CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 27 septembre 2016, n° 15-20657
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Tecalliance GmbH (Sté), Tecalliance (SAS)
Défendeur :
Oscaro Com (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Roy-Zenati
Conseillers :
Mmes Bodard-Hermant, Quentin de Gromard
Avocats :
Mes Regnier, Ledig, Aknin
Le 15 décembre 2005, la société Oscaro Com, leader de la vente aux consommateurs de pièces détachées automobile d'origine par Internet, a conclu un contrat avec la société TecDoc Informations System GmbH (ci-après TecDoc), devenue la SARL de droit allemand Tecalliance GmbH (ci-après Tecalliance Gmbh), lui donnant accès à une base de données fournies par les équipementiers automobiles permettant l'identification des pièces d'origine destinées à la vente aux particuliers. Ce contrat a été signé pour une durée de trois ans et renouvelé tacitement par périodes d'un an.
Considérant les factures émises par la société TecDoc sur la période 2012 à 2014 comme excessives et ne reposant sur aucun accord entre les parties, la société Oscaro Com en a partiellement refusé le règlement.
Exposant que la société Tecalliance Gmbh a bloqué son accès à la base de données susvisée en juin 2015, la société Oscaro Com l'a assignée ainsi que la société Tecalliance SAS, par actes des 29 juillet et 4 août 2015, devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris afin :
- de voir ordonner sous astreinte la poursuite des relations commerciales entre les parties le rétablissement immédiat de l'accès à la base de données de la société TecDoc
- et d'obtenir :
* l'établissement d'un avoir à son profit d'un montant de 1 882 314,74 euros,
* et le paiement de la somme de 2 512 343,41 euros indûment perçue.
Par ordonnance contradictoire du 30 septembre 2015, le juge saisi a :
- débouté la société Tecalliance GmbH de son exception de litispendance,
- dit cette société recevable mais mal fondée en son exception d'incompétence,
- s'est dit compétent,
- débouté les sociétés Tecalliance Gmbh et Tecalliance SAS de leurs demandes reconventionnelles,
- ordonné à la société Tecalliance Gmbh de rétablir l'accès immédiat à sa base de données pour la société Oscaro Com dans les 15 jours de la signification de la présente ordonnance et ce, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard, pendant une période de 15 jours, passé lequel délai il sera à nouveau fait droit,
- dit qu'il n'y a lieu à référé pour les autres demandes de la société Oscaro Com,
- condamné la société Tecalliance Gmbh au paiement d'une indemnité de procédure de 1 000 euros et aux dépens,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Les sociétés Tecalliance Gmbh et Tecalliance SAS, appelantes de cette décision suivant déclaration d'appel du 19 octobre 2015, par conclusions transmises le 6 juin 2016, demandent à la cour de :
In limine litis :
- constater la litispendance, subsidiairement la connexité entre l'instance de référé engagée par la société Oscaro Com et celle engagée par la société TecAlliance GmbH devant le Landgericht de Munich I, suivant assignation en date du 8 septembre 2015 ;
- constater que le Landgericht de Munich I est compétent en vertu de la clause attributive de juridiction contenue à l'article 8.2 du contrat de licence conclu entre les sociétés Oscaro Com et TecAlliance GmbH et par application des articles 29 et 31 du Règlement 1215/2012 ;
- a titre infiniment subsidiaire, constater que la loi allemande est applicable aux demandes formées par la société Oscaro Com ;
En conséquence,
d'infirmer l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a débouté la société Oscaro Com :
* de sa demande tendant à ce que la société TecAlliance GmbH soit condamnée à établir un avoir de 1 882 314,74 euros ;
* de sa demande tendant à ce que la société TecAlliance GmbH soit condamnée à rembourser à la société Oscaro Com la somme de 2 512 343,41 euros.
Et statuant à nouveau sur les autres chefs de :
- Surseoir à statuer jusqu'à ce que le Landgericht Munich I se soit prononcé sur sa compétence ;
- Se déclarer incompétent au profit du Landgericht Munich I désignée par la clause attributive de compétence précitée ;
- Débouter la société Oscaro Com de ses demandes.
A titre très infiniment subsidiaire, au cas où la cour de céans confirmerait l'ordonnance entreprise du chef de l'accès à la base de données en cause :
- juger que la société TecAlliance GmbH doit "rétablir l'accès immédiat à sa base de données pour" la société Oscaro Com uniquement jusqu'à ce que le Landgericht Munich I se soit prononcé sur le bien-fondé de l'exception d'inexécution soulevée par la société TecAlliance GmbH ;
En tout état de cause:
- mettre la SAS TecAlliance hors de cause ;
- condamner la société Oscaro Com au paiement d'une indemnité de procédure de 15 000 euros et aux dépens.
