en dehors du territoire de l'Espace économique européen ;
Que l'article 13 § 2 du même règlement prévoit : " Le paragraphe 1 n'est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s'oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l'état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce " ;
Considérant que le liquidateur de la société TV-Distrinet argue que la charge de la preuve relative à l'épuisement des droits de marque de la société Swatch doit peser sur cette dernière dès lors qu'en présence d'un système de distribution exclusive, le risque de cloisonnement des marchés nationaux est réel ; que cependant, le renversement de la charge de la preuve en cas de risque de cloisonnement du marché vise à permettre au tiers poursuivi en contrefaçon de ne pas révéler sa source d'approvisionnement, la connaissance par le titulaire de la marque de cette source d'approvisionnement lui permettant de tarir cette source et de faire ainsi obstacle à la libre circulation des produits sur le territoire de l'Espace économique européen ; qu'en l'espèce, la société TV-Distrinet ne cherche nullement à dissimuler ses sources d'approvisionnement, exposant s'être fournie auprès de la société belge Axe Line et précisant que celle-ci s'est elle-même approvisionnée auprès de la société belge Greentime, licenciée de produits de la marque Swatch ; qu'au demeurant, la société Greentime a été exclue par la société Swatch de son réseau de distribution, motif pris de ventes réalisées au profit de la société Axe Line, de sorte que, selon les termes de l'intimée, " la source est (...) tarie " ; qu'ainsi, indépendamment de la question, débattue, de la nature du système de distribution mis en place par la société Swatch, il n'y a pas lieu de faire application, au cas d'espèce, des règles relatives au renversement de la charge de la preuve ;
Considérant que la saisie-contrefaçon opérée au siège de la société TV-Distrinet, suivant procès-verbal du 10 janvier 2013, révèle que cette dernière disposait au jour de la saisie de 25 modèles de montres en stock, revêtues de la marque Swatch et qu'elle a acquis des montres auprès de la société Axe Line située en Belgique, suivant facture du 5 novembre 2012, d'un montant de 5 482,57 euros, portant sur 128 montres Swatch, représentant 96 modèles ; qu'il a été encore établi que la société Axe Line a encore fourni la société TV-Distrinet, suivant factures du 30 août 2012 (168 montres Swatch pour la somme de 6 577,48 euros TTC) et du 22 juin 2012 (pour 12 927,35 euros TTC) et que la société Axe Line s'est elle-même approvisionnée auprès de la société Greentime, alors revendeur agréé Swatch pour la Belgique, suivant factures des 4 juillet 2012, 11 septembre 2012 et 2 novembre 2012 ;
Que l'authenticité des montres litigieuses, appartenant à des collections anciennes, n'est pas contestée par la société Swatch ;
Que, comme le souligne la société Swatch, le fait que la société Axe Line se soit approvisionnée auprès de la société Greentime, alors agréée par la société Swatch, ne démontre pas, en soi, que les montres concernées par le présent litige ont été mises dans le commerce dans l'Espace économique européen par la société Swatch ou avec son consentement, dès lors que les factures qui sont produites aux débats ne permettent pas d'identifier l'origine des montres Swatch achetées par la société TV-Distrinet ; qu'en effet, la facture du 5 novembre 2012 de la société Axe Line fait état d'une commande de 128 montres pour un montant de 5 337,57 euros et comporte une liste, portant la mention " Cette expédition est effectuée aux conditions générales de vente de The Swatch Group (Belgium) ", de huit pages visant 128 produits référencés ; que cette liste est manifestement tronquée, la partie supérieure de ses pages ayant été supprimée, ce qui conduit à relativiser sa force probante ; qu'au demeurant sur les 25 références de modèles de montres en stock revêtues de la marque Swatch découverts lors de la saisie-contrefaçon, seules huit apparaissent sur la liste des 128 montres référencées fournie avec la facture du 5 novembre 2012 ; que la facture du 2 novembre 2012 adressée par la société Greentime à la société Axe Line mentionne " 1 Swatch Divers " pour un montant HT de 5 083,40 euros, sans plus de détail ; que, de même, les factures adressées par la société Axe Line à la société TV-Distrinet des 22 juin 2012 et 30 août 2012 ne permettent pas davantage d'identifier les produits Swatch concernés et partant, leur origine ; qu'il en est de même des factures des 4 juillet 2012 et 11 septembre 2012 adressées par la société Greentime à la société Axe Line portant chacune sur un lot de montres Swatch, la facture du 4 juillet annonçant un "fichier en annexe" qui n'est cependant pas fourni ;
