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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 21 septembre 2016, n° 09-01577

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

Mme Pellarin, M. Sonneville

T. com. Toulouse, du 12 mars 2009

12 mars 2009

M. Alain B. et M. Noël P. ont fondé dans les années 1980 la SARL France Acheminement ayant pour objet le développement d'un réseau de franchise dans le transport des marchandises de proximité.

Le Groupe France Acheminement était composé de :

la SARL France Acheminement, franchiseur titulaire d'un savoir-faire dans le domaine du transport de marchandises de proximité ayant constitué un réseau de franchisés ;

la SA France Acheminement Exploitation ViaTime, liée à France Acheminement par un contrat de prestations de service aux termes duquel il lui était confié toutes les missions d'appui et d'assistance aux franchisés, notamment la facturation pour leur compte moyennant une rémunération correspondant aux royalties facturées aux franchisés ;

la SARL Exploitation Logistiques Services (ELS) ayant pour objet pour le compte des franchisés des charges qui leur étaient communes ;

la SCI De L'Hers, propriétaire des locaux du siège social de France Acheminement à Blagnac.

La SA France Acheminement Exploitation achetait en 2002 par voie d'apports 100 % des titres de la SARL France Acheminement pour un montant de 18 294 000 euro sans sortie de trésorerie

Ces sociétés étaient dirigées par Noël P. et Alain B. :

M. P. étant président du conseil de surveillance de la SA France Acheminement Exploitation, gérant de la SARL France Acheminement, co-gérant de la SARL Exploitation Logistiques Services ;

M. B. étant vice-président du conseil de surveillance de la SA et co-gérant de la SARL Exploitation Logistique Services.

Le fonctionnement du groupe était le suivant :

France Acheminement Exploitation ViaTime facturait les clients pour le compte des franchisés et encaissait les sommes sur un compte " réseau " ouvert à la Banque Populaire Toulouse Pyrénées (BPTP) ;

Le paiement aux franchisés des sommes leur revenant était effectué à partir du compte 'réseau' après déduction des sommes dues en application du contrat de franchise à la SA France Acheminement ;

Les sommes correspondant aux royalties, frais et charges dues par les franchisés à France Acheminement étaient versées sur le compte " exploitation " également ouvert à la BPTP.

Compte tenu des difficultés économiques rencontrées par le groupe France Acheminement, un mandataire ad hoc, M. C., était nommé en mars 2002.

Les sociétés faisaient ensuite l'objet de procédures collectives ouvertes par le tribunal de commerce de Toulouse :

La SA France Acheminement étant déclarée en redressement judiciaire par jugement du 17-12-02 puis en liquidation judiciaire le 22-04-03 ;

La SARL Exploitation Logistiques Services étant déclarée en redressement judiciaire par jugement du 7-01-03 puis en liquidation judiciaire le 3-06-03 ;

La SARL France Acheminement étant déclarée en redressement judiciaire par jugement du 7-01-03 puis en liquidation judiciaire le 3-06-03 ;

et la confusion des patrimoines des trois sociétés était prononcée par jugement du 8-08-03.

Le passif déclaré se montait à 82 184 801 euro et l'actif à 5 310 611 euro, laissant une insuffisance d'actif de 76 874 189 euro

Deux experts, M.C. et M.L., étaient désignés par ordonnance de référé du président du tribunal de commerce du 20 mars 2003, déclarée opposable à MM. P. et B., dans le cadre d'un contentieux opposant les organes des procédures collectives à la BPTP.

Sur la base de ce rapport M. R. et Mme V. ès qualités assignaient par actes des 14 et 15 décembre 2005 Noël P. et Alain B. devant le tribunal de commerce de TOULOUSE aux fins, au visa de l'article 624-3 ancien du Code de commerce, de les voir condamner solidairement au paiement de l'insuffisance d'actif.

Par jugement du 12 mars 2009 le tribunal a condamné solidairement MM. P. et B. à supporter chacun l'insuffisance d'actif des sociétés France Acheminement Exploitation ViaTime, Exploitation Logistiques Services et France Acheminement à hauteur de la somme de 768 741euro et à payer 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. B. et M. P. ont successivement relevé appel de ce jugement les 27 et 30 mars 2009, et les instances ont été jointes.

Par arrêt partiellement avant dire droit du 26 avril 2011, la cour a :

Rejeté l'exception d'irrecevabilité de la demande des mandataires judiciaires ès qualités, retenant que l'action se situe sous le régime de l'article L 624-3 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 ;

Rejeté la demande de rejet du rapport L., jugé valable comme élément de preuve;

Ordonné la réouverture des débats et enjoint aux parties de conclure sur les points soulevés dans les motifs et non débattus auparavant.

