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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 4 novembre 2016, n° 14-15362

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Groupe MJA (SAS), Villa (ès qual.), Selarl Michel Miroite Gorins Deshayes (ès qual.)

Défendeur :

Trucks and Stores (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Lis Schaal, M. Thomas

Avocats :

Mes Grognard, Sona, Baudry, Kieffer Joly, Ricci

T. com. Paris, du 16 juin 2014

16 juin 2014

La société Trucks et Stores, venant aux droits de la société Outiror, a pour activité la vente à distance de produits d'outillage et de jardinage.

La société MJA, en liquidation judiciaire, représentée par la Selarl Michel Miroite Gorins Deshayes, est une agence spécialisée dans la communication, le marketing et l'édition de supports de communication et de publicité.

Le 13 novembre 2008, Outiror a confié à MJA la réalisation du catalogue de vente des produits commercialisés par Outiror.

Le 14 janvier 2010, Outiror a adressé une lettre de résiliation de ce contrat ; cette résiliation a pris effet le 31 juillet 2010 et Outiror a cessé de recourir aux prestations de MJA pour la réalisation du catalogue de vente de photographies.

S'estimant victime d'une rupture contractuelle abusive, intervenue en violation du préavis contractuel s'agissant de l'établissement des catalogues, et d'une rupture brutale pour les prestations de photographies rompues sans préavis en juillet 2010, MJA a assigné Outiror devant le Tribunal de commerce de Paris le 20 septembre 2012.

Par jugement en date du 16 juin 2014, le tribunal de commerce a :

- débouté la société MJA de sa demande d'indemnité fondée sur une rupture brutale de la relation établie concernant la réalisation de photographies ;

- l'a déboutée pour sa demande de versement d'indemnité suite au non-paiement de factures par la société Trucks et Stores ;

- ordonné à MJA de restituer à Trucks et Stores les bases de données lui appartenant ;

- condamné Trucks et Stores à indemniser MJA du préjudice subi d'un montant de 15 000 euros à la suite de l'embauche d'un salarié de la société MJA ;

- condamné MJA à indemniser Trucks et Stores du préjudice subi d'un montant de 15 000 euros suite à la non restitution des bases de données images et texte, la déboutant pour le surplus.

Le tribunal a estimé notamment que les parties avaient conclu le 13 décembre 2010 un contrat global comprenant la réalisation de photographies qui n'était pas une prestation autonome et qu'il ne peut être sollicité une indemnité pour rupture brutale des relations commerciales pour cette prestation qui se distinguerait de la rupture abusive contractuelle.

Le contrat du 13 décembre 2010 a été conclu pour une durée d'un an renouvelable par période de douze mois sauf dénonciation de l'une des deux parties au moins six mois avant la date de son renouvellement par lettre recommandée avec accusé de réception.

T et S a informé MJA le 29 juin 2011 de son intention de ne pas reconduire le contrat, courrier réceptionné le 1er juillet 2011 (cachet de la poste). Ce jour de retard n'est pas à l'origine d'un préjudice pour MJA et la demande de dommages et intérêts de MJA pour rupture abusive du contrat a été rejetée.

La SAS Groupe (MJA) a régulièrement interjeté appel de cette décla Courision le 24 juillet 2014.

Prétentions des parties

La société Groupe MJA et la Selarl Francis Villa prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS Groupe MJA, intervenante volontaire, par conclusions signifiées par le RPVA le 16 février 2016, demandent à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris à l'exception de la condamnation de Trucks et Stores (T et S) à l'indemniser du préjudice subi à la suite de l'embauche d'un salarié, et du débouté de T et S de sa demande d'indemnisation de 50 000 euros en réparation d'un préjudice moral non établi ;

Statuant à nouveau,

- condamner T et S à lui payer une somme de 229 765,96 euros en réparation du préjudice subi par la rupture brutale des relations commerciales établies depuis le 1er janvier 2002 pour la réalisation de photographies ;

- condamner la société T et S à lui payer une somme de 254 720,93 euros en réparation du préjudice causé par la rupture abusive du contrat cadre du 13 décembre 2010 ;

- la condamner à lui payer la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice causé par sa mauvaise foi et son manque de loyauté (débauchage de son personnel, avoir contracté avec la société Evolution etc.) ;

- la condamner à lui payer une somme de 466,44 euros pour la facture du 29 avril 2011 ;

- dire irrecevables toutes les demandes de condamnation de T et S à défaut de déclaration de sa créance au passif de la procédure collective de la société Groupe MJA ;

En tout état de cause,

- débouter T et S de toutes ses demandes ;

- la condamner à lui payer une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle soutient que les prestations photographiques, qui ont débuté le 1er janvier 2002 avec la société Outidor, n'étaient pas incluses dans le contrat-cadre de prestations de service du 13 novembre 2008 souscrit entre MJA et Outiror Trading (devenue Trucks et Stores) qui portait sur la réalisation de catalogues.