Que du fait de l'imprécision des factures produites aux débats, il ne peut être retenu que la preuve est rapportée que les produits revendus par la société Greentime à la société Axe Line ont initialement été mis sur le marché de l'Espace économique européen par la société Swatch ou même avec son consentement implicite ;
Que la circonstance que la société Swatch ait exclu la société Greentime de son réseau de distribution pour avoir indûment revendu des montres de sa marque à la société Axe Line, tiers à son réseau de distribution, ne peut suffire à démontrer que les montres litigieuses commercialisées par la société TV-Distrinet provenaient des reventes reprochées à la société Greentime ; qu'est par conséquent indifférente l'argumentation présentée par le liquidateur de la société TV-Distrinet, relative à l'absence de preuve de la violation du contrat de distribution par la société Greentime et du caractère licite du réseau de distribution sélective de la société Swatch au regard du droit de la concurrence ;
Que l'épuisement des droits de marque de la société Swatch n'étant pas démontré, la discussion relative aux motifs légitimes susceptibles de faire échec à l'épuisement des droits est sans objet ;
Que le jugement déféré sera, en conséquence, infirmé ;
Sur les actes de contrefaçon
Considérant que la société TV-Distrinet a reproduit sur son site Internet www.tictactime.com les marques Swatch, faisant ainsi usage des marques Swatch dans la vie des affaires et ce sans l'autorisation de leur titulaire, ce qui est constitutif d'actes de contrefaçon en application de l'article 9 d) du règlement 207/2009/CE précité ;
Que par ailleurs, la société TV-Distrinet a acheté auprès de la société Axe Line des montres portant la marque Swatch, selon factures du 22 juin 2012 (pour la somme de 12 927,35 euros TTC), du 30 août 2012 (168 montres portant la marque Swatch pour la somme de 6 577,48 euros TTC) et du 5 novembre 2012 (128 montres portant la marque Swatch pour la somme de 5 482,57 euros TTC), montres qu'elle a détenues et mises dans le commerce sans l'autorisation du titulaire de cette marque qu'elle a ainsi commis des actes de contrefaçon au sens de l'article 9 b) du règlement précité ;
Sur la concurrence déloyale
Sur la recevabilité à agir de la société Swatch Group
Considérant que le liquidateur judiciaire de la société TV-Distrinet conteste la recevabilité à agir de la société Swatch Group, faisant valoir que celle-ci ne justifie d'aucune licence publiée au registre des marques communautaires opposable aux tiers lui permettant d'agir à la fois sur le fondement de la contrefaçon mais aussi de la concurrence déloyale dès lors que son argumentation repose sur le fait que la société Swatch allègue des faits de contrefaçon qui constitueraient à son égard des faits de concurrence déloyale, et qu'elle ne justifie pas davantage de sa qualité de distributeur exclusif en France des montres Swatch ;
Considérant que compte tenu de l'ambiguïté résultant des écritures des sociétés Swatch, leur conseil a précisé lors de l'audience de la cour, comme indiqué sur la note d'audience, que la société Swatch Group agissait exclusivement sur le fondement de la concurrence déloyale ;
Que, par conséquent, ainsi que l'a retenu le tribunal, la société Swatch Group n'a pas à justifier de l'inscription de sa licence au registre des marques ; que par ailleurs, sont produits aux débats un contrat-type de distribution sélective pour la marque Swatch et trois contrats de distribution sélective anonymisés, datés et signés, désignant la société Swatch Group comme le "représentant exclusif des montres des montres Swatch en France" qui établissent que la société Swatch Group est le distributeur exclusif des montres Swatch en France et qu'elle commercialise ces montres dans le cadre d'un réseau de distribution sélective ;
Que la fin de non-recevoir de la société TV-Distrinet sera donc rejetée et le jugement déféré confirmé sur ce point ;
Sur le fond
