TUE, 9e ch., 15 septembre 2016, n° T-139/14
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
PT Wilmar Bioenergi Indonesia, PT Wilmar Nabati Indonesia
Défendeur :
Conseil de l'Union européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Berardis
Juges :
MM. Czúcz (rapporteur), Popescu
Avocats :
Mes Vander Schueren, Bierwagen, Hipp
LE TRIBUNAL (neuvième chambre),
Arrêt
Antécédents du litige
Procédure administrative
1 Les requérantes, PT Wilmar Bioenergi Indonesia et PT Wilmar Nabati Indonesia, sont des producteurs indonésiens de biodiesel appartenant au même groupe.
2 Le biodiesel, un combustible de substitution semblable au diesel conventionnel, est produit dans l'Union européenne, mais il y est également importé dans des quantités importantes. En Indonésie, il est principalement produit à partir d'huile de palme brute (ci-après l'" HPB "), la principale matière première utilisée dans la production de biodiesel.
3 À la suite d'une plainte déposée le 17 juillet 2012 par l'European Biodiesel Board (EBB) au nom de producteurs représentant plus de 60 % de la production totale de biodiesel de l'Union, la Commission européenne a publié, le 29 août 2012, un avis d'ouverture d'une procédure antidumping concernant les importations de biodiesel originaire de l'Argentine et de l'Indonésie (JO 2012, C 260, p. 8), conformément à l'article 5 du règlement (CE) n° 1225-2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 2009, L 343, p. 51, ci-après le " règlement de base ").
4 L'enquête relative au dumping et au préjudice a porté sur la période allant du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012 (ci-après la " période d'enquête "). L'examen des tendances pertinentes aux fins de l'évaluation du préjudice a couvert la période allant du 1er janvier 2009 jusqu'à la fin de la période d'enquête.
5 Conformément à l'article 17, paragraphe 1, du règlement de base, la Commission a retenu, dans le cadre de l'enquête en cause, un échantillon de quatre producteurs-exportateurs ou groupes de producteurs-exportateurs d'origine indonésienne, dont les requérantes, fondé sur le plus grand volume représentatif d'exportations du produit concerné vers l'Union.
6 Le 27 mai 2013, la Commission a adopté le règlement (UE) n° 490-2013, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de biodiesel originaire de l'Argentine et de l'Indonésie (JO 2013, L 141, p. 6, ci-après le " règlement provisoire ").
7 Aux considérants 60 à 63 du règlement provisoire, la Commission a relevé que les ventes sur le marché intérieur en Indonésie n'étaient pas représentatives et a calculé la valeur normale du produit similaire provisoirement en application de l'article 2, paragraphes 3 et 6, du règlement de base. Par conséquent, ladite valeur normale a été calculée sur la base des coûts de production réels constatés pendant la période d'enquête, majorés des frais de vente, des dépenses administratives, des autres frais généraux et d'une marge bénéficiaire raisonnable.
8 En ce qui concerne les coûts liés à la production du produit similaire, la Commission a précisé, au considérant 63 du règlement provisoire, qu'elle examinerait plus en détail au stade définitif de l'enquête ainsi que dans le cadre de l'enquête antisubventions l'affirmation des plaignants selon laquelle le système de taxe différentielle à l'exportation en vigueur en Indonésie (ci-après le " système de TDE ") exercerait une pression sur les prix de l'huile de palme et provoquerait ainsi une distorsion des coûts liés à la production du biodiesel.
9 Aux considérants 64 et 65 du règlement provisoire, la Commission a relevé que l'enquête avait montré que le marché intérieur indonésien du biodiesel était fortement réglementé par l'État, de sorte que le bénéfice n'avait pas pu être fondé sur les données réelles des sociétés retenues dans l'échantillon, les ventes intérieures du biodiesel n'étant pas considérées comme des ventes effectuées au cours d'opérations commerciales normales. Elle a également précisé que, par conséquent, le montant correspondant au bénéfice qui avait été utilisé lors du calcul de la valeur normale avait été déterminé conformément à l'article 2, paragraphe 6, sous c), du règlement de base.
10 Dans le règlement provisoire, la Commission a conclu que les importations du biodiesel produit par les requérantes faisaient l'objet d'un dumping, la marge de dumping provisoire s'élevant à 9,6 % et la marge de préjudice provisoire à 26,4 %. En appliquant la règle du droit moindre, elle a fixé le taux de droit antidumping provisoire pour chacune des requérantes à 9,6 %.
11 Le 28 mai 2013, la Commission a communiqué aux requérantes les faits et considérations essentiels sur lesquels reposait l'adoption des mesures antidumping provisoires.
12 Le 1er juillet 2013, les requérantes ont présenté des observations sur les faits et considérations essentiels qui sont mentionnés au point 11 ci-dessus.
13 Le 1er octobre 2013, la Commission a informé les requérantes des faits et des considérations essentiels sur la base desquels elle entendait recommander l'institution d'un droit antidumping définitif sur les importations du produit concerné (ci-après l'" information définitive "). Ces dernières ont présenté leurs observations sur l'information définitive le 17 octobre 2013.
14 Le 19 novembre 2013, le Conseil de l'Union européenne a adopté le règlement d'exécution (UE) n° 1194-2013, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de biodiesel originaire de l'Argentine et de l'Indonésie (JO 2013, L 315, p. 2, ci-après le " règlement attaqué ").
Règlement attaqué
15 Au considérant 28 du règlement attaqué, le Conseil a confirmé les conclusions du règlement provisoire, selon lesquelles la valeur normale du produit similaire était calculée conformément à l'article 2, paragraphes 3 et 6, du règlement de base. À cet égard, le Conseil a indiqué que les ventes intérieures ne pouvaient pas être considérées comme effectuées au cours d'opérations commerciales normales, étant donné que le marché indonésien du biodiesel était fortement réglementé par l'État.