Elle invoque un fondement contractuel pour la rupture abusive du contrat-cadre du 13 décembre 2010, et un fondement délictuel pour les prestations photographiques pour rupture brutale des relations commerciales (article L. 442-6, I,5 du Code de commerce), ces dernières prestations n'ayant jamais fait l'objet d'un contrat écrit. S'agissant de deux prestations différentes, le principe du non-cumul de responsabilité ne s'applique pas.

Sur les prestations photographiques, elle expose que les relations commerciales entre Outiror, devenue Outiror Trading, puis T et S, et la société Studio Val De Loire, devenue Groupe MJA, ont commencé en 2002, qu'il s'agit donc de relations commerciales établies, que la rupture intervenue dix ans plus tard sans aucun préavis constitue une rupture brutale au sens de l'article L. 442-6,I,5 du Code de commerce, qu'un préavis de 18 mois aurait dû être accordé, qu'elle est fondée à invoquer un préjudice de 229 765,96 euros au titre de la perte de marge brute.

Sur la rupture abusive sans respect du préavis du contrat-cadre du 13 décembre 2010, elle fait valoir que le courrier de résiliation a été expédié le 1er juillet 2001 soit après l'échéance du 30 juin et elle est donc irrégulière et abusive. Le délai courait en conséquence jusqu'au 31 décembre 2012.

Le préjudice est constitué du manque à gagner de l'année 2012 soit un montant de 254 720,93 euros. Le comportement déloyal de T et S lui a causé un préjudice estimé à 60 000 euros.

MJA a conclu le 25 mars 2010 à la demande de T et S un contrat de licence d'utilisation sans limitation de durée du progiciel " Piivo " avec la société Evolution moyennant une redevance forfaitaire de 52 500 euros HT et avec engagement d'Evolution de ne pas contracter pour la société T et S via des agences et/ou à la société T et S en direct des solutions Piivo.

T et S a pris contact directement avec Evolution aux fins de tenter de récupérer le progiciel Piivo, le partenariat exclusif entre MJA et Evolution ne permettant pas le transfert de données à T et S. T et S a également débauché du personnel de MJA.

La société T et S, par conclusions signifiées par le RPVA le 7 avril 2015, demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris sur le rejet de la demande d'indemnité fondée sur une rupture brutale des relations commerciales pour la réalisation de photographies, sur le rejet de la demande de versement d'indemnité suite au non-paiement de factures, ordonné à MJA de restituer les base de données appartenant à T et S ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné MJA au titre du préjudice au paiement d'un montant de 15 000 euros à la suite de la non-restitution des bases de données, a condamné T et S à indemniser le groupe MJA d'un montant de 15 000 euros à la suite de l'embauche d'un salarié de MJA, a débouté T et S de sa demande d'indemnisation de 50 000 euros en réparation du préjudice moral, l'a débouté de ses autres demandes et aux dépens pour moitié ;

Statuant à nouveau sur ces points ;

- constater que MJA agit sur les deux fondements juridiques de la responsabilité civile contractuelle et délictuelle par principe incompatibles ; dire que MJA viole le principe de non-cumul de la responsabilité civile contractuelle et délictuelle ;

- dire que MJA est donc irrecevable et mal fondée en ses demandes, fins et conclusions, constater que la société Outiror (RCS de Tours n° 397 522 475) a été liquidée judiciairement le 2 août 2007, suite au jugement du tribunal de commerce de Tours du 27 juillet 2007 ;

- constater que les relations commerciales entre la société MJA et la société Outiror (RCS de Tours n° 397 522 475) ont donc définitivement cessé à la date de la liquidation judiciaire cette dernière, soit le 2 août 2007 ;

- constater que la société MJA n'était pas le prestataire de la société Outiror durant les années 2002 à 2007 incluses ;

