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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 6 septembre 2016, n° 15-14701

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Selarl Garnier Guillouet (ès qual.), SMG Beauté (EURL)

Défendeur :

Guinot (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

Mmes Auroy, Douillet

Avocats :

Mes Segers, Etevenard, Camillo

T. com. Paris, du 17 juin 2015

17 juin 2015

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Guinot est le créateur de méthodes de soins exclusives du visage et du corps, ainsi que d'une gamme de produits cosmétiques et en qualité de franchiseur, a développé un réseau important tant en France qu'à l'étranger ;

L'EURL SMG Beauté a été créée par Mme Sandrine Millerin-Geher en vue de l'exploitation d'une activité d'esthéticienne sous contrat d'affiliation avec la SAS Guinot mais dès la première année d'exploitation, ses résultats sont restés très en-deçà des perspectives élaborées dans le "business plan", de telle sorte qu'un an et demie après la signature du contrat d'affiliation, l'EURL SMG Beauté, en proie à des difficultés de trésorerie récurrentes, et en dépit d'efforts financiers, a dû déposer son bilan ;

Estimant que la SAS Guinot avait manqué à son devoir de loyauté en laissant perdurer une situation concurrentielle non prévue à la signature du contrat, liée à la présence à proximité de l'implantation de l'EURL SMG Beauté, de l'institut Coryse-Salomé, dépositaire de la marque Guinot, l'EURL SMG Beauté a fait assigner le 12 juillet 2013 la SAS Guinot devant le Tribunal de commerce de Paris en résiliation du contrat d'affiliation et en dommages et intérêts ;

Par jugement du 22 juillet 2013 le Tribunal de commerce de Meaux prononçait la liquidation judiciaire de l'EURL SMG Beauté, nommant la Selarl Garnier Guillouet en qualité de liquidateur judiciaire ;

Reconventionnellement, la SAS Guinot a demandé le paiement de factures impayées ;

Par jugement contradictoire du 17 juin 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- pris acte de l'intervention volontaire de la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté,

- rejeté toutes les demandes de la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté,

- ordonné l'inscription au passif de l'EURL SMG Beauté de la somme de 10 535,59 euros,

- condamné la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté à payer à la SAS Guinot la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de sa décision,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- condamné la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté aux dépens de l'instance ;

La Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur judiciaire de l'EURL SMG Beauté, a interjeté appel de ce jugement le 3 juillet 2015 ;

Par ses dernières conclusions récapitulatives, transmises par RPVA le 29 janvier 2016, la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur judiciaire de l'EURL SMG Beauté demande :

- d'infirmer le jugement entrepris,

- de prononcer la résiliation du contrat d'affiliation aux torts exclusifs de la SAS Guinot,

- de condamner la SAS Guinot à lui payer la somme de 200 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- de condamner la SAS Guinot à lui payer la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Par ses dernières conclusions, transmises par RPVA le 17 novembre 2015, la SAS Guinot demande :

- de confirmer le jugement entrepris,

- de rejeter l'ensemble des demandes de la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté,

- de condamner la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens ;

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 mars 2016 ;

MOTIFS DE L'ARRÊT

Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ;

I : SUR LA DEMANDE DE RÉSILIATION DU CONTRAT D'AFFILIATION :

Considérant que la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté fonde sa demande de résiliation du contrat d'affiliation sur les articles 1134 et 1184 du Code civil à raison des manquements de la SAS Guinot à son devoir de loyauté, soit au cours de la période précontractuelle, soit lors de la phase contractuelle ;

Qu'elle invoque ainsi l'existence d'une situation concurrentielle non prévue et dissimulée au moment de la conclusion du contrat d'affiliation dans la mesure où lorsqu'elle a signé ce contrat le 23 janvier 2012, Mme Sandrine Millerin-Gehier pensait être sur le point de devenir la seule représentante de la marque Guinot à Meaux en raison du départ imminent de la dépositaire Coryse Salomé alors que celle-ci n'a en réalité jamais cessé son activité, contrairement à ce qui avait été prétendu au moment des discussions précontractuelles ;

Qu'elle affirme que la SAS Guinot a refusé de prendre la mesure de la situation concurrentielle délicate qui en résultait, cherchant au contraire à rassurer artificiellement Mme Sandrine Millerin-Gehier et que le fait de ne pas avoir prévu cette situation concurrentielle au moment de la conclusion du contrat ni d'avoir mis en garde la future affiliée constitue déjà une faute ;

Qu'elle ajoute que cette faute a été considérablement aggravée par l'attitude passive de la SAS Guinot alors même qu'elle était informée de la réalité de la situation par l'EURL SMG Beauté puisqu'il aura fallu plus d'un an à la SAS Guinot pour réagir, caractérisant le défaut de loyauté qui peut lui être reproché ;

Qu'elle en conclut que ce défaut de loyauté s'est traduit par une absence de vigilance à l'égard des conditions de concurrence dans lesquelles l'affiliée était amenée à exercer son activité, par un manquement à son devoir de transparence en n'indiquant pas clairement les mesures qu'elle comptait entreprendre et en ne condamnant pas nettement l'attitude de la dépositaire et par un manquement à son devoir de coopération en ne facilitant pas l'exécution du contrat d'affiliation par son attitude complètement passive ;