Considérant que la concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce ; que l'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété de la prestation copiée ;
Que les agissements parasitaires constituent entre concurrents l'un des éléments de la concurrence déloyale ; qu'ils consistent, pour une personne morale ou physique, à titre lucratif et de façon injustifiée, à s'inspirer ou à copier une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissement ;
Considérant que la société Swatch Group, distributeur en France des produits de marque Swatch, est bien fondée à soutenir que les faits de contrefaçon commis au préjudice de la société Swatch titulaire des marques communautaires constituent à son égard des actes de concurrence déloyale dès lors, notamment, que la société TV-Distrinet s'est affranchie des contraintes pesant sur les membres du réseau de distribution sélective ;
Que la société Swatch Group soutient, par ailleurs, que la société TV-Distrinet a commercialisé les montres Swatch en violation de l'article L. 121-1 du Code de la consommation qui dispose notamment qu'une pratique commerciale est trompeuse, notamment, si elle repose sur les allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant notamment sur la disponibilité ou la nature du bien ou du service, l'identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ; qu'elle se fonde sur des captures d'écran extraites du site www.tictactime.com ; que le liquidateur judiciaire de la société TV-Distrinet critique vainement la force probante de ces pièces au motif qu'en l'absence de toute intervention d'un huissier de justice, les conditions d'impression de ces copies d'écran restent inconnues, dès lors que la preuve en matière de concurrence déloyale est libre et que les pièces invoquées par l'appelante ne sont pas arguées de faux ; que dans la rubrique " Nos garanties " du site, la mention : " Nous commandons nos produits uniquement auprès du représentant officiel en France pour l'ensemble de notre stock. Liste des représentants officiels : (...) Swatch Groupe (montres Timberland) " est mensongère et laisse entendre qu'il existe des liens commerciaux entre la société TV-Distrinet et la société Swatch Group ; qu'en revanche, le grief relatif à l'indication de mentions mensongères quant à la disponibilité des biens proposés à la vente ne sera pas retenu, le site Internet mentionnant l'existence de montres Swatch sans précision quant à leur disponibilité en stock ;
Qu'enfin la société Swatch Group soutient que la société TV-Distrinet a commercialisé des montres Swatch en violation du réseau de distribution sélective Swatch, invoquant, à ce titre, la violation du contrat de distribution sélective conclu entre les sociétés de droit belge Greentime et The Swatch Group Belgium (sa pièce 43) ; que cette dernière société, qui n'est pas partie à l'instance, paraît la seule habilitée pour réclamer la réparation du préjudice résultant de la violation du contrat de distribution sélective ; que ce grief ne sera donc pas retenu ;
Considérant que l'existence d'actes de concurrence déloyale commis par la société TV-Distrinet au préjudice de la société Swatch Group est ainsi établie ; que le jugement sera infirmé sur ce point également ;
Sur les mesures réparatrices
Sur les demandes indemnitaires
Au titre de la contrefaçon
Considérant qu'en application de l'article L. 716-14 du Code de la propriété intellectuelle, applicable aux marques communautaires en vertu de l'article L. 717-2 du même code, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement : 1° les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ; 2° le préjudice moral causé à cette dernière ; 3° et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon ; que le même texte prévoit que la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte, cette somme n'étant pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ;
Considérant que la société Swatch invoque, en l'espèce, les conséquences économiques négatives résultant du détournement de ses investissements (10 000 euros) et les bénéfices indûment réalisés par la société TV-Distrinet (13 484,84 euros) ;
Qu'elle ne verse cependant, aucun élément quant à ses investissements ;
