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Décisions

TUE, 7e ch., 30 septembre 2016, n° T-70/15

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Trajektna luka Split d.d.

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

MM. van der Woude, Ulloa Rubio (rapporteur)

Juge :

Mme A. Marcoulli

Avocats :

Mes Bauer, Freund, Hankiewicz

Commission européenne, du 28 nov. 2014

28 novembre 2014

1 La requérante, Trajektna luka Split d.d., est l'opérateur privé exploitant le terminal passagers du port de Split en Croatie. Ses principales activités concernent l'exploitation du terminal dans le cadre du trafic intérieur et international, notamment l'amarrage et le désamarrage des navires ainsi que l'embarquement et le débarquement des passagers et des véhicules.

2 Après sa privatisation en 2003, la requérante s'est vu accorder une concession d'exploitation pour une durée de douze ans. La base légale, les objectifs et les termes de la concession font toujours l'objet de procédures entre la requérante et l'autorité portuaire de Split devant les tribunaux croates.

3 Pour ses services, la requérante fait payer aux usagers du port, tels les opérateurs de ferries, des redevances, qui ne peuvent excéder les montants fixés par l'autorité portuaire de Split, conformément aux dispositions réglementaires croates en matière portuaire. Ces dispositions prévoient que ladite autorité veille à ce que les services portuaires soient accessibles aux utilisateurs du port et à ce que, dans le même temps, le concessionnaire demeure capable d'assurer ces services.

4 Le 22 mars 2013, la requérante a déposé une plainte devant l'autorité de la concurrence croate (ci-après l'" ANC ") contre l'autorité portuaire de Split, au motif que les montants des redevances applicables aux services portuaires lui étaient imposés à des niveaux maximaux exagérément bas, en particulier pour le trafic intérieur, et qu'il en allait de même pour les redevances relatives à la fourniture d'eau.

5 Le 22 août 2013, la requérante a également déposé une plainte auprès de la Commission européenne aux motifs que, premièrement, l'autorité portuaire de Split violait l'article 102 TFUE et abusait de sa position dominante en fixant les redevances applicables aux services portuaires dans le cadre du trafic intérieur à des niveaux maximaux exagérément bas, l'empêchant ainsi d'exercer ses activités de manière rentable ; deuxièmement, ladite autorité violait l'article 102 TFUE et abusait de sa position dominante en l'obligeant à facturer, pour la fourniture d'eau aux bâtiments qui étaient dans le port, des redevances qui étaient inférieures à celles que l'exploitant du terminal de fret était autorisé à facturer, la plaçant ainsi dans une position concurrentielle désavantageuse ; troisièmement, l'autorité portuaire de Split violait, conjointement avec la République de Croatie, l'article 102 TFUE, lu conjointement avec l'article 106 TFUE, en l'obligeant à appliquer pour les services portuaires des redevances beaucoup plus basses aux exploitants du trafic intérieur qu'aux exploitants du trafic international. Cette plainte a été suivie de lettres adressées à la Commission en date des 26 septembre et 8 novembre 2013 et 23 avril 2014.

6 Le 19 septembre 2013, l'ANC a rendu une décision par laquelle elle a rejeté la plainte de la requérante.

7 Le 27 septembre 2013, les agents de la Commission ont reçu la requérante pour un entretien.

8 Le 2 mai 2014, lors d'une conversation téléphonique, la Commission a indiqué à la requérante qu'elle ne considérait pas sa plainte comme prioritaire.

9 Le 23 juillet 2014, la Commission a envoyé une lettre d'évaluation préliminaire à la requérante, l'informant de son intention de rejeter la plainte au motif que l'intérêt de l'Union européenne était insuffisant et que l'ANC avait déjà traité l'affaire.

10 Le 19 août 2014, la requérante a adressé par lettre ses observations à la Commission.

11 Le 28 novembre 2014, la Commission a adopté la décision C(2014) 9236 final rejetant la plainte de la requérante (ci-après la " décision attaquée ").

12 La décision attaquée a rejeté la plainte pour les trois motifs suivants : premièrement, la probabilité de l'établissement de l'existence d'une infraction était limitée ; deuxièmement, les juridictions et autorités nationales apparaissaient mieux placées pour se prononcer sur les questions soulevées ; troisièmement, l'incidence sur le fonctionnement du marché intérieur semblait limitée.