Qu'elle précise que ces manquements ont commencé dès la phase précontractuelle et se sont poursuivis lors de la phase contractuelle et qu'elle est donc bien fondée à demander la résiliation du contrat d'affiliation aux torts exclusifs de la SAS Guinot à laquelle elle réclame la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la différence entre son chiffre d'affaires global et celui prévu par le " business plan " ;

Considérant que la SAS Guinot réplique qu'en fondant sa demande de condamnation au visa de l'article 1134 du Code civil, la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté ne peut invoquer que la question de l'exécution des obligations contractuelles par les parties et non pas des faits relatifs à la période précontractuelle ;

Qu'elle précise que Mme Sandrine Millerin-Gehier disposait de toutes les capacités nécessaires pour apprécier et approfondir le projet de sa nouvelle activité professionnelle et qu'elle connaissait l'existence de la dépositaire Coryse Salomé à Meaux ; qu'ainsi elle a signé son contrat après avoir reçu une information précontractuelle en bonne et due forme ;

Qu'elle indique avoir ainsi parfaitement rempli son obligation au regard de l'information précontractuelle en remettant plus de cinq mois avant la signature du contrat un état général du marché et une étude locale faisant mention de l'existence de l'institut dépositaire Coryse Salomé ;

Qu'elle précise ne jamais avoir transmis de " business plan " à l'EURL SMG Beauté, mais simplement les éléments devant l'aider à établir elle-même un prévisionnel avec l'aide de son comptable, le franchisé étant un commerçant responsable et indépendant conservant à sa charge le risque du commerce ;

Qu'elle ajoute avoir également parfaitement rempli ses obligations contractuelle en faisant effectuer de nombreuses visites bilans, en assurant les formations du personnel, en s'efforçant d'alléger les charges de l'institut, en ne facturant pas certains appareils, en participant aux frais de publicité et en prêtant les meubles et le matériel pour que l'EURL SMG Beauté puisse participer à un salon ;

Qu'enfin elle soulève l'absence de justification des demandes financières présentées en l'absence de toute pièce démontrant l'existence de son préjudice et de son montant ;

Considérant ceci exposé, que la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté fonde expressément son action en résiliation du contrat d'affiliation et en dommages et intérêts sur le dernier alinéa de l'article 1134 du Code civil qui dispose que les obligations d'un contrat doivent être exécutées de bonne foi et sur l'article 1184 qui dispose que " la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement " ;

Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que les pourparlers précontractuels pour un projet d'affiliation Guinot à Meaux dont duré plus de six mois, du 5 juillet 2011 au 23 janvier 2012, date de la signature du contrat d'affiliation ;

Que Mme Sandrine Millerin-Gehier a ainsi été destinataire dès le mois de juillet 2011 d'une part d'un état général du marché (par la remise d'un Document d'Information Précontractuelle) et d'autre part d'une étude locale de marché faisant apparaître une concurrence de treize instituts de beauté indépendants dans la zone de proximité immédiate de son futur institut, dont en premier lieu l'institut dépositaire Coryse Salomé à moins de cinq minutes à pied (pièce 7, page 24) ;

Considérant que le contrat d'affiliation mentionne d'ailleurs que l'affilié, l'EURL SMG Beauté, " reconnaît avoir eu le temps nécessaire pour réfléchir et se faire conseiller avant la signature du contrat " et avoir reçu vingt jours avant la signature, outre le projet de contrat, le document d'information préalable prévu par l'article L. 330-3 du Code de commerce, donnant au futur affilié " des informations sincères, qui lui permette[nt] de s'engager en connaissance de cause " (ancienneté et expérience de l'entreprise, état et perspectives de développement du marché, importance du réseau d'exploitants, champ des exclusivités, etc.) ; que l'article 1er du contrat stipule qu'il est concédé à l'affilié " sans aucune exclusivité territoriale " ;

Qu'ainsi dès la conclusion du contrat, Mme Sandrine Millerin-Gehier n'ignorait pas d'une part l'existence à proximité de son futur établissement de l'institut dépositaire Coryse Salomé, et d'autre part l'absence de toute clause d'exclusivité territoriale ;

Qu'il n'existe aucun élément objectif permettant d'établir que la SAS Guinot aurait affirmé à Mme Sandrine Millerin-Gehier que l'institut dépositaire Coryse Salomé allait rapidement cesser son activité du fait de l'âge de sa gérante, les courriers des 5 et 12 juillet 2011 de la SAS Guinot à Mme Sandrine Millerin-Gehier n'en faisant aucunement mention et l'hypothèse d'une reprise par cette dernière de cet institut n'étant pas évoquée ;

Qu'il apparaît que cette affirmation ne se retrouve que dans la lettre adressée le 8 juin 2013 par Mme Sandrine Millerin-Gehier à la SAS Guinot, laquelle ne peut se constituer de preuve à elle-même ;