16 Toutefois, en ce qui concerne le calcul des coûts liés à la production du produit concerné, il ressort des considérants 30, 34, 66 à 70 du règlement attaqué que, à la suite d'une enquête complémentaire, le Conseil a accepté la proposition de la Commission de modifier les conclusions figurant au considérant 63 du règlement provisoire. Il a notamment confirmé l'analyse selon laquelle le système de TDE exerçait une pression sur le prix de l'HPB, la principale matière première, sur le marché intérieur qui s'établissait à un niveau artificiellement bas, influant sur le coût des producteurs de biodiesel. Étant donné que les coûts relatifs à la production et à la vente du produit concerné n'étaient donc pas raisonnablement reflétés dans les registres des producteurs indonésiens faisant l'objet de l'enquête, le Conseil a décidé, en application de l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base, de ne pas prendre en considération les coûts réels de l'HPB, tels qu'ils figuraient dans les registres comptables des sociétés concernées, et de les substituer par le prix auquel celles-ci l'auraient achetée en l'absence de distorsion, à savoir par le prix de référence à l'exportation communiqué par les autorités indonésiennes et fondé sur les prix internationaux publiés (Rotterdam, Malaisie et Indonésie) (ci-après le " prix HPE ").
17 Eu égard aux marges de dumping constatées et au niveau du préjudice causé à l'industrie de l'Union, le Conseil a décidé que les montants déposés au titre des droits antidumping provisoires, institués par le règlement provisoire, devaient être définitivement perçus et qu'un droit antidumping définitif devait être institué sur les importations de biodiesel originaire d'Indonésie.
18 En ce qui concerne les requérantes, le taux du droit antidumping définitif applicable au produit concerné a été fixé à 20,0 % et à 174,91 euros par tonne net.
Procédure et conclusions des parties
19 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 février 2014, les requérantes ont introduit le présent recours.
20 Par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement, le 13 mai et le 2 juin 2014, la Commission et l'EBB ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du Conseil. Par ordonnances des 17 juillet et 22 septembre 2014, le président de la neuvième chambre du Tribunal a admis ces interventions.
21 Les parties principales ayant demandé que certains éléments confidentiels du dossier soient exclus de la communication à l'EBB, seules des versions non confidentielles des actes de procédure concernés ont été signifiées à cette partie. Cette dernière n'a pas présenté d'objections sur les demandes de traitement confidentiel.
22 Les intervenants ont déposé leurs mémoires et les parties principales leurs observations sur ceux-ci dans les délais impartis.
23 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre) a décidé d'ouvrir la phase orale de la procédure. En outre, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 89 de son règlement de procédure, le Tribunal a posé des questions écrites aux parties, qui y ont répondu dans le délai imparti.
24 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience du 28 avril 2016.
25 Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal :
- annuler le règlement attaqué, dans la mesure où il les concerne ;
- condamner le Conseil aux dépens.
26 Le Conseil, soutenu par la Commission et par l'EBB, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter le recours comme non fondé ;
- condamner les requérantes aux dépens.
En droit
27 À l'appui du recours, les requérantes avancent onze moyens. Les premier et sixième portent, en substance, sur le rejet des prix de l'HPB figurant dans les registres. Les deuxième, troisième et cinquième concernent, en substance, le remplacement des coûts réels de l'HPB par le prix HPE. Le quatrième est tiré d'une violation de l'article 2, paragraphes 3 et 5, du règlement de base. Le septième est tiré d'une violation de l'article 2, paragraphe 10, du règlement de base. Le huitième est tiré d'une erreur manifeste d'appréciation tenant à l'utilisation de matières premières erronées. Le neuvième est tiré d'une erreur manifeste d'appréciation commise dans le cadre de l'ajustement des coûts de l'HPB achetée auprès des sociétés affiliées. Le dixième concerne la détermination de la marge bénéficiaire des requérantes et, le onzième, la marge bénéficiaire retenue pour les sociétés de négoce liées établies dans l'Union.
28 Il y a lieu d'examiner d'abord le quatrième moyen et ensuite le sixième moyen.
Sur le quatrième moyen, tiré d'une violation de l'article 2, paragraphes 3 et 5, du règlement de base
29 Ce moyen, qui est formellement tiré d'une violation de l'article 2, paragraphes 3 et 5, du règlement de base, concerne, en substance, le recours à la valeur normale du produit similaire calculée conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base.
30 Les requérantes articulent ce moyen autour de trois branches.
31 Dans le cadre des première et troisième branches, les requérantes remettent en cause les constatations figurant au considérant 28 du règlement attaqué (voir point 15 ci-dessus). Elles avancent, en substance, d'une part, que le Conseil a dénaturé les faits ayant justifié le calcul de la valeur normale du produit similaire conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base et, d'autre part, que la déclaration selon laquelle le marché du biodiesel en Indonésie est fortement réglementé par l'État est à la fois dénuée de fondement et inexacte.
32 Dans le cadre de la deuxième branche, les requérantes reprochent au Conseil, en substance, une interprétation erronée de la notion de situation particulière du marché. Elles soutiennent que la justification du calcul de la valeur normale du produit similaire et de l'ajustement des coûts de l'HPB, qui figure au considérant 68 du règlement attaqué et repose sur l'existence d'une telle situation pour les prix de l'HPB, est erronée, car ladite justification s'appuie sur une interprétation de cette notion qui n'est pas conforme à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base.
33 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste le bien-fondé de ces arguments. Par ailleurs, il invoque l'irrecevabilité de l'argument tiré d'une violation des droits de la défense et de l'obligation de motivation en ce qui concerne la notion de situation particulière du marché, en faisant valoir qu'il n'a été présenté pour la première fois que dans la réplique.
34 Le Tribunal considère qu'il convient d'examiner les trois branches du quatrième moyen ensemble, en tenant compte du fait qu'elles sont étroitement liées.
35 S'agissant de la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil, il convient de rappeler qu'il ressort des dispositions combinées de l'article 44, paragraphe 1, sous c), et de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991 que la production de moyens nouveaux postérieurement au dépôt de la requête est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen, ou un argument, qui constitue l'ampliation d'un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable (voir arrêt du 22 mai 2014, Guangdong Kito Ceramics e.a.-Conseil, T 633-11, non publié, EU:T:2014:271, point 65 et jurisprudence citée).
36 En l'espèce, l'argument des requérantes tiré d'une violation des droits de la défense et de l'obligation de motivation en ce qui concerne la notion de situation particulière du marché ne fait que développer l'argumentation que celles-ci avaient avancée dans la requête au soutien de la deuxième branche du quatrième moyen. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir visant l'argument en question doit être rejetée.
