Cass. com., 4 octobre 2016, n° 15-17.992
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Laurent, Kyrn assur conseil (Sarlu)
Défendeur :
BNP Paribas Personal Finance (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Tréard
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Marc Lévis
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. Laurent que sur le pourvoi incident relevé par la société Kyrn assur conseil ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Kyrn assur conseil (la société Kyrn), dont M. Laurent est le gérant, a conclu à partir de 2006 plusieurs mandats avec la société UCB, pour la vente de crédits immobiliers aux particuliers, le démarchage bancaire et le regroupement de crédits ; qu'en 2008, la société UCB a fusionné avec la société Cetelem, donnant naissance à la société BNP Paribas personal finance (la société BNP) ; qu'après avoir signé un avenant au contrat principal d'agent UCB, permettant à la société Kyrn de vendre des crédits à la consommation Cetelem, la société BNP lui a confié, en 2010, un mandat d'agent à durée indéterminée ; qu'en 2011, la société BNP a résilié le mandat d'agent de la société Kyrn pour faute lourde ; que la société Kyrn et M. Laurent, estimant que cette rupture avait été brutale, ont assigné la société BNP en paiement de diverses indemnités et commissions ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal et le premier moyen du pourvoi incident, rédigés en termes identiques, réunis : - Attendu que M. Laurent et la société Kyrn font grief à l'arrêt du rejet de leurs demandes alors, selon le moyen : 1°) que les juges du fond sont tenus de viser et d'analyser les éléments de preuve versés aux débats ; qu'en l'espèce, les parties versaient aux débats les mêmes documents internes à la société BNP Paribas PF relatifs aux dossiers apportés par la société de M. Mayou, Immotradinoi, dont il ressortait que dès le 7 février 2011 au moins, selon la date portée sur l'un document, la société Immotradinoi était identifiée et acceptée comme apporteur d'affaires par la société BNP Paribas PF ; qu'en retenant cependant que la société BNP Paribas PF aurait refusé M. Mayou et sa société comme apporteur d'affaires et que M. Laurent et la société Kyrn assur conseil serait passé outre ce refus au vu des seuls courriels des 6 octobre 2010 et 22 janvier 2010, sans examiner les pièces susvisées, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que la société Kyrn assur conseil aurait méconnu la règle contractuelle selon laquelle elle ne pouvait " en aucun cas et à aucun titre engager la société BNP Paribas PF à moins d'une autorisation spéciale et écrite " après avoir tout au plus relevé que si M. Mayou a pu prospecter pour placer les produits de la société BNP Paribas PF bien que ni elle ni M. Laurent, ni la société Kyrn assur conseil n'aient signé aucun document contractuel avec lui, c'est parce que la société Kyrn assur conseil lui a laissé croire qu'il bénéficiait de l'agrément de la société BNP Paribas PF, et que si cette dernière avait accepté les dossiers de clients démarchés par la société, Immotradinoi de M. Mayou, c'était seulement pour préserver leurs intérêts ; qu'en statuant ainsi par des motifs impropres à caractériser que la société Kyrn assur conseil, ou son représentant M. Laurent, aurait engagé la société BNP Paribas PF sans autorisation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; 3°) que la faute lourde suppose que soit caractérisé un comportement d'une extrême gravité, confinant au dol, révélant l'incapacité de son auteur à exécuter le contrat conclu ; qu'en l'espèce, il était constant, conformément aux motifs de la cour d'appel, que le contrat conclu entre la société BNP Paribas PF et la société Kyrn assur conseil représentée par M. Laurent ne pourrait être rompu immédiatement et sans indemnité que dans l'hypothèse d'une " faute lourde de l'agent " ; qu'en omettant cependant de caractériser en quoi le fait d'avoir présenté des affaires apportées par la société Immotradinoi de M. Mayou, acceptées par la société BNP Paribas PF sans aucune difficulté ni aucun préjudice, aurait confiné au dol ou révélé l'incapacité de l'agent à mener à bien ses missions consistant précisément à présenter des dossiers de crédit à la société BNP Paribas PF, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; 4°) que tenus de motiver leur décision, les juges du fond doivent préciser l'origine de leurs renseignements ; qu'en affirmant péremptoirement que la société Kyrn assur conseil a placé son mandant dans l'obligation de conserver les dossiers présentés pour préserver l'intérêt des clients concernés sans dire d'où il aurait résulté que les intérêts des clients auraient été menacés en cas de refus, quand la société Kyrn faisait valoir au contraire que la société BNP Paribas PF avait accepté quatre affaires de financements d'emprunts apportées par M. Mayou pour un montant global de 2 000 000 euros en considération de ses intérêts propres et non pas par obligation, même morale, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 5°) que le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, engage la responsabilité délictuelle de son auteur ; qu'il ne peut échapper à sa responsabilité que s'il justifie de la force majeure ou d'une inexécution par l'autre partie de ses obligations d'une gravité telle qu'elle justifiait la résiliation unilatérale et immédiate du contrat ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que la convention d'apporteur d'affaires de M. Mayou n'avait pas été signée par M. David Laurent, même ès qualités de mandataire de la société BNP Paribas PF, si bien que cette dernière n'avait signé aucun document contractuel avec M. Mayou, et que si la société BNP Paribas PF n'avait pas voulu l'accepter comme apporteur d'affaires, elle avait néanmoins accepté les dossiers de clients démarchés par M. Mayou pour un montant global de 2 000 000 euros afin de préserver leurs intérêts ; qu'en statuant ainsi par des motifs impropres à caractériser une faute de M. Laurent ou de la société Kyrn assur conseil de nature à justifier, en mars 2011, la rupture immédiate par la société BNP Paribas PF de la relation qu'elle avait initiée avec eux par contrat du 17 juillet 2006 et permettant ainsi à la société BNP Paribas PF d'échapper à sa responsabilité délictuelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