Considérant d'autre part que la SAS Guinot n'a jamais remis de " business plan " à l'EURL SMG Beauté mais a simplement remis lors du premier rendez-vous du 28 juin 2011 un "Guide du candidat" devant lui permettre de " compléter [son] budget initial pour le projet " (lettre du 5 juillet 2011) puis des tableaux financiers type pour l'aider à bâtir ses simulations d'investissement et de chiffre d'affaires et un dossier de présentation bancaire type en précisant qu'il appartenait à l'EURL SMG Beauté de personnaliser ces documents à son projet en se rapprochant d'établissements bancaires pour avoir une première approche et d'un comptable pour finaliser ses hypothèses (lettre du 5 juillet 2011) ; qu'elle n'a donc pas réalisé de prévisionnel ;

Considérant en tout état de cause qu'un franchiseur n'est pas tenu d'une obligation de résultat en cas de décalage entre les prévisions, par nature aléatoires, et la réalité, de nombreux paramètres intervenant quant à la réalisation d'un chiffre d'affaires et qu'il ne saurait donc voir sa responsabilité engagée du seul fait que ces prévisions n'ont pas été réalisées ;

Considérant par ailleurs que l'article 4 du contrat d'affiliation définit les obligations contractuelles de la SAS Guinot :

- la mise en place d'une formation initiale suivie de la proposition de stages ultérieurs de perfectionnement,

- la communication du savoir-faire par la remise d'un manuel technique détaillant la disposition générale d'un espace Guinot, les techniques de soins spécifiques et de présentation des produits, les méthodes de commercialisation et le système d'identification visuelle de l'institut,

- une assistance à l'agencement et à la décoration de l'espace Guinot,

- une assistance commerciale et un appui permanent (assistance informatique, perfectionnement des systèmes, méthodes et techniques Guinot, communication régulière du tarif tenu à jour),

- des services d'assistance complémentaires en communication,

- un suivi d'activité par des visites régulières ;

Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que la SAS Guinot a bien respecté ses obligations contractuelles, qu'elle a ainsi fait effectuer tout au long de l'année 2012 et jusqu'en juillet 2013 de nombreuses visites et bilans de suivi et/ou d'activité (pièce 30) et qu'elle a mis un œuvre un accompagnement effectif de l'EURL SMG Beauté en particulier par des consultations juridiques (pièce 14), la négociation de remises fournisseur (pièce 15), la suspension de facturation sur une troisième cabine après réduction d'effectif (pièce 18), le prêt d'un mobilier d'exposition (pièce 19), des avantages commerciaux actés par avenant au contrat d'affiliation (pièce 24), une participation aux frais de publicité (pièce 26), etc. ;

Considérant enfin que dès que l'EURL SMG Beauté a fait part à la SAS Guinot de la confusion pouvant résulter de l'exploitation de la dépositaire Coryse Salomé qui mettait davantage en valeur ses liens commerciaux avec la SAS Guinot, cette dernière a adressé à celle-ci le 25 février 2013 une mise en demeure de cesser d'utiliser l'enseigne et la marque Guinot sur tout support, notamment en utilisant les visuels mannequins Guinot (pièce 8) ; qu'il ne peut donc lui être imputé aucune passivité coupable ;

Considérant en conséquence qu'aucun manquement contractuel et, plus largement, à l'obligation générale de loyauté ne peut être reproché à la SAS Guinot, de telle sorte que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté de l'ensemble de ses demandes ;

II : SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE LA SAS GUINOT :

Considérant que la SAS Guinot conclut à la confirmation du jugement entrepris qui a ordonné l'admission définitive au passif de l'EURL SMG Beauté de la somme de 10 535,59 euros correspondant au montant de sa créance déclarée au titre de factures des 1er mars et 3 juillet 2013 et des avoirs et règlements compris dans cette période ;

Considérant que la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté n'articule aucun moyen relatif à cette demande ;

Considérant que le montant de cette créance n'est pas contesté et que le jugement entrepris sera donc confirmé par adoption de ses motifs en ce qu'il a dit que cette créance était certaine dans son principe, liquide et exigible et en ce qu'il ordonné l'inscription au passif de l'EURL SMG Beauté de ladite somme de 10 545,59 euros ;

III : SUR LES AUTRES DEMANDES :

Considérant qu'il est équitable d'allouer à la SAS Guinot la somme complémentaire de 4 000 euros au titre des frais par elle exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, le jugement entrepris étant par ailleurs confirmé en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles de première instance ;

Considérant que la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté sera pour sa part, déboutée de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant que la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté, partie perdante en son appel, sera condamnée au paiement des dépens d'appel, le jugement entrepris étant par ailleurs confirmé en ce qu'il a statué sur la charge des dépens de la procédure de première instance ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; Condamne la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté à payer à la SAS Guinot la somme complémentaire de quatre mille euros (4 000 euros) au titre des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens ; Déboute la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la Selarl Garnier Guillouet, ès qualités de liquidateur de l'EURL SMG Beauté aux dépens de la procédure d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.