37 En outre, il convient de relever que les griefs formulés par les requérantes en ce qui concerne le recours à la valeur normale du produit similaire calculée conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base sont tirés, en substance, en premier lieu, du fait que la motivation à cet égard figurant dans le règlement attaqué génère une confusion, en deuxième lieu, d'une violation des droits de la défense et, en troisième lieu, d'erreurs quant au fond.
38 En premier lieu, s'agissant du grief tiré d'une violation de l'obligation de motivation, à titre liminaire, il convient de rappeler, tout d'abord, que, selon la jurisprudence, la motivation exigée par l'article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'autorité de l'Union, auteur de l'acte incriminé, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et au juge de l'Union d'exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêts du 7 mai 1987, NTN Toyo Bearing e.a.-Conseil, 240-84, EU:C:1987:202, point 31, et du 12 octobre 1999, Acme-Conseil, T 48-96, EU:T:1999:251, point 141).
39 Il n'est toutefois pas exigé que la motivation du règlement spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 296 TFUE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais également de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée [voir, en ce sens, arrêts du 26 juin 1986, Nicolet Instrument, 203-85, EU:C:1986:269, point 10, et du 12 décembre 2014, Crown Equipment (Suzhou) et Crown Gabelstapler-Conseil, T 643-11, non publié, EU:T:2014:1076, point 130].
40 Dès lors qu'un règlement instituant, comme en l'espèce, des droits antidumping définitifs entre dans le cadre systématique d'un ensemble de mesures, il ne saurait être exigé que sa motivation spécifie les différents éléments de fait et de droit, parfois très nombreux et complexes, qui en font l'objet, ni que les institutions prennent position sur tous les arguments invoqués par les intéressés. Il suffit au contraire que l'auteur de l'acte expose les faits et considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie du règlement contesté (arrêt du 13 septembre 2010, Whirlpool Europe-Conseil, T 314-06, EU:T:2010:390, point 114).
41 Il y a lieu, en outre, de rappeler que, en vertu de l'article 2, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de base, lorsque aucune vente du produit similaire n'a lieu au cours d'opérations commerciales normales ou lorsque ces ventes sont insuffisantes ou lorsque, du fait de la situation particulière du marché, de telles ventes ne permettent pas une comparaison valable, la valeur normale du produit similaire est calculée sur la base du coût de production dans le pays d'origine, majoré d'un montant raisonnable pour les frais de vente, les dépenses administratives et autres frais généraux et d'une marge bénéficiaire raisonnable ou sur la base des prix à l'exportation, pratiqués au cours d'opérations commerciales normales, vers un pays tiers approprié, à condition que ces prix soient représentatifs (ci-après la " valeur normale construite "). Ces dérogations à la méthode de fixation de la valeur normale en fonction de prix réels ont un caractère exhaustif (voir, en ce sens, arrêts du 3 mai 2001, Ajinomoto et NutraSweet-Conseil et Commission, C 76-98 P et C 77-98 P, EU:C:2001:234, point 40, et du 1er octobre 2014, Conseil-Alumina, C 393-13 P, EU:C:2014:2245, point 21).
42 C'est en tenant compte de ces précisions qu'il convient d'examiner si les motifs figurant dans le règlement attaqué concernant le recours à la valeur normale construite du produit similaire répondent aux exigences découlant de l'obligation de motivation consacrée à l'article 296 TFUE.
43 En l'espèce, il convient de relever que les raisons justifiant la construction de la valeur normale du produit similaire conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base figurent aux considérants 28 et 75 du règlement attaqué.
44 Au considérant 75 du règlement attaqué, le Conseil a confirmé les considérants 60 à 62 du règlement provisoire, dans lesquels la Commission avait constaté que les ventes du produit similaire sur le marché indonésien n'étaient pas représentatives quant à leur volume, et, par conséquent, le motif retenu par la Commission au considérant 63 du même règlement pour justifier le recours à la valeur normale construite du produit similaire. À cet égard, il convient de relever que le caractère non représentatif des ventes de ce produit sur le marché intérieur du pays exportateur est un des cas visés à l'article 2, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de base permettant l'application d'une méthode subsidiaire de calcul de la valeur normale.
45 En outre, au considérant 28 du règlement attaqué, le Conseil a considéré que les ventes du biodiesel sur le marché indonésien ne pouvaient pas être considérées comme effectuées au cours d'opérations commerciales normales au motif que ledit marché était fortement réglementé par l'État pour justifier le recours à la valeur normale construite de ce produit. Cette justification vise également, à l'instar de celle visée au point 44 ci-dessus, une hypothèse permettant la construction de la valeur normale en application de l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base.
46 Partant, le Conseil a fourni, dans le règlement attaqué, deux motifs pour justifier le recours à la valeur normale construite du produit similaire conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base. Il ne saurait raisonnablement être considéré qu'une telle approche est équivoque et constitue une violation de l'obligation de motivation.
47 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l'argument des requérantes selon lequel, au considérant 68 du règlement attaqué, il est fait référence à la notion de situation particulière du marché en ce qui concerne le calcul de la valeur normale du produit similaire.
48 En effet, bien qu'une situation particulière du marché puisse, conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base, justifier une dérogation à la méthode de fixation de la valeur normale du produit similaire en fonction de prix réels lorsque, du fait de cette situation, de telles ventes ne permettent pas une comparaison valable, il ne ressort pas du règlement attaqué que, en l'espèce, l'existence d'une telle situation ait été alléguée par les institutions en ce qui concerne l'Indonésie, pour justifier le recours à la valeur normale construite du produit similaire.
49 Dans ce contexte, il convient de rappeler que l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base indique seulement les critères de la mise à l'écart des méthodes d'établissement de la valeur normale, calculée à partir du prix du produit sur le marché intérieur du pays exportateur, et ne fixe pas les modalités du calcul des coûts de production pour l'établissement de la valeur normale construite, ce calcul étant régi par le paragraphe 5 de ce même article (arrêt du 7 février 2013, EuroChem MCC-Conseil, T 84-07, EU:T:2013:64, point 50).