Elles soutiennent :
- que le 8 septembre 2015, le Landgericht de Munich I a été saisi en vertu de la clause attributive de compétence convenue à l'article 8.2 du contrat pour voir condamner la société Oscaro Com à lui verser la somme de 1 046 661,32 euros, y compris les intérêts de retard, en paiement des factures établies pour l'année 2014 ;
- que cette instance étant actuellement pendante, le Tribunal de commerce de Paris devait donc surseoir à statuer jusqu'à ce qu'il se soit prononcé sur sa compétence, nonobstant le fait que l'assignation de ce tribunal allemand soit postérieure à celle de la société Oscaro Com ;
- qu'en tout état de cause, il existe un risque de contrariété de décisions dès lors que les demandes respectives des parties sont connexes comme étant relatives à la licéité du mode de facturation litigieux,
- que l'article 25 alinéa 1 du Règlement de Bruxelles I bis donne compétence exclusive à la juridiction désignée dans une clause attributive de compétence pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion du contrat dans lequel est contenue ladite clause et qu'en l'espèce, l'article 8.2 du contrat désigne le Landgericht Munich I ;
- que les mesures sollicitées ne sont pas des mesures provisoires ou conservatoires au sens de l'article 35 du Règlement de Bruxelles I bis ;
- que la loi allemande est applicable aux demandes formées par la société Oscaro Com conformément à l'article 8.2 du contrat et que dès lors, les mesures provisoires sollicitées sont dépourvues de base légale en ce qu'elles sont fondées sur des dispositions de droit français ;
- que le refus du maintien de l'accès de la société Oscaro Com aux données des équipementiers à compter du mois de juin 2015 fait suite aux défauts de paiement des factures par cette dernière depuis le mois de mars 2014 pour un montant de près de 2 millions d'euros et n'est donc pas illicite, le mode de facturation ayant fait l'objet d'un commun accord des parties ;
- que le rétablissement immédiat de l'accès à la base de données sans limitation de temps est une mesure définitive qui excède les pouvoirs du juge des référés.
La société Oscaro Com, intimée et appelante incidente, par conclusions transmises le 2 juin 2016, demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a ordonné sous astreinte le rétablissement de son accès immédiat à la base de données de TecAlliance ;
Statuant à nouveau :
- ordonner à la société TecAlliance GmbH de poursuivre les relations commerciales avec elle, selon les termes du contrat du 15 décembre 2005;
- lui ordonner d'établir un avoir de 1 882 314,74 euros en sa faveur ;
- condamner les sociétés TecAlliance GmbH et TecAlliance SAS in solidum, à lui payer la somme de 2 512 343,41 euros indûment perçue ;
- condamner les sociétés TecAlliance GmbH et TecAlliance SAS in solidum au paiement d'une indemnité de procédure de 10 000 euros et aux dépens.
Elle soutient :
- que son activité principale est la vente par internet de pièces détachées automobiles d'origine; que l'accès à la base de données de la société TEC est donc essentiel et indispensable au maintien de son activité ; que le refus de la société TEC de lui permettre d'avoir accès à sa base de données et sa menace de rompre brutalement le contrat signé en 2005 sans mentionner l'existence d'un quelconque préavis constituent ainsi un trouble manifestement illicite relevant de la compétence du juge des référés ;
- que les mesures demandées sont bien réversibles et que le lieu d'exécution du contrat est la France, puisque les données fournies ont pour but de lui permettre de procéder à des ventes sur le territoire français ;
- que les demandes de la société Tecalliance Gmbh au Landgericht de Munich I sont différentes si bien que les dispositions de l'article 29 du Règlement de Bruxelles I bis ne sont donc pas applicables.
La cour renvoie à l'ordonnance entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce LA COUR
Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture
Selon les articles 783 et 784 du Code de procédure civile, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office et l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.
La société Oscaro Com sollicite la révocation de l'ordonnance de clôture pour permettre la production de la lettre adressée par Maitre Deger, avocat de TecAlliance GmbH datée du 14 juin 2016, par laquelle celui-ci lui notifierait la résiliation du contrat du 15 décembre 2005 à effet du 15 décembre 2016 (sa pièce 16).
Elle soutient que cette lettre, qui vise à mettre fin aux relations contractuelles, a été notifiée hors délais par une personne sans qualité à agir à une personne sans qualité pour recevoir cette notification et constitue une cause grave justifiant la réouverture des débats, l'action engagée tendant précisément à la poursuite des relations contractuelles.
