CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 20 septembre 2016, n° 14-10006
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Les Indépendants (GIE)
Défendeur :
NRJ (SAS), Radio Nostalgie (SAS), Chérie FM (SAS), Rire et Chansons (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rajbaut
Conseillers :
Mmes Auroy, Douillet
Avocats :
Mes Boccon Gibod, Buge, Teytaud, Boespflug
Le GIE les Indépendants, créé en 1992 et qui regroupe environ 120 radios locales indépendantes, a réalisé en 2012 une campagne publicitaire constituée de plusieurs annonces similaires comportant notamment le message suivant : " Chaque jour, comme X, 8 millions d'auditeurs sont à l'écoute d'une radio qui partage tout de leur vie quotidienne. Cette proximité unique alliée à la force d'un réseau national fait des Indés Radios la 1re audience de France ". Ce message renvoie par un astérisque à une source Médiamétrie.
Estimant que cette publicité est une publicité comparative illicite constitutive de concurrence déloyale à leurs dépens, les sociétés NRJ, Radio Nostalgie, Chérie FM et Rire et Chansons, qui exploitent respectivement les radios du même nom, ont vainement mis en demeure le GIE les Indépendants par l'intermédiaire de la société NRJ Group qui est leur société mère, le 20 avril 2012, de cesser cette campagne publicitaire.
Par acte du 29 juin 2013, elles l'ont assigné devant le Tribunal de commerce de Paris pour obtenir notamment la cessation de la campagne publicitaire et l'indemnisation du préjudice qu'elles estiment avoir subi.
Par jugement du 30 avril 2014, le tribunal de commerce a :
- interdit au GlE les Indépendants de poursuivre ou reprendre la campagne publicitaire litigieuse et plus généralement de présenter son couplage publicitaire comme une radio et de comparer son couplage publicitaire à des radios, et ce sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement,
- condamné le GIE les Indépendants à verser à chacune des sociétés NRJ, Radio Nostalgie, Chérie FM et Rire et Chansons les sommes de :
* 25 000 euros en réparation de leur préjudice du fait de la publicité trompeuse,
* 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les sociétés NRJ, Radio Nostalgie, Chérie FM et Rire et Chansons du surplus de leurs demandes,
- condamné le GIE les Indépendants aux dépens.
Le 6 mai 2014, le GIE les Indépendants a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 12 mars 2015, le conseiller de la mise en état (chambre 5-11 de cette cour) a fait droit à la demande des sociétés NRJ, Radio Nostalgie, Chérie FM et Rire et Chansons tendant à ce que le jugement soit assorti de l'exécution provisoire.
Dans ses conclusions récapitulatives transmises le 3 février 2015, le GIE les Indépendants, poursuivant l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions, demande à la cour :
- de juger que la publicité diffusée par le GIE au cours de l'année 2012 était une publicité comparative licite,
- d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq supports à son choix et aux frais des sociétés NRJ, Radio Nostalgie, Chérie FM et Rire et Chansons dans la limite de 50 000 euros HT,
- de condamner solidairement NRJ, Radio Nostalgie, Chérie FM et Rire et Chansons à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses conclusions transmises le 4 mai 2016, les sociétés NRJ, Radio Nostalgie, Chérie FM et Rire et Chansons sollicitent :
- la confirmation du jugement et le débouté du GIE de son appel,
- sa condamnation à leur payer la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 mai 2016.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées ;
Sur les actes de concurrence déloyale
Considérant que le principe étant celui de la liberté du commerce, ne sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, que des comportements fautifs tels que ceux visant à créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, ou ceux, parasitaires, qui consistent à tirer profit sans bourse délier d'une valeur économique d'autrui, individualisée, procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements ;
Considérant qu'il est constant que la publicité litigieuse constitue une publicité comparative et relève en conséquence des dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation selon lequel : " Toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si : 1° Elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ; 2° Elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ; 3° Elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie " ;
