TUE, 7e ch., 14 septembre 2016, n° T-57/15
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Trajektna luka Split d.d.
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. van der Woude
Juges :
Mme Wiszniewska-Bialecka, M. Ulloa Rubio (rapporteur)
Avocats :
Mes Bauer, Freund, Hankiewicz
LE TRIBUNAL (septième chambre),
Antécédents du litige
1 La requérante, Trajektna luka Split d.d., est l'opérateur privé exploitant le terminal passagers du port de Split en Croatie. Elle a été privatisée en 2003. Ses principales activités concernent l'exploitation du terminal dans le cadre du trafic intérieur et international, notamment l'amarrage et le désamarrage des navires ainsi que l'embarquement et le débarquement des passagers et des véhicules.
2 Le port de Split est le plus grand port de passagers de Croatie. Il est géré par l'autorité portuaire de Split.
Procédure administrative
3 Le 22 août 2013, la requérante a introduit auprès de la Commission européenne une plainte alléguant que l'autorité portuaire de Split fournissait une aide d'État illégale à l'opérateur public de ferries Jadrolinija.
4 Selon cette plainte, l'autorité portuaire de Split a octroyé à la requérante, en 2003, une concession exclusive l'autorisant à fournir des services portuaires pendant une durée de douze ans.
5 En 2005, ladite autorité portuaire a par ailleurs, selon la plainte, limité les tarifs pour les services portuaires en ce qui concerne le trafic intérieur à un niveau inférieur d'au moins 40 % à celui des tarifs pratiqués dans les autres ports de Croatie. En outre, selon ladite plainte, les montants maximaux des tarifs pour les services portuaires en ce qui concerne le trafic international, tels que fixés par l'autorité portuaire de Split, sont significativement plus élevés que ceux concernant le trafic intérieur. Selon les estimations fournies dans la plainte, les tarifs concernant le trafic intérieur sont, pour la plupart, entre 45 et 70 % plus bas que ceux pratiqués pour le trafic international.
6 En conséquence, étant donné que la fourniture de services portuaires dans le domaine du trafic intérieur constitue approximativement 80 % des activités de la requérante, celle-ci serait obligée de poursuivre ses activités à perte.
7 La plainte indique encore que 90 % du trafic intérieur dans le port de Split est effectué par Jadrolinija, opérateur de ferries détenu par l'État croate. Les tarifs pour les services portuaires dus en ce qui concerne le trafic intérieur dans le port de Split seraient significativement inférieurs à ceux perçus dans d'autres ports de Croatie. En conséquence, Jadrolinija recevrait un avantage correspondant à la différence entre les tarifs applicables pour les services fournis dans le cadre du trafic intérieur dans d'autres ports de Croatie et les tarifs appliqués par l'autorité portuaire de Split pour les services fournis dans le cadre du trafic intérieur dans le port de Split. Selon l'estimation de la requérante, l'aide dont bénéficierait ainsi Jadrolinija est approximativement de 4 000 000 d'euros par an.
8 Le 4 octobre 2013, la Commission a envoyé à la requérante une lettre d'évaluation préliminaire indiquant que, sur la base d'un examen prima facie, la mesure ne comportait pas de transfert de ressources d'État et donc ne pouvait être qualifiée d'aide d'État au sens de l'article 107 TFUE.
9 Le 4 novembre 2013, la requérante a communiqué ses observations sur la lettre d'évaluation préliminaire de la Commission.
10 Le 18 décembre 2013, la Commission a envoyé une copie de la plainte aux autorités croates, accompagnée d'une demande d'informations additionnelles.
11 Les autorités croates ont répondu le 17 janvier 2014.
Décision attaquée
12 Le 15 octobre 2014, la Commission a rendu la décision C (2013) 7285 final, concernant l'aide d'État SA.37265 (2014-NN) - Croatie - Aide présumée en faveur de Jadrolinija (résumé au JO 2015, C 44, p. 1, ci-après la " décision attaquée ").
13 Au considérant 44 de la décision attaquée, la Commission a rappelé que, conformément, notamment, à l'arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C 379-98, EU:C:2001:160), un système qui conduit à une redistribution financière d'une entité privée à une autre sans aucune implication de l'État n'implique pas de transfert de ressources étatiques, si l'argent circule directement d'une entité privée à une autre, sans passer par une entité publique ou privée désignée par les autorités étatiques pour administrer le transfert.
14 Au considérant 45 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, dans la présente affaire, les ressources financières circulaient directement entre la requérante, entité privée à 100 %, et ses clients, qui, s'il en avait été différemment (c'est-à-dire sans limite maximale pour les tarifs portuaires), auraient dû payer des prix plus élevés. De la sorte, les ressources financières circulaient directement d'une entité privée à une autre, sans passer par une entité publique ou privée désignée par les autorités étatiques pour administrer le transfert.
15 Au considérant 46 de la décision attaquée, la Commission a conclu que la mesure concernée n'impliquait pas de transfert de ressources étatiques au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE.
