Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 14 octobre 2016, n° 14-08229

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Premium (SARL)

Défendeur :

EIPM Services (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Lis Schaal, Nicoletis

Avocats :

Mes Gauclère, Andres, Etévenard, Baltazard

T. com. Lyon, du 10 févr. 2014

10 février 2014

Faits et procédure

Entre 1998 et 2004, la SARL Premium, spécialisée dans le marketing opérationnel et l'ingénierie commerciale, a réalisé pour la SARL EIPM Services European Institute of Purchasing Management Services (EIPM) et sa filiale à 100 %, la société Tribunal de commerce deTribunal de commerce deCDAF Formation, spécialisées dans la formation continue pour adultes et la formation aux achats, des études de satisfaction clients. Ces missions ont été à l'initiative de Monsieur Guy Bulit, gérant de la société Integral, filiale à 35 % de la société EIPM, chargée du support administratif de cette dernière.

En 2009, les prestations de télé marketing et d'e-mailing réalisées dans le cadre des études de satisfaction clients ont été matérialisées par un contrat intitulé " plan d'action annuel ", régularisé avec la société Premium et renouvelé en 2010 et 2011.

Le 12 janvier 2012, la société EIPM a fait part à la société Premium de son souhait de mettre un terme à leur relation commerciale.

Par acte en date du 16 juillet 2012, la société Premium a assigné la société EIPM devant le Tribunal de commerce de Lyon pour rupture brutale de la relation commerciale.

Par jugement rendu le 10 février 2014, le Tribunal de commerce de Lyon :

- s'est déclaré compétent pour connaître du litige portant sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;

- a constaté que la fin des relations commerciales entre les sociétés Premium et EIPM résultait d'un consentement mutuel ;

- a débouté la société Premium de toutes ses demandes ;

- a condamné la société Premium à verser à la société EIPM la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Le tribunal a considéré qu'une relation commerciale existait entre les sociétés EIPM et Premium depuis l'année 2002, date de facturation des premières prestations de la société Premium ; il a jugé qu'au regard des échanges entre les deux parties, la rupture des relations établies s'était faite par consentement mutuel, ce qui exclut l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Par déclaration en date du 11 avril 2014, la société Premium a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Prétentions des parties

La société Premium, par conclusions signifiées le 14 avril 2016, demande à la cour de :

- infirmer dans l'ensemble de ses dispositions le jugement entrepris ;

A titre principal,

- déclarer brutale la rupture notifiée par la société EIPM à la société Premium le 21 janvier 2012 ;

- déclarer la société EIPM responsable des préjudices subis par la société Premium ;

En conséquence,

- condamner la société EIPM à régler à la société Premium les sommes de :

- 146 000 euros en réparation de son préjudice financier subi pendant la période de préavis non consenti et nécessaire à la réorganisation de la société Premium ;

- 15 256,35 euros en réparation de son préjudice complémentaire découlant directement de la rupture brutale et correspondant à la nécessité de procéder à un licenciement économique ;

A titre subsidiaire,

- constater la violation, par la société EIPM, du contrat "plan d'action 2011" ;

- la condamner à payer à la société Premium la somme de 48 685 euros en réparation de son préjudice ;

En tout état de cause,

- condamner la société EIPM à payer à la société Premium la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Gauclere, avocat.

Elle soutient qu'elle entretenait bien une relation commerciale établie avec la société EIPM depuis 1998, que cette relation a été informelle de 1998 à 2002, puis s'est inscrite dans le cadre de contrats de mission entre 2002 et 2009, enfin dans le cadre d'un contrat de "plan d'action annuel" à partir de 2009. Elle fait valoir que la succession de contrats à durée déterminée et la facturation mensuellement établie, suffisent à démontrer le caractère établie de la relation commerciale existant avec la société EIPM.

Elle expose que cette relation a été rompue de manière brutale par la société EIPM, la brutalité résultant de l'absence de respect d'un préavis et que, contrairement à ce qui a été jugé en première instance, à aucun moment, elle n'a consenti à la rupture, mais souhaitait simplement être fixée sur les modalités et les conditions de cette dernière.

La société EIPM, par conclusions signifiées le 29 avril 2016, demande à la cour de :

- in limine litis, se déclarer incompétente pour statuer sur les demandes subsidiaires de la société Premium fondées sur les articles 1134 et 1147 du Code civil, et non sur l'article L. 442-6 du Code de commerce, au profit du Tribunal de commerce de Thonon-Les-Bains, et donc par application de l'article 79, alinéa 2, du Code de procédure civile, au profit de la Cour d'appel de Chambéry ;

- à titre principal, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- à titre subsidiaire, dire que la rupture des relations commerciales intervenue entre les sociétés Premium et EIPM n'a pas été brutale ;

En conséquence, débouter la société Premium de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- à titre infiniment subsidiaire, ramener à de plus justes proportions sa demande formulée à titre de dommages-intérêts sur la perte de marge brute et la débouter de sa demande d'indemnisation complémentaire ;

En tout état de cause, condamner la société Premium au paiement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle fait valoir que Premium cherche à obtenir, à titre subsidiaire, une indemnisation sur le fondement de la simple responsabilité contractuelle, qu'en conséquence, ses demandes, faites au visa des articles 1134 et 1147 du Code civil, doivent relever de la compétence du Tribunal de commerce de Thonon Les Bains, et, par application de l'article 79, alinéa 2, du Code de procédure civile, devant la Cour d'appel de Chambéry.

