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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 13 octobre 2016, n° 14-04264

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Antibes Boat Et Yacht Services (Abys) (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aubry-Camoin

Conseillers :

MM. Fohlen, Prieur

T. com. Antibes, du 14 février 2014

14 février 2014

FAITS - PROCEDURE - DEMANDES :

Selon compromis du 12 décembre 2012 et vente du 24 janvier 2012 [en réalité 2013] la S.A.S. Antibes Boat Et Yacht Services [la société Abys] a vendu à Monsieur Jean-Philippe L. un bateau doccasion KELT White Shark <Dinis> de l'année 2006 moyennant le prix de 24 403 euro 00 T.T.C., outre un moteur EVINRUDE à essence de 225 CV ayant 190 heures.

Deux rapports d'histoire du moteur ont été établis par les Etablissements G., concessionnaire EVINRUDE, notamment pour le nombre d'heures-minutes-secondes durant lesquelles il a fonctionné :

- le premier le 17 juin 2013 qui mentionne '639 : 05 : 11';

- le second le 13 mai 2014 en présence d'un responsable de la société Abys qui mentionne " 686 : 06 : 54 ".

Le 19 juillet 2013 Monsieur L. a fait assigner la société Abys devant le Tribunal de Commerce d'Antibes, qui par jugement du 14 février 2014 visant l'article 1315 du Code civil a :

* débouté Monsieur L. de l'ensemble de ses demandes;

* condamné Monsieur L. à payer à la société Abys la somme de 1 000 euro 00 au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile;

* condamné Monsieur L. aux entiers dépens.

Monsieur Jean-Philippe L. a régulièrement interjeté appel le 28 février-4 mars 2014, et par conclusions du 30 août 2016 soutient notamment que :

- le bateau dispose de 2 compteurs : le premier situé dans le bloc moteur n'est pas visible, ne peut être lu sans l'intervention d'un technicien, et enregistre le temps réel de navigation; le second est sur le tableau de bord, relié au premier par un circuit électrique, mais n'enregistre plus ce temps lorsque ce circuit est débranché;

- il n'est ni un professionnel ni même un amateur éclairé;

- il n'invoque vis-à-vis de la société Abys ni actes de tromperie ni intention dolosive;

- la société Abys est un vendeur professionnel; en faisant figurer à la convention liant les parties un nombre d'heures très en-dessous du nombre réel elle a failli à son obligation de résultat qui est de délivrer une chose conforme à celle promise; lui-même n'est pas un technicien et ne pouvait connaître et visiter le moteur;

- la même société ne conteste pas l'exactitude du relevé des Etablissements G. auquel elle a assisté; elle devait vérifier le compteur moteur, ou le faire vérifier par un concessionnaire Evinrude;

- lui-même n'a navigué que 31 heures au cours de chacune des 4 années d'utilisation du navire;

- le préjudice qu'il a subi, car il a préféré ne pas donner suite à la proposition de reprise du navire par la société Abys, correspond au vieillissement non-conforme du moteur, qui avait plus du triple d'heures que celles annoncées.

L'appelant demande à la Cour, au visa des articles 1602 et suivants du Code civil, de :

- réformer le jugement;

- constater que la société Abys a failli à son obligation de délivrance conforme;

- en conséquence la condamner à payer à Monsieur L. :

. la somme de 5 000 euro 00 à titre de dommages et intérêts;

. la somme de 2 000 euro 00 au titre des frais irrépétibles.