Considérant que les sociétés intimées soutiennent, en substance, que le GIE, qui constitue un couplage publicitaire, ne peut licitement se présenter comme une radio ou comme un réseau national et que la publicité litigieuse est destinée aussi bien aux annonceurs achetant de l'espace publicitaire qu'aux auditeurs ;
Considérant que le GIE se définit comme un regroupement composé de 127 (à ce jour) radios locales, invoquant la décision 06-D-29 du 6 octobre 2006 du Conseil de la concurrence qui a relevé qu'il avait pour principal objet la commercialisation des espaces publicitaires des radios à zone de diffusion locale ou régionale auprès d'annonceurs nationaux ou internationaux et visait à agréger les audiences de certains opérateurs radiophoniques de dimension locale afin de fournir une offre d'espaces publicitaires groupés leur permettant d'accéder au marché publicitaire national ; qu'il importe de souligner que dans la même décision, le Conseil de la concurrence a estimé que le GIE les Indépendants se trouvait en concurrence directe avec les réseaux nationaux sur le marché de la publicité radiophonique nationale ;
Considérant que la publicité litigieuse, telle que diffusée dans la presse écrite (notamment le Figaro ou le Parisien), se compose de la photographie d'une personne prise dans un espace public et qui énonce une phrase dans une bulle (ex. " C'est sûr que je suis plus attentive quand j'écoute les infos d'ici ! " (Marie, 32 ans, Rouen) ou " Toutes les radios ne donnent pas les résultats sportifs de la région, celle-ci oui ! " (Philippe, 45 ans, Marseille)), d'un texte : " Pourquoi les Français préfèrent leur radio locale ", " Chaque jour, comme [Marie, Philippe.], 8 millions d'auditeurs sont à l'écoute d'une radio qui partage tout de leur vie quotidienne. Cette proximité unique alliée à la force d'un réseau national fait des Indés Radios la 1re audience de France " et d'un logo " Les Indés Radios ", suivi de " 123 radios indépendantes " et " La proximité est une force " ;
Considérant qu'il ne ressort pas de ce contenu que le GIE les Indépendants se présente comme une radio ; que les expressions " (...) les français préfèrent leur radio locale (...) ", " réseau national ", " Les Indés Radios ", " 123 radios indépendantes " renvoient toutes à une pluralité de radios, pluralité corroborée par la notion de proximité expressément utilisée dans l'annonce (" La proximité est une force ") ou suggérée par les termes " radio locale " ainsi que par les propos des personnages évoquant le caractère local des informations délivrées par leur radio (ex. " Sans l'info trafic de ma radio, je serais rarement à l'heure au bureau " ou " Toutes les radios ne donnent pas les résultats sportifs de la région, celle-ci oui ! " ou encore " C'est sûr que je suis plus attentive quand j'écoute les infos d'ici ! ") ; que cette analyse n'est pas contredite pas la mention : " 8 millions d'auditeurs sont à l'écoute d'une radio qui partage tout de leur vie (...) " (mise en gras rajoutée), l'article indéfini " une ", ainsi que le relève pertinemment le GIE, exprimant, dans le contexte qui vient d'être décrit, l'idée d'une pluralité de radios ;
Que contrairement à ce que soutiennent les intimées, il n'en va pas différemment de la publicité du GIE diffusée sur Internet qui évoque, elle aussi (cf. procès-verbal de constat fourni par les intimées en pièce 15), à plusieurs reprises, le caractère local et multiple des radios (" Les Indés Radios ", " La proximité est une force ", " 123 radios indépendantes ") ;
Considérant, en outre, que la publicité litigieuse, qui met l'accent sur la forte audience des Indés Radios, est principalement destinée aux annonceurs publicitaires et agences médias, lesquels professionnels connaissent le GIE les Indépendants et ne peuvent se méprendre sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une radio ;
Qu'en tout état de cause, la thèse des sociétés intimées, selon laquelle la publicité litigieuse s'adresse aux auditeurs (non professionnels) et trompe ces derniers ou est de nature à les induire en erreur, ne peut emporter la conviction tant il est vrai que, comme le relève le GIE, il n'existe pas de radio " GIE les Indépendants " ou " Les Indés Radios " - qui ferait a fortiori 8 millions d'auditeurs - et que la publicité critiquée ne pourrait inciter des auditeurs à se détourner de radios concurrentes pour écouter le GIE ou Les Indés Radios ;