Procédure et conclusions des parties

13 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 février 2015, la requérante a introduit le présent recours.

14 En vertu de l'article 106, paragraphe 3, de son règlement de procédure, en l'absence de demande de fixation d'une audience présentée par les parties principales dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure, le Tribunal peut décider de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure. En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en l'absence d'une telle demande, de statuer sans phase orale de la procédure.

15 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision attaquée ;

- condamner la Commission à supporter ses propres dépens ainsi que les siens ;

- renvoyer l'affaire devant la Commission pour un examen plus approfondi et le prononcé d'une nouvelle décision ;

- ordonner toute autre mesure qui se révélerait appropriée.

16 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours ;

- condamner la requérante aux dépens.

En droit

Sur la compétence du Tribunal

17 Par ses troisième et quatrième chefs de conclusions, la requérante demande au Tribunal d'enjoindre à la Commission de procéder à un nouvel examen, de prononcer une nouvelle décision et d'ordonner toute autre mesure appropriée.

18 À cet égard, il y a lieu d'observer que, selon une jurisprudence bien établie, le juge de l'Union n'est pas habilité à adresser des injonctions aux institutions de l'Union dans le cadre de la compétence d'annulation qui lui est conférée par l'article 263 TFUE. En effet, conformément à l'article 264 TFUE, le Tribunal a uniquement la possibilité d'annuler l'acte attaqué. C'est à l'institution concernée qu'il appartient de prendre, en vertu de l'article 266 TFUE, les mesures que comporte l'exécution d'un éventuel arrêt d'annulation en exerçant, sous le contrôle du juge de l'Union, le pouvoir d'appréciation dont elle dispose à cet effet dans le respect aussi bien du dispositif et des motifs de l'arrêt qu'elle est tenue d'exécuter que des dispositions du droit de l'Union (voir, en ce sens, arrêts du 24 janvier 1995, Ladbroke Racing/Commission, T 74/92, EU:T:1995:10, point 75, et du 29 janvier 2013, Cosepuri/EFSA, T 339/10 et T 532/10, EU:T:2013:38, point 77).

19 Dès lors, il y a lieu de rejeter les troisième et quatrième chefs de conclusions comme portés devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Sur le fond

20 En l'espèce, la requérante soulève deux moyens à l'appui du recours. En premier lieu, elle soutient que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation et une erreur de droit en violant son obligation de réaliser une appréciation exacte de l'intérêt de l'Union. En second lieu, elle avance que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne tenant pas compte de l'ensemble des éléments de fait et de droit pertinents. Ces deux moyens se confondant très largement, il y a lieu de les joindre en un moyen unique, tiré d'une erreur d'appréciation et d'une erreur de droit dans l'appréciation de l'intérêt de l'Union.

21 À l'appui de ce moyen, la requérante conteste l'appréciation réalisée par la Commission dans le cadre de chacun des trois motifs mentionnés dans la décision attaquée (voir point 12 ci-dessus) et avance que la Commission était la mieux placée pour examiner les pratiques contestées (voir point 5 ci-dessus) dans la mesure où elle avait été saisie d'autres plaintes concernant celles-ci.

Sur le premier motif, relatif à la probabilité de pouvoir établir l'existence d'une infraction

22 La requérante soutient que la Commission n'a pas réalisé sa propre appréciation, mais s'est uniquement appuyée sur le dispositif de la décision de l'ANC, sans lui demander d'explications. Or, d'une part, il serait interdit à la Commission de soutenir que l'ANC avait déjà traité l'affaire afin de rejeter l'intérêt de l'Union, puisqu'elle a déclaré, dans la décision attaquée, que l'article 13, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), n'était pas applicable. D'autre part, l'ANC n'aurait pas appliqué le droit de l'Union, mais aurait simplement fondé sa décision sur le droit de la concurrence national et n'aurait pas réalisé une évaluation utile de la situation, même au regard du droit national.