Par arrêt du 29 janvier 2013, la cour a rouvert les débats et enjoint à SARL Exploitation Logistiques Services ès qualités de produire d'une part des éléments d'évaluation de l'actif d'autre part de l'état des créances dans son état définitif.

M. R. ès qualités a communiqué des pièces le 28 juin 2013.

M. P. est décédé en mai 2014. Par ordonnance du 25 juin 2015, le conseiller de la mise en état a prononcé la radiation de l'instance à l'égard de M. P., et la disjonction de l'instance opposant M. B. à M. R. et Mme V. ès qualités, cette affaire étant fixée.

M. B. a constitué avocat mais n'a jamais conclu.

M. R. et Mme V. ès qualités ont signifié leurs dernières conclusions par RPVA le 3 mai 2013. Le Ministère Public a transmis son avis le 17 juillet 2015. L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 mars 2016.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Il est fait expressément référence, pour plus ample exposé des moyens, aux conclusions visées.

M. R., liquidateur de la SARL Exploitation Logistiques Services et de la SARL Unipersonnelle France Acheminement, co liquidateur de la SA France Acheminement, et Mme V., co liquidateur de la SA France Acheminement, concluent à la confirmation du jugement sauf à voir condamner solidairement M. P. et M. B. au paiement de l'insuffisance d'actif s'élevant à la somme de 25 332 439,04 euro. Ils sollicitent une indemnité de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Ils rappellent les fonctions exercées par M. B. et M. P. au sein de chacune des sociétés en liquidation pour en déduire que M. B. avait des fonctions de direction non seulement au sein de la SA France Acheminement mais également de la SARL Exploitation Logistiques Services, font valoir que les deux appelants se sont comportés comme des dirigeants de droit ou de fait suivant les rôles qui leur étaient assignés, qu'il existait une confusion totale de patrimoines entre les sociétés, que M. B. et M. P. ont commis des fautes communes en l'état de la capacité d'autofinancement et des fonds propres notoirement insuffisants qu'ils ne pouvaient ignorer, de la prise de risque inconsidérée devant l'insolvabilité de certains franchisés, que l'implication fautive de M. B. réside dans le fait d'avoir au nom de la SA France Acheminement consenti des avances à des filiales dont il connaissait la situation et la détresse. Ils demandent la condamnation solidaire des deux appelants à la totalité de l'insuffisance d'actif à présent fixée.

Le Ministère Public est d'avis de voir confirmer le jugement pour les motifs qui y sont développés et s'en rapporte sur le montant de la condamnation, du fait du décès de M. P. qui doit être pris en considération.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Du fait d'une part de l'ordonnance de disjonction intervenue après le décès de M. P., d'autre part de l'absence de conclusions de M. B. qui ne soutient pas son appel, la cour n'est saisie dans le cadre de cette instance que de l'appel incident de M. R. et Mme V. ès qualités, portant sur le montant de la condamnation de M. B. à l'insuffisance d'actif.

Il ressort du rapport de M. L. :

- que sur trois années (2000 à 2002), la SA France Acheminement Exploitation a constaté des pertes d'autofinancement pour 2 972 K euro essentiellement financées par l'augmentation des dettes fournisseurs,

- que la trésorerie s'est dégradée pour différentes raisons : la hausse des dettes fournisseurs et des dettes financières (nouveaux emprunts) en 2000, l'augmentation de 3 276 K euro des avances à deux filiales (la SARL France Acheminement et la SARL ELS), et des emprunts en 2001, la hausse de 2 160 K euro des avances aux franchisés en difficulté, et la participation à l'augmentation de capital de deux filiales

- que le financement du réseau s'est effectué par un découvert du compte réseau en augmentation constante (avances de 1 824 K euro en 2000, de 3 997 euro en 2002), et par les avances et emprunts importants consentis par la BPTP, et qu'il en résultait un accroissement considérable des frais financiers.

Le tribunal a retenu à bon droit que :

- d'une part le compte réseau, alimenté par les paiements des clients destinés aux franchisés après prélèvement de la part du franchiseur, n'aurait jamais dû être en position débitrice, les décisions des dirigeants quant à ces prélèvements pour avances engendrant une insuffisance structurelle de trésorerie alors que la société n'avait pas de fonds propres suffisants,

- d'autre part, que les dirigeants n'ont pris aucune mesure pour faire face à cette dégradation de grande ampleur, l'apport de titres de la SARL France Acheminement étant sans conséquences sur la trésorerie puisqu'elle n'entraînait aucun apport d'argent, et qu'ils ont laissé au contraire la situation s'aggraver par le recours aux financements à court et moyen terme, étant observé que l'exploitation ne dégageait pas de trésorerie suffisante et qu'il existait un risque grave d'insolvabilité des bénéficiaires des avances, leur déficit n'étant pas conjoncturel.