- constater que la société T&S est une société " et donc une personne morale " distincte de la société Outiror liquidée le 2 août 2007 ;

- constater que l'activité de la société T&S est différente de celle de la société Outiror liquidée le 2 août 2007 ;

- constater que les prestations objet des relations entre les sociétés T&S et MJA sont différentes de celles qui étaient entretenues entre MJA et la société Outiror liquidée le 2 août 2007 ;

- constater que les relations commerciales entre la société MJA et la société Outiror Trading SAS, devenue la société T&S (RCS de Tours n° 499 208 783) ont débuté au plus tôt en août 2007 voire durant l'année 2008 concernant les prestations de photographies et le 13 novembre 2008 lors de la signature du " contrat-cadre de prestation de services " (contrat n° 1) s'agissant des prestations de conception de catalogues ;

- constater que par son courrier de résiliation du 14 janvier 2010, la société T&S a respecté le délai de 6 mois contractuellement prévu à l'article 4 du " contrat-cadre de prestation de services " signé le 13 novembre 2008 (contrat n° 1) ;

- constater que le " contrat-cadre de prestation de services " (contrat n° 1) signé le 13 novembre 2008 a été régulièrement résilié et a pris fin le 31 juillet 2010, conformément à l'article 4 dudit contrat ;

- constater que la société Trucks And Stores n'a pas eu la volonté de continuer la relation antérieure entre les sociétés MJA et Outiror ;

- dire en conséquence de ces constatations, que la société T&S n'a commis aucune faute dans la résiliation du " Contrat-cadre de prestation de services " (contrat n° 1) signé le 13 novembre 2008 ;

- dire en tout état de cause, que le respect de ce préavis écrit contractuel de 6 mois pour la résiliation du " Contrat-cadre de prestation de services " (contrat n° 1) signé le 13 novembre 2008 est suffisant au sens de l'article L. 442-6 I 5 du Code de commerce,

- constater que la société MJA et la société T&S ont conclu un nouveau contrat cadre le 13 décembre 2010 (contrat n° 2) ;

- constater que le contrat cadre du 13 décembre 2010 était d'une durée déterminée d'un an, à échéance du 31 décembre 2011 ;

- constater que par courrier émis le 29 juin 2011, la société T&S n'a pas souhaité renouveler ni reconduire le contrat cadre du 13 décembre 2010 (contrat n° 2) au-delà du 31 décembre 2011 ;

- dire que le contrat cadre du 13 décembre 2010 (contrat n° 2) n'a pas été renouvelé ni reconduit et que la relation commerciale entre la société T&S et la société MJA a pris définitivement fin le 31 décembre 2011 ;

- dire en conséquence, que la durée réelle de la relation commerciale entre la société T&S (RCS de Tours n° 499 208 783) et la société MJA est de 4 ans tout au plus,

- dire que la société T&S n'a commis aucune faute dans l'exécution du contrat n° 2 signé le 13 décembre 2010 ;

- dire que la société T&S a respecté le préavis écrit de 6 mois prévu contractuellement pour dénoncer le contrat n° 2 signé le 13 décembre 2010 ;

- dire que la société T&S n'a commis aucune faute en ne renouvelant pas le contrat n° 2 signé le 13 décembre 2010 ;

- dire en tout état de cause, que le respect du préavis écrit contractuel de 6 mois pour ne pas renouveler le contrat n° 2 signé le 13 décembre 2010 est suffisant au sens de l'article L. 442-6 I 5 ° du Code de commerce ;

- dire que MJA ne parvient pas à démontrer une quelconque faute de la part de T&S ;

- dire que la pièce 62 de MJA n'est pas recevable ;

- dire en conséquence que la société MJA ne parvient pas à démontrer la réalité de son prétendu préjudice ;

- dire que MJA ne parvient pas à démontrer la prétendue concurrence déloyale ;

- dire que MJA ne parvient pas à démontrer le prétendu débauchage fautif de Mme Pichonnet par la société T&S ;

- débouter MJA de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Et reconventionnellement :

- constater que, par son comportement, la société MJA a commis des fautes causant d'importants préjudices financiers et moraux à la société T&S, notamment en refusant abusivement de restituer les bases de données images et textes, appartenant à la société T&S selon le contrat du 13 décembre 2010 ;

- constater que par cette rétention, MJA a obligé T&S à reconstituer sa base de données images et textes grâce à ses ressources internes pour un montant estimé entre 30 300 et 37 875 euros HT ;

