CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 13 octobre 2016, n° 14-12218
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
CJ Tex (SARL)
Défendeur :
Sodialpes (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
M. Loos, Mme Schaller
Avocats :
Mes Saffar, Grappotte-Benetreau, Debray
FAITS ET PROCÉDURE
Vu le jugement contradictoire prononcé le 29 avril 2014 par le Tribunal de commerce de Bobigny qui a reçu la SARL CJ Tex en sa demande principale, a dit cette demande non fondée, a débouté la SAS Sodialpes de sa demande de dommages-intérêts et a condamné la société CJ Tex à payer à celle-ci la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, la condamnant en outre aux dépens.
Vu les dernières conclusions du 7 octobre 2014 de la société CJ Tex, appelante, qui demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1583 du Code civil, de réformer le jugement, de condamner la société Sodialpes à lui payer la somme de 20 059,95 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 février 2013, d'enjoindre à cette société de lui fixer un rendez-vous de livraison des marchandises énumérées au bon de commande dans les quinze jours de la signification du présent arrêt et au-delà sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de débouter la société Sodialpes de ses demandes et de la condamner à lui verser une indemnité de 3 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières écritures du 30 septembre 2015 de la société Sodialpes qui conclut, au visa des articles L. 121-1 du Code de la consommation, 1108, 1109, 1110, 1134 et 1382 du Code civil à la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société CJ Tex, à son infirmation pour le surplus et à la condamnation de l'appelante à lui payer les sommes de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts et de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur ce,
Considérant que le 31 janvier 2013, Mme Françoise Wozniak, chargée du service commercial de la société Sodialpes exploitant un magasin à l'enseigne E. Leclerc, a signé un bon de commande portant sur de nombreux articles de confection textile proposés par un représentant de la société CJ Tex se présentant sous le nom commercial "Modex" ; que le jour même, la société Sodialpes annulait ladite commande par lettre recommandée ; que le 6 février suivant, jour de la livraison, la société Sodialpes refusait de recevoir les marchandises ; qu'après avoir vainement mis en demeure la société Sodialpes, par lettre recommandée du 7 février 2013, de lui régler la somme de 20 059,95 euros, la société CJ Tex a fait assigner cette société devant le président du Tribunal de commerce de Bobigny statuant en référé lequel a renvoyé l'affaire au fond devant ledit tribunal qui a statué dans les termes susvisés ;
Considérant que la société CJ Tex critique le jugement en ce qu'il n'a pas précisé le fondement juridique de sa décision se bornant à relever que le bon de commande ne comprenait pas sa raison sociale mais seulement le nom commercial "Modex", en retenant que sa dénomination sociale et les mentions obligatoires ne figuraient pas sur la facture et en notant que l'intimée avait annulé immédiatement la livraison et qu'elle ne justifiait d'aucun préjudice alors que le litige porte sur la force obligatoire d'un contrat ; qu'elle réfute l'argumentation de la société Sodialpes et soutient que le bon de commande est dénué d'ambiguïté s'agissant du prix, qu'elle est clairement identifiable par l'indication de son numéro de Siret et que le nom "Modex" constitue son nom commercial ; qu'elle affirme que les surcharges visibles sur l'exemplaire du bon de commande en sa possession s'expliquent par la demande de réduction de certaines des quantités commandées et ne traduisent pas la passation d'une simple "pré-commande" comme le prétend la société intimée ;
Considérant que la société Sodialpes objecte que son consentement n'a pu être valablement donné au regard des manœuvres de la société CJ Tex qui a dissimulé sa dénomination sociale alors qu'elle est coutumière de tentatives de signature forcée de bons de commande auprès de points de vente de la grande distribution depuis de nombreuses années et dont le document qu'elle désigne comme le bon de commande ne porte pas cet intitulé, que le terme "commande" y figurant n'est pas suivi du numéro de la commande malgré l'apposition de la lettre "N°", laissant croire à son interlocuteur qu'il ne s'agissait que d'une proposition permettant à Mme Wozniak de formuler une offre auprès de son employeur ; qu'elle demande à la cour de juger, en application de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, que de telles pratiques revêtent un caractère trompeur et déloyal et qu'elles ont créé une erreur du prospect quant à la portée de l'apposition du cachet qui lui a été demandée de sorte que la commande prétendue est nulle sur le fondement de l'article 1110 du Code civil ; qu'elle fait valoir que le document litigieux ne comporte pas mention du prix total des articles et qu'il n'est pas précisé si le montant indiqué à chaque ligne est un montant unitaire ou total des quantités visées ; qu'elle ajoute que l'exemplaire de la société CJ Tex est surchargé, plusieurs quantités de produits ayant été réduites, ce qui démontre que le document établi lors du rendez-vous n'avait pas, dans l'intention des parties, vocation à constituer une commande ferme mais tout au plus une pré-commande dans le cadre de pourparlers ;
Considérant, ceci exposé, qu'il doit être rappelé, à titre liminaire, que les dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation s'appliquent aux contrats conclus entre un professionnel et un consommateur et n'est dès lors pas applicable en l'espèce ;
Considérant que le document fondant la demande de la société CJ Tex porte les mentions suivantes :