16 Enfin, au considérant 47 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que cette conclusion n'était pas affectée par le fait que la requérante jouissait, de fait, de droits exclusifs au sens de l'article 106, paragraphe 1, TFUE. Les entreprises auxquelles les États membres ont octroyés des droits exclusifs ne sauraient, pour cette seule raison, être considérées comme suffisamment sous le contrôle de l'État pour que leurs ressources privées deviennent automatiquement des ressources d'État. De plus, la simple existence de droits exclusifs en faveur d'une entreprise privée ne saurait entraîner un risque de contournement des règles en matière d'aides d'État. En principe, les forces du marché obligent les entreprises privées à exercer leur activité économique de manière viable, à défaut de quoi elles peuvent être contraintes de quitter le marché. En l'espèce, la requérante, comme tout opérateur privé, évalue les risques commerciaux et les opportunités de profit disponibles sur le marché et agit en conséquence. Les autorités croates n'auraient pas pu utiliser le simple octroi de droits exclusifs comme outil pour contourner les règles en matière d'aides d'État en forçant un concessionnaire privé à faire payer des frais de port à un niveau non viable pour les entreprises privées, puisque, dans ce cas, aucune entreprise privée (ne bénéficiant pas elle-même d'une aide d'État) ne serait plus jamais disposée à conclure un tel contrat de concession au prochain appel d'offres.
Procédure et conclusions des parties
17 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 février 2015, la requérante a introduit le présent recours.
18 En vertu de l'article 106, paragraphe 3, de son règlement de procédure, en l'absence de demande de fixation d'une audience présentée par les parties principales dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phrase écrite de la procédure, le Tribunal peut décider de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure. En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en l'absence d'une telle demande, de statuer sans poursuivre la procédure.
19 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- annuler la décision attaquée ;
- condamner la Commission aux dépens ;
- renvoyer l'affaire devant la Commission pour complément d'enquête et nouvelle décision ;
- ordonner toute autre mesure qu'il jugera utile.
20 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- déclarer le recours irrecevable ou, à titre subsidiaire, déclarer les premier, deuxième, troisième, quatrième et sixième moyens irrecevables et rejeter le cinquième moyen comme non fondé, ou, à titre encore plus subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;
- condamner la requérante aux dépens.
En droit
21 Au soutien de son recours, la requérante soulève six moyens, tirés, le premier, d'une erreur d'appréciation et d'une erreur de droit manifestes, en ce que la Commission a appliqué un critère erroné pour vérifier si des ressources d'État ont été engagées au sens de l'article 107 TFUE, le deuxième, d'une erreur d'appréciation et d'une erreur de droit manifestes, en ce que la Commission a constaté l'absence d'engagement de ressources d'État au sens de l'article 107 TFUE, le troisième, d'une erreur de droit manifeste, en ce que la Commission n'a pas pris en considération l'article 106, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l'article 107, paragraphe 1, TFUE, le quatrième, d'une violation des formes substantielles, en ce que la Commission n'a pas fait suffisamment usage des pouvoirs d'enquête à l'égard de l'État membre qui lui sont conférés par l'article 10, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 659-1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), le cinquième, d'une omission à ouvrir la procédure formelle d'examen prévue à l'article 108, paragraphe 2, TFUE et, le sixième, d'une insuffisance de la motivation tant en ce qui concerne l'absence de ressources d'État qu'au regard des dispositions combinées de l'article 106, paragraphe 1, TFUE et de l'article 107, paragraphe 1, TFUE.
22 Il y a lieu d'examiner ensemble les premier et deuxième moyens, relatifs à une prétendue existence de ressources d'État.
Sur les premier et deuxième moyens, tirés d'une erreur d'appréciation et d'une erreur de droit manifestes dans l'appréciation de l'existence de ressources d'État
23 À titre liminaire, il convient de rappeler que seuls les avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d'État sont considérés comme des aides au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE. La distinction établie dans cette disposition entre les " aides accordées par les États " et les aides accordées " au moyen de ressources d'État " ne signifie pas que tous les avantages consentis par un État constituent des aides, qu'ils soient ou non financés au moyen de ressources étatiques, mais vise seulement à inclure dans cette notion les avantages qui sont accordés directement par l'État ainsi que ceux qui le sont par l'intermédiaire d'un organisme public ou privé, désigné ou institué par cet État (voir arrêt du 15 janvier 2013, Aiscat-Commission, T 182-10, EU:T:2013:9, point 103 et jurisprudence citée).
24 Il convient également de rappeler que l'article 107, paragraphe 1, TFUE englobe tous les moyens pécuniaires que les autorités publiques peuvent effectivement utiliser pour soutenir des entreprises, sans qu'il soit pertinent que ces moyens appartiennent ou non de manière permanente au patrimoine de l'État. En conséquence, même si les sommes correspondant à la mesure en cause ne sont pas de façon permanente en possession des autorités publiques, le fait qu'elles restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes, suffit pour qu'elles soient qualifiées de ressources d'État (voir arrêt du 15 janvier 2013, Aiscat-Commission, T 182-10, EU:T:2013:9, point 104 et jurisprudence citée).
25 La requérante soutient que la Commission a simplement considéré que le seul fait que, en l'espèce, des ressources financières étaient directement transférées entre elle, dont l'actionnariat est privé à 100 %, et ses clients était suffisant pour conclure que la mesure visée par la plainte n'impliquait pas le transfert de ressources d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE. En procédant ainsi, la Commission se serait uniquement référée à l'arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C 379-98, EU:C:2001:160), et à l'arrêt du 15 janvier 2013, Aiscat-Commission (T 182-10, EU:T:2013:9). Or, selon la requérante, une aide d'État pourrait également exister dans le cas où la contribution financière provient de ressources privées, dès lors que ces ressources privées sont soumises à un contrôle suffisant de l'État, conformément à la solution retenue par la Cour, notamment, dans son arrêt du 30 mai 2013, Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE (C 677-11, EU:C:2013:348, point 35). La Commission aurait déjà appliqué ces principes dans un certain nombre de ses décisions, telle la décision (UE) 2015-1585 de la Commission, du 25 novembre 2014, relative au régime d'aides SA. 33995 (2013-C) (ex 2013-NN) [appliqué par l'Allemagne en faveur de l'électricité d'origine renouvelable et des gros consommateurs d'énergie] (JO 2015, L 250, p. 122).
