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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 20 septembre 2016, n° 16-15359

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SFR (SA)

Défendeur :

Arvato Business Développement Services France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Roy-Zenati

Conseillers :

Mmes Grivel, Quentin de Gromard

Avocats :

Mes Galland, Colin, Guizard, Danis

T. com. Paris, prés., du 13 juill. 2016

13 juillet 2016

Faits et procédure

La SA Société Française de Radiotéléphone (SFR) et la SARL Arvato Business Développement Services France (ABDSF) ont conclu le 30 mars 2010 un contrat-cadre de prestation de service n° 2009/01524 aux termes duquel la société ABDSF assure la gestion de l'assistance téléphonique pour les abonnés de la société SFR.

Ce contrat-cadre a été complété par cinq avenants dont un avenant n° 3, conclu le 1er août 2014, par lequel les parties ont convenu que leurs relations contractuelles prendraient fin le 30 septembre 2016, à condition de confirmer la dénonciation du contrat en observant un préavis de six mois, soit avant le 30 mars 2016.

En application de ce contrat-cadre les parties ont également conclu le 30 mars 2010 une convention d'exécution de prestation de services " SFR Touch " n° 2009/01525, qui a fait elle-même l'objet de plusieurs avenants, l'avenant n° 4 prorogeant la durée de cette convention d'exécution jusqu'au 30 septembre 2016.

Par lettre recommandée avec AR du 24 mars 2016, la société SFR a informé la société ABDSF de sa décision de ne pas renouveler le contrat-cadre n° 2009/01524 du 30 mars 2010 et la convention d'exécution n° 2009/01525, acceptant néanmoins de prolonger à titre exceptionnel l'exécution des conventions jusqu'au 30 juin 2017 " sur la base d'un plan de décroissance " annexé au courrier.

Soutenant que cette réduction du volume d'heure pendant la durée de préavis constituait un manquement aux dispositions contractuelles, la société ABDSF ainsi que ses sous-traitantes - les sociétés Aquitel/Camaris/Duacom/Socam/Tellis Téléphone Limousin Services/Phone Serviplus - ont fait assigner le 29 juin 2016 la société SFR en référé devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de lui enjoindre, sur le fondement des articles 1134 du Code civil et 873 du Code de procédure civile, de maintenir le volume d'activité à un taux similaire à celui du mois de mars 2016 sous peine d'astreinte.

Par ordonnance contradictoire du 13 juillet 2016 ce juge des référés, retenant que "les mesures prises (par la société SFR) de réduction des volumes le jour de la résiliation du contrat déséquilibraient l'économie contractuelle au détriment d'Artavo (la société ABDSF) et constituaient un dommage imminent" a, au visa des articles 873 du Code de procédure civile et L. 442-6 du Code de commerce :

- dit irrecevables les sociétés Aquitel, Camaris, Socam, Tellis Téléphone Limousin Service et Phone Serviplus,

- enjoint à la SA Société Française de Radiotéléphone de revenir, dans un délai de 15 jours suivant le prononcé de l'ordonnance, à un volume d'activités confiées à la société Arvato Business Développement Services France, similaire au volume du mois de mars 2016 (133 113 heures de PDP en France, 146 251 heures de PDP au Maroc), puis de maintenir ce même niveau d'activité jusqu'au 30 septembre 2017, sous peine d'une astreinte de 50 000 euros par jour de retard,

- dit que l'astreinte éventuelle sera liquidée par le juge de l'exécution,

- débouté la SA Société Française de Radiotéléphone de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la SA Société Française de Radiotéléphone au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Le 18 juillet 2016 la société SFR a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 19 juillet 2016 rendue par le premier président de la Cour d'appel de Paris, la société SFR a été autorisée à assigner à jour fixe la société ABDSF pour l'audience du 30 août 2016.

Dans sa requête aux fins d'être autorisée à assigner à jour fixe, la société SFR demande à la Cour sur le fondement des articles 1134 du Code civil et 873 du Code de procédure civile de :

- infirmer l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a jugé irrecevables à agir les sociétés Aquitel, Camaris, Dualcom, Socam, Tellis et Phone Serviplus et, statuant à nouveau,

- dire n'y avoir lieu à référé ou à tout le moins débouter la société ABDSF de ses demandes et la condamner au paiement de la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Dans ses conclusions régulièrement transmises le 24 août 2016, auxquelles il convient de se reporter, la société ABDSF demande à la Cour sur le fondement des articles 1134 du Code civil, L. 442-6 du Code de commerce et des articles 700 et 873 du Code de procédure civile, de :