50 Il s'ensuit, ainsi que l'avance à juste titre le Conseil, qu'il convient de distinguer ces deux questions.
51 En l'espèce, il ressort des considérants 28 à 34 et 66 à 70 du règlement attaqué que la notion de situation particulière du marché s'inscrit dans le cadre des explications liées à l'application de l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base pour justifier la méthode appliquée pour calculer les coûts de production lors de l'établissement de la valeur normale construite du produit similaire et ne vise pas à fournir un motif nouveau ou supplémentaire au soutien du recours à la méthode de la valeur normale construite conformément à l'article 2, paragraphe 3, dudit règlement.
52 Il s'ensuit qu'il y lieu d'écarter le grief tiré de la violation de l'obligation de motivation invoqué par les requérantes en ce qui concerne le recours à la valeur normale construite du produit similaire conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base.
53 En deuxième lieu, s'agissant de la violation des droits de la défense des requérantes, à titre liminaire, il convient de rappeler qu'il ressort de la jurisprudence que les exigences découlant du respect des droits de la défense s'imposent non seulement dans le cadre de procédures susceptibles d'aboutir à des sanctions, mais également dans celui des procédures d'enquête précédant l'adoption de règlements antidumping qui peuvent affecter les entreprises concernées de manière directe et individuelle et comporter pour elles des conséquences défavorables (arrêts du 27 juin 1991, Al-Jubail Fertilizer-Conseil, C 49-88, EU:C:1991:276, point 15, et du 10 mars 2009, Interpipe Niko Tube et Interpipe NTRP-Conseil, T 249-06, EU:T:2009:62, point 64). En particulier, dans le cadre de la communication des informations aux entreprises intéressées au cours de la procédure d'enquête, le respect de leurs droits de la défense implique que ces entreprises doivent avoir été mises en mesure, au cours de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances allégués et sur les éléments de preuve retenus par la Commission à l'appui de son allégation de l'existence d'une pratique de dumping et du préjudice qui en résulterait (arrêts du 27 juin 1991, Al-Jubail Fertilizer-Conseil, C 49-88, EU:C:1991:276, point 17, et du 16 février 2012, Conseil et Commission-Interpipe Niko Tube et Interpipe NTRP, C 191-09 P et C 200-09 P, EU:C:2012:78, point 76). Ces exigences ont encore été précisées à l'article 20 du règlement de base, dont le paragraphe 2 dispose que les plaignants, les importateurs et les exportateurs ainsi que leurs associations représentatives et les représentants du pays exportateur " peuvent demander une information finale sur les faits et considérations essentiels sur la base desquels il est envisagé de recommander l'institution de mesures définitives ".
54 En l'espèce, premièrement, il convient de relever que les motifs invoqués par le Conseil dans le règlement attaqué pour justifier le recours à la valeur normale construite du produit similaire conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base, tirés tant de l'absence des ventes effectuées au cours d'opérations commerciales normales (considérant 28) que de l'absence de ventes représentatives sur le marché indonésien du biodiesel (considérant 75), ont été retenus déjà lors de la procédure administrative et figurent bien dans l'information définitive (considérants 24 et 63).
55 Deuxièmement, il ressort du dossier que, lors de la procédure administrative, les requérantes ont eu l'occasion de prendre utilement position sur la motivation invoquée par la Commission pour justifier le recours à la valeur normale construite du produit similaire conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base.
56 Troisièmement, comme cela a déjà été indiqué (voir points 47 à 51 ci-dessus), la notion de situation particulière du marché dans le règlement attaqué a été utilisée dans le cadre des explications liées à l'application de l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base pour justifier la méthode appliquée pour calculer les coûts de production lors de l'établissement de la valeur normale construite du produit similaire et ne vise pas à fournir un motif nouveau ou supplémentaire au soutien du recours à la méthode de la valeur normale construite conformément à l'article 2, paragraphe 3, dudit règlement.
57 Par conséquent, il convient de conclure que, en ce qui concerne le recours à la valeur normale construite du produit similaire conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base, les droits de la défense des requérantes n'ont pas été violés, ni, par ailleurs, les obligations de diligence et de bonne administration qui s'imposent aux institutions.
58 En troisième lieu, il convient d'examiner les arguments quant au fond, tirés, en substance, d'une part, d'une interprétation erronée de la notion de situation particulière du marché et, d'autre part, du fait que le marché du biodiesel en Indonésie n'est pas réglementé.
59 À cet égard, premièrement, il y lieu de relever que chacun des cas de figure visés à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base permet la mise à l'écart de la méthode d'établissement de la valeur normale du produit similaire sur la base des prix réels sur le marché intérieur du pays exportateur ainsi que le recours à la valeur normale construite et, en conséquence, la détermination des coûts de production en vertu de l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base.
60 Deuxièmement, il convient de préciser que les requérantes n'ont contesté ni dans leurs écritures ni lors de l'audience que, en espèce, les institutions pouvaient avoir recours à la valeur normale construite du produit similaire conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base en raison du caractère non représentatif des ventes du biodiesel sur le marché indonésien et que, en conséquence, les conditions d'application d'un cas de figure visé à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base étaient réunies.
61 Troisièmement, comme cela a été rappelé aux points 47 à 51 ci-dessus et ainsi que l'avancent à juste titre les institutions dans leurs écritures, il ne ressort pas du règlement attaqué que l'existence d'une situation particulière du marché ait été alléguée pour justifier la construction de la valeur normale du produit similaire conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base. Par conséquent, la question de savoir si une telle situation doit concerner le produit faisant l'objet de l'enquête ou ses intrants est sans pertinence pour apprécier la légalité du recours à la valeur normale construite.
62 Quatrièmement, s'agissant du grief par lequel les requérantes remettent en cause la conclusion figurant au considérant 28 du règlement attaqué, selon laquelle le marché indonésien du biodiesel était fortement réglementé par l'État de sorte que les ventes de ce produit sur ledit marché n'étaient pas effectuées au cours d'opérations commerciales normales, il convient de le rejeter comme inopérant.
63 En effet, quand bien même la conclusion figurant au considérant 64 du règlement provisoire, à laquelle renvoie le considérant 28 du règlement attaqué, serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, une telle erreur ne saurait remettre en cause le recours à la valeur normale construite du produit similaire conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base, dans la mesure où l'absence de ventes représentatives sur le marché indonésien permettait aux institutions de faire application de cette disposition.