Toutefois, la présente procédure est une procédure de référé par laquelle la société Oscaro Com tente essentiellement d'obtenir - à titre provisoire - la poursuite des livraisons de la société TecAlliance Gmbh, qui avait suspendu l'exécution du contrat en raison du non-paiement de ses factures. Et l'appréciation de la validité, ici contestée, de la résiliation du contrat de licence de données conclu entre les parties excède les pouvoirs du juge des référés.
Il s'ensuit que la société Oscaro Com ne justifie pas d'une cause grave et que sa demande ne peut être accueillie.
Sur les exceptions de litispendance, de connexité et d'incompétence
Selon l'article 35 du règlement (UE) n° 1215/2012 du parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012 dit Bruxelles I bis, " les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d'un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond ", à condition qu'existe un lien de rattachement entre ces mesures et la compétence de l'Etat du juge saisi.
Et l'article 873 alinéa 1er du Code de procédure civile énonce que le président du tribunal de commerce peut toujours, dans les limites de la compétence du tribunal et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Par ailleurs et à la même condition, il ne saurait y avoir ni litispendance ni connexité entre deux instances, l'une au provisoire dans un Etat membre l'autre au fond dans un autre Etat membre, en l'absence de risque de contrariété entre les deux décisions à intervenir, dès lors que la première ne s'impose pas au juge qui rend la seconde.
Enfin, le choix éventuel d'une loi étrangère, en l'espèce la loi allemande, comme loi du contrat importe peu, dès lors qu'en matière procédurale, s'agissant de mesures provisoires dont l'exécution doit avoir lieu dans l'Etat du for, le juge applique sa loi.
En l'espèce, la seule question en litige est donc celle de savoir si le juge des référés français saisi peut prendre les mesures sollicitées par la société Oscaro Com, en l'état de la clause attributive de compétence non contestée de l'article 8.2 du contrat du 15 décembre 2005 liant les parties qui stipule que " les parties conviennent de la compétence exclusive des tribunaux compétents pour le siège de TEC pour tout litige émanant du présent contrat des utilisateurs de données '', soit le Landgericht Munich I dans le ressort duquel se trouve le siège social de cette société, situé à Ismaning, en Allemagne.
Les mesures sollicitées par la société Oscaro Com, qui reproche à la société Tecalliance Gmbh une rupture brutale du contrat du 15 décembre 2005, visent essentiellement à obtenir - au visa des articles 873 susvisé et L. 442-6 du Code de commerce - la poursuite de celui-ci aux conditions contractuelles, plus précisément le rétablissement immédiat de son accès à la base de données de la société Tecalliance GmbH outre le remboursement de sommes prétendument indûment payées.
Or, au vu des pièces produites, la prestation dont la reprise est sollicitée a lieu par la mise à disposition des liens permettant le téléchargement de données fournies et mises à jour par la société Tecalliance GmbH dont le siège est en Allemagne.
Et cette obligation s'exécute dans ses locaux dès lors que la base de données est exclusivement gérée par elle et que le serveur informatique sur lequel elle est stokée se situe également dans ses locaux, ce qui n'est pas sérieusement contesté par la société Oscaro Com qui dirige sa demande de rétablissement d'accès contre cette seule société et se borne à invoquer l'utilisation des données pour ses ventes en France qui est sans incidence à cet égard.
Quant aux demandes visant à l'établissement d'un avoir et au paiement d'une provision, la société Oscaro Com ne justifie pas de l'existence d'avoir déterminés des sociétés Tecalliance Gmbh et SAS se situant ou devant se situer en France et ne propose pas de garantie de restitution des fonds sollicités à titre provisionnel.
Il s'ensuit que les mesures sollicitées, qui entrent manifestement dans le champ d'application de la clause attributive de compétence susvisée, n'ont pas de lien de rattachement avec la France et ne sont donc pas provisoires ou conservatoires, au sens de l'article 35 précité du règlement Bruxelles I bis (CJCE 17 novembre 1998, Van Uden, C-391/95).
Il n'y a donc pas lieu à référé et l'ordonnance entreprise doit en conséquence être infirmée en toutes ses dispositions.
L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans les termes du dispositif de la présente décision.
La société Oscaro Com, partie perdante, ne peut prétendre à une indemnité de procédure et doit supporter la charge des dépens conformément aux articles 696 et 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, Dit n'y avoir lieu à référé, Condamne la société Oscaro Com à payer aux sociétés Tecalliance Gmbh et SAS la somme globale de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Oscaro Com aux dépens de première instance et d'appel.