CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 3 novembre 2016, n° 15-16444
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Agence de distribution de vins et spiritueux (SARL)
Défendeur :
Pago France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
Mmes Schaller, du Besset
Avocats :
Mes Boccon Gibod, Bertin, Lucas, Jaillant Corcos
FAITS ET PROCÉDURE
Selon contrat du 3 avril 2009, la société Pago France qui depuis 1995 importe et commercialise en France une gamme de jus de fruits en bouteille sous la marque Pago, et la société Agence de Distribution de Vins et Spiritueux (dite ci-après ADVS), dont le nom commercial est Helnor SARL, ont signé un contrat de " prestation de service " ayant pour objet le placement par cette dernière de ces produits auprès des enseignes de la grande distribution dans six départements définis.
L'article 5 du contrat prévoyait pour le prestataire une rémunération de " 3 % du CA HT de remise, ristournes et coopérations commerciales de la clientèle concernée (...) ".
Son article 8, relatif à la résiliation, stipulait notamment qu'en cas de résiliation du fait de la société Pago France intervenant plus de 12 mois après la signature du contrat, serait due une indemnité correspondant à un an de rémunération sur les CA HT net.
Début 2013, la société Pago France a été rachetée au groupe Heineken par le groupe Eckes Granini.
Les 19 et 20 mars 2013, elle a organisé une réunion avec ses différents agents commerciaux, dont la société ADVS.
Par courrier du 12 juillet 2013, la société Pago France a notifié à la société ADVS la résiliation du contrat les liant avec effet au 31 décembre 2013.
Le 20 janvier 2014, elle lui a payé une indemnité de rupture de 8 799 euros, représentant selon elle un an de commissions conformément à la clause 8 du contrat.
Considérant que cette somme ne réparait pas intégralement le préjudice qu'elle avait subi du fait de la rupture du contrat, la société ADVS a assigné la société Pago France devant le Tribunal de commerce de Créteil. Par jugement en date du 16 juin 2015, cette juridiction, après avoir écarté des débats la pièce n° 8 de la société ADVS, a condamné la société Pago France à payer à la première les sommes de :
- 4 946,19 euros, à titre de complément d'indemnité de rupture (six mois de commissions supplémentaires étant ainsi alloués), avec exécution provisoire sous réserve de production en cas d'appel par la société ADVS d'une caution bancaire égale,
- 1 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure, le surplus des demandes étant rejeté, en particulier celle de paiement d'une indemnité au titre du préjudice moral.
Vu l'appel interjeté le 28 juillet 2015 par la société ADVS contre cette décision ;
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 4 septembre 2015, la société ADVS demande à la cour, au visa des articles L. 134-12 du Code de commerce, ainsi que 1134 et 1184 du Code civil, de :
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a limité son droit à indemnisation de fin de contrat à 18 mois de commissions, exclu l'indemnisation de son préjudice moral et limité sa demande formée en application de l'article 700 du Code de procédure civile à la somme de 1 000 euros ;
- ce faisant, dire et juger que la société Pago France est tenue de l'indemniser du fait de la rupture du contrat d'agence commerciale sur la base de deux années de commissions et revenus associés calculés sur la moyenne des trois dernières années ;
- en conséquence, condamner la société Pago France à lui payer les sommes de :
* 12 248,15 euros au titre du solde d'indemnisation de fin de contrat d'agence commerciale, déduction faite de la provision réglée à hauteur de 8 799 euros ;
* 30 000 euros en réparation du préjudice moral ;
* 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais de première instance, outre 7 500 euros au titre des frais d'appel.
Selon ses dernières conclusions signifiées le 5 novembre 2015, la société Pago France sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, ce faisant le débouté pour le surplus de la société ADVS et que soit écartée sa pièce n° 8, ainsi que sa condamnation à lui payer la somme de 3 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 juin 2016.
Motifs :
Sur la recevabilité de la pièce n° 8 de la société ADVS :
C'est à bon droit que le jugement entrepris a écarté des débats la pièce n° 8 de la société ADVS qui est constituée d'un témoignage daté du 21 novembre 2014 de la dénommée Delphine Badet aux motifs, que la cour fait siens, qu'elle ne satisfait pas aux exigences de forme prescrites par l'article 202 du Code de procédure civile, en particulier en ce qu'elle ne précise pas qu'elle va être produite en justice, ni les liens de son auteur avec les parties, et qu'elle n'est pas assortie d'une pièce d'identité de ce dernier, de sorte qu'elle ne présente pas de garanties suffisantes pour emporter la conviction. Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point pour ces seuls motifs, et non pour ceux tendant en outre à retenir le caractère mensonger de la pièce, ceci étant contradictoire avec le fait de l'écarter pour des raisons formelles.
Sur l'indemnité de rupture :
L'article L. 134-12 du Code de commerce, dont les dispositions sont d'ordre public, indique qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; qu'il perd toutefois le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ; et que ses ayants droit bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.
Par ailleurs, l'article L. 134-16 prévoit qu'est réputée non écrite toute clause ou convention dérogeant, au détriment de l'agent commercial, aux dispositions de l'article précité.
Il est de principe enfin que les parties peuvent licitement convenir à l'avance d'une indemnité de rupture, dès lors que celle-ci assure la réparation intégrale du préjudice subi par l'agent commercial.
En l'espèce, il résulte de ses stipulations implicites que le contrat litigieux intitulé " de prestations de service " est un contrat d'agence commerciale, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté.
Or, l'application de la clause 8 de ce contrat qui limite le droit à indemnisation à un an de rémunérations sur le chiffres d'affaires n'est pas revendiquée par la société Pago France, puisque celle-ci s'accorde sur une indemnité équivalente à 18 mois de commissions telle qu'allouée par les premiers juges, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur son caractère ou non réputé non écrit comme dérogeant défavorablement à l'agence commerciale.
Par ailleurs, il est soutenu à bon droit par la société Pago France que le calcul du quantum de l'indemnité n'est pas réglementé et qu'il convient donc de statuer en fonction des circonstances spécifiques de la cause. Nonobstant, il existe un usage reconnu qui consiste à accorder une indemnité correspondant à deux années de commissions, lequel usage ne lie toutefois pas la cour.
Or, en l'espèce, il apparaît qu'il convient de s'écarter de cet usage compte tenu de la durée moyennement importante du contrat d'agence commerciale (d'un peu moins de 5 années), nonobstant l'absence de faute de la société ADVS et peu important en revanche la durée du préavis appliqué dont l'objet est différent. En effet, ainsi que l'ont exactement apprécié les premiers juges par des motifs que la cour fait siens, la réparation intégrale du préjudice consécutif à la rupture correspond ici à 18 mois de commissions.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur le préjudice moral :
La société ADVS ne justifie d'aucun préjudice moral tel que l'atteinte à son image ou à sa réputation susceptible d'engager la responsabilité de la société Pago France sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, autre que celui qui a déjà été réparé par l'indemnité consécutive à la rupture du contrat. Le jugement entrepris qui l'a déboutée de sa demande indemnitaire à ce titre sera donc également confirmé sur ce point.
La société ADVS qui succombe supportera les dépens. L'équité commande d'allouer à la société Pago France la somme de 1 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne la société ADVS à payer à la société Pago France la somme de 1 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société ADVS aux dépens.