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Décisions

ADLC, 13 septembre 2016, n° 16-D-19

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'installation et de la maintenance d'extincteurs portatifs

ADLC n° 16-D-19

13 septembre 2016

L'Autorité de la concurrence (section V),

Vu les lettres, enregistrées le 7 janvier 2015 et le 9 avril 2015, sous les numéros 15/0050F et 15/0051M, par laquelle l'Association des distributeurs de matériels incendie et services a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le Centre national de prévention et de protection, la Fédération française des sociétés d'assurances et le Groupement des entreprises mutuelles d'assurance et a sollicité, en outre, le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les observations présentées par le Centre national de prévention et de protection, la Fédération française des sociétés d'assurances et le Groupement des entreprises mutuelles d'assurance ; Vu les décisions de secret des affaires n° 16-DSA-149 et 16-DSA-155 ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants du Centre national de prévention et de protection, de la Fédération française des sociétés d'assurances et du groupement d'entreprises mutuelles d'assurances, entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 19 juillet 2016 ; L'Association des distributeurs de matériels incendie et services régulièrement convoquée ; Adopte la décision suivante :

I. Procédure

1. Le 7 janvier 2015, l'Autorité de la concurrence a été saisie d'une plainte de l'Association des distributeurs de Matériel incendie et services (ci-après, " l'ADMIS SERVICES ") dirigée contre des pratiques mises en œuvre par le Centre national de prévention et de protection (CNPP), la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), le Groupement des entreprises mutuelles d'assurance (GEMA) et leurs membres.

2. Les pratiques consisteraient en une entente entre le CNPP, la FFSA, le GEMA et leurs membres et un abus de position dominante de ces mêmes acteurs visant à imposer, dans les conditions des contrats d'assurance et des appels d'offres publics, l'intervention de prestataires certifiés " APSAD-NF Service " pour l'installation et l'entretien d'extincteurs portatifs, en exigeant l'obtention de certificats de conformité " N4 " et/ou " Q4 " que seuls ces prestataires peuvent délivrer. Cette certification, qui est une marque conjointe du CNPP et d'AFNOR certification, respectivement propriétaires des marques " APSAD " et " NF service ", est normalement en concurrence avec d'autres référentiels proposés par d'autres certificateurs aux entreprises d'installation et d'entretien d'extincteurs portatifs.

3. Accessoirement à la saisine au fond, l'ADMIS SERVICES a sollicité, le 9 avril 2015, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, le prononcé de mesures conservatoires tendant à faire cesser les pratiques dénoncées.

II. Constatations

A. LE SECTEUR CONCERNÉ

1. L'INSTALLATION ET LA MAINTENANCE DES EXTINCTEURS

4. La clientèle des installateurs-mainteneurs d'extincteurs est principalement constituée d'entreprises et d'établissements recevant du public. Pour une très large part, les utilisateurs d'extincteurs confient l'installation et la maintenance des moyens de sécurité contre les risques d'incendie à des sociétés spécialisées. La plupart des installateurs proposent les services d'installation en lien avec la vente d'extincteurs portatifs.

5. La prestation d'installation consiste en la pose des produits de lutte contre l'incendie et l'établissement des plans de sécurité. La maintenance consiste en une vérification annuelle approfondie de l'état physique extérieur des extincteurs, en un examen détaillé de chaque appareil (" maintenance préventive "), et en la remise en l'état des appareils défectueux et des appareils utilisés, voire en leur remplacement (" maintenance corrective ").

6. Le plus souvent, les prestataires lient les deux services : un contrat de maintenance est systématiquement proposé au moment d'une installation. Ce contrat de maintenance peut être remis en cause. Le client est libre d'arbitrer par la suite entre les offres des différents mainteneurs actifs sur sa région.

2. LES ORGANISMES ET SYNDICATS PROFESSIONNELS CONCERNÉS

a) L'Association des distributeurs de matériel incendie et sécurité

7. L'ADMIS SERVICES est une association régie par la loi du 1er juillet 1901, qui regroupait, en 2012, 54 entreprises. L'ADMIS SERVICES fédère des installateurs en majorité non certifiés APSAD ou APSAD-NF Service.

b) Le Centre national de prévention et de protection

8. Le CNPP est une association régie par la loi du 1er juillet 1901 qui est chargée de promouvoir la prévention des risques auprès des particuliers et des entreprises. Il est composé de représentants des professionnels de l'assurance, des industriels de la sécurité, des maîtres d'ouvrage et des pouvoirs publics.

