CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 6 octobre 2016, n° 15-06507
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pilote (Sté)
Défendeur :
Institut Tendances (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
M. Loos, Mme Schaller
Avocats :
Mes Decap, Dhuin
FAITS ET PROCÉDURE
La société Pilote est une entreprise unipersonnelle créée par Madame Catherine Foulon, exerçant une activité d'assistance comptable, financière et administrative.
La société Institut Tendances a pour objet la réalisation d'études d'opinion à caractère sociologique et l'accompagnement dans la stratégie des entreprises.
Par contrat à durée indéterminée, signé le 2 janvier 2006, les parties ont conclu une convention de prestations de services de secrétariat général et administratif, aux termes de laquelle la société Pilote fournissait ses services d'assistance comptable, financière et administrative et percevait une rémunération mensuelle forfaitaire de 4 500 euros HT.
En 2013, cette activité qui représentait 80 % des revenus de la société Pilote, générait en moyenne 5 271 euros HT/mois de chiffre d'affaires. Madame Foulon est devenue associée de la société Institut Tendances à hauteur de 5 %.
Le 10 octobre 2013, à la suite d'échanges verbaux, Madame Foulon a, par mail, confirmé son souhait de cesser toute collaboration avec la société Institut Tendances et ce à compter du 15 janvier 2014. Par courrier du 29 novembre 2013, la société Institut Tendances a proposé à la société Pilote de reporter la fin de la mission au 29 février 2014 et de négocier une nouvelle mission qui prendrait effet le 1er mars 2014.
Par courrier du 28 mars 2014, la société Institut Tendances a résilié le contrat de prestations de services à effet au 31 mars 2014.
C'est dans ces conditions que la société Pilote a assigné la société Institut Tendance le 27 août 2014 devant le tribunal de commerce pour rupture brutale et abusive des relations commerciales et demandé à ce titre des dommages intérêts.
Par jugement rendu le 15 décembre 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :
- débouté la demanderesse de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné la société Pilote à payer à la société Institut Tendances la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif ;
- condamné la société Pilote aux dépens.
Vu l'appel interjeté par la société Pilote le 24 mars 2015 contre cette décision,
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Pilote le 18 mai 2016 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- recevoir la société Pilote en son appel principal et la déclarer bien fondée ;
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 15 décembre 2014 ;
Statuant à nouveau,
- dire et juger que la société Institut Tendances a brutalement rompu la relation commerciale avec la société Pilote le 28 mars 2014 ;
- condamner la société Institut Tendances à indemniser la société Pilote à hauteur de 12 mois de préavis, soit 54 712 euros ;
En tout état de cause,
- condamner la société Institut Tendances à payer à la société Pilote 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Institut Tendances aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Institut Tendances le 1er juin 2016 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- constater que la rupture de la relation commerciale est imputable à la société Pilote ;
- en toutes hypothèses, constater qu'un préavis de six mois a été effectué à la suite de la rupture prononcée par Pilote, et que Pilote n'était pas dans un lien de dépendance économique à l'égard d'Institut Tendances ;
En conséquence,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- débouter la société Pilote de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société Pilote à payer à la société Institut Tendances la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamner la société Pilote aux dépens.
La société Pilote soutient que la relation commerciale établie depuis neuf ans a été rompue de manière brutale par Institut Tendances, n'ayant bénéficié d'aucun préavis, que cette dernière a mis fin, le 28 mars à effet au 31 mars, à la convention qui les liait, alors qu'elle lui avait fait croire que la relation serait prolongée jusqu'en 2015. La société Pilote indique qu'elle n'a jamais confirmé expressément son intention de rompre elle-même la relation commerciale, que les échanges entre les parties ne portent que sur l'évolution des modalités de la mission de Pilote mais pas sur une rupture, que le caractère régulier, significatif et stable de la relation est incontestable, qu'un nouvel accord avait été négocié, qu'elle pouvait légitimement s'attendre à la stabilité de la relation commerciale à la suite de cet accord. A titre subsidiaire, elle indique que quand bien même elle aurait bénéficié d'un préavis de 6 mois, celui-ci serait insuffisant au regard des critères fixés par la jurisprudence, que cette activité constituait l'essentiel de ses prérogatives, qu'elle n'a pas pu réorganiser son carnet de commandes et prospecter de nouveaux clients, que ces prestations constituaient plus de 80 % de son chiffre d'affaires, qu'elle était en état de dépendance économique et aurait dû bénéficier d'un préavis d'une durée de 12 mois minimum.