64 Quant aux arguments avancés par les requérantes dans le cadre du quatrième moyen qui ont trait au rejet des coûts de l'HPB figurant dans les registres comptables des producteurs indonésiens en application de l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base, ils doivent être regardés comme ayant été avancés au soutien du sixième moyen, qui porte, en substance, sur le rejet des prix de l'HPB figurant dans lesdits registres et concerne l'application de cette disposition. Ils seront donc examinés dans le cadre de l'examen dudit moyen.
65 Partant, le quatrième moyen doit être rejeté.
Sur le sixième moyen, portant, en substance, sur le rejet des prix de l'HPB figurant dans les registres
66 Le sixième moyen vise à remettre en cause la démarche du Conseil consistant à s'écarter des coûts de l'HPB figurant dans les registres des producteurs visés par l'enquête en raison de la distorsion des prix de l'HPB causée par le système de TDE.
67 Les requérantes font valoir, en substance, que la pratique des institutions montre que les ajustements des coûts n'ont été opérés sur le fondement de l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base que dans les hypothèses d'intervention gouvernementale directe ou d'activités de troc. Elles précisent que les prix de l'HPB ne sont pas réglementés sur le marché indonésien par une intervention étatique directe. Elles avancent également que les conclusions de l'arrêt du 7 février 2013, Acron et Dorogobuzh-Conseil (T 235-08, non publié, EU:T:2013:65), ne peuvent pas être transposées en l'espèce, étant donné que les prix de l'HPB sur ledit marché ne sont pas directement réglementés par l'État. En outre, elles font valoir, en substance, que ce qui ressort du considérant 68 du règlement attaqué, à savoir les effets du système de TDE sur les prix de l'HPB sur ce marché, n'équivaut pas à une intervention étatique sur les prix rendant de plein droit ces derniers artificiellement bas. Par ailleurs, selon elles, les déclarations des institutions sur le volume des exportations de l'HPB se contredisent. Elles en concluent que, de fait, les institutions admettent que le système de TDE n'a aucun impact sur celui-ci.
68 Le Conseil conteste le bien-fondé des arguments des requérantes.
69 Le Conseil estime qu'il n'existe pas de pratique au sein des institutions selon laquelle les ajustements des coûts de production sont opérés uniquement dans les hypothèses d'intervention gouvernementale directe ou d'activités de troc. Il ajoute, dans ce contexte, qu'une allégation selon laquelle une telle pratique existe est contredite par le libellé de l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base. En outre, il avance que l'enquête a révélé que, nonobstant le fait que l'HPB était massivement exportée d'Indonésie, son prix sur le marché intérieur était artificiellement bas par rapport aux prix internationaux et que la différence de prix était proche de la taxe à l'exportation imposée par le système de TDE. Selon lui, le faible niveau du prix sur ledit marché résultait ainsi de la distorsion provoquée par le système de TDE et non d'un avantage naturel en termes de coût. Enfin, s'agissant de l'arrêt du 7 février 2013, Acron et Dorogobuzh-Conseil (T 235-08, non publié, EU:T:2013:65), il fait valoir, en substance, que, dans cet arrêt, le Tribunal a confirmé le principe général selon lequel les frais liés à la production du produit faisant l'objet de l'enquête ne pouvaient servir de base pour calculer la valeur normale du produit similaire lorsqu'ils n'étaient pas raisonnablement reflétés dans les registres des sociétés concernées. Cette interprétation générale de l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base s'appliquerait aux faits établis par les institutions.
70 En l'espèce, il y a lieu de souligner que, dans le règlement attaqué, dans le cadre de la détermination de la valeur normale du produit similaire, les institutions n'ont pas calculé les coûts de production du biodiesel en se référant au prix de l'HPB reflété dans les registres comptables des requérantes, mais, comme il ressort notamment des considérants 29 et suivants dudit règlement, elles ont écarté ce prix et l'ont remplacé par le prix HPE en se fondant sur l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base.
71 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l'article 2, paragraphe 3, du règlement de base, lorsque aucune vente du produit similaire n'a lieu au cours d'opérations commerciales normales ou lorsque ces ventes sont insuffisantes ou lorsque, du fait de la situation particulière du marché, de telles ventes ne permettent pas une comparaison valable, la valeur normale dudit produit est calculée sur la base du coût de production dans le pays d'origine, majoré d'un montant raisonnable pour les frais de vente, les dépenses administratives et autres frais généraux et d'une marge bénéficiaire raisonnable ou sur la base des prix à l'exportation, pratiqués au cours d'opérations commerciales normales, vers un pays tiers approprié, à condition que ces prix soient représentatifs. Cette même disposition précise qu'il peut être considéré qu'il existe une situation particulière du marché pour le produit concerné au sens de la phrase précédente, notamment lorsque les prix sont artificiellement bas, que l'activité de troc est importante ou qu'il existe des régimes de transformation non commerciaux.
72 En outre, il ressort de l'article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base que, lorsque la valeur normale du produit similaire est calculée conformément à l'article 2, paragraphe 3, dudit règlement, les coûts de production sont normalement calculés sur la base des registres comptables de la partie faisant l'objet de l'enquête, à condition que ces registres soient tenus conformément aux principes comptables généralement acceptés du pays concerné et tiennent compte raisonnablement des frais liés à la production et à la vente du produit considéré.
73 En application de l'article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement de base, si les frais liés à la production et à la vente d'un produit faisant l'objet d'une enquête ne sont pas raisonnablement reflétés dans les registres de la partie concernée, ils sont ajustés ou déterminés sur la base des frais d'autres producteurs ou exportateurs du même pays ou, lorsque ces informations ne sont pas disponibles ou ne peuvent être utilisées, sur toute autre base raisonnable, y compris sur la base d'informations émanant d'autres marchés représentatifs.
74 L'objectif de l'article 2, paragraphe 5, premier et deuxième alinéas, du règlement de base est de faire en sorte que les frais liés à la production et à la vente du produit similaire retenus dans le cadre du calcul de la valeur normale dudit produit reflètent les frais qu'un producteur aurait encourus sur le marché intérieur du pays exportateur.