9. Il a également une activité d'organisme certificateur notamment dans le domaine de la sécurité incendie. Le CNPP, au travers de sa filiale " CNPP Cert ", délivre la certification APSAD-NF Service à des entreprises chargées de l'installation et de la maintenance des extincteurs dans le cadre du référentiel de service I4-NF285. La filiale " CNPP Entreprise " procède quant à elle aux évaluations associées (essais et audits).

c) La Fédération française des sociétés d'assurances

10. Créée en 1937, la FFSA est un syndicat professionnel réunissant, selon les informations contenues dans son site Internet, 229 entreprises adhérentes, qui représentent 90 % du marché français de l'assurance et près de 100 % de l'activité internationale des entreprises de ce marché. Les assureurs ont créé le CNPP en 1956 et continuent de participer aux travaux du CNPP. Ainsi, la FFSA est représentée au conseil d'administration du CNPP.

11. La fédération française de l'assurance (FFA) a succédé à la FFSA, à la suite de sa réunion avec le GEMA, effective depuis le 1er juillet 2016.

d) Le groupement des entreprises mutuelles d'assurance

12. Le GEMA est le syndicat professionnel des mutuelles d'assurances et de leurs filiales. Au 8 janvier 2015, il comptait 53 sociétés adhérentes. Il représente les principales mutuelles d'assurance et participe à ce titre aux différentes instances de la profession au côté de la FFSA. Il est notamment membre du conseil d'administration du CNPP. Le GEMA a été dissout le 1er juillet 2016 en raison de sa réunion avec la FFSA pour créer la FFA.

3. LA RÉGLEMENTATION NATIONALE APPLICABLE

13. Contrairement aux activités de production et de commercialisation d'extincteurs qui font l'objet d'une réglementation stricte et de normes obligatoires, les prestations d'installation et de maintenance des extincteurs ne sont encadrées que par des démarches volontaires.

14. Ainsi, bien que des réglementations rendent obligatoire l'équipement en extincteurs notamment des établissements recevant du public, il n'existe aucune réglementation contraignante concernant les prestations spécifiques d'installation et de maintenance des extincteurs en France.

15. Toutefois, les prestataires de services de sécurité, et notamment de sécurité incendie, peuvent demander, de manière volontaire, la certification de leurs services en matière d'installation et de maintenance d'extincteurs.

16. Dans son avis n° 15-A-16 du 16 novembre 2015 portant sur l'examen, au regard des règles de concurrence, des activités de normalisation et de certification, l'Autorité définit la certification comme " une procédure par laquelle une tierce personne atteste que le produit ou le service présente un certain nombre de caractéristiques définies dans un document de référence appelé référentiel de certification et auxquelles les clients professionnels ou les consommateurs sont censés attacher une importance particulière ". Elle a également souligné l'avantage commercial que peut procurer une telle certification : " D'un point de vue commercial, la certification apporte donc plus de garanties que la simple déclaration de conformité du fabricant puisqu'elle permet d'indiquer à l'acheteur qu'un tiers indépendant lui assure que le fournisseur répond à un référentiel de certification ".

17. S'il existe désormais plusieurs référentiels de certification sur le marché français de l'installation et de la maintenance des extincteurs portatifs, notamment le référentiel VeriSelect créé en 2010, la certification APSAD-NF Service, qui est la plus ancienne et la mieux connue sur le marché, demeure une référence pour les professionnels du secteur.

B. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

18. L'ADMIS SERVICES estime que le CNPP, la FFSA, le GEMA et les membres de la FFSA et du GEMA se seraient entendus pour exiger le recours systématique à des prestataires certifiés APSAD-NF Service pour la pose et la maintenance d'extincteurs. Cette exigence serait imposée dans les conditions des contrats d'assurance privés mais serait également préconisée aux acheteurs publics, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce. En outre, l'ADMIS SERVICES considère que cette pratique serait également constitutive d'un abus de position dominante des mêmes acteurs " dans le domaine de l'assurance ".

19. Selon l'ADMIS SERVICES, cette exigence aurait pour effet d'exclure du marché et des appels d'offres publics les prestataires non certifiés APSAD-NF Service, alors que la certification exigée est du domaine volontaire. En outre, l'exigence de cette certification constituerait une barrière à l'entrée sur le marché pour les petites, moyennes et microentreprises du secteur en raison de son coût, que l'ADMIS SERVICES estime " démesuré ".

20. Cette pratique serait démontrée, d'une part, par un article du délégué général du CNPP paru dans la revue Cahiers de l'assurance et une note explicative du CNPP qui, selon la saisissante, montrerait que le CNPP, la FFSA et le GEMA se seraient entendus avec leurs membres pour qu'ils exigent tous le recours à des prestataires certifiés APSAD-NF Service, et d'autre part, par des courriers montrant que les assureurs réclament à leurs assurés la fourniture de certificats N4/Q4 et par des " conseils prévention " délivrés par les assureurs sur leur site Internet.