- dire que la société MJA a commis une faute contractuelle grave en ne délivrant pas les fichiers appartenant à la société T&S ;

- condamner MJA à payer à la société T&S la somme de 50 000 euros au titre de la réparation de cette opération de reconstitution de base de données et de la situation actuelle de cette base ;

- dire qu'en procédant à la rétention de cette base de données qui étaient la propriété de T&S, MJA a violé l'article 1147 du Code civil ;

- condamner MJA à payer à la société T&S la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice consécutif à la rétention du bien de T&S ;

- dire que MJA a porté atteinte à l'image de T&S ;

- condamner MJA à payer à la société T&S la somme de 50 000 euros en réparation de ce préjudice moral ;

- constater que la société MJA a empêché T&S d'obtenir le logiciel Piivo en concluant un accord violant l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

- condamner MJA à réparer le préjudice subi par T&S à ce titre et à lui verser la somme de 100 000 euros

En toute hypothèse,

- dire que la société T&S a respecté un préavis écrit suffisant compte tenu de la durée de la relation commerciale entre cette dernière et la société MJA qui fut de 4 ans tout au plus, dire en conséquence, que MJA ne démontre pas que la rupture de la relation commerciale avec la société T&S a été brutale ;

- dire que la société T&S n'a commis aucune faute lors de la rupture de sa relation commerciale avec la société MJA ;

- dire que MJA ne démontre nullement qu'elle a subi un quelconque préjudice du fait de la rupture de la relation commerciale avec la société T&S ;

- dire que MJA ne démontre nullement une quelconque faute de la part de la société T&S ;

- dire que MJA ne démontre aucun préjudice qu'elle aurait subi du fait de la société T&S ;

- dire que la pièce 62 produite par MJA n'est pas recevable ;

- ordonner une expertise en vue d'établir la marge brute réelle de la société MJA ;

- constater que, par son comportement, la société MJA a commis une faute causant d'importants préjudices financiers et moraux à la société T&S, notamment en refusant abusivement de restituer les bases de données images et textes, appartenant à la société T&S selon le contrat du 13 décembre 2010 ;

- constater que par cette rétention, MJA a obligé T&S à reconstituer sa base de données images et textes grâce à ses ressources internes pour un montant estimé entre 30 300 et 37 875 euros HT ;

- dire que la société MJA a commis une faute en ne délivrant pas les fichiers appartenant à la société T&S ;

- condamner MJA à payer à la société T&S la somme de 50 000 euros au titre de la réparation de cette opération de reconstitution de base de données ;

- dire qu'en procédant à la rétention de cette base de données qui étaient la propriété de T&S, MJA a violé l'article 1147 du Code civil ;

- condamner MJA à payer à la société T&S la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice consécutif à la rétention du bien de T&S ;

- dire que la société MJA a porté atteinte à l'image de T&S ;

- condamner MJA à payer à la société T&S la somme de 50 000 euros en réparation de ce préjudice moral ;

- constater que la société MJA a tenté d'empêcher T&S d'obtenir le logiciel Piivo en concluant un accord violant l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

- condamner MJA à réparer le préjudice subi par T&S à ce titre et à lui verser la somme de 100 000 euros ;

- débouter en conséquence MJA de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner MJA à payer à la société T&S la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Elle soutient :

- que la demande de MJA est irrecevable car elle repose sur deux fondements de responsabilité civile, contractuelle et délictuelle en même temps ;

- que les relations entre MJA et Outiror (liquidation judiciaire le 2 août 2007) ont définitivement cessé à cette date ;

- que T et S est une société distincte de Outiror ;

- que les relations commerciales entre MJA et Outiror Trading devenue T et S ont débuté en 2007 pour les prestations photographiques ;

- que le contrat-cadre du 13 décembre 2010 n'a pas été renouvelé par courrier émis le 29 juin 2010 et que la relation commerciale a pris fin le 31 décembre 2011 ;

- que le préavis de 6 mois a été respecté ;

- que T et S n'a commis aucune faute ;

- que MJA n'établit pas son préjudice.

