CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 septembre 2016, n° 14-22990
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pyrénées Services Industries PSI (SAS)
Défendeur :
Gan Assurances (SA), Lafarge Ciments (SA), Matériel Ferroviaire d'Arberats (SAS), Scori (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
M. Loos, Mme Schaller
La société Lafarge Ciments (ci-après la société " Lafarge ") exploite une cimenterie à Mastres-Tolosane. Cette société fabrique du ciment à partir de calcaire et d'argile chauffés dans des fours à très haute température. Sous certaines conditions, elle traite également des déchets ou résidus dans les fours de ses usines aux fins de les intégrer à sa fabrication de ciments.
Le 24 juin 2002, la société Lafarge a conclu un accord-cadre avec la société Scori visant à approvisionner ses usines en déchets compatibles.
La société Pyrénées Services Industries (ci-après la société" PSI "), fournisseur de la société Scori est une société de services environnementaux spécialisée en collecte de déchets industriels. Elle est assurée auprès de la société Gan Assurances.
La société Matériel Ferroviaire d'Arberats (ci-après la société " MFA ") a pour activité la production de pièces brutes de fonderie notamment d'aiguillages.
Suivant devis en date du 31 août 2009, la société MFA a confié à la société PSI la valorisation de ses déchets. La société MFA a ainsi livré les 1er et 3 septembre, 27 octobre, 3 et 24 novembre 2009, 87 tonnes de sables de fonderie qui ont ensuite été utilisés pour constituer un lot de déchets de terres souillées de 211 tonnes. Les 14 et 15 décembre 2009, le lot de 211 tonnes de terres litigieux a été livré à la société Lafarge et stocké en carrière. Le 16 décembre 2009, ce lot de terres ainsi que de l'argile et du calcaire issus de la carrière de l'usine ont été extraits afin de constituer un " tas de pré-homo ". Le 14 janvier 2010, de la matière première a été prélevée dans le tas de préhomo pour être broyée et fabriquer de la "farine ". Cette farine a servi à alimenter un four destiné à la fabrication du "clinker", constituant du ciment qui résulte de la cuisson à plus de 1000 degré d'un mélange de calcaire, d'argile, de silice et, en l'espèce, de déchets. Le clinker ainsi fabriqué a été ensuite versé dans un silo et broyé pour fabriquer le ciment.
Le 14 janvier 2010, aux alentours de 10h, une pollution a été décelée après la phase de cuisson, le clinker présentant une couleur inhabituelle. Des analyses ont été effectuées et ont établi la présence dans le ciment de chrome hexavalent (Chrome VI) et la présence dans le clinker et le tas de préhomo d'une quantité de chrome supérieure à la teneur légale limite.
La société Lafarge a informé ses clients de cette anomalie et leur a demandé de procéder à la consignation du ciment en vrac et a également procédé au rappel des sacs de ciment en cours de livraison qui ont été stockés sur le site de cimenterie de la société Martres Tolosane.
Le 19 janvier 2010, la société Lafarge a mis en demeure la société Scori de procéder à l'indemnisation du sinistre qu'elle estimait avoir subi.
Le 9 février 2010, la société PSI a sollicité en référé la désignation d'un expert judiciaire. Cet expert a été désigné par une ordonnance en date du 19 février 2010.
Le 25 novembre 2011, l'expert désigné a déposé son rapport.
Le 29 décembre 2011, la société MFA a demandé la réouverture des opérations d'expertise, demande jugée irrecevable par ordonnance du 14 mai 2012.
C'est dans ce contexte que la société Lafarge a, par assignation en date du 24 juillet 2012, demandé à la société Scori, la société PSI, et la société MFA et leurs assureurs de réparer le préjudice qu'elle estimait avoir subi.
Par jugement en date du 5 novembre 2014, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a :
- condamné la société PSI et la société Gan Assurances (dans la limite de la garantie ci-après) à verser solidairement une somme d'un montant de 2.232.682 euros à la société Lafarge ;
- dit que la garantie de la compagnie Gan Assurances sera mise en œuvre dans les conditions contractuelles de garantie qui limitent sa mise en cause à la somme de 950.000 euros par année d'assurance s'agissant des dommages matériels et immatériels consécutifs à des dommages matériels garantis avec une franchise d'un montant de 800 euros par sinistre ;
- condamné la société PSI et la société Gan Assurances à verser in solidum les sommes de :
30 000 euros à la société Lafarge ;
2 000 euros à la société Scori ;
5 000 euros à la société MFA, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes autres, contraires ou plus amples ;
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision à charge pour la société Lafarge de constituer garantie chez une banque établie en France, à hauteur de la somme due par les sociétés PSI et Gan Assurances en vertu de la présente décision, cette garantie devant être valable jusqu'à exigibilité du remboursement éventuel de ladite somme.