Que dans ces conditions, la circonstance que le GIE se présente, dans la publicité litigieuse, comme un " réseau ", ce qui est un terme impropre au sens de l'article 41-3 4° de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication, modifiée, qui dispose qu'en matière de radio par voie hertzienne terrestre, constitue un réseau tout service ou ensemble de services diffusant un même programme pour une proportion majoritaire du temps d'antenne de chaque service, apparaît sans emport, le GIE ayant, au demeurant, selon les intimées, remplacé en 2013 l'expression " la force d'un réseau national " par l'expression " la force d'une couverture nationale " ;
Considérant, en définitive, que la publicité litigieuse n'apparaît pas trompeuse ou de nature à induire en erreur au sens de l'article L. 121-8 1° du Code de la consommation précité ;
Considérant que les sociétés intimées affirment (page 4 de leurs écritures) que la publicité litigieuse, en violation du 2° de l'article L. 121-8 du Code de la consommation, compare abusivement des services distincts, à savoir un programme unique et un ensemble de programmes disparates qui ne répondent pas aux mêmes besoins tant au niveau des auditeurs que des annonceurs (ciblage commercial), tout en précisant qu'elles ne développent pas ce grief " à ce stade puisque la confirmation du jugement déféré qu'elles sollicitent ne l'impose pas, tout en se réservant la possibilité de le faire ultérieurement en tant que de besoin " ;
Que ce grief, succinctement énoncé par les intimées, ne paraît pas fondé et doit être écarté en considération i) de l'analyse réalisée par le Conseil de la concurrence dans sa décision du 6 octobre 2006, de laquelle il ressort que sur le marché de la publicité radiophonique nationale, les offres des réseaux nationaux sont substituables à celle du GIE les Indépendants qui propose des programmes différents suivant les radios et les régions, de sorte que le GIE se trouve en concurrence directe avec les radios, telles celles du groupe NRJ, sur le marché de la publicité radiophonique nationale, ii) des études réalisées par Médiamétrie qui compare les audiences des radios du groupe NRJ avec celles, cumulées, des radios du GIE et iii) de l'existence d'une publicité ancienne commune au groupe NRJ et au GIE (Les Indés Radios) comportant le slogan " Une offre radio conçue pour booster votre trafic auprès des 25-49 ans " (pièce 23 de l'appelant), qui démontre que les radios présentes au sein du GIE et celles du groupe NRJ proposent des offres identiques aux annonceurs et que la publicité litigieuse porte sur des services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif au sens des dispositions précitées ;
Considérant que les sociétés intimées n'invoquent pas une violation de l'article L. 121-8 3° du même article ;
Considérant, en définitive, que la publicité critiquée du GIE n'apparaît pas illicite au sens de l'article L. 121-8 du Code de la consommation ; qu'elle ne peut donc pas être utilement invoquée par les sociétés NRJ, Radio Nostalgie, Chérie FM et Rire et Chansons à l'appui d'une demande en concurrence déloyale visant le GIE les Indépendants ;
Qu'il y a lieu, en conséquence, d'infirmer le jugement dans toutes ses dispositions ;
Sur la mesure de publication
Considérant qu'il n'apparaît pas nécessaire de faire droit à la demande du GIE, étant observé que la mesure sollicitée en première instance par les demanderesses n'avait pas été accordée ;
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que les sociétés NRJ, Radio Nostalgie, Chérie FM et Rire et Chansons qui succombent seront condamnées aux dépens de première instance et d'appel et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant infirmées ;
Que la somme qui doit être mise à la charge des sociétés NRJ, Radio Nostalgie, Chérie FM et Rire et Chansons au titre des frais non compris dans les dépens exposés par le GIE les Indépendants peut être équitablement fixée à 10 000 euros, étant observé que le tribunal de commerce a statué ultra petita de ce chef dans son jugement, comme le relève l'appelant ;
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, Déboute les sociétés NRJ, Radio Nostalgie, Chérie FM et Rire et Chansons de leur demande en concurrence déloyale à l'encontre du GIE les Indépendants, Condamne les sociétés NRJ, Radio Nostalgie, Chérie FM et Rire et Chansons aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement au GIE les Indépendants de la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.