26 En l'espèce, la mesure en question concerne des tarifs pour les services portuaires qui, conformément aux articles 62 et 63 de la loi croate sur le domaine maritime et les ports maritimes (ci-après la " loi sur le domaine maritime "), bien que fixés par l'autorité portuaire de Split, sont acquittés directement à la requérante par les utilisateurs de ces services, qu'ils relèvent du secteur privé ou du secteur public comme Jadrolinija.
27 Aux considérants 44 à 46 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, les ressources financières en cause circulant directement entre la requérante, entité privée à 100 %, et ses clients, ces ressources circulent directement d'une entité privée à une autre, sans passer par une entité publique ou une entité privée désignée par les autorités étatiques, et elle a conclu que la mesure concernée n'impliquait donc pas de transfert de ressources étatiques (voir points 13 à 15 ci-dessus).
28 De la sorte, il suffit de constater que la Commission a appliqué, par analogie, la solution retenue dans l'arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C 379-98, EU:C:2001:160, points 59 à 62). En effet, dans cet arrêt, la Cour a indiqué que l'obligation faite à des entreprises privées d'acheter à des prix minimaux imposés par un État membre un certain type d'électricité n'entraînait aucun transfert direct ou indirect de ressources d'État aux entreprises productrices de ce type d'électricité. Partant, la répartition de la charge financière découlant pour ces entreprises privées d'approvisionnement en électricité de ladite obligation d'achat entre celles-ci et d'autres entreprises privées ne pouvait pas non plus constituer un transfert direct ou indirect de ressources d'État. La Cour a, dès lors, considéré que le fait que l'obligation d'achat était imposée par la loi et conférait un avantage incontestable à certaines entreprises n'était pas de nature à lui conférer le caractère d'une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE. Selon la Cour, cette conclusion ne saurait être infirmée par la circonstance que la charge financière découlant de l'obligation d'achat à des prix minimaux est susceptible de se répercuter de façon négative sur les résultats économiques des entreprises assujetties à cette obligation et d'entraîner, en conséquence, une diminution des recettes fiscales de l'État. En effet, cette conséquence est inhérente à une telle réglementation et ne saurait être considérée comme constituant un moyen d'accorder aux producteurs de ce type d'électricité un avantage déterminé à la charge de l'État.
29 Une telle approche a d'ailleurs été confirmée par le Tribunal, dans son arrêt du 15 janvier 2013, Aiscat-Commission (T 182-10, EU:T:2013:9, point 105), selon lequel les sommes qui correspondent au produit de l'augmentation du péage d'une première autoroute décidée par les autorités étatiques en vue de financer le remboursement des coûts de construction d'une seconde autoroute, versées directement au concessionnaire de cette seconde autoroute, société privée, par les concessionnaires de la première autoroute, également des sociétés privées, transitant ainsi directement et exclusivement entre sociétés privées, sans qu'un quelconque organisme public en acquière, serait-ce de manière passagère, la possession ou le contrôle, ne constituent pas des ressources étatiques au sens de la jurisprudence.
30 C'est donc à juste titre que la Commission a conclu, au point 46 de la décision attaquée (voir point 15 ci-dessus), que la mesure en cause n'impliquait pas le transfert de ressources d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE.
31 Les arguments invoqués par la requérante ne sauraient remettre en cause cette conclusion.
32 Premièrement, la requérante soutient que la décision attaquée n'est pas conforme à la jurisprudence et expose notamment que la Cour, dans l'arrêt du 30 mai 2013, Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE (C 677-11, EU:C:2013:348), a indiqué, au point 35 dudit arrêt, que, même si les sommes correspondant à la mesure en cause n'étaient pas de façon permanente en possession des autorités nationales compétentes, le fait qu'elles restaient constamment sous contrôle public, et donc à la disposition de celles-ci, suffisait pour qu'elles soient qualifiées de ressources d'État. La requérante en conclut qu'il n'est pas nécessaire que les fonds passent à un moment quelconque entre les mains d'entités publiques pour relever de la qualification d'aide. Selon la requérante, le critère déterminant serait celui du contrôle par l'État membre concerné de la mesure en cause. Or, la requérante soutient qu'elle n'est pas libre de disposer de ses ressources, étant donné qu'elle ne peut pas fixer le montant de ses services, d'autant que l'étendue de ceux-ci sont prédéfinis par la loi sur le domaine maritime.
33 À cet égard, il convient de relever que, si la Cour a effectivement rappelé, au point 35 de l'arrêt du 30 mai 2013, Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE (C 677-11, EU:C:2013:348), sa propre jurisprudence selon laquelle des sommes qui ne sont pas de façon permanente en possession des autorités nationales compétentes tombent sous la qualification d'aide du fait qu'elles restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition desdites autorités, elle a néanmoins, contrairement à ce que laisse supposer la requérante, conclut au point 36 dudit arrêt que ces critères n'étaient pas remplis dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, étant donné que l'entité recevant les ressources décidait de leur utilisation, que les autorités nationales ne pouvaient pas utiliser les ressources concernées, et que celles-ci n'étaient pas constamment sous contrôle public et donc n'étaient pas à la disposition des autorités étatiques.