75 Par ailleurs, il résulte du libellé de l'article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base que les registres comptables de la partie faisant l'objet de l'enquête constituent la source privilégiée de renseignements pour l'établissement des coûts de production du produit similaire et que l'utilisation des données figurant dans lesdits registres constitue le principe et leur adaptation ou leur remplacement par une autre base raisonnable l'exception.
76 Compte tenu du principe selon lequel une dérogation ou une exception à une règle générale doit être interprétée restrictivement (voir arrêt du 19 septembre 2013, Dashiqiao Sanqiang Refractory Materials-Conseil, C 15-12 P, EU:C:2013:572, point 17 et jurisprudence citée), il y a lieu de considérer que le régime d'exception qui découle de l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base doit être interprété de façon restrictive.
77 En l'espèce, les requérantes contestent l'application faite de l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base sur la base duquel, dans le cadre du calcul de la valeur normale du produit similaire, les institutions ne se sont pas fondées sur les prix de l'HPB reflétés dans ses registres.
78 Dans le règlement attaqué, les institutions n'ont pas fait valoir que les registres des requérantes n'étaient pas conformes aux principes comptables généralement acceptés en Indonésie. En revanche, elles ont soutenu que leurs registres ne reflétaient pas raisonnablement les coûts liés à l'HPB nécessaires pour la production du biodiesel.
79 En effet, comme il ressort des considérants 29 à 34 et 66 à 70 du règlement attaqué, les institutions ont considéré que, en ce qu'il comportait des taxes différentiées à l'exportation sur l'HPB et sur le biodiesel, le système de TDE avait provoqué une distorsion du prix de l'HPB dans la mesure où ledit système exerçait une pression sur le prix de l'HPB sur le marché intérieur qui s'établissait à un niveau artificiellement bas.
80 En se fondant sur l'arrêt du 7 février 2013, Acron et Dorogobuzh-Conseil (T 235-08, non publié, EU:T:2013:65), les institutions ont retenu au considérant 31 du règlement attaqué que, lorsque la réglementation du prix des matières premières induisait un prix artificiellement bas sur le marché intérieur, il était permis de supposer que le coût de production du produit concerné subissait une distorsion. Dans de telles conditions, les données les concernant figurant dans les registres des producteurs-exportateurs ne pourraient pas être considérées comme raisonnables et il conviendrait, par conséquent, de procéder à leur ajustement.
81 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, au point 44 de l'arrêt du 7 février 2013, Acron et Dorogobuzh-Conseil (T 235-08, non publié, EU:T:2013:65), le Tribunal a considéré que, compte tenu du fait que le gaz naturel était obligatoirement fourni à un prix très bas aux producteurs-exportateurs concernés en vertu de la réglementation russe, le prix de production du produit concerné dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt était affecté par une distorsion du marché intérieur russe en ce qui concerne le prix du gaz, ce prix ne résultant pas des forces du marché. Il a donc considéré que les institutions avaient pu conclure à bon droit que l'un des éléments figurant dans les registres comptables des parties requérantes dans l'affaire ayant donné lieu audit arrêt ne pouvait être considéré comme raisonnable et qu'il convenait, par conséquent, de procéder à son ajustement, en recourant à d'autres sources émanant de marchés qu'elles considéraient comme plus représentatifs.
82 Toutefois, comme les requérantes le font valoir à juste titre, à la différence de la situation qui était en cause dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 7 février 2013, Acron et Dorogobuzh-Conseil (T 235-08, non publié, EU:T:2013:65), il ne ressort pas du dossier que le prix de l'HPB était directement réglementé en Indonésie. En effet, le système de TDE visé par les institutions se limitait à prévoir des taxes à l'exportation avec des taux différents sur l'HPB et le biodiesel.
83 Le fait que le système de TDE ne réglemente pas directement les prix de l'HPB en Indonésie n'exclut néanmoins pas en soi l'application de l'exception visée à l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base.
84 En effet, il y a lieu de rappeler que la disposition correspondant à l'article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement de base a été insérée dans le règlement de base antérieur, à savoir le règlement (CE) n° 384-96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1), par le règlement (CE) n° 1972-2002 du Conseil, du 5 novembre 2002, modifiant le règlement n° 384-96 (JO 2002, L 305, p. 1).
85 Or, il ressort du considérant 4 du règlement n° 1972-2002 que l'insertion de la disposition correspondant à l'article 2, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement de base visait à fournir des indications sur la marche à suivre si les registres ne tenaient pas raisonnablement compte des frais liés à la production et à la vente du produit considéré, notamment dans le cas où, du fait d'une situation particulière du marché, les ventes du produit similaire ne permettaient pas une comparaison valable. En pareil cas, les données pertinentes doivent, selon le même considérant, provenir de sources qui ne sont pas affectées par " de telles distorsions ".
86 Le considérant 4 du règlement n° 1972-2002 prévoit donc la possibilité de recourir à l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base notamment dans le cas où les ventes du produit similaire ne permettent pas une comparaison valable à cause d'une distorsion. Il en résulte également qu'une telle situation peut notamment se produire lorsqu'une situation particulière du marché existe, telle que celle mentionnée à l'article 2, paragraphe 3, second alinéa, du règlement de base, visant des prix artificiellement bas du produit concerné, sans pour autant limiter ce type de situation à des cas où il existe une réglementation directe des prix du produit similaire ou des matières premières de celui-ci par l'État exportateur.
87 En revanche, il ne saurait raisonnablement être considéré que toute mesure des pouvoirs publics de l'État exportateur pouvant avoir une influence sur le prix des matières premières, et, par ce biais, sur les prix du produit considéré, puisse être à la base d'une distorsion permettant de s'écarter, dans le cadre du calcul de la valeur normale du produit similaire, des prix figurant dans les registres comptables de la partie faisant l'objet de l'enquête. En effet, si toute mesure prise par les pouvoirs publics du pays d'exportation étant susceptible d'avoir une influence, même minime, sur les prix des matières premières pouvait être prise en compte, le principe consacré à l'article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base, selon lequel lesdits registres constituent la source privilégiée de renseignements pour l'établissement des coûts de production du produit similaire, risquerait de se voir privé de tout effet utile.