La société Institut Tendances répond que la rupture des relations commerciales est imputable à la société Pilote qui a résilié la convention en octobre 2013 à effet au 15 janvier 2014, qu'elle a pris acte de cette résiliation, qu'il n'y a aucun doute sur l'auteur de la rupture, qu'en tout état de cause, le préavis a été respecté par chacune des parties, qu'une nouvelle convention a été soumise à l'accord des parties, excluant de facto toute certitude quant à la poursuite de la relation contractuelle, que les pourparlers n'ayant pas abouti, elle a pris acte de la résiliation à effet à fin mars 2014, soit au-delà du délai fixé par la société Pilote. A titre subsidiaire, elle indique que le préavis était suffisant, l'état de dépendance devant être écarté lorsque l'importance du chiffre est la conséquence d'un choix délibéré de concentrer son activité avec un seul partenaire, qu'enfin la société Pilote n'apporte aucune preuve de son taux de marge brute et ne démontre pas l'étendue de son préjudice.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) " ;
Considérant qu'en l'espèce, il n'est pas contesté par les parties qu'existaient entre elles des relations commerciales stables et établies depuis huit ans ;
Que seule l'imputabilité de la rupture est en débat, la société Pilote contestant être à l'origine de la rupture, alors que la société Institut Tendances affirme qu'elle a pris acte de la résiliation souhaitée par Pilote et qu'un préavis a été respecté de part et d'autre d'une durée de six mois ;
Considérant qu'ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, par des motifs que la cour adopte, la société Pilote a indiqué elle-même explicitement, par mail, à plusieurs reprises, son intention de rompre ses relations avec la société Institut Tendances, confirmant son souhait d'y mettre fin au 15 janvier 2014 ;
Qu'il est établi que des pourparlers se sont alors engagés pour envisager les modalités d'une poursuite éventuelle de l'activité, mais dans d'autres conditions contractuelles ;
Que la réalité de ces négociations a été actée par courrier de la société Institut Tendances en date du 29 novembre 2013, proposant de reporter au 29 février la fin du contrat ;
Qu'il résulte des échanges de mails que l'intention des parties était de mettre un terme à leur convention, à effet au 31 janvier 2014, reporté ensuite au 29 février, et de reprendre les négociations afin de voir dans quelles conditions les relations pourraient se poursuivre ;
Qu'aucune nouvelle convention n'a été signée entre les parties ;
Que le courrier de la société Institut Tendances en date du 28 mars 2014 a pris acte de l'échec des pourparlers et du non-renouvellement du contrat, avec prise d'effet au 31 mars 2014 ;
Que la société Pilote, qui avait été à l'origine de la rupture de la convention, ne pouvait légitimement penser que la convention serait reconduite jusqu'en 2015 ;
Qu'au regard des échanges de mails entre les parties, la rupture du contrat avait été annoncée par la société Pilote en octobre 2013, à effet au 15 janvier 2014 ;
Que les relations se sont poursuivies d'un commun accord pour permettre de négocier une nouvelle convention, sans toutefois qu'il n'y ait aucun engagement ferme à aboutir ;
Que le courrier mettant fin à ces pourparlers, et par là même à la convention, fait suite aux échanges précédents, et notamment à un courrier du 29 novembre 2013 par lequel il était proposé de reporter au 29 février la date de fin de contrat, ouvrant ainsi un préavis d'une durée raisonnable au regard de l'ancienneté des relations commerciales, et surtout de l'intention de la société Pilote elle-même d'y mettre un terme au 31 janvier 2014 ;
Qu'il n'y a dès lors pas eu de rupture brutale des relations commerciales imputable à la société Institut Tendances ;
Qu'il y a lieu de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dans les termes exposés au dispositif ci-après.
Par ces motifs Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Condamne la société Pilote à payer à la société Institut Tendances la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.