Mais attendu que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce prévoient expressément une faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ; que l'arrêt rappelle que l'article L. 519-1 du Code monétaire et financier définit l'intermédiaire en opérations de banques comme celui qui exerce l'activité qui consiste à présenter, proposer ou aider à la conclusion des opérations de banque et qu'en application de l'article L. 519-2 du même code, celui-ci agit en vertu d'un mandat délivré par un établissement de crédit ; qu'il constate que le contrat conclu entre les sociétés BNP et Kyrn stipulait que le mandataire ne pourrait en aucun cas et à aucun titre engager la société BNP à moins d'une autorisation spéciale et écrite ; qu'il relève que la société Kyrn a relayé auprès de la société BNP la demande de M. Mayou, qui souhaitait devenir apporteur d'affaires, et que, par lettres des 6 octobre 2010 et 22 janvier 2011, la société BNP lui a fait part de son refus au regard du statut de courtier de M. Mayou ; qu'il constate que, sans avoir reçu l'accord de la société BNP, la société Kyrn a remis une convention d'apporteur d'affaires à M. Mayou, qu'il a signée, et lui a versé, le 22 février 2011, des avances sur commissions à ce titre ; qu'il relève que la société Kyrn a poursuivi, sans aucune réserve, cette relation, et laissé croire à M. Mayou qu'il bénéficiait de l'agrément de la société BNP, de sorte qu'il a prospecté pour placer les produits de cette dernière, notamment les financements d'emprunts, et apporté quatre affaires pour un montant global de 2 000 000 euros ; qu'il ajoute que la société BNP s'est ainsi trouvée saisie des dossiers de clients démarchés par M. Mayou, qui ont été préparés par la société Kyrn, plaçant son mandant dans l'obligation de conserver les dossiers présentés pour préserver l'intérêt des clients concernés ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, dont elle a déduit que la société Kyrn avait commis une faute lourde rendant impossible la poursuite de leurs relations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les éléments qu'elle décidait d'écarter ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen du pourvoi incident, pris en ses quatrième et cinquième branches : - Attendu que la société Kyrn fait grief à l'arrêt du rejet de ses demandes alors, selon le moyen : 1°) que la cassation à intervenir sur le fondement du premier moyen, visant à remettre en cause la décision attaquée en ce qu'elle a retenu que la société BNP Paribas PF n'aurait pas admis M. Mayou et sa société Immotradinoi comme apporteur d'affaires, emportera par voie de conséquence la cassation de l'arrêt attaqué en ce qu'il a retenu que la société BNP Paribas PF n'était pas débitrice de l'avance sur commission versée par la société Kyrn à M. Mayou au titre des affaires qu'il avait apportées et qui avaient été acceptées par la société BNP Paribas PF, par application de l'article 625 du Code de procédure civile ; 2°) qu'en affirmant que la preuve de l'enrichissement de la société BNP Paribas PF au détriment de la société Kyrn assur conseil n'était pas rapportée quand il ressortait de ses constatations que la société BNP Paribas PF avait accepté les affaires présentées par M. Mayou, d'un montant total de deux millions d'euros, pour ensuite lui dénier tout droit à des commissions que la société Kyrn s'est trouvée contrainte de lui verser en partie du fait de ce refus, la cour d'appel a refusé de tirer les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles 1370 et suivants du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que le premier moyen ayant été rejeté, le grief de la première branche, qui invoque une cassation par voie de conséquence résultant de la cassation à intervenir sur le fondement de ce moyen, est sans portée ;
Et attendu, d'autre part, qu'ayant retenu que la société Kyrn avait remis une convention d'apporteur d'affaires à M. Mayou en toute connaissance du refus de la société BNP de l'agréer comme tel, la cour d'appel, qui a fait ressortir que la commission que cette société avait versée à M. Mayou résultait de sa propre faute, a pu rejeter sa demande au titre d'un enrichissement sans cause ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le même moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour rejeter la demande de la société Kyrn au titre du solde du compte "avances et reports", l'arrêt retient que si cette société fait valoir qu'après imputation des versements de 26 126,96 euros et 420,85 euros par deux chèques du 17 mars 2011, il lui reste dû la somme de 2 152,52 euros au titre du non-paiement du solde du compte "avances et reports", elle ne conteste pas que les deux versements effectués le 17 mars étaient destinés à rembourser le solde de ce compte, qui a alors été clôturé, et ne démontre pas qu'il aurait subsisté un solde en sa faveur ;
Qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur l'historique du compte "avances et reports" versé aux débats, arrêté au 28 février 2011, faisant apparaître deux soldes en faveur de la société Kyrn représentant une somme totale de 28 700,33 euros, supérieure aux règlements effectués le 17 mars 2011 pour un montant total de 26 547,81 euros, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Rejette le pourvoi principal ; Et sur le pourvoi incident : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de la société Kyrn assur conseil au titre du solde du compte avance et report et des commissions lui restant dues, l'arrêt rendu le 22 janvier 2015, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.