23 En premier lieu, il convient de constater que la Commission, contrairement à ce que soutient la requérante, ne s'est pas contentée de renvoyer, dans la décision attaquée, au dispositif de la décision de l'ANC, mais s'est bien livrée à une analyse de la situation avant de conclure, au point 34 de la décision attaquée, qu'il n'existait pas de raison suffisante pour qu'elle conduise une investigation plus approfondie.

24 En effet, avant de parvenir à cette conclusion, il convient de relever que la Commission a donné à la requérante la possibilité d'expliciter son point de vue. Les fonctionnaires de la Commission, ainsi que cela a été relevé au point 7 ci-dessus, ont reçu la requérante le 27 septembre 2013. Au cours de cette réunion, des questions ont été posées à la requérante. Selon les explications données par la Commission, il s'agissait notamment pour la requérante de tenter de démontrer comment l'autorité portuaire, qui ne se trouvait pas en concurrence avec elle, pourrait avoir un intérêt à sa sortie du marché. La requérante était également invitée à expliquer comment le prétendu abus de position dominante avait pu durer depuis plusieurs années sans toutefois avoir entraîné sa sortie du marché, malgré sa prétendue situation financière très fragile. La requérante a eu la possibilité de justifier sa position, notamment par ses lettres en date du 8 novembre 2013 et du 23 avril 2014, auxquelles la décision attaquée se réfère.

25 De plus, la Commission a également bien pris en compte les circonstances de l'affaire, telles qu'elles résultent de la plainte et des échanges ultérieurs, qu'elle expose aux points 3 à 11 de la décision attaquée et qui sont résumés aux points 1 à 3 ci-dessus.

26 En deuxième lieu, si la requérante allègue qu'il serait interdit à la Commission, afin d'écarter l'existence de l'intérêt de l'Union, de soutenir que l'ANC avait déjà traité l'affaire, tout en reconnaissant par ailleurs que l'article 13, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 n'était pas applicable en l'espèce, il convient de rappeler que cette disposition, comme l'ensemble des dispositions dudit règlement, vise les situations dans lesquelles sont mis en œuvre les articles 101 et 102 TFUE (arrêt du 21 janvier 2015, easyJet Airline/Commission, T 355/13, EU:T:2015:36, point 43).

27 La Commission ne peut, par conséquent, rejeter une plainte sur le fondement des dispositions de l'article 13, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 que lorsque celle-ci a fait l'objet d'un examen mené au regard des règles du droit de la concurrence de l'Union (arrêt du 21 janvier 2015, easyJet Airline/Commission, T 355/13, EU:T:2015:36, point 44).

28 Toutefois, en l'espèce, alors que les parties s'accordent sur le fait que l'ANC ne s'est fondée que sur le droit national croate, il convient de relever que, aux points 14 et 15 de la décision attaquée, la Commission s'est bornée à confirmer l'argument présenté par la requérante dans son courrier du 19 août 2014 selon lequel les dispositions de l'article 13, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 ne pouvaient pas être utilisées dans la mesure où, dans sa décision, l'ANC ne s'était prononcée qu'au regard du droit national.

29 C'est donc à juste titre que la Commission a considéré, aux points 15 et 18 de la décision attaquée, que l'article 13, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 n'était pas applicable en l'espèce.

30 En outre, comme la Commission l'explique dans son mémoire en défense, et sans être contredite par la requérante, les dispositions de droit national, sur lesquelles cette dernière avait fondé sa plainte devant l'ANC, sont l'équivalent des articles 101 et 102 TFUE.

31 C'est donc également à juste titre que la Commission a avancé, au point 21 de la décision attaquée, que le raisonnement sous-tendant la décision de cette autorité fournissait une bonne indication que la probabilité d'établir l'existence d'une infraction à l'article 102 TFUE apparaissait limitée.

32 La Commission pouvait donc adopter le raisonnement suivi par l'ANC sans refaire elle-même une analyse comparable.

33 En troisième lieu, en ce qui concerne l'argument de la requérante selon lequel l'ANC n'aurait pas appliqué le droit de l'Union et n'aurait pas réalisé une évaluation utile de la situation, d'une part, ainsi que cela vient d'être relevé au point 30 ci-dessus, la requérante ne conteste pas que les dispositions du droit national sur lesquelles elle a elle-même fondé sa plainte sont l'équivalent des articles 101 et 102 TFUE. Par conséquent, il y a lieu de considérer que les conclusions de l'ANC auraient été identiques si celle-ci avait mené son analyse au regard de ces articles.