34 L'explication de la requérante selon laquelle elle ne serait pas libre de disposer de ses ressources parce qu'elle n'est pas libre de fixer ses tarifs ni l'étendue de ses services n'est pas convaincante. En effet, si la requérante n'a pas cette liberté, c'est parce qu'elle a accepté d'assurer les services prévus par la loi sur le domaine maritime à des tarifs prétendument bas lorsqu'elle a conclu le contrat de concession de l'exploitation du port de Split. La requérante ne peut donc utilement prétendre qu'elle ne peut pas décider de l'utilisation des ressources provenant des tarifs fixés par l'autorité portuaire de Split, ni que les autorités nationales peuvent utiliser ou disposer de ces ressources, de telle manière qu'elles les contrôleraient au sens de l'arrêt du 30 mai 2013, Doux Élevage et Coopérative agricole UKL-ARREE (C 677-11, EU:C:2013:348). En l'espèce, il s'agit non pas d'un contrôle par les autorités croates des ressources de la requérante, mais de la contrepartie du contrat de concession qu'elle a conclu.
35 Deuxièmement, la requérante soutient que la mesure en cause dans l'arrêt du 15 janvier 2013, Aiscat-Commission (T 182-10, EU:T:2013:9), que la Commission cite dans son mémoire en défense, était en définitive financée par les consommateurs utilisant l'autoroute du fait de l'augmentation du péage, tandis que, dans la présente affaire, elle subit une perte qu'elle ne peut pas répercuter sur d'autres consommateurs.
36 De la sorte, la requérante semble directement lier l'existence d'une aide au fait qu'elle subirait des pertes. Or, outre le fait qu'elle n'explique pas en quoi l'existence d'une prétendue perte serait un élément qui permettrait de révéler l'existence d'une aide, force est de constater que la requérante n'a produit aucun document, tel qu'un document comptable, démontrant l'existence d'une telle perte. À cet égard, les documents présentés par la requérante en annexe de la réplique, outre qu'ils ne démontrent pas ses pertes, mais visent simplement à comparer les tarifs dans les différents ports de Croatie, sont, en tout état de cause, des documents irrecevables, faute d'avoir été produits dans le cadre de la requête, conformément à l'article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure, ou que la requérante ait justifié leur production tardive, conformément à l'article 85, paragraphe 2, dudit règlement. De plus, la question de savoir si la requérante, société de droit privé, a subi des pertes est, en tout état de cause, sans pertinence pour déterminer si des ressources étatiques ont été engagées. En effet, l'article 107 TFUE vise à protéger la concurrence dans le marché intérieur et ne saurait être détourné de cette finalité pour être utilisé comme moyen de remettre en cause les conditions financières d'un contrat de concession que le concessionnaire estime inéquitables.
37 Troisièmement, la requérante soutient que Jadrolinija effectue 90 % du trafic intérieur dans le port de Split et qu'il serait donc le principal bénéficiaire des tarifs excessivement bas.
38 En tout état cause, il s'agit d'une situation de fait, d'ailleurs non prouvée par la requérante, susceptible d'évoluer et qui ne remet pas en cause la constatation de la Commission, au considérant 45 de la décision attaquée (voir point 14 ci-dessus), selon laquelle les ressources financières circulent directement d'une entité privée à une autre. En effet, que des entreprises publiques puissent également profiter de tarifs avantageux, au même titre que des entreprises privées, ne saurait remettre en cause ladite constatation.
39 Enfin, quatrièmement, la requérante soutient que la Commission, dans la décision attaquée, se serait écartée d'une décision comparable qu'elle a récemment adoptée, à savoir la décision 2015-1585, dans laquelle la Commission a exposé que le critère pertinent afin d'apprécier l'existence de ressources publiques, quelle que soit leur origine initiale, était celui du degré d'intervention de l'autorité publique dans la définition des mesures en cause et de leurs méthodes de financement.
40 Quant à cette affirmation, il suffit de rappeler que, en tout état de cause, selon une jurisprudence constante, c'est dans le seul cadre de l'article 107, paragraphe 1, TFUE que doit être apprécié le caractère d'aide d'État d'une mesure et non au regard d'une prétendue pratique décisionnelle antérieure de la Commission (arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne-Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C 106-09 P et C 107-09 P, EU:C:2011:732, point 136).
41 C'est donc à juste titre que la Commission a déclaré au considérant 47 de la décision attaquée (voir point 16 ci-dessus) que la conclusion selon laquelle la fixation de tarifs portuaires par l'autorité portuaire de Split n'impliquait pas de transfert de ressources étatiques au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE n'était pas affectée par le fait que la requérante jouissait, de fait, de droits exclusifs au sens de l'article 106, paragraphe 1, TFUE.
42 Dès lors, il a lieu de rejeter les premier et deuxième moyens.
Sur le troisième moyen, tiré d'une erreur de droit manifeste, en ce que la Commission n'a pas pris en considération l'article 106, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l'article 107, paragraphe 1, TFUE
43 Selon la requérante, la Commission a omis de tenir compte du fait qu'elle s'était vu accorder un droit spécial au sens de l'article 106, paragraphe 1, TFUE, lequel devait être pris en considération dans le cadre de l'article 107, paragraphe 1, TFUE. La requérante ajoute que, comme elle l'a soutenu lors de la procédure administrative, dans le cas d'entreprises qui bénéficient de droits exclusifs au sens de l'article 106, paragraphe 1, TFUE, dès lors que, comme en l'espèce, les autres critères prévus à l'article 107, paragraphe 1, TFUE sont remplis, il n'est pas nécessaire que des ressources d'État soient engagées pour aboutir à la conclusion de l'existence d'une aide d'État, étant donné que le simple fait que l'entreprise se soit vu conférer un droit exclusif rend déjà les mesures prises par l'entreprise imputables à l'État, lorsque, comme en l'espèce, ces mesures sont imposées par des autorités étatiques. Ainsi, la requérante soutient, en substance, que, dès lors qu'une entreprise jouit de droits exclusifs, elle se trouve dans la même situation qu'une entreprise publique. Partant, une lecture combinée des articles 106 et 107 TFUE exigerait que les ressources de ces entreprises soient traitées de la même façon au regard de l'objectif poursuivi par l'article 107 TFUE.