III. Discussion

21. L'article L. 462-8 du Code de commerce prévoit que l'Autorité de la concurrence peut : " rejeter la saisine par décision motivée lorsque les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ". En outre, l'article R.464-1 du même Code dispose que : " la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond de l'Autorité de la concurrence ".

A. SUR LA PRATIQUE ALLÉGUÉE D'ENTENTE

22. Les documents produits par l'ADMIS SERVICES, à savoir un article rédigé par le délégué général du CNPP et publié dans la revue Les Cahiers de l'assurance et une note explicative du CNPP du 16 janvier 2012, ne démontrent pas l'existence d'une concertation avec la FFSA visant à imposer le recours à des prestataires de services d'installation et de maintenance d'extincteurs certifiés APSAD-NF Service. Ils se bornent à mentionner la nécessité, pour les assureurs souhaitant obtenir des garanties concernant le niveau de qualité des prestations des installateurs/mainteneurs d'extincteurs, de prescrire les certifications existantes, celles-ci étant volontaires.

23. Contrairement à ce que soutient la saisissante, le seul fait que la FFSA et le GEMA soient membres du CNPP ne suffit pas à caractériser l'existence d'une collusion entre ces acteurs visant à imposer le recours à des prestataires certifiés APSAD-NF Service, en l'absence de démonstration d'un accord de volonté portant sur une pratique ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel.

24. Si le GEMA et la FFSA siègent au conseil d'administration du CNPP, ils n'occupent respectivement qu'un et deux sièges sur 17, aux côtés d'autres organismes institutionnels ou professionnels importants. En outre, ils ont indiqué qu'aucune décision n'y était prise en matière de certification des opérateurs de pose et de maintenance d'extincteurs, de sorte que leurs représentants n'intervenaient pas sur les éléments relatifs à la certification APSAD.

25. Par ailleurs, les allégations de l'ADMIS SERVICES sont contredites par les éléments recueillis lors de l'instruction, qui révèlent que les assureurs ne demandent pas systématiquement la certification APSAD et acceptent des garanties équivalentes, notamment le référentiel VeriSelect.

26. A cet égard, s'il apparaît que quelques agences locales ont demandé à leurs clients de fournir des certificats N4/Q4, ces exemples ne permettent pas à eux seuls d'établir l'existence de consignes globales diffusées par le CNPP, la FFSA ou le GEMA, ni même par le siège de leur compagnie. Au contraire, les éléments recueillis montrent que chacune des compagnies d'assurance décide individuellement et au cas par cas du niveau de garantie qu'elle fixe en fonction de la nature des risques couverts.

27. Enfin, force est de constater en ce qui concerne la période récente que l'ADMIS SERVICES a elle-même conclu à " la disparition de l'exigence APSAD dans les contrats privés, notre association n'ayant relevé au cours de l'année 2015 aucun refus de nos attestations RIE et RVE ", cette disparition concernant également " les avis d'appels d'offres de la commande publique " (procès-verbal du conseil d'administration du 21 mars 2016).

B. SUR LA PRATIQUE ALLÉGUÉE D'ABUS DE POSITION DOMINANTE

28. Dans sa saisine, l'ADMIS SERVICES vise " la position monopolistique " de la FFSA et du GEMA " dans le domaine de l'assurance ", le CNPP étant selon elle " une émanation de la FFSA et du GEMA qu'ils contrôlent à 90 % ".

29. Mais, comme cela a été exposé ci-dessus, la partie saisissante ne fournit pas d'éléments suffisamment probants de l'existence d'une pratique restrictive de concurrence consistant à exiger la certification APSAD-NF Service des prestataires de pose et de maintenance d'extincteurs dans les contrats d'assurance et la commande publique.

30. A cet égard, quelle que soit la position du CNPP sur un éventuel marché de la certification des services de pose et de maintenance d'extincteurs portatifs, aucun élément ne permet de considérer qu'il aurait été en mesure d'imposer aux utilisateurs, par des pratiques unilatérales, le recours à des prestataires certifiés APSAD-NF Service.

C. CONCLUSION

31. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les faits invoqués dans le cadre de la saisine d'ADMIS SERVICES ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants. Il y a lieu, en conséquence, de faire application des dispositions de l'article L. 462-8 du Code de commerce et de rejeter la saisine au fond et, partant, la demande de mesures conservatoires.

DÉCISION

Article 1er : La saisine de l'Association des distributeurs de matériels incendie et services enregistrée sous le numéro 15/0050F est rejetée.

Article 2 : La demande de mesures conservatoires de l'Association des distributeurs de matériels incendie et de services, enregistrée sous le numéro 15/0051M est rejetée.

Délibéré sur le rapport oral de Mme Céline Devienne, rapporteure, et l'intervention orale de M. Eric Cuziat, rapporteur général adjoint, par M. Thierry Dahan, vice-président, président de séance, Mmes Pierrette Pinot et Carol Xueref, membres.