34 D'autre part, la Commission ne saurait être considérée par les opérateurs économiques prétendument victimes d'une infraction comme un organe d'appel susceptible d'annuler les décisions d'une autorité nationale n'ayant pas donné de suite positive à leur plainte. En effet, le contrôle des décisions des autorités de concurrence des États membres n'appartient qu'aux juridictions nationales, qui remplissent une fonction essentielle dans l'application des règles de concurrence de l'Union (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2015, easyJet Airline/Commission, T 355/13, EU:T:2015:36, point 20).

35 Dès lors, l'argument selon lequel l'ANC n'aurait pas appliqué le droit de l'Union et n'aurait pas réalisé une évaluation utile de la situation ne saurait prospérer.

36 La requérante relève également que la Commission, au point 22 de la décision attaquée, a indiqué que la question de la discrimination ne semblait pas se poser au regard du droit de la concurrence. Or, selon la requérante, si elle a soulevé cette question dans la plainte, elle l'a retirée dans sa lettre du 19 août 2014. En mentionnant cet argument, la Commission aurait commis une erreur manifeste d'appréciation.

37 À cet égard, il convient de rappeler que la Commission doit prendre en considération tous les éléments de droit et de fait pertinents afin de décider de la suite à donner à une plainte. Elle est également tenue d'examiner avec toute l'attention requise les éléments de fait et de droit que le plaignant porte à sa connaissance (voir arrêt du 11 juillet 2013, BVGD/Commission, T 104/07 et T 339/08, non publié, EU:T:2013:366, point 157 et jurisprudence citée).

38 En l'espèce, la requérante a soulevé la question de la discrimination dans sa plainte. Par ailleurs, il ne ressort pas de la décision attaquée que la Commission a fondé le premier motif de rejet de ladite plainte sur le seul constat d'une absence de discrimination. La requérante ne saurait donc utilement reprocher à la Commission d'avoir conclu, dans la décision attaquée, à l'absence de discrimination, même si elle a indiqué dans sa lettre du 19 août 2014 que sa plainte ne couvrait plus cette question.

39 En outre, force est de constater que la décision attaquée n'est pas fondée sur cette seule question et que son résultat aurait été le même si la Commission ne l'avait pas examinée.

40 Dès lors, il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter les arguments de la requérante relatifs au premier motif.

Sur le deuxième motif, relatif à l'affirmation selon laquelle les juridictions et autorités nationales semblent mieux placées pour traiter les questions soulevées

41 Premièrement, selon la requérante, le fait que la décision attaquée ne fournisse aucun motif expliquant pourquoi les autorités nationales seraient bien placées démontre que la Commission elle-même ne considère apparemment pas que ces autorités sont effectivement bien placées.

42 Il convient de constater que cet argument est dénué de pertinence. En effet, c'est la requérante elle-même qui a saisi l'ANC (voir point 4 ci-dessus). La requérante était donc vraisemblablement elle-même convaincue que l'ANC était bien placée et ne paraît remettre en cause son propre choix que parce qu'elle n'est pas satisfaite de la décision de l'ANC. Or, il n'appartenait pas à la Commission de confirmer ou d'infirmer le choix procédural effectué par la requérante.

43 En outre, même à supposer, comme le soutient la requérante, que la Commission serait particulièrement bien placée pour traiter d'une affaire et que l'autorité nationale, en l'espèce l'ANC, ne serait pas bien placée pour le faire, il convient de rappeler que les entreprises plaignantes telles que la requérante ne disposent d'aucun droit à voir leur affaire traitée par la Commission [arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T 201/11, EU:T:2014:1096, point 40 (non publié)].

44 Deuxièmement, la requérante soutient que la Commission a également commis une erreur en concluant que les juridictions nationales " sembl[ai]ent être bien placées pour traiter les questions soulevées ".