Sur ce :

Sur le cumul de responsabilités

Considérant que la société MJA sollicite à titre principal la condamnation de la société Trucks et Stores à réparer :

- sur un fondement délictuel, son préjudice occasionné par la rupture brutale des relations commerciales concernant les prestations de photographies ayant débuté en 2002 ;

- sur un fondement contractuel, son préjudice lié à la rupture fautive du contrat conclu le 31 décembre 2011 concernant la réalisation des catalogues ;

Considérant que les relations commerciales entre les parties étant, à ces deux titres, distinctes, l'une relative aux prestations photographiques ayant débuté en 2002, l'autre relative à la création des catalogues ayant commencé en 2007, il n'y a pas cumul de responsabilités ; que la demande de la société MJA est donc recevable ;

Sur les prestations photographiques

Considérant que la société MJA sollicite, au titre de la relation entretenue sur les prestations photographiques, la réparation de son préjudice lié à la rupture brutale des relations commerciales sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Considérant que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce stipule : " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant industriel.

De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels " ;

Considérant que les dispositions précitées ont vocation à s'appliquer lorsqu'existe une relation commerciale entre les parties, revêtant un caractère suivi, stable et habituel, laissant raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les relations commerciales entre la société Studio Val de Loire, devenue Groupe MJA, avec la société Outiror ont débuté en 2002 ; que la société Outiror a fait l'objet, par jugement du Tribunal de commerce de Tours du 27 juillet 2007, d'un plan de cession totale au profit de la société de droit luxembourgeois Baulder II ; que la société Outiror Trading a été constituée par la société Baulder II qui en était l'associée unique, la société Outiror Trading reprenant l'activité de la société Outiror et transférant son siège social à l'adresse de Outiror à Saint Cyr sur Loire ; que le Président du conseil d'administration d'Outiror est devenu le Directeur général d'Outiror Trading ; que le jugement du Tribunal de commerce de Tours prévoyait expressément, pour la société Baulder II, une " faculté de substitution au profit de la société constituée pour les besoins de la reprise, la société Outiror Trading SAS ", qu'il y a donc eu une continuité entre Outiror, Outiror Trading SAS, Baulder II ;

Que le préambule du contrat du 13 décembre 2010 indique que " En juillet 2007, l'activité de la société Outiror SA (en liquidation judiciaire) a été reprise par la société Outiror Trading SAS, laquelle a adopté au 1er janvier 2010 la dénomination sociale T&S- Trucks & Stores et dispose de près de 50 ans d'expérience de ventes de produits d'outillages et de jardinage sur les places des marchés de France, sous les marques et enseignes commerciales Outiror en métropole et Oye Oye via ses filiales dans les Dom Tom " ; que Outiror a donc pris la dénomination sociale de Trucks & Stores ; qu'il y a eu une continuité entre Outiror, Baulder II, Outiror Trading et Trucks & Stores ;

Qu'il est donc établi que MJA et Trucks & Stores entretenaient des échanges commerciaux directs caractérisant une relation commerciales au sens de l'article L. 442-6 I du Code de commerce ; qu'en outre, il résulte des pièces produites que ces relations commerciales étaient anciennes, depuis 2002, suivies, stables et continues ;

Considérant qu'il est constant que la société Trucks et Stores a décidé de mettre fin sans préavis à cette relation et aux prestations photographiques le 4 janvier 2012 et n'a plus passé commande de telles prestations postérieurement à cette date ; que le préavis de six mois ne concernait pas ces prestations mais le contrat du 13 décembre 2010 relatif à la réalisation des catalogues ; qu'en l'absence de préavis, la rupture ne peut être qualifiée que de brutale ; que, faute de manquement contractuel établi à l'encontre de MJA, elle ne peut être justifiée ;

Considérant que le préavis doit permettre à celui qui le subit d'être en mesure trouver des solutions de rechange ; qu'en l'espèce, en l'absence d'accords interprofessionnels, et compte tenu de la durée de la relation commerciale de 10 ans, il convient de dire que la durée suffisante de préavis est de 8 mois.