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

- enjoint à la SA Société Française de Radiotéléphone de revenir, dans un délai de 15 jours suivant le prononcé de l'ordonnance, à un volume d'activités confiées à la société Arvato Business Développement Services France, similaire au volume du mois de mars 2016 (133 113 heures de PDP en France, 146 251 heures de PDP au Maroc), puis de maintenir ce même niveau d'activité jusqu'au 30 septembre 2017, sous peine d'une astreinte de 50 000 euros par jour de retard,

- dit que l'astreinte éventuelle sera liquidée par le juge de l'exécution,

- débouté la SA Société Française de Radiotéléphone de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la SA Société Française de Radiotéléphone au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- débouter la SA Société Française de Radiotéléphone de toutes ses demandes,

- condamner la SA Société Française de Radiotéléphone à payer aux sociétés ABDSF, Aquitel, Camaris, Duacom, Socam, Tellis Téléphone Limousin Service et Phone Serviplus une somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que le chef du dispositif de l'ordonnance entreprise relatif à l'irrecevabilité à agir des sociétés Aquitel, Camaris, Socam, Tellis Téléphone Limousin Service et Phone Serviplus n'est pas contesté par les parties ; qu'il doit donc être confirmé ;

Considérant qu'au soutien de sa demande d'infirmation de la décision querellée la SA SFR appelante fait valoir que le premier juge a violé le principe de la contradiction en faisant application d'office des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce sans l'avoir au préalable invitée à présenter ses observations ;

Que la SARL ABDSF intimée réplique que les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce ont été contradictoirement débattues ;

Considérant que dans une procédure orale les moyens et prétentions sont présumés, sauf preuve contraire, avoir été contradictoirement débattus à l'audience ;

Qu'au surplus en l'espèce les écritures respectives des parties - du 7 juillet 2016 pour la SARL ABDSF et du 6 juillet 2016 pour la SA SFR - échangées devant le premier juge et visées dans l'ordonnance entreprise se réfèrent à l'article L. 442-6 IV du Code de commerce et à la notion de " rupture brutale des relations commerciales établies ", la SARL ABDSF sollicitant notamment la prolongation de la durée de préavis qu'elle estimait être insuffisante ; que dès lors le grief d'une violation du principe de la contradiction par le premier juge doit être écarté ;

Considérant qu'en application de l'article 873 du Code de procédure civile le président du Tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ;

Considérant que le dommage imminent s'entend du " dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer " et le trouble manifestement illicite résulte de " toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit " ;

Qu'il s'ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle la cour statue et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage, d'un préjudice ou la méconnaissance d'un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines, qu'un dommage purement éventuel ne saurait donc être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés ; que la constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets ;

Considérant que la SARL ABDSF soutient l'existence d'un dommage imminent de nature à justifier la mesure conservatoire prise par le tribunal de commerce en ce que la décision de la SA SFR de réduire unilatéralement le volume d'affaires de 8 % chaque mois pendant la période de préavis, et ce en violation des dispositions contractuelles, a des conséquences financières graves pour elle et va entraîner la fermeture de certains de ses sites, menacer plusieurs milliers d'emplois en France et conduire à des plans sociaux ;

Que la SA SFR réplique avoir dénoncé le contrat à durée déterminée conformément à ses stipulations, n'avoir violé aucune obligation contractuelle en prévoyant une décroissance des volumes et relève l'imprévoyance de la société ABDSF qui, bien que connaissant la date de fin du contrat, n'en a pas anticipé les conséquences ;

Considérant que l'avenant n° 3, conclu le 1er août 2014, dispose notamment que le contrat-cadre qui a pris effet le 1er mars 2010 s'achèvera le 30 septembre 2016 et que ce contrat-cadre " se renouvelle par tacite reconduction pour des périodes successives de une (1) année, sauf dénonciation par l'une des parties par lettre recommandée avec accusé de réception respectant un préavis de six mois au moins avant l'expiration de la période initiale de validité et de trois mois dans l'hypothèse de tacite reconduction " ;

Que le 24 mars 2016 la SA SFR a informé la SARL ABDSF de sa "décision de ne pas renouveler le contrat du 30 mars 2010 qui a fait l'objet d'un avenant le 1er août 2014 mentionnant comme date limite le 30 septembre 2016" précisant "néanmoins, nous sommes disposés, à titre exceptionnel, à prolonger jusqu'au 30 juin 2017 l'exécution de nos conventions, sur la base du plan de décroissance annexé à la présente" ;