45 En ce qui concerne cette question, à propos de laquelle la requérante renvoie à l'arrêt du 18 septembre 1992, Automec/Commission (T 24/90, EU:T:1992:97), il y a lieu de rappeler qu'il résulte de cet arrêt que la compétence pour faire application des dispositions des articles 101 et 102 TFUE appartient à la fois à la Commission et aux juridictions nationales. Cette attribution de compétences est, par ailleurs, caractérisée par l'obligation de coopération loyale entre la Commission et les juridictions nationales (arrêt du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T 24/90, EU:T:1992:97, point 90).

46 Cet arrêt rappelle également que, en cas de doute, le juge national peut saisir la Cour d'une question préjudicielle (arrêt du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T 24/90, EU:T:1992:97, point 92).

47 En outre, il y a lieu de relever que la Commission ne s'est pas contentée, dans la décision attaquée, de déclarer qu'en règle générale elle devrait refuser de traiter une affaire au seul motif que les juges nationaux seraient compétents pour l'examiner.

48 En effet, aux points 24 à 27 de ladite décision, la Commission a relevé que ceux-ci avaient déjà été saisis de litiges voisins. En particulier, au point 26 de la décision attaquée, la Commission a constaté que les décisions prises par l'autorité portuaire de Split en 2003 et en 2005, relatives à l'imposition des tarifs, avaient été contestées par la requérante devant le Trgovacki sud u Splitu (Tribunal de commerce de Split, Croatie) sur la base du droit croate. Ce Tribunal a rendu deux décisions favorables à l'autorité portuaire de Split, mais la requérante a fait appel de ces jugements devant le Visoki trgovacki sud (Cour d'appel de commerce, Croatie), qui a annulé ces décisions pour des raisons de procédure.

49 Dans ces circonstances, des raisons tenant à l'économie de la procédure et à la bonne administration de la justice militent en faveur de l'examen de l'affaire par les juges qui étaient déjà appelés à connaître de questions voisines (voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T 24/90, EU:T:1992:97, point 88).

50 Enfin, en l'espèce, la requérante n'a produit aucun élément dont il pourrait être déduit que le droit croate ne prévoit aucune voie de droit permettant au juge national de sauvegarder ses droits de façon satisfaisante. Au contraire, ainsi que cela a déjà été relevé (voir point 30 ci-dessus), la requérante ne remet notamment pas en cause l'affirmation de la Commission selon laquelle les dispositions de droit interne sur lesquelles la requérante avait fondé sa plainte devant l'ANC sont équivalentes en droit national aux articles 101 et 102 TFUE.

51 Il était donc loisible à la Commission de soutenir, en l'espèce, que les juridictions nationales semblaient être bien placées pour traiter les questions soulevées.

52 Troisièmement, la requérante soutient que, la Commission n'ayant encore aucune expérience quant à la capacité des juridictions nationales croates de traiter une telle affaire, la République de Croatie étant un membre relativement nouveau de l'Union, elle était tenue de l'examiner de manière plus approfondie, d'autant qu'aucune juridiction nationale n'a encore appliqué de droit de la concurrence de l'Union.

53 Il convient de souligner que la République de Croatie n'a pu adhérer à l'Union qu'après avoir satisfait aux critères politiques et économiques et aux obligations incombant aux États candidats à l'adhésion, tels que fixés par le Conseil européen de Copenhague (Danemark) des 21 et 22 juin 1993. Ces critères requièrent de l'État candidat, notamment, l'aptitude à assumer les obligations découlant de l'adhésion, en particulier la capacité à mettre en œuvre avec efficacité les règles, les normes et les politiques qui forment le corpus législatif de l'Union.

54 Dès lors, la capacité des juridictions croates à appliquer le droit de l'Union ne saurait être remise en cause par principe.

55 Or, en l'espèce, force est de constater que la requérante ne produit aucun élément de preuve précis de nature à démontrer une incapacité des juridictions croates à apprécier la situation en cause.

56 Quatrièmement, la requérante fait valoir que la Commission n'a pas tenu compte du fait que les décisions sur les redevances de l'autorité portuaire de Split auraient été entachées de plusieurs conflits d'intérêts dans lesquels se trouveraient certains des membres de son conseil directeur.

