Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 21 octobre 2016, n° 14-16611

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Eurofos (SARL)

Défendeur :

Surveillances Maritimes (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Lis Schaal, M. Thomas

Avocats :

Mes Ribaut, Courbon, Angliviel de la Beaumelle, Vancraeyenest

T. com. Marseille, du 24 juin 2014

24 juin 2014

Faits et procédure

La société de surveillance Surveillances Maritimes a conclu un contrat de gardiennage le 1er janvier 2005 avec la société d'entreposage et de manutention portuaire Eurofos.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 10 septembre 2012, la société Eurofos a informé la société Surveillances Maritimes de sa décision de résilier, sans préavis et à titre conservatoire, la convention de gardiennage du 1er janvier 2005 qui se renouvelait tacitement depuis lors.

Postérieurement à ce courrier, la société Surveillances Maritimes a accepté deux contrats proposés par la société Eurofos pour les périodes du 1er janvier au 28 février 2013 et du 1er mars au 31 mars 2013, ayant pour objet une mission restreinte à la vidéosurveillance. La mission de gardiennage par rondes nocturnes a, quant à elle, été confiée à la société Seris après une procédure d'appel d'offres à laquelle la société Surveillances Maritimes n'a pas participé.

Par acte du 14 juin 2013, la société Surveillances Maritimes a assigné la société Eurofos devant le Tribunal de commerce de Marseille aux fins de voir constater la rupture brutale du contrat de gardiennage par la société Eurofos et condamner cette dernière à payer la somme de 26 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi par la société Surveillances Maritimes à la suite de la rupture brutale et à l'indemniser des éventuelles charges salariales ou condamnation pécuniaires liées à la rupture de quatre contrats de travail non repris par la société Seris.

Par jugement rendu le 24 juin 2014, le Tribunal de commerce de Marseille a :

- constaté que les relations commerciales contractuelles entre les sociétés Eurofos et Surveillances Maritimes étaient stables et régulières ;

- constaté que la société Eurofos n'a pas respecté le préavis contractuel dans sa résiliation de la convention de gardiennage et qu'elle a donc rompu brutalement la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société Surveillances Maritimes ;

- jugé que les dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ne pouvaient être évincées par la clause contractuelle selon laquelle la société Eurofos pouvait mettre fin à la relation contractuelle en cas de modification défavorable de sa situation financière ou commerciale risquant de compromettre son activité ou ses intérêts ;

- fixé la durée du préavis de rupture nécessaire à la réorganisation de la société Surveillances Maritimes à 1 an ;

- en tenant compte de la marge brute de 11 % dégagée par l'activité de la société Surveillances Maritimes et de son chiffre d'affaires évalué à 120 000 euros, condamné la société Eurofos à payer la somme de 13 200 euros au titre de l'indemnité pour rupture brutale de la relation commerciale ;

- débouté la société Surveillances Maritimes de sa demande d'indemnisation des éventuelles charges salariales ou condamnations pécuniaires liées à la rupture des contrats de travail non repris par la société Seris ;

- condamné la société Eurofos à payer la somme de 2 000 euros à la société Surveillances Maritimes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Eurofos a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Prétentions des parties

La société Eurofos, par ses dernières conclusions signifiées le 29 juin 2016, demande à la cour de :

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Marseille, sauf en ses dispositions rejetant les demandes de la société Surveillances Maritimes tendant à voir condamner la société Eurofos à indemniser les éventuelles charges salariales liées à la non reprise de quatre contrats de travail par la société Seris ;

- condamner la société Eurofos à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient qu'en résiliant le contrat de gardiennage conclu avec la société Surveillances Maritimes, elle n'a fait que respecter la volonté des parties en appliquant de bonne foi l'article IX de la convention selon laquelle la résiliation peut intervenir sans délai lorsque la situation financière le justifie. La société Eurofos rappelle que cette clause est une définition contractuelle de la force majeure et qu'au vu de la situation de perte de plus de la moitié du capital qu'elle a rencontré, elle se trouvait effectivement dans le cas prévu par l'article IX de la convention.

Elle rappelle également que, contrairement à ce que prétend la société Surveillances Maritimes, l'arrivée du terme du contrat de gardiennage n'a pas rendu celui-ci caduc et que le maintien des relations commerciales impliquait la reconduction tacite du contrat. Elle prétend donc qu'elle était en droit de se prévaloir de l'article IX du contrat de gardiennage et de rompre sans délai ce dernier, et ce, sans violer l'article 1134 du Code civil, ni l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

La société Eurofos souligne également que la rupture de la relation commerciale n'était pas brutale puisque que la relation a été maintenue pendant quatre mois à compter de la notification de la résiliation, laissant ainsi le temps à la société Surveillances Maritimes de se réorganiser, ce qu'elle n'a pas fait en refusant de porter candidate à sa propre succession.

A titre subsidiaire, elle conteste la durée du préavis d'un an fixé par le tribunal de commerce en rappelant qu'en matière de gardiennage la durée du préavis usuelle est de trois mois.

Elle soutient également que le préjudice subi par la société Surveillances Maritimes ne peut s'interpréter qu'en la perte de la chance de réaliser un gain, que l'indemnité accordée par le tribunal de commerce est hors de proportion ; elle ajoute qu'au vu des sujétions de l'activité de gardiennage, il appartenait à la société Surveillances Maritimes de reclasser son personnel, qu'elle a régulièrement informé cette dernière de l'identité de son successeur, qu'elle n'est pas l'employeur direct des salariés en question et qu'elle ne peut donc être tenu responsable du préjudice subi par suite de la rupture des contrats de travail.