Vu l'appel interjeté par la société Pyrénées Services Industries le 17 novembre 2014 contre cette décision,
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Pyrénées Services Industries le 16 février 2015 par lesquelles il est demandé à la Cour de :
- accueillir l'appel de la société PSI le dire recevable et bien fondé ;
- réformer dans ses dispositions contraires aux présentes la décision du tribunal de commerce de Paris du 5 novembre 2014 ;
Et statuant à nouveau,
- débouter la société Lafarge de ses demandes à l'encontre de la société PSI ;
Subsidiairement,
- constater que la société MFA a manqué à son obligation de bonne foi et d'information et a engagé sa responsabilité vis-à-vis de la société PSI ;
- constater que la société Scori a manqué à son obligation d'établir un cahier des charges précis ;
- constater l'absence de faute contractuelle de la société PSI ;
Vu l'absence de contrôle effectué par la société Lafarge à réception des déchets ;
- dire que la société Lafarge a participé à la réalisation du préjudice qu'elle subit aujourd'hui dans la proportion que le tribunal fixera ;
- condamner les sociétés MFA et Scori à relever et garantir indemne de toute condamnation éventuelle la société PSI ;
- dire en tant que de besoin, condamner en toute hypothèse la société Gan Assurances à relever et garantir indemne de toute condamnation la société PSI dans les limites de la police d'assurance ;
- condamner tout succombant à payer à la société PSI une indemnité de 50.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Gan Assurances, le 10 juin 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- déclarer la société Gan Assurances recevables tout autant que bien fondée en son appel incident ;
Y faisant droit,
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Paris le 5 novembre 2014 : en ce qu'il a débouté la société LAFARGE CIMENTS de ses demandes formées au titre des frais de surconsommation de réducteur de Chrome, des frais de personnel et de la perte d'image ainsi que de sa demande de condamnation assortie d'intérêts courant à compter du 19 janvier 2010, date du courrier recommande AR adressé par la société LAFARGE CIMENTS à la société SCORI et de ses demandes de capitalisation d'intérêts, en ce qu'il dit que la garantie de la compagnie GAN ASSURANCES sera mise en œuvre dans les conditions contractuelles de garantie.
- En conséquence débouter toutes parties de leurs demandes de réformation sur ces points.
- Le reformer pour le surplus.
Statuant à nouveau,
A titre principal
Après avoir constaté que la responsabilité de la société PSI n'est pas établie,
- débouter la société LAFARGE CIMENTS ainsi que toute autre partie de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la société GAN ASSURANCES, ès qualité d'assureur de la société PSI.
A titre subsidiaire,
Après avoir constaté que les sociétés SCORI, MFA et LAFARGE CIMENTS ont contribué à la réalisation des désordres,
- dire et juger que dans le cas où la responsabilité de la société PSI devait être retenue, celle-ci ne pourrait l'être que pour une part minoritaire qui ne saurait excéder la proportion d'un tiers ;
- en tout état de cause, si par extraordinaire la Cour faisait doit en tout ou partie aux demandes formées à l'encontre de la société PSI et de son assureur, dire et juger que les sociétés MFA, Scori, et Lafarge Ciments devront être condamnées à relever et à garantir chacune pour leur part respective la société gan Assurances, de toutes condamnations en principal, intérêts et frais qui pourraient intervenir à son encontre ;
Très subsidiairement et si la cour devait retenir une part de responsabilité imputable à la société PSI, fût-elle infime,
- constater que les postes de préjudice allégués ne sont justifiés ni en leur principe, ni en leur montant ;
- en tout état de cause, dire et juger que les préjudices ne sauraient en aucun cas excéder la somme de 1 762 247 euros ;
En toute hypothèse,
- constater que la garantie de la compagnie Gan Assurances ne pourra être mise en 'œuvre que sous réserve des clauses, conditions et limites de garantie prévues par sa police et notamment :
- le plafond de garantie de 950 000 euros par année d'assurance et la franchise de 800 euros par sinistre, s'agissant dommages matériels et immatériels consécutifs à des dommages matériels garantis au titre de la garantie RC après mise en circulation des produits ou après achèvement des travaux ;
- les dispositions de l'article 8.1 des conventions spéciales intitulés "détermination des sommes assurées".