57 À cet égard, les articles 101 et 102 TFUE, qui s'adressent aux entreprises, n'ont pas vocation à assurer le respect des principes de bonne administration dans la prise de décisions d'organes administratifs nationaux.

58 Dès lors, il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter les arguments de la requérante relatifs au deuxième motif.

Sur le troisième motif, relatif à l'incidence sur le fonctionnement du marché intérieur

59 Premièrement, la requérante avance que l'argument exposé au point 28 de la décision attaquée, selon lequel la pratique contestée a commencé au cours des années 2003 à 2005, soit bien avant l'adhésion de la République de Croatie à l'Union, est sans pertinence.

60 À cet égard, il suffit de relever que, au point 28 de la décision attaquée, la Commission se contente de constater que, la pratique contestée ayant débuté à une date antérieure à l'adhésion de la République de Croatie, pour cette période, les règles du droit de la concurrence de l'Union ne sauraient s'appliquer et le comportement de l'autorité portuaire de Split devrait être apprécié à l'aune du droit national de la concurrence, ce que la requérante ne conteste pas.

61 D'ailleurs, en appliquant ce droit national de la concurrence, l'ANC a appliqué un droit comprenant des dispositions semblables aux articles 101 et 102 TFUE, ainsi que cela a été relevé au point 30 ci-dessus.

62 Deuxièmement, la requérante conteste l'argument développé aux points 29 à 31 de la décision attaquée selon lequel la concession qui lui a été accordée devait expirer en 2015, si bien que la Commission risquait de se retrouver à examiner une pratique qui aurait cessé. La requérante allègue qu'il résulte des procédures ouvertes devant les juridictions internes que la concession dont elle jouit n'expire pas avant juin 2016, date à laquelle une juridiction pourrait se prononcer sur l'étendue de cette concession. En outre, la pratique contestée perdurerait sans doute par la suite en cas d'attribution de la concession à une autre entreprise.

63 Quant à cet argument, il importe de rappeler que c'est au plaignant qu'il incombe de porter à la connaissance de la Commission les éléments de fait et de droit sous-jacents à sa plainte. Pour être en mesure de rejeter celle-ci au motif que les pratiques dénoncées ne violent pas les règles de l'Union en matière de concurrence ou, le cas échéant, n'entrent pas dans le champ d'application de celles-ci, la Commission n'est pas tenue de prendre en considération, aux fins de l'examen d'une plainte, des éléments de fait que le plaignant n'a pas porté à sa connaissance. Il ne saurait, dès lors, lui être reproché, dans le cadre d'un recours formé contre une décision de rejet d'une plainte en matière de concurrence, de ne pas avoir pris en considération un élément que le plaignant n'a pas porté à sa connaissance et dont elle n'aurait pu découvrir l'existence qu'en engageant une enquête (voir arrêt du 24 novembre 2011, EFIM/Commission, T 296/09, non publié, EU:T:2011:693, point 41 et jurisprudence citée).

64 En l'espèce, il ressort du dossier que le fait qu'une juridiction croate pourrait être sur le point de se prononcer sur des questions relatives non pas à l'imposition des tarifs, comme dans les affaires évoquées au point 48 ci-dessus, mais à la concession dont jouit la requérante est une information qui n'a pas été portée à la connaissance de la Commission dans le cadre de la procédure administrative. La Commission n'avait donc, en tout état de cause, pas à en tenir compte. En outre, la concession ayant été accordée pour une période de douze ans, elle était supposée arriver à expiration en 2015. Or, la requérante ne démontre pas en quoi le fait que, en vertu d'une procédure en cours, la concession puisse être prolongée de plusieurs mois devrait substantiellement modifier l'appréciation de la Commission dans la décision attaquée.

65 Quant à l'argument de la requérante selon lequel l'autorité portuaire de Split poursuivrait sa pratique même si un nouveau concessionnaire reprenait les activités qui lui avaient été confiées, force est de constater qu'il s'agit d'une supputation non étayée qui, au surplus, ne démontre rien quant à la situation actuelle de la requérante.

66 Troisièmement, la requérante remet en cause l'appréciation de la Commission, exposée au point 32 de la décision attaquée, relative à l'importance du trafic de passagers dans le port de Split.