44 Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les entreprises auxquelles les États membres ont octroyé des droits exclusifs ne sauraient, pour cette seule raison, être considérées comme suffisamment sous le contrôle de l'État pour que leurs ressources privées deviennent automatiquement des ressources d'État (voir point 16 ci-dessus).
45 À cet égard, il convient de relever que, au soutien de son argumentation, la requérante renvoie notamment au point 63 de l'arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C 379-98, EU:C:2001:160).
46 Or, ce point concerne non pas la décision de la Cour, comme le laisse entendre la requérante, mais un argument de la Commission, selon lequel la notion d'aide d'État doit être interprétée de façon à s'étendre également à des mesures de soutien décidées par l'État et financées par des entreprises privées.
47 La Cour a cependant rejeté cet argument et a, au contraire, conclu dans cet arrêt qu'une réglementation d'un État membre qui, d'une part, oblige des entreprises privées d'approvisionnement en électricité à acheter l'électricité produite dans leur zone d'approvisionnement à partir de sources d'énergie renouvelables à des prix minimaux supérieurs à la valeur économique réelle de ce type d'électricité et, d'autre part, répartit la charge financière résultant de cette obligation entre lesdites entreprises d'approvisionnement en électricité et les exploitants privés des réseaux d'électricité situés en amont, ne constitue pas une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra, C 379-98, EU:C:2001:160, points 64 à 66 ; voir également point 28 ci-dessus).
48 De même, il convient de constater que, dans l'arrêt du 15 janvier 2013, Aiscat-Commission (T 182-10, EU:T:2013:9), étaient concernées des mesures financées directement par des entreprises privées disposant de droits exclusifs, à savoir les concessionnaires d'une autoroute italienne. Dans cette affaire, ainsi qu'il a été relevé au point 29 ci-dessus, le Tribunal a conclu qu'aucune ressource d'État n'était impliqué et qu'il n'y avait pas d'aide (arrêt du 15 janvier 2013, Aiscat-Commission, T 182-10, EU:T:2013:9, points 105 et 106).
49 Ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne saurait être déduit du seul fait qu'une entreprise jouisse de droits exclusifs qu'elle se trouve dans la même situation qu'une entreprise publique.
50 C'est donc à juste titre que la Commission a déclaré au considérant 47 de la décision attaquée (voir point 16 ci-dessus) que la conclusion selon laquelle la fixation de tarifs portuaires par l'autorité portuaire de Split n'impliquait pas de transfert de ressources étatiques au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE n'était pas affectée par le fait que la requérante jouissait, de fait, de droits exclusifs au sens de l'article 106, paragraphe 1, TFUE.
51 Dès lors, il y a lieu de rejeter le troisième moyen.
Sur le quatrième moyen, tiré d'une violation des formes substantielles, en ce que la Commission n'a pas fait suffisamment usage des pouvoirs d'enquête à l'égard de l'État membre qui lui sont conférés par l'article 10, paragraphe 2, du règlement nº 659-1999
52 Dans le cadre du quatrième moyen, la requérante soutient que la Commission n'a pas suffisamment fait usage, à l'égard de l'État membre, des pouvoirs d'enquête qu'elle tire de l'article 10, paragraphe 2, du règlement n° 659-1999. La Commission aurait été tenue de discuter des mesures en cause avec les autorités croates, afin d'éviter que les informations nécessaires ne fassent défaut. Cela comprendrait notamment la question de savoir si l'État exerçait un contrôle sur les fonds en cause, aux fins d'établir si des ressources d'État étaient engagées.
53 L'article 10, paragraphe 2, du règlement n° 659-1999 prévoit que la Commission peut demander à l'État membre concerné de lui fournir des renseignements à propos de l'aide prétendument illégale.
54 Puis, si l'État membre, en dépit du rappel qui lui a été adressé, ne fournit pas les renseignements demandés dans le délai imparti, la Commission, conformément à l'article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659-1999, " arrête une décision lui enjoignant de fournir lesdits renseignements ".
55 En outre, l'État membre concerné est tenu, conformément à l'article 10, paragraphe 2, du règlement nº 659-1999, lu en combinaison avec l'article 2, paragraphe 2, du même règlement, de fournir à la Commission tous les renseignements nécessaires pour lui permettre de prendre une décision relative à la qualification de la mesure examinée et, le cas échéant, à sa compatibilité avec le marché intérieur.
56 Ainsi, ces dispositions, qui concernent les rapports entre la Commission et l'État membre concerné, visent à mettre des obligations à la charge de ce dernier, et non à obliger la Commission à se renseigner davantage auprès de celui-ci lorsque, comme en l'espèce, cela ne lui paraît pas nécessaire pour déclarer qu'une mesure ne constitue pas une aide sans ouvrir la procédure formelle d'examen.