Bien plus, l'apport de titres à la SA France Acheminement Exploitation avait pour effet d'améliorer la présentation de la société, et de masquer ainsi ses difficultés réelles.

Il s'agit là de fautes de gestion caractérisées.

Les seuls éléments versés au dossier (indications fournies dans l'avis du juge commissaire soit un loyer de l'ordre de 152,45 euro par an et par m2 pour les bureaux et de 76,22 euro par an et par m2 pour les entrepôts), ne permettent pas, en l'absence de tout élément de comparaison, de conclure au caractère anormalement élevé du loyer versé par la SA France Acheminement Exploitation à la SCI De L'Hers, dont le capital était détenu à hauteur de 40 % par M. P., 40 % par M. B. et 20 % par la SARL France Acheminement, et à l'enrichissement des associés, ce constat ayant d'ailleurs été déjà fait par la cour dans son arrêt du 6 janvier 2005.

En revanche, le tribunal a rappelé, sans qu'aucun élément ne le contredise, les chiffres de la SA France Acheminement Exploitation certifiés par le commissaire aux comptes qui révèlent que le montant global des 5 personnes les mieux rémunérées s'élève sur les exercices arrêtés au 30/09/1999, 31/08/2000 et 31/08/2001, respectivement à 653 894 euro, 721 954 euro et 727 821 euro, englobant essentiellement les rémunérations de M. P. et M. B. alors que ces exercices dégageaient successivement un bénéfice de 12 562 euro, une perte de 5 791 941 euro, et un bénéfice de 640 316 euro soit une résultat cumulé négatif de 5 139 063 euro.

Le fait pour les dirigeants de se servir des rémunérations sans proportion avec l'activité et les résultats dégagés, dans le contexte de graves difficultés précédemment décrit, constitue également une faute de gestion à bon droit retenue par le tribunal.

En sa qualité de vice-président du conseil de surveillance de la SA, M. B. était impliqué dans le contrôle permanent de la gestion de la SA, et a engagé sa responsabilité en laissant perdurer et s'aggraver une gestion désastreuse qui a conduit à l'aggravation du passif et la déconfiture du groupe ; il apparaît également que, cofondateur du groupe avec M. P., il détenait des intérêts équivalents à M. P. dans la SCI, qu'il était également directement impliqué dans les décisions en sa qualité de cogérant de la SARL ELS qui a été bénéficiaire d'une avance de 1 850 K euro. Ainsi, et au-delà de son simple rôle au sein du conseil de surveillance, il était pleinement associé à la gestion du groupe avec M. P..

Ses fautes de gestion, commises en même temps que M. P., ont contribué à l'aggravation du passif durant la période 1999/2002. Au vu des pièces à présent produites, l'insuffisance d'actif, s'élève, compte tenu du passif définitif de 30 643 051 euro et de l'actif de 5 310 611 euro, à la somme de 25 332 439 euro.

Il apparaît que le passif est constitué pour une partie conséquente (environ 15 000 000 euro) de créances salariales, nées de la requalification de contrats de franchise en contrats de travail. Celles-ci sont sans lien avec les fautes précédemment constatées.

La contribution de M. B. fixée par le tribunal, semble-t-il par suite d'une erreur matérielle, à la somme de 768 741 euro, soit 1 % de l'insuffisance d'actif provisoire au lieu des 10 % qu'il entendait appliquer, demeure cependant manifestement insuffisante au regard du montant du passif généré, hors créances salariales, et non couvert par l'actif réalisé. Il y a lieu de fixer en conséquence sa condamnation à la somme de 5 000 000 euro.

Compte tenu de l'état de la procédure précédemment décrit, il n'y a pas lieu à condamnation solidaire.

Par ces motifs, LA COUR, Vu les arrêts des 26 avril 2011 et 29 janvier 2013, Vu l'ordonnance de disjonction du 25 juin 2015, Statuant dans les limites de sa saisine, Constate que M. Alain B. ne soutient pas son appel, Infirme le jugement sur le montant des condamnations concernant M. Alain B. et, statuant à nouveau sur ces points, Condamne M. Alain B. à payer, au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif de sociétés SA France Acheminement Exploitation ViaTime, SARL Exploitation Logistiques Services et SARL France Acheminement , la somme de 5 000 000 euro à M. R. et Mme V., co-liquidateurs de ces sociétés, Condamne M. Alain B. à leur payer, ès qualités, une seule indemnité de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre de la procédure de première instance et d'appel, Condamne M. Alain B. au paiement des dépens de première instance et d'appel.