Concluant le 24 août 2016 la S.A.S. Antibes Boat Et Yacht Services répond notamment que :

- Monsieur L. a acheté le navire en connaissance de cause;

- depuis l'origine elle a proposé de reprendre le navire et de rembourser le prix à Monsieur L., qui a refusé;

- sur demande de Monsieur L. les 190 heures du moteur ont été relevées sur le compteur; elle n'est qu'un simple revendeur, mais ni un technicien ni un mécanicien ayant les moyens techniques pour rechercher la réalité des heures, et ne pouvait suspecter celles indiquées; Monsieur L. ne lui a jamais demandé de mandater un technicien pour ce point; elle n'a commis ni acte de tromperie ni intention dolosive;

- le relevé des Etablissements G. , dressé non contradictoirement, lui est inopposable;

- aucune précision n'est donnée sur les heures utilisées par Monsieur L. depuis l'achat; le relevé invoqué par ce dernier est contredit par le relevé du compteur lors de la vente;

- elle a parfaitement rempli ses obligations de vendeur, et Monsieur L. ne rapporte pas la preuve lui incombant;

- même avec 639 heures au compteur le prix du navire est inférieur à celui du marché;

- le préjudice chiffré à 5 000 euro 00 est excessif, arbitraire et non objectif;

- Monsieur L. a navigué 47 heures par an, alors que la moyenne se situe entre 40 et 60 heures

L'intimée demande à la Cour, vu l'article 1315 du Code civil, de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement;

- débouter Monsieur L. de l'ensemble de ses demandes ;

- y ajoutant le condamner au paiement de la somme de 1 500 euro 00 sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue à l'audience le 1er septembre 2016.

MOTIFS DE L'ARRET :

La société Abys est une professionnelle de la vente de navires même si elle n'est pas concessionnaire des moteurs EVINRUDE, ce qui signifie qu'elle doit savoir que le modèle KELT White Shark vendu à Monsieur L. comporte, outre le compteur du tableau de bord, un autre compteur situé sur le bloc moteur mais difficilement accessible et beaucoup plus fiable que le précédent; par suite elle a l'obligation de vérifier l'exactitude du nombre d'heures affiché sur le premier compteur; de son côté Monsieur L. n'est pas technicien en matière de navire, et ne peut donc avoir connu et visité ce second compteur. Par suite les 190 heures indiquées dans l'acte ne peuvent être suspectées par Monsieur L., tandis que la société Abys se devait de vérifier leur exactitude au besoin en s'adressant à un concessionnaire desdits moteurs. De plus la seconde visite par les Etablissements G. datée du 13 mai 2014 a été réalisée après convocation de la société Abys et en présence de celle-ci, laquelle ne peut donc invoquer son caractère non contradictoire.

En délivrant un navire dont elle devait savoir que le nombre d'heures du moteur indiqué (190) ne correspondait pas à la réalité (presque 639), soit un rapport de 1 à plus de 3, la société Abys a manqué à ses obligations de vendeur fixées par les articles 1604 à 1624 du Code civil même sans commettre un acte de tromperie ou une intention dolosive, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal de Commerce. Sa proposition de reprendre le navire au prix de vente à Monsieur L. ne s'imposait pas à ce dernier, et n'est pas de nature à écarter ce manquement. Le jugement est infirmé.

Monsieur L., parce qu'il a librement choisi de demander non la résolution de la vente du 24 janvier 2013 mais l'allocation de dommages et intérêts, doit justifier de l'existence et de l'étendue du préjudice qu'il invoque contre la société Abys. Un navire tel que celui en cause (KELT White Shark avec un moteur de 225 CV, année 2006) se vendait entre 9 550 euro 00 et 39 000 euro 00 durant l'hiver 2012/2013, et un plaisancier tel que Monsieur L. navigue entre 40 et 60 heures par an. Par suite le préjudice de ce dernier, constitué par un prix d'achat (24 403 euro 00) excessif eu égard au nombre d'heures réelles du moteur, est égal à la somme de 2 000 euro 00.

DECISION

La Cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire.

Infirme le jugement du 14 février 2014, et condamne la S.A.S. Antibes Boat Et Yacht Services à payer à Monsieur Jean-Philippe L. la somme de 2 000 euro 00 à titre de dommages et intérêts.

Vu l'article 700 du Code de Procédure Civile condamne la S.A.S. Antibes Boat Et Yacht Services à payer à Monsieur Jean-Philippe L. une indemnité de 2 000 euro 00 au titre des frais irrépétibles.

Condamne la S.A.S. Antibes Boat Et Yacht Services aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.