57 Dès lors, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.
Sur le cinquième moyen, tiré d'une omission à ouvrir la procédure formelle d'examen prévue à l'article 108, paragraphe 2, TFUE
58 La requérante soutient que, en adoptant la décision attaquée à la suite d'un examen préliminaire, la Commission a violé ses droits procéduraux prévus dans le cadre de la procédure formelle d'examen par l'article 108, paragraphe 2, TFUE. La Commission serait tenue d'ouvrir cette procédure lorsqu'une première analyse ne lui permet pas de surmonter objectivement toutes les difficultés rencontrées lors de l'appréciation de la compatibilité de la mesure étatique en cause avec le marché intérieur. Or, la Commission aurait manifestement rencontré des difficultés sérieuses lors de son appréciation de la nature des mesures contestées, eu égard, d'une part, à la durée et aux circonstances de la phase préliminaire d'examen et, d'autre part, au contenu de la décision attaquée au regard des informations fournies.
59 À cet égard, il convient de rappeler que, lorsque la Commission ne peut pas acquérir la conviction, à la suite d'un premier examen mené dans le cadre de la procédure de l'article 108, paragraphe 3, TFUE, qu'une mesure soit ne constitue pas une " aide " au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE, soit, si elle est qualifiée d'aide, est compatible avec le traité FUE, ou lorsque cette procédure ne lui a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l'appréciation de la compatibilité de la mesure considérée, cette institution est dans l'obligation d'ouvrir la procédure prévue à l'article 108, paragraphe 2, TFUE sans disposer à cet égard d'une marge d'appréciation (voir arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates-Commission, C 487-06 P, EU:C:2008:757, point 113 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 9 octobre 2001, Italie-Commission, C 400-99, EU:C:2001:528, point 48). Cette obligation est d'ailleurs expressément confirmée par les dispositions combinées de l'article 4, paragraphe 4, et de l'article 13, paragraphe 1, du règlement no 659-1999 (arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates-Commission, C 487-06 P, EU:C:2008:757, point 113).
60 La notion de difficultés sérieuses revêt un caractère objectif. L'existence de telles difficultés doit être recherchée tant dans les circonstances de l'adoption de l'acte attaqué que dans son contenu, d'une manière objective, en mettant en rapport les motifs de la décision avec les éléments dont la Commission disposait lorsqu'elle s'est prononcée sur la compatibilité des aides litigieuses avec le marché intérieur (voir arrêt du 28 mars 2012, Ryanair-Commission, T 123-09, EU:T:2012:164, point 77 et jurisprudence citée). Il en découle que le contrôle de légalité effectué par le Tribunal sur l'existence de difficultés sérieuses, par nature, ne peut se limiter à la recherche de l'erreur manifeste d'appréciation (arrêt du 27 septembre 2011, 3F-Commission, T 30-03 RENV, EU:T:2011:534, point 55). En effet, une décision adoptée par la Commission sans ouverture de la phase formelle d'examen peut être annulée pour ce seul motif, en raison de l'omission de l'examen contradictoire et approfondi prévu par le traité FUE, même s'il n'est pas établi que les appréciations portées sur le fond par la Commission sont erronées en droit ou en fait (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2010, British Aggregates e.a.-Commission, T 359-04, EU:T:2010:366, point 58).
61 Si la Commission ne dispose d'aucun pouvoir discrétionnaire quant à la décision d'engager la procédure formelle d'examen, lorsqu'elle constate l'existence de telles difficultés, elle jouit néanmoins d'une certaine marge d'appréciation dans la recherche et dans l'examen des circonstances de l'espèce afin de déterminer si celles-ci soulèvent des difficultés sérieuses. Conformément à la finalité de l'article 108, paragraphe 3, TFUE et au devoir de bonne administration qui lui incombe, la Commission peut, notamment, engager un dialogue avec l'État notifiant ou des tiers afin de surmonter, au cours de la phase préliminaire d'examen, des difficultés éventuellement rencontrées (arrêts du 15 mars 2001, Prayon-Rupel-Commission, T 73-98, EU:T:2001:94, point 45, et du 3 mars 2010, Bundesverband deutscher Banken-Commission, T 36-06, EU:T:2010:61, point 126). Or, cette faculté présuppose que la Commission puisse adapter sa position en fonction des résultats du dialogue engagé, sans que cette adaptation doive être a priori interprétée comme établissant l'existence de difficultés sérieuses (arrêt du 12 décembre 2006, Asociación de Estaciones de Servicio de Madrid et Federación Catalana de Estaciones de Servicio-Commission, T 95-03, EU:T:2006:385, point 139).
62 L'écoulement d'un délai excédant notablement ce qu'implique un premier examen dans le cadre des dispositions de l'article 108, paragraphe 3, TFUE peut, avec d'autres éléments, conduire à reconnaître que la Commission a rencontré des difficultés sérieuses d'appréciation exigeant que soit ouverte la procédure prévue par l'article 108, paragraphe 2, TFUE (arrêts du 10 mai 2000, SIC-Commission, T 46-97, EU:T:2000:123, point 102, et du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International-Commission, T 388-03, EU:T:2009:30, point 94 ; voir également, en ce sens, arrêt du 20 mars 1984, Allemagne-Commission, 84-82, EU:C:1984:117, points 15 et 17).
