CA Montpellier, 2e ch., 8 novembre 2016, n° 15-01973
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ecole Supérieure des Métiers Artistiques Esma (SARL)
Défendeur :
E-Tribart (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bourrel
Conseillers :
Mme Olive, M. Bertrand
La société à responsabilité limitée Ecole Supérieure des Métiers Artistiques (la société Esma), créée en 1993, exploite une école supérieure des arts et métiers en matière d'arts appliqués et d'arts graphiques.
La société par actions simplifiée E-Tribart, immatriculée le 24 février 2009, exploite une école privée qui enseigne en ligne dans le domaine de l'infographie 3D.
La société E-Tribart procède à l'émission de publicités pour promouvoir son institut dans divers magasines dont le magazine "Air le Mag ". Elle a communiqué sous l'annonce suivante : "La seule certification RNCP reconnue par l'Etat totalement en ligne avec cours en direct".
Considérant que cette publicité est mensongère et lui porterait une atteinte concurrentielle, la société Esma a fait assigner la société E-Tribart devant le tribunal de commerce de Montpellier, par acte d'huissier du 10 juillet 2013, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, afin notamment qu'elle soit condamnée à lui payer la somme de 10 000 euros, à titre de dommages et intérêts et que soit ordonnée la publication de la décision à intervenir, aux frais de celle-ci, dans le magazine " Air le Mag " et trois autres magazines.
Par jugement contradictoire du 2 mars 2015, le tribunal a débouté la société Esma de l'ensemble de ses demandes, l'a condamnée à payer à la société E-Tribart la somme de 2 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens de l'instance.
La société Esma a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 13 mars 2015 et dans des conclusions transmises au greffe le 7 septembre 2016, elle a conclu à sa réformation, réitérant devant la cour les mêmes demandes qu'en première instance, en l'occurrence, la condamnation de la société E-Tribart à lui payer la somme de 10 000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi et la publication, aux frais de celle-ci, et au même format pleine page que les publicités litigieuses, d'une mention faisant état de la condamnation prononcée pour concurrence déloyale. Elle sollicite l'allocation de la somme de 5 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient pour l'essentiel que :
- son action en concurrence déloyale n'est diligentée qu'au visa de l'article 1382 du Code civil ;
- la société E-Tribart ne justifie pas avoir respecté les dispositions de l'article L. 471-3 du Code de l'éducation qui impose à tous les établissements d'enseignement un dépôt préalable de toute publicité auprès du recteur ; la cour tirera toutes conséquences de droit du non-respect de cette obligation légale et l'atteinte au marché concurrentiel ;
- la société E-Tribart a cru devoir se présenter dans le cadre de sa campagne publicitaire comme la seule certification RNCP reconnue par l'Etat ; le répertoire national des certifications nationales comptait en 2011 4529 certifications de droit et 2 391 certifications enregistrées sur demandes ;
- la certification permet aux établissements d'enseignement et de formation d'apporter à leurs étudiants la certitude d'une qualité et d'une reconnaissance de l'Etat ; à la différence de diplômes davantage encadrés comme le BTS artistique, ces enseignements qui offrent une liberté dans l'organisation constituent un label incontournable pour un grand nombre d'organismes de formation ;
- le message publicitaire induit en erreur le lecteur en laissant croire que l'institut E-Tribart est le seul établissement détenant la certification RNCP pour l'ensemble des formations qu'elle délivre, ce qui caractérise une atteinte concurrentielle d'autant que la preuve de l'exclusivité de la certification RNCP II pour la formation en ligne de " lead infographiste 2D-3D ", n'est pas rapportée ;
- la publicité est donc mensongère et confusionniste, ce qui constitue une atteinte concurrentielle déloyale envers ses concurrents et notamment la société Esma, prodiguant des enseignements et formations similaires et également certifiés ;
- le fait que la société E-Tribart ne propose que des cours en ligne, ne saurait annihiler le rapport de concurrence entre les deux sociétés ;
- elle dispose d'un établissement à Montpellier mais également à Toulouse et à Nantes et la portée publicitaire des annonces de la société E-Tribart est nationale ;
- sa zone de prospection de la clientèle est identique à celle de la société E-Tribart puisqu'elle vise les étudiants de toute la France ;
- les actes de concurrence déloyale impliquent en eux-mêmes l'existence d'un trouble commercial constitutif d'un préjudice ;
- du fait des publicités émises par la société E-Tribart, certains étudiants ont fait le choix de suivre l'enseignement qu'elle prodigue, pensant à tort qu'elle était la seule à dispenser des cours spécifiques infographie 3D bénéficiant du niveau RNCP II, reconnu par l'Etat ;
- la publication de l'arrêt à intervenir par voie de presse est une sanction complémentaire efficace et légitime.