La société Surveillances Maritimes, appelante à titre incident, par ses dernières conclusions signifiées le 5 août 2016, demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il a jugé que la société Eurofos a rompu brutalement le contrat de gardiennage ;

Statuant à nouveau,

- condamner la société Eurofos à lui payer le somme de 26 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial ;

- condamner la société Eurofos à l'indemniser des charges salariales ou condamnations pécuniaires liées à la rupture des contrats de travail non repris par la société Seris ;

- condamner la société Eurofos au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle sollicite la révocation de l'ordonnance de clôture et son report à la date des plaidoiries, n'ayant eu connaissance des conclusions de la société Eurofos avant la clôture des débats.

Elle rappelle que la société Eurofos n'était pas fondée à se prévaloir de l'article IX de la convention puisque le contrat conclu en 2005 ne pouvait excéder une durée de 5 ans et était donc devenu caduc le 1er janvier 2010.

Elle soutient en outre que la société Eurofos ne pouvait appliquer l'article IX du contrat de gardiennage, prévoyant une rupture sans préavis, puisque la liberté contractuelle entre commerçants trouvent ses limites dans les dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

Elle soutient que les contrats temporaires qu'elle a acceptés ne lui ont pas laissé le temps de se réorganiser et que cette courte prolongation n'a pas effacé le caractère brutal de la rupture de la relation commerciale par la société Eurofos.

Sur le préjudice commercial, la société Surveillances Maritimes estime le manque à gagner pour 2013 et 2014 de 26 400 euros selon la formule suivante " 120 000 euros x 11 % de marge x 2 années " dès lors que les relations commerciales devaient être poursuivie jusqu'au 31 décembre 2014.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS

Considérant que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce dispose qu' " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...)

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. " ;

Considérant que, par courrier en date du 10 décembre 2012, la société Eurofos a résilié le contrat, à effet au 1er janvier 2013 ;

Considérant que l'article IX du contrat du dispose notamment au titre de la cessation du contrat qu' " il pourra être dénoncé à tout moment par l'une quelconque des parties avec un préavis de trois mois par lettre recommandée avec AR " ;

Considérant que la société Eurofos se prévaut de l'article IX " Mise en œuvre et durée du contrat ", alinéa 6, du contrat du 1er janvier 2005 qui stipule que " de même, Eurofos aura la faculté de mettre fin au présent contrat sans préavis et de plein droit dans le cas de modifications défavorables à la situation financière ou commerciale de la société risquant de compromettre son activité ou les intérêts de sa société. " ;

Mais considérant qu'il ne peut être fait obstacle aux dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce par des clauses permettant, hors cas de force majeure ou d'inexécution, par l'autre partie, de ses obligations contractuelles, une rupture sans préavis ; que la société Eurofos n'invoque en l'espèce ni force majeure, ni faute de la société Surveillances Maritimes propre à justifier la rupture de la convention sans préavis ;

Considérant que la rupture est intervenue sous un préavis de 20 jours ; que ce préavis n'est pas d'une durée raisonnable au regard de l'ancienneté de la relation d'affaires entretenue entre les parties et de la nature de l'activité de la société Surveillances Maritimes ; que la société Eurofos a, dans ces conditions, rompu brutalement la relation commerciale ; que la décision déférée doit être confirmée de ce chef ;

Considérant que le délai de préavis contractuel n'est pas nécessairement suffisant au regard des dispositions de l'article L. 442-6, I 5° ; que la cour dira que, compte tenu de la durée de la relation d'Eurofos avec Surveillances Maritimes et de la nature de l'activité concernée, un préavis de six mois est raisonnable ;

Qu'il est, par ailleurs, constant que la relation a été maintenue entre les parties jusqu'au 31 mars 2013 que la période de trois mois correspondant au maintien effectif, et provisoire - dès lors que la relation s'est poursuivie dans le cadre de deux contrats à durée déterminée, dont le second expirait le 31 mars 2013 - de la relation commerciale établie doit être imputée sur le délai de préavis jugé nécessaire ; que l'insuffisance de préavis s'établit, dans ces conditions, à deux mois et 20 jours ;

Sur le préjudice

Considérant qu'en cas d'insuffisance de préavis, le préjudice en résultant est évalué en considération de la marge brute correspondant à la durée du préavis jugé nécessaire ; que c'est à raison que les premiers juges ont retenu une perte de marge brute de 120 000 euros x taux de marge brute de 11 % = 13 200 euros pour une année ; que, pour deux mois et 20 jours correspondant à l'insuffisance de préavis, la perte de marge brute s'établit à 3 025 euros ;

Que le seul préjudice réparable en application de l'article L. 442-6, I 5° est celui résultant de la brutalité de la rupture ; que le préjudice indemnisable ne saurait donc inclure les frais induits par la résiliation des contrats de travail des salariés de Surveillances Maritimes non repris par la société Seris, Surveillances Maritimes ne rapportant pas la preuve que ces frais résultent de la brutalité de la rupture ;

Que la cour condamnera Eurofos au paiement de la somme de 3 025 euros à titre de dommages et intérêts et réformera en ce sens le jugement entrepris ;

Considérant que l'équité commande de condamner Eurofos à payer à Surveillances Maritimes la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués pour rupture brutale de la relation commerciale ; Statuant à nouveau du chef infirmé, Condamne la SARL Eurofos à payer à la SAS Surveillances Maritimes la somme de 3 025 euros à titre de dommages et intérêts ; Condamne la SARL Eurofos à payer à la SAS Surveillances Maritimes la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Condamne la SARL Eurofos aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.