63 La requérante supporte la charge de la preuve de l'existence de difficultés sérieuses, preuve qu'elle peut rapporter à partir d'un faisceau d'indices concordants, relatifs, d'une part, aux circonstances et à la durée de la phase préliminaire d'examen et, d'autre part, au contenu de la décision attaquée (arrêt du 3 mars 2010, Bundesverband deutscher Banken-Commission, T 36-06, EU:T:2010:61, point 127).
64 En premier lieu, la requérante souligne la longueur de la procédure préliminaire d'examen. Elle relève qu'il a été jugé que des périodes de quinze mois et d'un an, dix mois et quinze jours pour l'examen préliminaire étaient des indices de l'existence de difficultés sérieuses, eu égard aux circonstances spécifiques des affaires concernées (voir, en ce sens, arrêts du 4 juillet 2007, Bouygues et Bouygues Télécom-Commission, T 475-04, EU:T:2007:196, points 159 et suivants, et du 3 mars 2010, Bundesverband deutscher Banken-Commission, T 36-06, EU:T:2010:61, points 129 à 132).
65 À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, dans le cas où les mesures étatiques litigieuses n'ont pas été notifiées par l'État membre concerné, la Commission n'est pas tenue de procéder à un examen préliminaire de ces mesures dans un délai déterminé. Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure d'examen préliminaire doit s'apprécier en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, du contexte de celle-ci, des différentes étapes procédurales que la Commission doit suivre et de la complexité de l'affaire (voir arrêt du 27 septembre 2011, 3F-Commission, T 30-03 RENV, EU:T:2011:534, points 57 et 58 et jurisprudence citée).
66 En outre, la Commission dispose du droit d'accorder des degrés de priorité différents aux plaintes dont elle est saisie (voir arrêt du 4 juillet 2007, Bouygues et Bouygues Télécom-Commission, T 475-04, EU:T:2007:196, point 158 et jurisprudence citée).
67 Enfin, le point 48 du code de bonnes pratiques pour la conduite des procédures de contrôle des aides d'État (JO 2009, C 136, p. 13) prévoit que " [e]n principe, dans un délai de douze mois, la Commission s'efforce [...] d'adresser une première lettre administrative au plaignant pour lui exposer ses conclusions préliminaires dans les cas non prioritaires ".
68 En l'espèce, la Commission ayant été saisie de la plainte de la requérante le 22 août 2013 et ayant rendu la décision attaquée le 15 octobre 2014, le délai pris par la Commission n'est guère plus long que le délai indicatif prévu par ledit code.
69 En outre, il convient de noter qu'il ressort des pièces du dossier que, parallèlement à sa plainte, en l'espèce, relative à une aide d'État, la requérante a également déposé une plainte contre de prétendus abus de position dominante par l'autorité portuaire de Split sur la base des articles 102 et 106 TFUE, rejetée par la Commission par décision du 28 novembre 2014, contre laquelle la requérante a déposé une demande d'annulation auprès du Tribunal enregistrée sous le numéro d'affaire T 70-15. La requérante a enfin déposé une plainte pour violations des règles du marché intérieur par la Croatie en ce qui concerne le port de Split sur la base de l'article 56 TFUE, qui est à l'origine du lancement d'une procédure en infraction contre la Croatie en date du 24 novembre 2014, concernant une éventuelle application incorrecte du règlement (CEE) n° 4055-86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers (JO 1986, L 378, p. 1, et rectificatif JO 1987, L 93, p. 17). Par conséquent, au cours des treize mois qui se sont écoulés entre la réception de la plainte et l'adoption de la décision attaquée, ainsi que l'explique la Commission, ses services ont été tenus de coordonner leurs actions, politiques et communications avec la requérante et les autorités croates en ce qui concerne ces trois types de griefs.
70 Dès lors, dans le cas d'espèce, une durée de treize mois entre le dépôt de la plainte et le prononcé de la décision attaquée ne saurait, à elle seule, être une preuve suffisante, apportée par la requérante, à qui la charge en incombe, de l'existence de difficultés sérieuses d'appréciation.
71 En second lieu, la requérante fait valoir qu'il ressort du contenu de la décision attaquée que la Commission a éprouvé des difficultés sérieuses au cours de la procédure d'examen préliminaire. Plus précisément, il existerait des incohérences entre les informations que la Commission a fournies lors de l'examen préliminaire et celles figurant dans la décision attaquée. La Commission n'expliquerait pas pourquoi et dans quelle mesure elle a retenu les faits tels que présentés par les autorités croates et non pas tels que présentés par la requérante.
72 À cet égard, force est de constater que la seule prétendue incohérence à laquelle la requérante fait spécifiquement référence concerne le considérant 31 de la décision attaquée, qui indique que, selon les autorités croates, elle est une entreprise privée à 100 %, et le considérant 40 de la décision attaquée, qui donne la définition de ce qu'est une entreprise publique et constate qu'elle est une entreprise privée à 100 %. Or, force est de constater que la requérante n'explique pas en quoi il y aurait une contradiction entre ces deux considérants.
73 À titre subsidiaire, la requérante soutient que la Commission aurait objectivement dû éprouver des difficultés sérieuses pour constater l'absence de ressources d'État. La Commission aurait dû reconnaître de telles difficultés, en adoptant la position selon laquelle les règles relatives aux aides d'État ne s'appliquent pas, en principe, aux entreprises privées et en ne dérogeant pas à ce principe en l'espèce, alors qu'elle aurait été désignée par les autorités croates pour accorder à ses clients un avantage au moyen de fonds étroitement contrôlés par l'autorité portuaire de Split.