88 Dès lors, une mesure des pouvoirs publics du pays d'exportation ne peut amener les institutions à écarter, dans le cadre du calcul de la valeur normale du produit similaire, les prix des matières premières figurant dans les registres comptables de la partie faisant l'objet de l'enquête que lorsqu'elle provoque une distorsion sensible des prix desdites matières premières. En effet, une autre interprétation du régime d'exception prévu à l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base, telle que celle préconisée par les institutions, qui permettrait, dans une situation comme en l'espèce, de remplacer ces données par un montant de frais fondé sur une autre base raisonnable, risquerait de porter une atteinte démesurée au principe selon lequel lesdits registres constituent la source privilégiée de renseignements pour l'établissement des coûts de production dudit produit.
89 En outre, s'agissant de la charge de la preuve de l'existence d'éléments justifiant l'application de l'article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base, il y a lieu de considérer qu'il incombe aux institutions de se fonder, lorsqu'elles estiment devoir écarter les coûts de production contenus dans les registres comptables de la partie faisant l'objet de l'enquête pour les remplacer par un autre prix estimé raisonnable, sur des preuves, ou à tout le moins sur des indices, permettant d'établir l'existence du facteur au titre duquel l'ajustement est opéré (voir, par analogie, arrêt du 10 mars 2009, Interpipe Niko Tube et Interpipe NTRP-Conseil, T 249-06, EU:T:2009:62, point 180 et jurisprudence citée).
90 Dès lors, compte tenu du fait que la démarche visant à écarter dans le cadre du calcul de la valeur normale du produit similaire les coûts de production dudit produit figurant dans les registres comptables de la partie faisant l'objet de l'enquête relève d'un régime d'exception (voir point 76 ci-dessus), lorsque la distorsion invoquée par les institutions n'est pas une conséquence immédiate de la mesure étatique à l'origine de celle-ci, comme dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 7 février 2013, Acron et Dorogobuzh-Conseil (T 235-08, non publié, EU:T:2013:65), mais des effets que ladite mesure est censée produire sur le marché, elles doivent prendre soin d'exposer le fonctionnement du marché en cause et de démontrer les effets concrets de cette mesure sur celui-ci, sans se fonder à cet égard sur de simples conjectures.
91 C'est à la lumière de ces considérations qu'il convient d'examiner si les institutions ont établi à suffisance de droit que les conditions pour s'écarter, dans le cadre du calcul de la valeur normale du produit similaire, des prix de l'HPB figurant dans les registres étaient remplies en l'espèce.
92 Premièrement, s'agissant de la mesure des pouvoirs publics indonésiens identifiée en tant que source de la distorsion des prix de l'HPB, comme cela est indiqué notamment au considérant 29 du règlement attaqué, il s'agit du système de TDE en ce qu'il comporte des niveaux de taxes différenciés imposés sur l'HPB et le biodiesel, ainsi que les institutions l'ont confirmé lors de l'audience. Il ressort du considérant 69 dudit règlement que, pendant la période d'enquête, les exportations de biodiesel étaient taxées à un taux compris entre 2 et 5 % tandis que, pendant la même période, le taux de taxation des exportations d'HPB s'établissait entre 15 et 20 % et il existait un taux de taxation des exportations allant de 5 à 18,5 % pour l'huile de palme raffinée blanchie et désodorisée.
93 Deuxièmement, s'agissant des effets du système de TDE, le Conseil a notamment avancé, au considérant 30 du règlement attaqué, qu'une enquête complémentaire avait montré que ledit système exerçait une pression sur le prix des matières premières sur le marché intérieur, qui s'établissait à un niveau artificiellement bas.
94 Même si, dans ce contexte, le Conseil a indiqué, au considérant 68 du règlement attaqué, que le système de TDE limitait les possibilités d'exportation de l'HPB dès lors que des quantités plus importantes de cette huile étaient disponibles sur le marché intérieur et exerçaient une pression à la baisse sur les prix de l'HPB sur ledit marché, force est de relever que, dans ledit règlement, il n'a pas établi dans quelle mesure ledit système, en ce qu'il comportait des taxes à l'exportation de taux différencié sur l'HPB et sur le biodiesel, avait provoqué une distorsion sensible des prix de cette matière première sur le marché indonésien.
95 Au considérant 68 du règlement attaqué, le Conseil a également exposé que la différence entre le prix de l'HPB vendue sur le marché intérieur et son prix de référence international était très proche de la taxe à l'exportation appliquée à l'HPB. Toutefois, ce faisant, il n'a pas établi les effets que la différence entre le taux des taxes sur l'HPB et le taux de la taxe sur le biodiesel avait pu avoir en elle-même sur le prix de ladite matière première sur le marché indonésien. En effet, la constatation figurant audit considérant permet tout au plus de tirer des conclusions quant à certains effets que l'instauration d'une taxe à l'exportation sur l'HPB a pu produire sur son prix, mais ne permet pas de tirer des conclusions sur les effets que la différence entre le taux de cette taxe et le taux de la taxe sur le biodiesel a pu avoir sur le prix de l'HPB sur le marché indonésien.
96 Les indications du Conseil figurant aux considérants 67 et 70 du règlement attaqué, selon lesquelles le prix de l'HPB figurant dans les registres comptables des sociétés concernées a été remplacé par le prix auquel ces sociétés auraient acheté l'HPB sur le marché intérieur en l'absence de distorsion, c'est-à-dire le prix HPE, ne permettent pas non plus de tirer des conclusions quant aux effets que la différence entre le taux de la taxe à l'exportation sur l'HPB et le taux de la taxe à l'exportation sur le biodiesel a pu avoir sur le prix de ladite matière première sur ledit marché. Dans la mesure où ces considérants devraient être lus comme une constatation du Conseil selon laquelle, en l'absence d'une telle différence de taux, le prix de l'HPB sur ce marché aurait été au même niveau que le prix HPE, il suffit de relever que cela n'a été établi ni dans le règlement attaqué ni dans le cadre de la procédure devant le Tribunal.
97 Enfin, il résulte des considérants 73 et 74 du règlement attaqué que les institutions ne contestent pas que l'HPB reste massivement exportée depuis l'Indonésie. Or, en présence d'une telle circonstance, il ne saurait suffire de tirer la conclusion, au considérant 68, d'une plus grande disponibilité de l'HPB sur le marché intérieur et d'une baisse de son prix sans autres explications à l'appui.