Que la facture de la société Axe Line du 5 novembre 2012 fait état d'une commande de 128 montres, pour un prix de vente au consommateur total de 9 215 euros et un prix d'achat de 5 482,57 euros ; que le bénéfice réalisé est donc de 3 732,43 euros ; que la facture de la société Axe Line du 22 juin 2012 fait état d'une commande pour un prix d'achat de 12 927,35 euros, tandis que celle du 30 août 2012 fait état d'une commande pour un montant de 6 577,48 euros, les prix de revente au consommateur n'étant pas précisés ; que le bénéfice réalisé sur ces ventes peut être estimé à la moitié du prix d'achat, soit 9 752,41 euros ;
Que la commercialisation de montres Swatch par la société TV-Distrinet dans des conditions ne correspondant pas aux exigences de la société Swatch, titulaire de la marque, a causé un préjudice moral à cette dernière ;
Que la cour dispose ainsi des éléments suffisants pour évaluer à 13 484 euros la somme devant être allouée à la société Swatch au titre des bénéfices indûment réalisés par le contrefacteur et à 5 000 euros celle devant lui être accordée en réparation de son préjudice moral ;
Au titre de la concurrence déloyale
Considérant que l'atteinte alléguée à l'image de marque des montres n'est pas établie au vu des copies d'écran du site Internet www.tictactime.com, les montres n'y étant pas proposées à la vente dans des conditions avilissantes quant à leur présentation ou leur prix ;
Qu'en revanche, la présence de montres Swatch sur ce site Internet a désorganisé le réseau de distribution, les détaillants agréés ne pouvant que s'interroger sur les raisons pour lesquelles un tel site pouvait commercialiser des montres Swatch ;
Que la somme de 10 000 euros réparera le préjudice subi par la société Swatch Group du fait des actes de concurrence déloyale ;
Sur les autres demandes
Considérant qu'il y a lieu d'interdire à la société TV-Distrinet de faire tout usage des marques Swatch sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne, et notamment de vendre et présenter à la vente toutes montres revêtues desdites marques à compter de la signification de cette décision, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée ;
Considérant que le préjudice subi par les sociétés Swatch est suffisamment réparé par l'allocation de dommages et intérêts et la mesure d'interdiction prononcée à l'encontre de la société TV-Distrinet ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de publication judiciaire à titre de réparation complémentaire ;
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que les dépens de première instance et d'appel constitueront des frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la société TV-Distrinet, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant infirmées ;
Qu'il y a lieu, en équité, de laisser aux sociétés Swatch et Swatch Group la charge de leurs frais non compris dans les dépens ;
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement déféré si ce n'est en ce qu'il a rejeté les fin de non-recevoir soulevées par la société TV-Distrinet tirées du défaut de qualité et d'intérêt à agir de la société The Swatch Group France (Swatch Group), Pour le surplus, statuant à nouveau, Dit que la société TV-Distrinet a commis des actes de contrefaçon des marques Swatch dont la société Swatch AG est titulaire, Dit que la société TV-Distrinet a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société The Swatch Group France, Fixe la créance de la société Swatch AG sur la liquidation judiciaire de la société TV-Distrinet aux sommes suivantes : - 13 484 euros à titre de dommages et intérêts pour les bénéfices indûment réalisés par la société TV-Distrinet, - 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, Fixe la créance de la société The Swatch Group France sur la liquidation judiciaire de la société TV-Distrinet à la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant des actes de concurrence déloyale, Interdit à la société TV-Distrinet de faire tout usage des marques Swatch sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne, et notamment de vendre et présenter à la vente toutes montres revêtues desdites marques à compter de la signification de cet arrêt, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, Dit que les dépens de première instance et d'appel constitueront des frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la société TV-Distrinet ; Déboute les sociétés Swatch AG et The Swatch Group France de leur demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.