- condamner la société Lafarge ou tout autre succombant, au paiement d'une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Lafarge Ciments, le 13 avril 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :
A titre principal
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société PSI et de la compagnie Gan Assurances à indemniser Lafarge Ciments de ses préjudices ;
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté :
- la société Lafarge Ciments de ses demandes de condamnation s'agissant des sociétés Scori, MFA et de leurs assureurs ;
- la société Lafarge Ciments de certaines de ses demandes de réparation au titre des postes de préjudices suivants :
- frais de personnel et d'intérim s'agissant du transfert de la préhomo : 7 947,52 euros ;
- frais de réducteurs de chrome : 8 405 euros ;
- frais de personnel : 55 760 euros ;
- perte d'image : 300 000 euros ;
- la société Lafarge Ciments de ses demandes de condamnation assortie d'intérêts courant à compter du 19 janvier 2010 date du courrier recommandé AR adressé par la société Lafarge Ciments à la société Scori et de ses demandes de capitalisation des intérêts ;
En conséquence,
- condamner les sociétés Scori, PSI, MFA et GAN Assurances à verser solidairement une somme d'un montant de 2 604 794,65 euros à Lafarge Ciments avec intérêts à compter du 19 janvier 2010, date du courrier recommandé AR adressé par la concluante à la société Scori, avec capitalisation des intérêts ;
- condamner tout succombant à verser à la demanderesse une somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Matériel Ferroviaire d'Arberats, le 25 novembre 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Paris le 5 novembre 2014 en toutes ses dispositions ;
- en tant que de besoin, dire et juger que la société MFA n'a commis aucune faute et justifie d'une cause exonératoire de responsabilité conformément à l'article 1386-11 du Code civil ;
- débouter la société PSI, la Compagnie Gan Assurances la société Lafarge et la société Scori de toutes demandes, fins et prétentions, en principal ou en garantie, dirigées contre la société MFA ;
Subsidiairement, si par extraordinaire, la Cour devait entrer en voie de condamnation à l'encontre de la société MFA
- dire et juger que les sociétés PSI, Scori et Lafarge ont chacune par leur faute contribué à la réalisation du dommage résultant d'une telle condamnation ;
- condamner solidairement la société PSI, son assureur la Compagnie Gan Assurances (dans les limites de sa police), et la société Scori à relever et garantir intégralement indemne la société MFA de toutes condamnations mises à sa charge ;
- dire et juger que la société Lafarge doit supporter les conséquences de son imprécision dans l'expression de ses besoins et qu'elle doit en conséquence conserver à sa charge telle quote-part de responsabilité que la société MFA laisse à l'appréciation de la Cour ;
En tout état de cause,
- Condamner la société PSI, le cas échéant solidairement avec son assureur la Compagnie Gan Assurances, la société Scori et la société Lafarge, au paiement de la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Scori, le 13 avril 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- Recevoir la société Scori en ses écritures et la dire bien fondée.
En tant que de besoin et statuant à nouveau,
A titre principal,
- Dire qu'aucune faute ou manquement ne saurait être retenu à l'encontre de la société Scori ;
- Débouter la société Lafarge, ou tout autre partie, de l'ensemble de ses demandes en principal ou en garantie, dirigées à l'encontre de la société Scori, en ce qu'elles sont particulièrement mal fondées ;
- En tout état de cause, dire qu'il n'y a pas lieu de prononcer une condamnation in solidum ;
A titre subsidiaire,
- Condamner les sociétés PSI, Gan et MFA à relever et garantir intégralement la société Scori de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre ;
En tout état de cause,
- Condamner tout succombant à régler à la société Scori la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
* * *
La société PSI, appelante, conteste tout lien contractuel avec la société Lafarge. Elle indique en outre qu'elle n'est pas le producteur des déchets litigieux, qu'elle ne peut être poursuivie sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux, qu'en tout état de cause les déchets et rebuts n'étant pas destinés à la vente, elle ne pourrait être tenue responsable sur ce fondement. Elle estime en outre qu'elle n'a commis aucune faute, qu'elle a respecté le cahier des charges imposé par la société Scori, que cette dernière n'a pas contesté les méthodes d'analyse de PSI, qu'enfin la société Lafarge n'a pas procédé aux vérifications de conformité qu'elle aurait dû faire lors de chacune des livraisons et a participé ainsi à la réalisation de son propre dommage.