Dans ses dernières conclusions transmises au greffe le 28 juillet 2015, la société E-Tribart a conclu à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement, au rejet des prétentions adverses et à l'allocation de la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir pour l'essentiel que :
- les deux sociétés n'exercent pas des activités similaires, ce qui exclut des rapports de concurrence et par suite toute atteinte déloyale ;
- elle a pour spécificité de prodiguer un enseignement en ligne et de délivrer un diplôme d'infographie 3D, certifié RNCP II alors que la société Esma, délivre un diplôme de cinéma d'animation 3D et effets spéciaux numériques, bénéficiant de la même certification ;
- la société Esma ne rapporte pas la preuve lui incombant de la confusion ou du dénigrement ou de la désorganisation, caractérisant les actes de concurrence déloyale ;
- le prétendu non-respect de la réglementation prévue par le Code de l'éducation est sans incidence sur l'existence d'une concurrence déloyale ;
- l'annonce publicitaire n'est ni trompeuse ni mensongère puisqu'elle met en avant les caractéristiques de l'institut, en l'occurrence sa certification RNCP, son enseignement totalement en ligne avec cours en direct et sa formation d'infographie 3D ; les étudiants inscrits ne résident pas à Montpellier ou dans l'Hérault ;
- dans le site internet de la Commission nationale de la certification professionnelle, elle apparaît d'ailleurs comme le seul établissement privé d'enseignement en ligne en infographie 3D avec la certification RNCP ;
- il n'est justifié d'aucun préjudice pouvant donner lieu à indemnisation.
C'est en cet état que la procédure a été clôturée par ordonnance du 13 septembre 2016.
Motifs de la décision
Il est de principe que l'action en concurrence déloyale fondée sur les anciens articles 1382 et 1383 du Code civil n'exige pas que celui qui engage celle-ci se trouve dans une situation de concurrence directe effective.
Toutefois, le demandeur à l'action doit justifier d'agissements constitutifs de concurrence déloyale, tels le risque de confusion (utilisation des signes distinctifs, imitation des produits et créations..), la désorganisation de l'entreprise par détournement de clientèle ou débauchage du personnel et le dénigrement.
La société Esma reproche à la société E-Tribart d'avoir diffusé dans le magasine " Air le Mag ", une publicité constitutive, selon elle, d'une atteinte déloyale.
Elle soutient que l'annonce ainsi libellée " la seule certification RNCP reconnue par l'Etat totalement en ligne avec cours en direct " est erronée et crée un risque de confusion pour les lecteurs et notamment les étudiants désireux de suivre un enseignement d'infographie 2D/3D.
Le fait que la société E-Tribart ne justifie pas qu'elle a respecté les dispositions de l'article L. 471-3 du Code de l'éducation n'a aucune incidence sur l'existence d'agissements déloyaux.
L'annonce publicitaire informant le lecteur que la société E-Tribart est le seul établissement qui dispense un enseignement et une formation en ligne avec des cours en direct en matière d'infographie 3D et qui bénéficie, à ce titre, d'une certification RNCP reconnue par l'Etat, est conforme à la réalité et ne peut dès lors, générer une quelconque confusion dans l'esprit des candidats à ce type de formation.
Les méthodes pédagogiques de la société E-Tribart s'adressent à des candidats étudiants désireux de suivre un enseignement exclusivement prodigué en ligne, ce qui ne correspond pas aux méthodes de la société Esma qui dispense un enseignement et des formations dans des matières identiques mais au sein d'écoles situées à Montpellier, Nantes et Toulouse.
La publicité n'a donc généré aucun risque de confusion et il n'est pas démontré ni allégué d'ailleurs qu'elle ait été diffusée dans le but de désorganiser ou de détourner de manière déloyale la clientèle de la société Esma.
C'est à juste titre que le premier juge a relevé surabondamment que les éléments de communication de la société E-Tribart n'ont aucune similitude dans la forme et le fond avec ceux diffusés par la société Esma sur son site internet.
En conséquence, l'annonce publicitaire ne caractérise pas un acte de concurrence déloyale de nature à engager la responsabilité de la société E-Tribart.
La société Esma sera déboutée de l'ensemble de ses demandes et le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
Succombant en son appel, la société Esma sera condamnée à payer à la société E-Tribart, la somme de 2 500 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, verra sa propre demande, de ce chef, rejetée et supportera la charge des dépens d'appel.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris ; Y ajoutant ; Condamne la société Ecole Supérieure des Métiers Artistiques à payer à la société E-Tribart la somme de 2 500 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute la société Ecole Supérieure des Métiers Artistiques de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Ecole Supérieure des Métiers Artistiques aux dépens d'appel.