Considérant qu'en cas d'insuffisance de préavis, le préjudice en résultant est évalué en considération de la marge brute correspondant à la durée du préavis jugé nécessaire ; que seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture, et non la rupture elle-même ; que le préjudice indemnisable ne peut résider dans la perte du chiffre d'affaires, mais dans la perte de marge brute escomptée durant la durée de préavis ;

Considérant que l'attestation du commissaire aux comptes produite par MJA, qui évalue le chiffre d'affaires HT et la marge commerciale, et non la marge brute, n'est pas probante pour établir le taux de marge brute ; que le taux moyen de marge brute de 95 % invoquée apparaît particulièrement élevé et comme n'ayant pas tenu compte des charges ; que la cour dispose d'éléments suffisants pour évaluer le taux de marge brute à 40 % ;

Qu'en 2010, pour un chiffre d'affaires total de 432 805,64 euros, le chiffre d'affaires sur les prestations photographiques était de 167 263 euros ; qu'en 2011, le chiffre d'affaires annuel s'est élevé à 159 792,73 euros sur les prestations photographiques réalisées pour le compte de Trucks & Stores pour un chiffre d'affaires global de 414 069,84 euros ; que le préjudice s'élève donc, pour un préavis de 8 mois, au montant de 52 328 euros ; qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Trucks & Stores à payer à la société Groupe MJA la somme de 52 328 euros en réparation du préjudice subi pour rupture brutale de la relation commerciale ;

Sur la réalisation des catalogues

Considérant que MJA sollicite la réparation de son préjudice pour rupture abusive des relations contractuelles au titre du contrat du 13 décembre 2010 ;

Considérant que les parties ont signé un contrat de prestations de services le 13 décembre 2010 portant sur la conception par MJA de six catalogues " Métropole " et de quatre catalogues " îles " pour la période allant d'août 2010 à juillet 2011, de trois catalogues " Métropole " et de trois catalogues " îles " pour la période allant d'août 2011 à décembre 2011 ; que le contrat était à durée déterminée jusqu'au 31 décembre 2011 et était renouvelable par tacite reconduction sauf dénonciation par l'une des parties au moins six mois avant la date de son renouvellement par lettre recommandée avec accusé de réception ; que l'article 5 du contrat stipule : " Le présent contrat entre en vigueur à la date de sa signature pour une durée allant jusqu'au 31 décembre 2011. Il est ensuite renouvelable par période contractuelle de douze mois, sauf dénonciation de l'une des deux parties au moins six mois avant la date de son renouvellement par lettre recommandée avec accusé de réception " ;

Considérant qu'en l'espèce, si la lettre recommandée avec accusé de réception qui fait état d'une résiliation " à titre conservatoire ", est en date du 29 juin 2011, le cachet de la poste porte la date du 1er juillet comme date d'expédition ; que la dénonciation, qui n'évoque aucun grief, n'a donc pas été faite dans le délai contractuel, l'échéance étant au 30 juin ; que le contrat n'a donc pas été résilié au 31 décembre 2011 et s'est renouvelé jusqu'au 31 décembre 2012 ; que la résiliation est abusive ;

Considérant que MJA a subi un préjudice constitué du manque à gagner sur l'année 2012 ; qu'au titre de 2011, pour un chiffre d'affaires global de 414 069,84 euros, MJA a réalisé un chiffre d'affaires de 247 934,84 euros sur les prestations de publicité liées à la conception des catalogues pour la société Trucks & Stores ; que le taux de marge commerciale particulièrement élevé de 95,57 % ne saurait être retenu faute de déduction des charges ; que la moyenne annuelle du chiffre d'affaires portant sur les prestations de publicité sur les deux années précédant la rupture s'élève à un montant de 263 904,82 euros ; que le manque à gagner, en appliquant une marge brute de 40 % est de 105 561,93 euros ; qu'il convient donc d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la société Trucks Et Stores à payer cette somme à la société MJA en réparation de son préjudice lié à la rupture abusive du contrat ;

Sur la demande de dommages et intérêts de MJA pour manque de loyauté, mauvaise foi, débauchage de personnel et la facture d'un montant de 466,44 euros

Considérant que la société MJA n'établit aucun manque de loyauté imputable à Trucks & Stores dans l'exécution du contrat susceptible de donner lieu à dommages et intérêts ;

Considérant que la facture du 29 avril 2011 d'un montant de 466,44 euros restée impayée est due ; que cette demande était comprise dans la demande initiale qui portait sur quatre factures d'un montant global de 27 165,97 euros, dont trois ont été payées ; qu'il convient d'infirmer le jugement entrepris sur ce point et de condamner T&S à payer cette somme à MJA ;

Considérant que MJA soutient que T&S est entrée en pourparlers avec la société Evolution afin d'acquérir le logiciel PIIVO dans le but de l'évincer, que T&S a échoué dans cette démarche en raison des accords de partenariat réciproque que MJA avait conclu avec l'éditeur de ce logiciel accords auxquels T&S n'était pas partie et dont elle ignorait l'existence ; qu'elle n'encourt aucun reproche à ce titre ;