Sur le préjudice, elle indique que certains frais comme les frais de nettoyage ou encore les frais de location de la chargeuse n'ont pas de lien avec le sinistre, que certains coûts auraient pu être évités comme le traitement du clinker ou des lots de déchets de classe 3, qu'enfin la société Lafarge ne justifie pas des surcoûts de personnel liés à ces frais. S'agissant du préjudice de perte d'image, elle estime que la société Lafarge ne rapporte pas la preuve d'une désaffection de la clientèle, que le préjudice allégué à ce titre n'est pas direct, certain et réel.
La société PSI demande enfin à être garantie par la société MFA productrice des déchets d'une part, qui n'a pas porté à sa connaissance la nature des déchets traités et a ainsi trompé PSI sur les qualités substantielles desdits déchets, et d'autre part par la société Scori qui a mis en place des méthodes d'analyses qui n'étaient pas adaptées et ne permettaient pas de mettre en évidence la présence de chrome. Elle indique enfin que la garantie du Gan ne pose pas de difficulté dans les limites de la police d'assurance.
La société Gan, compagnie d'assurances de la société PSI, maintient qu'aucune des causes à l'origine du sinistre n'est imputable à la société PSI, que la fiche de spécifications établie par la société Scori ne comporte aucune mention concernant le chrome VI alors que les sociétés Lafarge et Scori ne pouvaient ignorer la contre-indication de cet élément dans la cimenterie, qu'il leur appartenait d'établir une fiche de spécification des déchets adaptée à la filière ciment, que par ailleurs la société MFA, fournisseur des déchets, était tenue d'une obligation de bonne foi et devait procéder à la caractérisation des déchets et notamment indiquer qu'il s'agissait de sables de chromite, ce qu'elle n'a pas fait, qu'enfin, la société PSI n'était pas tenue de vérifier chacune des livraisons, qu'en tout état de cause, ce prétendu défaut de contrôle n'est pas à l'origine du sinistre, que par contre la société Lafarge n'a procédé à aucun contrôle alors que le mode opératoire de la filière ciment le lui imposait.
Sur le préjudice, la société Gan estime que seuls les frais supplémentaires d'exploitation peuvent être indemnisés et non les frais de nettoyage, de location de la chargeuse, ou encore les charges de personnel qui sont des frais habituels. S'agissant du traitement du clinker, le coût aurait pu être évité en réincorporant le clinker traité dans le cycle de production. Elle conteste enfin le préjudice commercial allégué ainsi que le préjudice de perte d'image, aucune preuve de désaffection de la clientèle n'étant valablement rapportée par la société Lafarge. En tout état de cause, elle sollicite le bénéfice des exclusions et limites de garantie prévue à la police d'assurance.
La société Lafarge, intimée, a formé appel incident et sollicite la condamnation de la société Scori, ce que le tribunal avait admis mais avait omis de son dispositif. Elle soutient que la société Scori avec laquelle elle a passé un contrat garantissant la qualité des produits livrés a violé son obligation de résultat, en ne lui remettant pas des déchets conformes à la réglementation nationale, que la société PSI, qui a livré ces déchets qui comprenaient une teneur excédant les seuils limites en chrome a commis une faute en faisant des analyses sur des échantillons non représentatifs et en utilisant une méthode d'analyse inadaptée à la recherche de présence de chrome dont elle savait que le taux ne devait pas dépasser 500 ppm, qu'elle a engagé sa responsabilité sur un fondement délictuel, qu'en tout état de cause, elle serait responsable en sa qualité de producteur desdits déchets. La société Lafarge estime enfin que la société MFA doit également être condamnée à l'indemniser, qu'en effet cette société a manqué à son obligation d'information, qu'elle n'a jamais mentionné que ses déchets étaient susceptibles de contenir du chrome hexavalent, alors qu'elle savait qu'ils provenaient de sables de chromite, qu'en tout état de cause, elle serait responsable en sa qualité de producteur desdits déchets.