67 Audit point 32, d'une part, il est indiqué que, contrairement à ce qu'a affirmé la requérante dans sa lettre du 19 août 2014, le port de Split n'est pas, sur la base des chiffres fournis par l'office statistique de l'Union européenne (Eurostat), le troisième port pour le trafic de passagers de la Méditerranée et ne fait pas même partie des douze plus grands ports de la Méditerranée. D'autre part, il est également indiqué que, en 2012 et en 2013, le transport intérieur de passagers représentait respectivement 92 % et 95 % du transport total de passagers du port de Split. L'importance du trafic de passagers du port de Split pour le marché intérieur semble donc plutôt limitée pour justifier de plus amples investigations de la part de la Commission.

68 Dans la requête, la requérante ne conteste pas le classement du port de Split pour son trafic de passagers parmi les ports de la Méditerranée, mais explique qu'elle arrive à des résultats différents. Selon la requérante, le trafic international représentait, en 2013, 11 % de la totalité du trafic.

69 La Commission avance que l'écart des résultats peut provenir d'une définition différente du terme " passagers " ou des méthodologies de calcul utilisées. À cet égard, la Commission souligne que, alors que la méthodologie appliquée par Eurostat est explicitée sur son site Internet, la requérante ne donne pas d'information à ce sujet.

70 En tout état de cause, force est de constater que, quand bien même le chiffre avancé par la requérante serait exact, il en résulterait que, en 2013, le transport intérieur de passagers représentait 89 % du transport total de passagers du port de Split. Dès lors, une différence de quelques points de pourcentage entre les résultats auxquels parviennent, d'une part, la requérante et, d'autre part, la Commission ne saurait remettre en cause le raisonnement de cette dernière.

71 Dès lors, il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter les arguments de la requérante relatifs au troisième motif.

Sur le fait que la Commission a été saisie d'autres plaintes relatives à la même affaire

72 La requérante soutient que, conformément au point 22 du projet de communication de la Commission relative au traitement par la Commission des plaintes déposées au titre des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, C 101, p. 65), la Commission était mieux placée pour traiter des pratiques en cause, puisqu'elle a déposé deux plaintes auprès de la Commission, pour infractions aux articles 56 et 107 TFUE.

73 Quant à la plainte relative à l'article 56 TFUE, il y a lieu de relever que, au point 22 de la décision attaquée, la Commission indique que le droit de la concurrence ne constitue pas le fondement adéquat pour examiner la plainte de la requérante et qu'elle entamerait une procédure sur le fondement de l'article 258 TFUE au cas où les autorités croates ne fourniraient pas une réponse satisfaisante à la suite de l'invitation qu'elle leur a faite de lui adresser leurs commentaires au regard du règlement (CEE) n° 4055/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers (JO 1986, L 378, p. 1).

74 Or, la requérante ne conteste pas ce point dans la requête. D'ailleurs, ainsi que cela est indiqué au point 23 de la décision attaquée, elle a elle-même admis, dans sa lettre du 19 août 2014, que l'inégalité de traitement entre le trafic intérieur et le trafic international n'était pas le sujet de sa plainte en l'espèce.

75 Quant à la plainte relative à l'article 107 TFUE, il suffit de constater qu'elle fait l'objet de la procédure enregistrée au greffe du Tribunal sous la référence T 57/15.

76 Au surplus, il convient encore de rappeler qu'il n'appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation de l'intérêt de l'Union à celle de la Commission en vérifiant si d'autres critères que ceux retenus par la Commission dans la décision attaquée auraient dû conduire cette dernière à retenir l'existence d'un intérêt de l'Union à ce qu'elle poursuive l'examen de l'affaire [arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T 201/11, EU:T:2014:1096, point 89 (non publié)].

77 Dès lors, il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter les arguments de la requérante relatifs au fait que la Commission a été saisie d'autres plaintes concernant la même affaire.

78 Il résulte de ce qui précède que le moyen doit être rejeté, ainsi que le recours dans son ensemble.

Sur les dépens

79 Aux termes de l'article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

80 La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) Trajektna luka Split d.d. est condamnée aux dépens.