98 S'agissant des études économiques que les institutions ont invoquées au cours de la procédure devant le Tribunal, il convient de relever que, certes, il peut en être déduit que des taxes à l'exportation mènent à une augmentation du prix à l'exportation du produit visé par la taxe par rapport à son prix sur le marché intérieur, à une réduction du volume d'exportation dudit produit ainsi qu'à une pression vers le bas des prix de ce produit sur le marché intérieur. Il peut également en être déduit qu'un système de taxes à l'exportation qui taxe les matières premières à un niveau plus élevé que les produits sur un marché en aval protège et favorise des industries domestiques en aval en leur fournissant des matières premières en quantité suffisante à des prix avantageux.
99 Toutefois, force est de constater que ces études se limitent à analyser les effets de taxes à l'exportation sur les prix des matières premières et non les effets de taux différenciés pratiqués pour des taxes à l'exportation sur les matières premières et sur le biodiesel.
100 Les institutions se sont donc limitées à expliquer la relation entre les prix internationaux et les prix domestiques de l'HPB et à fournir des indications sur l'impact de la taxe à l'exportation sur l'HPB sur la disponibilité de cette matière première sur le marché intérieur et sur son prix, sans toutefois établir concrètement les effets que le système de TDE en tant que tel a pu avoir sur le prix de l'HPB sur ledit marché et dans quelle mesure ces effets sont différents de ceux d'un système de taxation ne comportant pas un différentiel de taux pour les taxes à l'exportation sur l'HPB et sur le biodiesel.
101 Partant, il convient de considérer que les institutions n'ont pas établi à suffisance de droit l'existence d'une distorsion sensible du prix de l'HPB en Indonésie imputable au système de TDE en ce qu'il comportait des taux différenciés pour les taxes à l'exportation sur l'HPB et le biodiesel. Dès lors, en considérant que le prix de l'HPB n'était pas raisonnablement reflété dans les registres des producteurs indonésiens examinés et en les écartant, les institutions ont violé l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base.
102 Contrairement à ce qu'avancent les institutions, ne s'oppose pas à cette conclusion le fait qu'elles jouissent d'une large marge d'appréciation dans le domaine de la politique commerciale commune, en particulier s'agissant d'évaluations économiques complexes en matière de mesures de défense commerciale, et que, à cet égard, le juge de l'Union doit limiter son contrôle à la vérification du respect des règles de procédure, de l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits et de l'absence de détournement de pouvoir [voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2002, Since Hardware (Guangzhou)-Conseil, T 156-11, EU:T:2012:431, points 134 à 136 et jurisprudence citée].
103 En effet, un contrôle par le Tribunal qui se limite à relever si les éléments sur lesquels les institutions de l'Union fondent leurs constatations sont de nature à étayer les conclusions qu'elles en tirent n'empiète pas sur leur large pouvoir d'appréciation dans le domaine de la politique commerciale (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2012, Conseil et Commission-Interpipe Niko Tube et Interpipe NTRP, C 191-09 P et C 200-09 P, EU:C:2012:78, point 68).
104 Or, en l'espèce, le Tribunal s'est limité à examiner si les institutions ont démontré que les conditions pour s'écarter, dans le cadre du calcul de la valeur normale du produit similaire, des frais liés à la production et à la vente dudit produit tels que reflétés dans les registres comptables des producteurs indonésiens examinés, selon la règle établie à l'article 2, paragraphe 5, du règlement de base, étaient réunies.
105 Il en résulte que le sixième moyen doit être accueilli.
106 Il convient encore d'examiner dans quelle mesure l'erreur constatée justifie l'annulation du règlement attaqué en ce qu'il inflige un droit antidumping aux requérantes.
107 Contrairement à ce qu'avancent les institutions, dans les circonstances de l'espèce, il n'est pas possible de procéder à une annulation partielle de l'article 1er du règlement attaqué uniquement à l'égard de l'erreur constatée concernant la méthode de calcul du taux du droit antidumping.
108 En effet, selon la jurisprudence, l'annulation partielle d'un acte de l'Union n'est possible que pour autant que les éléments dont l'annulation est demandée soient détachables du reste de l'acte. Cette exigence de séparabilité n'est pas satisfaite lorsque l'annulation partielle aurait pour effet de modifier la substance de celui-ci (arrêt du 10 décembre 2002, Commission-Conseil, C 29-99, EU:C:2002:734, points 45 et 46).
109 Comme il a été exposé dans le cadre de l'examen du sixième moyen, le calcul de la valeur normale du produit similaire effectué par les institutions est fondé sur des considérations erronées. La valeur normale étant une condition essentielle pour déterminer le taux du droit antidumping applicable, l'article 1er du règlement attaqué ne peut pas être maintenu, dans la mesure où il impose un droit antidumping individuel aux requérantes.
110 Eu égard à l'interrelation entre le droit antidumping définitif et le droit antidumping provisoire prévue par l'article 10, paragraphes 2 et 3, du règlement de base, l'article 2 du règlement attaqué doit également être annulé en ce qui concerne les requérantes dans la mesure où il prévoit que les montants déposés au titre du droit antidumping provisoire sont définitivement perçus.
111 Il convient donc d'annuler le règlement attaqué dans la mesure où il concerne les requérantes, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens du recours.
Sur les dépens
112 Aux termes de l'article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par les requérantes, conformément aux conclusions de celles-ci.
113 La Commission et l'EBB supporteront leurs propres dépens, conformément aux dispositions de l'article 138, paragraphes 1 et 3, du règlement de procédure.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (neuvième chambre)
déclare et arrête :
1) Les articles 1er et 2 du règlement d'exécution (UE) n° 1194-2013 du Conseil, du 19 novembre 2013, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de biodiesel originaire de l'Argentine et de l'Indonésie, sont annulés en ce qu'ils concernent PT Wilmar Bioenergi Indonesia et PT Wilmar Nabati Indonesia.
2) Le Conseil de l'Union européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par PT Wilmar Bioenergi Indonesia et PT Wilmar Nabati Indonesia.
3) La Commission européenne et l'European Biodiesel Board (EBB) supporteront leurs propres dépens.
Berardis - Czúcz - Popescu
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 septembre 2016.