La société Lafarge affirme enfin qu'elle n'est en aucune manière responsable du sinistre, qu'elle a parfaitement respecté son obligation de procéder au prélèvement de deux échantillons, qu'elle a transmis à la société Scori toutes les informations utiles s'agissant des spécifications attendues des déchets livrés. Elle sollicite l'indemnisation de son préjudice sur les bases retenues par l'expert, outre les frais de personnels et le préjudice d'image. Elle conteste les diminutions demandées par les sociétés appelantes, estimant que l'évacuation et le traitement du tas de préhomo était impossible, qu'il n'était pas possible de les recycler au regard de la classification 3, que tous les postes de préjudice qu'elle réclame sont justifiés.
La société MFA affirme qu'il incombait à la société Scori de vérifier la conformité des déchets et de n'approvisionner la société Lafarge qu'en déchets conformes, qu'il appartenait à la société Scori de vérifier les méthodes mises en place par la société PSI, que la responsabilité contractuelle de la société Scori doit être engagée, que la société PSI aurait dû connaître les spécificités liées à la filière du ciment, qu'en effectuant des analyses inadaptées la société PSI a fait preuve de négligence, que l'article L. 541-7-1 du Code de l'environnement n'était pas promulgué au moment des faits, que l'obtention du certificat incombait à la société PSI, que c'est sur cette dernière que pesait l'obligation de caractérisation du déchet adapté à sa filière de destination et ce dans le but de prévenir tout risque et donc de traiter les déchets en toute sécurité, que la société PSI a commis une faute en ne lui indiquant pas l'existence d'un taux maximum de chrome total dans la filière cimenterie, alors que la société MFA, n'a pas le même niveau de connaissance que les autres intervenants. La société MFA affirme avoir transmis la fiche de sécurité des substances (FDS) à la société PSI. La société MFA estime enfin ne pas avoir la qualité de producteur, que c'est la société PSI qui doit être considérée comme producteur, puisque cette dernière commercialise lesdits déchets. Elle met en cause la responsabilité de la société Lafarge qui n'aurait donné aucune alerte, ou de manière trop vague, sur les limites de chrome admises en cimenterie.
S'agissant des préjudices, la société MFA estime que sur les différents postes de préjudice invoqués par la société Lafarge, cette dernière ne rapporte pas suffisamment d'éléments probants. La société MFA sollicite par conséquent le rejet de prétentions de la société Lafarge.
La société Scori soutient que les déchets fournis par la société MFA sont à l'origine de la pollution au chrome hexavalent, que les échantillons testés mais mal préparés par les sociétés PSI et MFA n'ont pas permis une information pertinente dans la mesure où les déchets étaient en réalité autrement composés. Elle estime qu'elle n'a commis aucune faute, qu'elle n'est pas intervenue dans le processus matériel, les déchets ne transitant pas par elle, et que le contrôle incombait au destinataire, à savoir la société Lafarge. S'agissant de la fiche d'homologation, elle indique qu'elle l'a reçue pré-remplie et validée par la société Lafarge, que la société Lafarge est dès lors mal fondée en sa demande contre elle dans la mesure où les responsables du sinistre sont les sociétés PSI et MFA, que la demande de condamnation solidaire est donc injustifiée, que la société PSI avait connaissance des exigences spécifiques de la société Lafarge, que la livraison n'ayant pas été conforme, la société PSI a violé son obligation contractuelle de résultat et devra la relever et garantir intégralement de toute condamnation, ainsi que la société MFA.