74 À cet égard, la conclusion de la Commission selon laquelle les règles en matière d'aides d'État ne s'appliquent pas aux ressources financières qui circulent directement d'une entité privée à une autre, sans transiter par un organisme public ou privé désigné par l'État pour administrer le transfert, était fondée sur la jurisprudence bien établie de la Cour, citée à la note de bas de page n° 13 de la décision attaquée, à savoir notamment l'arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C 379-98, EU:C:2001:160, points 59 à 62). Étant donné que, selon les informations dont disposait la Commission, la requérante était une entreprise privée à 100 %, la Commission a pu, à juste titre, considérer, dans le cadre d'un examen préliminaire, que, conformément à ladite jurisprudence, il n'existait pas de difficultés sérieuses nécessitant l'ouverture de la procédure formelle d'examen prévue à l'article 108, paragraphe 2, TFUE.
75 Dès lors, il y a lieu de rejeter le cinquième moyen.
Sur le sixième moyen, tiré d'une insuffisance de motivation tant en ce qui concerne l'absence de ressources d'État qu'au regard des dispositions combinées de l'article 106, paragraphe 1, TFUE et de l'article 107, paragraphe 1, TFUE
76 À titre liminaire, il convient de rappeler que la motivation exigée par l'article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. Ainsi, l'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires de l'acte ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 2 avril 1998, Commission-Sytraval et Brink's France, C 367-95 P, EU:C:1998:154, point 63 ; du 22 juin 2004, Portugal-Commission, C 42-01, EU:C:2004:379, point 66, et du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C 390-06, EU:C:2008:224, point 79).
77 Par ailleurs, il ne saurait être question pour le Tribunal d'examiner, au titre du contrôle du respect de l'obligation de motivation, la légalité au fond des motifs invoqués par la Commission pour justifier sa décision. Il s'ensuit que, dans le cadre d'un moyen tiré d'un défaut ou d'une insuffisance de motivation, les griefs et arguments visant à contester le bien-fondé de la décision attaquée sont inopérants et dénués de pertinence (arrêt du 15 juin 2005, Corsica Ferries France-Commission, T 349-03, EU:T:2005:221, points 58 et 59).
78 C'est à la lumière de ces principes qu'il convient d'apprécier si la Commission a, en l'espèce, respecté son obligation de motivation.
79 En l'espèce, en ce qui concerne la question de l'absence de ressources d'État, la requérante soutient que la décision attaquée ne fournit pas de motivation claire et non équivoque expliquant pourquoi les critères pertinents pour établir si des ressources d'État étaient engagées n'étaient pas satisfaits dans les circonstances de l'espèce. En outre, la décision attaquée ne fournirait pas d'éléments de fait ou de raisons justifiant que les autorités croates n'auraient aucun contrôle sur les fonds bénéficiant à Jadrolinija et aux autres exploitants de ferries nationaux dans le port de Split, en dehors du fait que les recettes de la requérante sont privées et non publiques.
80 À cet égard, il y a lieu de relever que, particulièrement aux considérants 44 et 45 de la décision attaquée (voir points 13 et 14 ci-dessus), la Commission a exposé les raisons pour lesquelles elle a conclu à l'absence de ressources étatiques. En outre, la Commission n'a pas violé l'obligation de motivation qui lui incombait, dans la mesure où, dans la décision attaquée, elle a permis à la requérante de comprendre les raisons du rejet de la plainte et au Tribunal d'exercer son contrôle. D'ailleurs, la requérante a pu, sur le fondement de cette motivation, contester le bien-fondé de la décision attaquée par ses premier et deuxième moyens et le Tribunal vérifier ce bien-fondé au travers de l'examen desdits moyens.
81 Quant à l'argument selon lequel la décision attaquée ne fournirait pas les éléments ou les raisons justifiant que les autorités croates n'auraient aucun contrôle sur les fonds bénéficiant à Jadrolinija et aux autres exploitants de ferries nationaux dans le port de Split, il relève de l'appréciation du bien-fondé de la décision attaquée. L'argument avancé en ce sens par la requérante doit donc être considéré, au regard de la jurisprudence citée au point 77 ci-dessus, comme inopérant et dénué de pertinence dans le cadre d'un moyen tiré de la violation de l'obligation de motivation.
82 En ce qui concerne la question de l'insuffisance de motivation au regard des dispositions combinées de l'article 106, paragraphe 1, TFUE et de l'article 107, paragraphe 1, TFUE, il suffit de relever que, particulièrement au considérant 47 de la décision attaquée (voir point 15 ci-dessus), la Commission a exposé les raisons pour lesquelles elle avait conclu à l'absence de ressources étatiques et ainsi motivé suffisamment cette décision. D'ailleurs, la requérante a pu, sur le fondement de cette motivation, contester le bien-fondé de la décision attaquée par son troisième moyen et le Tribunal vérifier ce bien-fondé au travers de l'examen dudit moyen.
83 Dès lors, il y a lieu de rejeter le sixième moyen.
84 Dans un souci d'économie de la procédure, il ressort de ce qui précède que l'ensemble du recours doit être rejeté, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer préalablement sur sa recevabilité (arrêts du 26 février 2002, Conseil-Boehringer, C 23-00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52, et du 15 juin 2005, Regione autonoma della Sardegna-Commission, T 171-02, EU:T:2005:219, point 155).
Sur les dépens
85 Aux termes de l'article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.
86 La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (septième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Trajektna luka Split d.d. est condamnée aux dépens.
Van der Woude - Wiszniewska-Bialecka - Ulloa Rubio
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 septembre 2016.