Considérant qu'il est établi que T&S a embauché une salariée de MJA, Madame Pichonnet, alors que T&S était en relation avec MJA ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que la salariée en cause n'était pas soumise à une clause de non concurrence post-contractuelle ; que MJA ne rapporte la preuve :

- ni de manœuvres déloyales à laquelle se serait livrée T&S pour embaucher Madame Pichonnet

- ni du caractère économiquement anormal des conditions d'embauche proposées, aucun élément contraire n'étant opposé à l'attestation de Madame Pichonnet qui indique avoir été embauchée au sein de T&S au même salaire brut mensuel que celui qu'elle percevait précédemment au sein de MJA

- ni de la désorganisation apportée à l'entreprise concurrente par l'effet de ce recrutement ;

Que le débauchage fautif n'est, dans ces conditions, pas établi ; qu'il convient d'infirmer le jugement entrepris et de débouter MJA de sa demande de dommages et intérêts au titre du débauchage de personnel ;

Sur la restitution des bases de données

Considérant que les premiers juges ont condamné MJA à restituer les bases de données à T&S et à l'indemniser du préjudice qui en découle évalué à 15 000 euros ; que T&S sollicite, à hauteur d'appel, la confirmation du jugement entrepris sur la restitution, mais son infirmation sur le montant ; qu'elle soutient en outre qu'en l'empêchant d'obtenir le logiciel Piivo, MJA a conclu un accord violant l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Considérant que, devant les premiers juges, T&S sollicitait la réparation de son préjudice lié à la non-restitution des bases de données détenues par MJA ; qu'en ordonnant la restitution des données qui n'était pas sollicitée et qui ne l'est toujours pas devant la cour de céans, les premiers juges ont statué ultra petita ; qu'il convient donc d'infirmer le jugement entrepris sur ce point ;

Qu'en outre, il résulte des stipulations du contrat de licence d'utilisation du logiciel Piivo que la société Evolution s'engageait à ne pas vendre la solution Piivo aux clients de MJA (dont T&S) en contrepartie de l'interdiction réciproque pour MJA de ne pas vendre Piivo aux clients de Evolution ; qu'il s'agissait d'une obligation réciproque qui ne viole en rien l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Sur les demandes reconventionnelles de Truks & Stores

Considérant que T&S sollicite la condamnation de MJA à lui payer différentes sommes à titre de dommages et intérêts pour rétention des bases de données, reconstitution de ces bases, préjudice moral pour atteinte à l'image ;

Considérant que, par jugement du tribunal de commerce du 4 novembre 2014, la société MJA a été placée sous redressement judiciaire, décision publiée au Bodacc le 30 novembre 2014 ; qu'en application de l'article L. 622-26 du Code de commerce, les créances qui n'ont pas fait l'objet d'une déclaration au passif dans le délai de deux mois suivant la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective sont inopposables au débiteur ; que les articles L. 622-21 et L. 622-22 du même Code disposent que toute action visant la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent est interrompue par le jugement d'ouverture d'une procédure collective et ne peut être reprise que si le créancier a déclaré sa créance au passif ; qu'il ne peut être contesté que T&S n'a déclaré aucune créance au passif du MJA ; que les créances invoquées par T&S sont inopposables à la liquidation judiciaire de la société MJA ;

Considérant que l'équité commande de condamner la société T&S à payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté T&S de sa demande d'indemnisation à hauteur de 50 000 euros pour atteinte au droit à l'image, Statuant A Nouveau, Condamne T&S à payer à MJA la somme de 52 328 euros en réparation du préjudice subi pour rupture brutale des relations commerciales concernant les prestations photographiques, la Condamne à payer à MJA une somme de 105 561,93 euros pour rupture abusive du contrat du 13 décembre 2010 concernant la réalisation de catalogues, La Condamne à payer à MJA une somme de 466,44 euros au titre de la facture du 29 avril 2011, Déboute MJA de ses plus amples prétentions, Déclare les créances de dommages et intérêts invoquées par T&S inopposables à la liquidation judiciaire de la société MJA, Déboute T&S du surplus de ses demandes, Condamne T&S à payer à MJA une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, La Condamne aux entiers dépens avec distraction au profit de Mr Arnaud Grognard en application de l'article 700 du Code de procédure civile.