La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce, la cour
1. Sur les responsabilités
Considérant que l'origine du sinistre est la pollution du ciment fabriqué par la société Lafarge par du Chrome hexavalent (Chrome VI), dont la présence en un taux trop élevé dans les déchets qui ont servi à la fabrication du ciment n'a pas été décelée à un moment de la transmission des déchets en vue de leur utilisation dans la fabrication du ciment ;
Que ce n'est qu'après que lesdits déchets ont été incorporés au "tas de pré-homo" qui lui-même a été transformé en "clinker" que la couleur verte inhabituelle de ce clinker a justifié que des analyses poussées soient effectuées par la société Lafarge, qui ont mis en évidence la présence de Chrome hexavalent (Chrome VI) dans le ciment, entraînant un arrêt immédiat de la production et le retrait de tous les sacs de ciment déjà livrés ;
Qu'il n'est pas contesté que ce sont les déchets de la société MFA qui sont à l'origine de la teneur excessive en chrome total des déchets fabriqués par la société PSI et livrés à la société Lafarge, lesquels déchets sont à l'origine du préjudice objet du présent litige ;
Considérant qu'un partenariat a été instauré entre les sociétés Lafarge et Scori, aux termes duquel la société Scori prépare et conditionne des déchets industriels en vue de leur valorisation dans la fabrication de ciment par la société Lafarge ;
Que le respect de la sécurité des biens et des personnes, et de la protection de l'environnement a été assigné comme objectif prioritaire de ce partenariat ;
Que le contrat-cadre prévoit une obligation de garantie de conformité des produits livrés à la réglementation nationale, aux arrêtés préfectoraux de l'usine concernée et aux fiches de spécifications de l'usine ;
Que la société Scori, spécialiste de la collecte, du transport, du traitement et du recyclage des déchets s'est engagée à fournir à la société Lafarge des déchets répondant à des critères de qualité, en fonction de catégories pré-définies, en garantissant notamment la conformité des déchets à un certificat d'acceptation ;
Qu'à cette fin, les sociétés Lafarge et Scori ont établi en 2004 une fiche de spécifications déterminant les contraintes pour l'acceptation des déchets valorisables dans cette filière ciment ;
Que sur la base de cette fiche, les sociétés fournissant des déchets à la société Scori en vue de leur utilisation dans la filière ciment, doivent analyser leurs déchets afin de garantir leur conformité avec les spécifications de cette filière ;
Qu'en l'espèce la fiche de spécifications ainsi élaborée en 2004, fournie par la société Scori à la société PSI pour l'acceptation de déchets provenant de sables de fonderie de la société MFA ne comportait à l'origine aucune spécification individualisée pour faire des recherches sur le Chrome VI, mais simplement un seuil global de < 10000 mg / kg pour une liste de 10 métaux lourds à ne pas dépasser dans sa globalité ;
Que toutefois par mail du 14 mars 2008, la société Scori a communiqué à la société PSI " les critères d'acceptation - valorisation matière - Lafarge Martres " qui intègrent en outre l'exigence de vérifier que le taux de Chrome VI soit inférieur à 500 ppm pour homologuer les déchets transmis ;
Qu'il en résulte que nonobstant l'obligation d'information qui pouvait peser sur la société MFA, à la supposer établie, il appartenait à la société PSI, intermédiaire collectant et triant des déchets industriels, de procéder à une analyse des teneurs en métaux desdits déchets, comportant une analyse spécifique du taux en Chrome VI, dès lors que cette recherche avait été intégrée dans les critères d'acceptabilité des déchets pour la filière ciment et qu'elle en avait été informée, ce qu'elle n'a pas fait ;
Que par des motifs précis et circonstanciés que la Cour adopte, les premiers juges ont à juste titre retenu la responsabilité de la société PSI et de son assureur, la société Gan assurance dans les limites de sa police d'assurance ;
Qu'ils ont également retenu dans leur motivation la responsabilité de la société Scori au titre de son obligation contractuelle de résultat au regard de la non-conformité des produits, répondant des fautes commises par ses sous-traitants, mais qu'ils l'ont omise dans le dispositif de la décision, ne retenant que la responsabilité de la société PSI ;
Que toutefois, il résulte des pièces versées aux débats que les fiches de spécification jointes par la société Scori aux échanges de mails avec la société PSI n'ont pas été modifiées après le mail du mois de mars 2008 et comportaient toujours une catégorie unique pour tous les métaux, sans spécification particulière pour le Chrome VI ;