- en haut du document : le nom commercial Modex suivi de l'adresse et des numéros de téléphone et de fax du fournisseur,
- "date de commande : 31 janvier 2013",
- "date de livraison : de suite urgent sous 6 jours",
- dans le cadre réservé au destinataire : EC Manosque 04 Mme Wozniak Françoise
- la référence, la désignation et les quantités des articles,
- le prix HT,
- le cachet de la société Sodialpes revêtu du paraphe non contesté de Mme Wozniak ;
- au bas du document : le n° de Siret de la société CJ Tex et sa forme juridique suivi du montant de son capital ;
Qu'a été remise au représentant de la société CJ Tex une fiche contenant les coordonnées de la société Sodialpes, les références de son contact commercial, Mme Wosniak, le lieu de la livraison et les horaires de réception ainsi qu'une demande d'envoi d'un RIB et du numéro de TVA intra-communautaire de la société appelante ;
Considérant que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'indication du numéro de Siret permettait d'identifier la société CJ Tex dont l'usage du nom commercial Modex, figurant sur l'extrait K bis de cette société, n'est pas interdit par la loi alors que le nom commercial est utilisé par les sociétés pour les désigner dans leurs rapports avec leur clientèle ; que sont inscrits sur la facture la date de la commande, la quantité, la dénomination précise et le prix unitaire hors TVA des produits vendus, le montant total HT et TTC de même que la date à laquelle devait intervenir le règlement ainsi que le numéro d'identification au registre du commerce et des sociétés et le numéro de Siret de la société CJ Tex, son adresse et celle de la société Sodialpes ; que c'est donc à tort que les premiers juges ont débouté la société CJ Tex de sa demande au motif que cette société n'était pas désignée sous sa dénomination sociale ; que c'est également à tort qu'ils ont retenu l'absence de justification d'un préjudice par l'appelante alors qu'ils devaient rechercher s'il y avait eu commande de la part de la société Sodialpes ;
Considérant que pour contester l'existence d'une commande ferme, la société intimée excipe, d'une part, de l'absence d'indication de la dénomination sociale de la société CJ Tex qu'elle qualifie de manœuvre trompeuse destinée à vicier son consentement, prétendant que la mention de sa dénomination sociale par l'appelante l'aurait conduite à refuser toute entrevue avec l'un de ses représentants et, partant, de signer quelque document que ce soit avec cette société ;
Mais considérant, qu'outre le fait que la société Sodialpes ne produit aucune pièce caractérisant une manœuvre destinée à provoquer une erreur de nature à vicier son consentement, il vient d'être dit que la seule indication du nom commercial sur les bons de commande et factures au lieu de la dénomination sociale n'était pas susceptible d'entraîner la nullité du contrat si les autres mentions y figurant permettaient d'identifier la société contractante ;
Que la société Sodialpes soutient, d'autre part, que le document litigieux ne constitue pas un bon de commande mais un simple bon de passage ;
Considérant, cependant, que si le numéro de la commande a été omis, les intitulés "date de la commande" et "date de livraison : de suite urgent sous 6 jours" sont sans ambiguïté ; que les références, la désignation et la quantité des articles commandés sont précises ; que si le "prix HT" porté en regard de chaque quantité n'est pas complété du terme "unitaire" il demeure que cette mention ne pouvait prêter à confusion compte tenu du prix modeste accolé à un volume d'articles important (par exemple 384 articles et 5,50 euros HT) et de la colonne intitulée "Montant" non renseignée, étant observé qu'il était aisé pour la responsable commerciale, Mme Wozniak, habituée à passer les commandes de produits de confection textile, d'évaluer le montant total de la commande ; que la réduction du nombre d'articles est sans effet sur le caractère ferme de la commande ;
Que, d'ailleurs, l'allégation de la société Sodialpes est démentie par le contenu de la lettre qu'elle a adressée en recommandé à la société CJ Tex avec pour objet "annulation de commande" et libellée en ces termes : "Suite à notre dernier rendez-vous commercial et conformément à l'article L. 121-16 du Code de la consommation, merci de prendre note par la présente de l'annulation intégrale de nos commandes (...)" ;
Qu'il résulte de ces éléments l'existence d'une commande de la société Sodialpes qui doit être exécutée ; qu'il suit que le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions et la société Sodialpes condamnée à payer à la société CJ Tex la somme de 20 059,95 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 février 2013, date de la mise en demeure de payer, et à prendre possession de la marchandise sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte ;
Considérant que le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande de dommages-intérêts formée par la société intimée ;
Et considérant qu'il convient d'allouer à la société CJ Tex une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, la société Sodialpes étant déboutée de sa demande formée du même chef.
Par ces motifs : Infirme le jugement. Statuant à nouveau, Condamne la société Sodialpes à payer à la société CJ Tex la somme de 20 059,95 euros au titre de la facture FA/MO/0493 augmentée des intérêts au taux légal à compter du 7 février 2013. Enjoint à la société Sodialpes de prendre livraison de la marchandise correspondant à la facture FA/MO/0493 dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt. Condamne la société Sodialpes à payer à la société CJ Tex la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Rejette toute autre demande. Condamne la société Sodialpes aux dépens de première instance et d'appel.