Elle soutient par ailleurs que la fin de la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société Premium résulte d'un commun accord, initié par la société Premium et accepté au moment d'un accord intervenu le 26 janvier 2012 concernant l'indemnisation de cette fin de relation.

Enfin, subsidiairement elle fait valoir qu'il ne peut lui être reproché d'avoir rompu brutalement cette relation commerciale car d'une part, la relation n'était pas établie au sens de l'article L. 442-6, d'autre part un préavis suffisant de trois mois a bien été respecté.

Motifs

Sur la demande principale de la société Premium

Considérant que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce dispose qu' "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution, par l'autre partie, de ses obligations ou en cas de force majeure" ;

Considérant que, le 29 octobre 2011, Monsieur Neyrand, gérant de la société Premium, a envisagé une possible fin de la relation entretenue avec EIPM ; que, le 16 janvier 2012, Monsieur Neyrand a indiqué à Monsieur Gracia (EIPM) : "Le mieux est d'arrêter la relation comme je l'avais déjà abordé lors de notre réunion du 29 octobre 2011" (pièce n° 1 communiquée par EIPM) ; que, le 20 janvier 2012, Monsieur Neyrand a précisé à Monsieur Gracia : "Je ne connais toujours pas votre position sur la relation - EIPM, hormis le fait qu'elle doit s'interrompre" (pièce n° 2 communiquée par EIPM) ; que, par courriel du 21 janvier 2012, Monsieur Gracia a précisé : "Suite à notre discussion du jeudi 12 janvier à EIPM à laquelle participait aussi Guy, je vous confirme notre volonté de ne pas reconduire notre contrat annuel entre EIPM et Premium. Ce contrat étant annuel et renégocié chaque début d'année depuis quelques années, peut, je crois, s'interrompre sans préavis" ; que, selon courriel du 25 janvier 2012, Premium a proposé un règlement pour le solde de la facturation du contrat EIPM : 'Voici ce que je propose, en accord avec Guy, pour solder la relation à fin janvier 2012 (...) Ce sont les conditions de 2011 qui vont s'appliquer avec une facturation globale de 32 090 euros sur janvier 2012 pour l'ensemble EIPM + CDAF' (pièce n° 3 communiquée par EIPM) ; que, par courriel de Monsieur Neyrand à Messieurs Bulit et Gracia du 26 janvier 2012, un accord a été confirmé sur le montant à facturer à EIPM ; que les factures correspondantes ont été émises le 31 janvier 2012 par Premium ;

Considérant qu'il résulte de ces éléments que Premium (Monsieur Neyrand) d'une part, était, dès octobre 2011, pleinement informé d'une perspective de rupture de la relation commerciale, d'autre part, a proposé, en accord avec EIPM ("en accord avec Guy"), les modalités financières de solde de la relation ; que la rupture n'était, dans ces circonstances, pour Premium ni imprévisible, ni soudaine ; que c'est, en conséquence, à raison que les premiers juges ont retenu que la rupture de la relation commerciale est intervenue hors de toute brutalité et d'un commun accord entre les parties, accord exclusif de l'application de l'article L. 442-6 I, 5° ; que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté Premium de sa demande fondée sur l'article L. 442-6 I, 5° ;

Sur la demande subsidiaire de la société Premium

Considérant que EIPM conteste la compétence des juridictions spécialisées pour statuer sur la demande subsidiaire de Premium présentée au visa des articles 1134 et 1147 du Code civil ;

Mais considérant qu'il résulte de la combinaison des articles L. 442-6, III, alinéa 5, et D. 442-3 du Code de commerce que la Cour d'appel de Paris est seule investie du pouvoir de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du même Code ; que, si Premium présente une demande subsidiaire sur un fondement contractuel, la cour n'est saisie d'aucune demande de disjonction ; que la compétence de la cour d'appel de Paris s'étend en conséquence à la demande subsidiaire de Premium formulée sur un fondement contractuel

Considérant, sur le fond, que Premium fait grief à EIPM de n'avoir pas respecté le préavis de rupture contractuel de six mois ; que, toutefois, le contrat ayant été résilié d'un commun accord à effet au 31 janvier 2012, il était loisible aux parties de ne pas mettre en œuvre le préavis contractuel ; que Premium sera déboutée de sa demande de ce chef ;

Considérant que l'équité commande de condamner Premium à payer à EIPM la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris. Déboute la SARL Premium du surplus de ses demandes, Condamne la SARL Premium à payer à la SARL EIPM Services European Institute of Purchasing Management Services la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la SARL Premium aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.