Que la société Scori a accepté les déchets de la société MFA sur la base des analyses transmises par PSI et délivré un certificat d'accès de ceux-ci au réseau Scori alors que ces analyses suivaient l'ancienne fiche de spécifications et ne comportaient pas une individualisation des taux de Chrome VI ;
Qu'en conséquence, si la responsabilité de la société PSI ne peut être écartée, compte tenu de la faute commise en n'intégrant pas l'analyse individualisée du taux de Chrome VI dont elle était informée, il y a lieu de retenir également la responsabilité de la société Scori, qui n'a pas modifié sa grille de contrôle et qui a validé les transmissions d'analyses des échantillons de la société PSI sans vérifier que les analyses ont bien porté sur la teneur en Chrome VI ;
Que les sociétés PSI et Scori ont donc chacune par leur propre faute contribué à la réalisation du dommage subi par la société Lafarge ;
Qu'elles doivent être tenues solidairement de l'indemnisation du dommage subi ;
Qu'il y a lieu d'infirmer la décision des premiers juges sur ce point et de retenir la responsabilité solidaire de ces deux sociétés à l'égard de la société Lafarge ;
Considérant que la garantie du Gan au profit de PSI est acquise dans les limites de sa police d'assurance ;
Qu'il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges sur ce point ;
Considérant qu'en ce qui concerne la société MFA qui est à l'origine des déchets utilisés, il ne résulte d'aucun des éléments du dossier qu'il pèse sur celle-ci une obligation d'information au-delà des spécifications demandées par la société PSI, qu'il n'est pas établi que la société MFA ait eu connaissance des nouveaux critères d'acceptation des déchets posés par la société Scori transmis à PSI et notamment de l'exigence relative au Chrome, n'étant pas elle-même spécialiste de la filière ciment ;
Que c'est par des motifs précis que la Cour adopte que les premiers juges ont considéré que la société MFA n'avait commis aucune faute lors de la transmission des analyses des déchets faites par le laboratoire des Pyrénées qui ne permettaient pas de déterminer la quantité de chrome dans les échantillons analysés, et encore moins la quantité de Chrome VI ;
Que c'est également à juste titre, par des motifs que la cour adopte, que les premiers juges ont écarté toute faute de la société MFA au regard de l'information concernant la nature du sable et de ses caractéristiques ;
Qu'il n'est pas établi que la société MFA ait délibérément occulté le fait que le sable utilisé était un sable de chromite ;
Qu'il résulte des éléments du dossier qu'il ne pouvait peser sur la société MFA une obligation d'information sur des contraintes qui lui étaient étrangères, n'ayant pas été signataire ni destinataire des fiches de spécifications et la société PSI ne démontrant pas avoir attiré l'attention de la société MFA sur une obligation de l'informer de la présence d'un taux de Chrome VI excédent 500 ppm ;
Que la société MFA n'a pas été associée au processus de fabrication du ciment ;
Que la société MFA a fourni à la société PSI la composition chimique de ses déchets faisant apparaître le chrome entre autres composants ;
Qu'il ne peut être retenu aucune négligence de sa part dans la transmission d'informations sur la nature du sable ;
Que la décision des premiers juges sera confirmée sur ce point ;
Considérant enfin, en ce qui concerne la société Lafarge, qu'à supposer même qu'elle n'ait pas effectué les analyses systématiques de toutes les livraisons de déchets, il n'est pas établi qu'une telle obligation lui incombe dès lors qu'elle avait mis en place un partenariat avec la société Scori à laquelle incombait l'obligation de vérifier, sur la base de la grille de spécifications propre à la filière ciment qu'elle avait élaborée, certes en accord avec la société Lafarge, mais en faisant peser sur la société Scori une obligation de résultat, que les déchets transmis pouvaient bénéficier du certificat d'acceptation, ce qui permettait à la société Lafarge, une fois la fiche validée par Scori, d'effectuer un prélèvement des déchets livrés par échantillonnages, ce qu'elle démontre avoir fait, sans qu'il lui incombe de faire procéder systématiquement à une analyse immédiate de ces échantillons ;
Qu'il ne peut être reproché aucune faute à la société Lafarge ;
Que la décision des premiers juges sera dès lors confirmée sur ce point ;
2. Sur le préjudice