Qu'en annexe figurent deux tableaux - intitulés " décroissance des volumes d'activités confiées à Arvato jusqu'en juin 2017 (en volume d'heures) " - avec d'une part un tableau relatif " aux volumes d'heures des PDP (plans de production) adressés le 7 mars 2016 " entre mars 2016 et juillet 2016 et d'autre part un tableau à partir d'août 2016 " projection des volumes d'heures, en décroissance linéaire jusqu'en juin 2017 " pour la période d'août 2016 jusqu'en juin 2017 ;

Considérant qu'à l'appui de ses allégations la société ABDSF communique :

- un article de La Voix du Nord du 5 avril 2016 intitulé " En résiliant son contrat avec Duacom Douai, SFR menace les 450 emplois " au sujet des conséquences de la résiliation du contrat SFR au 30 juin 2017,

- un article de franceinfo.fr du 9 avril 2016 intitulé " Appel à la grève dans les centres d'appels de SFR " au sujet de la grève des salariés des centres d'appels externalisés de SFR pour dénoncer les résiliations de contrats d'opérateur au 30 juin 2017,

- un article de La Lettre A du 14 avril 2016 intitulé " SFR expédie ses centres d'appels au sud " sur la délocalisation par SFR de ses centres d'appel vers le Portugal,

- un article de La Voix du Nord du 27 mai 2016 intitulé " Des salariés de Duacom ont manifesté hier " sur la crainte des salariés de la plate-forme douaisienne d'appels clients d'une suppression de 450 postes en raison de la résiliation du contrat SFR-Numéricable en juin 2017,

- les courriers en date du 11 mai 2016 du commissaire aux comptes PricewaterhouseCoopers Audit à chacun des sous-traitants de la société ABDSF - les sociétés Aquitel/Camaris/Duacom/Socam/Tellis - les informant de ce que la décision de la société SFR de dénoncer le contrat de prestation en cours avec la société ABDSF avec une date d'effet fixée au 30 septembre 2016 est de " nature à compromettre la continuité d'exploitation de la (leur) société " et leur demandant en conséquence leur analyse de la situation et les mesures qu'ils envisagent ;

Que ces articles de presse se font l'écho des craintes des salariés confrontés à une future rupture des contrats avec la société SFR ; que le courrier du commissaire aux comptes alerte les sous-traitants de la société ABDSF sur les incidences de la dénonciation du contrat en cours entre SFR/ABDSF ;

Qu'il apparaît ainsi que le dommage invoqué par la société ABDSF, consistant en des pertes financières et des licenciements, sont les conséquences non pas du plan de décroissance qui aurait été mis en place unilatéralement par la société SFR et qu'elle dénonce, mais de la rupture des relations contractuelles entre les parties laquelle a été fixée d'un commun accord, par avenant du 1er août 2014, au 30 septembre 2016 avec un préavis de six mois ;

Qu'au surplus la cessation des relations d'affaires étant connue de la société ABDSF depuis la dénonciation du renouvellement du contrat le 24 mars 2016 dans les formes contractuelles définies, l'imminence d'un dommage invoqué n'est pas rapportée en l'espèce avec l'évidence qui s'impose en matière de référé ;

Qu'en conséquence l'ordonnance entreprise doit être infirmée en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a jugé irrecevables à agir les sociétés Aquitel, Camaris, Dualcom, Socam, Tellis et Phone Serviplus ;

Considérant qu'il y a lieu de réformer l'ordonnance entreprise s'agissant du sort des dépens et de l'indemnité de procédure ;

Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande de la SA SFR présentée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la SARL ABDSF est condamnée à lui verser à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision ;

Qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au profit des sociétés Aquitel, Camaris, Duacom, Socam, Tellis Téléphone Limousin Service et Phone Serviplus qui ne sont pas parties à la procédure d'appel ;

Que la société ABDSF qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d'appel et ne saurait bénéficier d'une somme au titre des frais irrépétibles.

Par ces motifs: Infirme l'ordonnance querellée sauf en ce qu'elle a jugé irrecevables à agir les sociétés Aquitel, Camaris, Dualcom, Socam, Tellis Téléphone Limousin Service et Phone Serviplus ; Statuant à nouveau, Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de la société ABDSF de mesures conservatoires ; Condamne la société ABDSF à verser à la SA SFR une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute la société ABDSF de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société ABDSF aux dépens de première instance et d'appel.