Considérant que c'est par des motifs précis que la cour adopte que les premiers juges ont retenu les postes de préjudice relatifs au tas de préhomo, au clinker contaminé, au ciment en sacs, au ciment en vrac et à l'impact sur la production, avalisant en grande partie le rapport de l'expert judiciaire qui a répondu aux dires des parties et retenant les pièces justificatives versées aux débats par la société Lafarge ;
Qu'en effet, la société Lafarge Ciment a été obligée de procéder immédiatement au retraitement du ciment en vrac afin de le décontaminer et pouvoir le réutiliser en interne, aucune solution d'évacuation n'étant possible, et le stockage étant trop dangereux ;
Qu'il est établi que le retraitement dudit ciment en filière spécialisée a eu un coût que l'expert a pu chiffrer de façon précise et que les premiers juges ont retenu ;
Que le ciment en sac et le clinker ont dû d'abord être stockés, puis retraités, les coûts étant également relevés de façon précise ;
Qu'il en est de même pour le tas de préhomo ;
Que l'ensemble des postes de préjudice allégué a été chiffré avec précision par l'expert judiciaire dans son rapport, que les premiers juges ont retenu à juste titre et qu'il y a lieu de confirmer ;
Considérant que le tribunal a rejeté l'indemnisation demandée au titre des frais de personnel, par des motifs que la Cour adopte, ces frais supplémentaires n'étant pas établis ou étant déjà intégrés dans les différents chefs de préjudice indemnisés ; que le fait que le personnel ait été utilisé à d'autres tâches que celles auxquelles il était habituellement affecté ne constitue pas pour autant des frais supplémentaires en relation avec le sinistre ;
Que la décision des premiers juges sera confirmée sur ce point également ;
Que par contre, il résulte des éléments du dossier que la société Lafarge a subi un préjudice d'image considérable, étant leader de la fabrication du ciment et ne pouvant s'exonérer aux yeux de ses clients tels qu'Eiffage Construction, Béton Toffanello Frères, Cougo, Point P, Chausson Matériaux etc., clients auxquels elle a été contrainte de signaler les désordres et demander le retour en urgence des ciments déjà livrés, alors que la responsabilité des fautes commises ne lui incombe pas ;
Qu'en effet, dès la découverte de la contamination, la société Lafarge justifie avoir immédiatement informé ses clients et leur a demandé de procéder à la consignation du ciment en vrac ayant été livré, afin d'éviter que des particuliers ne soient en contact avec les ciments contaminés ;
Que toutefois, le montant de l'indemnisation de ce poste de préjudice peut être forfaitaire ;
Qu'il y a lieu d'infirmer la décision des premiers juges sur ce point et de faire droit à la demande d'indemnisation formulée, à hauteur de 200 000 euro ;
Que s'agissant d'une allocation de dommages et intérêts, il y a lieu de faire courir les intérêts légaux sur les sommes allouées à la date du prononcé de la présente décision, avec capitalisation dans les conditions prévues par la loi ;
Considérant qu'au vu des motifs sus-énoncés, les appels en garantie sont sans objet ;
Qu'il y a lieu d'allouer à la société Lafarge une indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, à hauteur de 20.000 euros, somme à laquelle les deux sociétés qui succombent seront tenues chacune pour moitié ;
Qu'il n'y a pas lieu d'allouer aux autres parties d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société PSI et de sa compagnie d'assurance Gan et les a condamnées à payer à la société Lafarge la somme de 2 232 682 euro, et en ce qu'il a retenu que la garantie de la compagnie Gan Assurances sera mise en 'œuvre dans les conditions contractuelles de garantie qui limitent sa mise en cause à la somme de 950 000 euros par année d'assurance s'agissant des dommages matériels et immatériels consécutifs à des dommages matériels garanties avec une franchise d'un montant de 800 euros par sinistre. L'infirmant pour le surplus, Condamne solidairement la société Scori avec la société PSI à payer à la société Lafarge la somme de 2 232 682 euro sus-rappelée.Y ajoutant, Condamne solidairement les sociétés Scori et PSI à payer à la société Lafarge la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour son préjudice d'image. Fixe le point de départ des intérêts légaux à la date du prononcé du présent arrêt. Ordonne la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil. Déboute la société Lafarge du surplus de ses demandes. Déboute les autres parties de leurs demandes. Dit que les appels en garantie sont sans objet. Condamne les sociétés Scori et PSI à payer chacune la somme de 10 000 euros à la société Lafarge au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne les sociétés Scori, PSI et Gan assurances solidairement aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.