CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 14 novembre 2016, n° 16-00521
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Sodirev (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Belières
Conseillers :
MM. Beauclair, Soubeyran
EXPOSÉ DU LITIGE :
Vu l'appel interjeté le 3 février 2016 par Monsieur Mohammed D. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de Toulouse en date du 23 novembre 2015 ;
Vu les conclusions de Monsieur Mohammed D. en date du 20 juin 2016 ;
Vu les conclusions de la SA Sodirev en date du 9 septembre 2016 ;
Vu l'ordonnance de clôture du 30 août 2016 pour l'audience de plaidoiries fixée au 14 septembre 2016.
Vu l'accord des parties au report de l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries, auquel il a été procédé par mention au dossier avant l'ouverture des débats.
Monsieur Mohammed D. est propriétaire d'un véhicule de marque Nissan, modèle Patrol, immatriculé 683 CMK 31. Il expose qu'il a effectué le plein de gazole de ce véhicule à la pompe Leclerc de Saint-Orens-De-Gameville le 21 mars 2011. Le lendemain, de retour de Gruissan, le véhicule est tombé en panne près de Narbonne, rapatrié à la concession Nissan où il a été constaté un colmatage du filtre et de la pompe à injection en raison des souillures du carburant. Monsieur D. mandait alors Monsieur C., expert automobile, afin de rechercher les causes de la panne, et l'expert estimait que l'immobilisation du véhicule provenait d'un carburant souillé.
Par ordonnance de référé en date du 30 mars 2012, Monsieur B. était désigné en qualité d'expert pour, notamment, rechercher les causes de la panne et chiffrer tous les éventuels préjudices. Le rapport d'expertise judiciaire a été déposé le 12 septembre 2013.
Par acte d'huissier de justice délivré le 27 décembre 2013, Monsieur D. a assigné la S.A Sodirev aux fins de voir, avec exécution provisoire, condamner la défenderesse à lui payer les sommes de :
- 14 829,00 euros représentant le coût des travaux de remise en état ;
- 2 031,92 euros représentant le coût des travaux rendus nécessaires du fait de l'immobilisation du véhicule ;
- 250,00 euros représentant le coût de l'expertise amiable ;
- 88,31 euros représentant le coût du déplacement à Narbonne le 4 mai 2012 ;
- 12 506,48 euros au titre du préjudice de jouissance pour la période du 22 mars 2011 au 30 septembre 2014, outre 9,71 euros par jour du 1er octobre 2014 jusqu'à la récupération du véhicule ;
- 3 000 euros au titre des frais de gardiennage pour la période allant du 22 mars 2011 au 13 août 2014, outre les factures postérieures au 13 août 2014 jusqu'à la reprise du véhicule ;
- 5 000,00 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Devant le premier juge, la S.A Sodirev s'oppose aux prétentions émises à son encontre et réclame reconventionnellement le paiement de la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement en date du 23 novembre 2015, le Tribunal de Grande Instance de Toulouse a :
- condamné la SA Sodirev à payer à Monsieur D. les sommes de :
*6 000 euros représentant le coût de la réparation du véhicule,
*6 000 euros à titre de dommages et intérêts réparant les préjudices résultant de l'immobilisation du véhicule,
*2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- rejeté toutes autres demandes,
-ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,
- condamné la S.A Sodirev aux entiers dépens de l'instance, qui comprennent les frais expertise et d'analyse du carburant.
Monsieur Mohammed D. demande à la cour de :
- débouter la SA Sodirev de l'ensemble de ses demandes,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la SA Sodirev responsable d'avoir fourni un carburant défectueux sur le fondement des articles 1386-1 et 1386-4 du Code civil et l'a condamnée aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire et d'analyse du carburant,
- infirmer le jugement entrepris sur les sommes retenues au titre de l'indemnisation des préjudices subis par l'appelant et des frais irrépétibles,
- par conséquent, condamner la SA Sodirev à verser à Monsieur Mohammed D. la somme de 7 068,77 euros au titre du coût des travaux de remise en état du véhicule,
- condamner la SA Sodirev à verser à Monsieur Mohammed D., au titre du préjudice de jouissance, la somme de 9,40 euros par jour à compter du 23 mars 2011, jusqu'au jour du règlement intégral des sommes, objet de la décision à intervenir,
- condamner la SA Sodirev à verser à Monsieur Mohammed D. la somme de 2 031,02 euros au titre des réparations liées à la dégradation du véhicule du fait de son immobilisation,
- condamner la SA Sodirev à verser à Monsieur Mohammed D. la somme de 6 217,20 euros au titre des frais de gardiennage liés à l'immobilisation du véhicule, outre la somme de 3,60 euros par jour à compter du 15 décembre 2015 jusqu'au règlement intégral des sommes objet de la décision à intervenir,
- condamner la SA Sodirev à verser à Monsieur Mohammed D. la somme de 5 000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la SA Sodirev aux entiers dépens en ce compris le coût de l'expertise judiciaire et des frais d'analyse du carburant.
Monsieur Mohammed D. fait valoir que :
- la société Sodirev lui a fourni un carburant défectueux, ce qui engage sa responsabilité quel que soit le fondement retenu,
- la cause de la panne réside dans le carburant et non l'usure du véhicule. La mission de l'expert a été parfaitement accomplie et ne peut être sujette à critiques tant sur les prélèvements que sur les analyses,
- il justifie du montant du préjudice dont il réclame réparation.
La SA Sodirev demande à la cour de :
- réformer dans toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- débouter Monsieur D. de l'ensemble de ses demandes et de son appel partiel,
- le condamner aux entiers dépens ainsi qu'au règlement d'une indemnité de 2.500 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SA Sodirev fait valoir que :
- l'expertise judiciaire n'a pas été diligentée dans les règles de l'art,
- quel que soit le fondement juridique proposé, la demande ne peut prospérer faute d'établir que le carburant livré est défectueux, les prélèvements n'ayant pas été effectués dans des conditions satisfaisantes,
- il n'est pas établi que le carburant provient des pompes de Sodirev en l'absence d'autres réclamations,
- le moteur n'ayant pas été déposé, on ignore les réparations effectivement nécessaires, le préjudice dont il est demandé réparation n'est pas justifié.
Motifs de la décision :
Le premier juge retient à bon droit que la demande est fondée sur les dispositions des articles 1386-1 et 1386-4 du Code civil, aux termes desquels le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Monsieur D. justifie de l'achat le 21 mars 2011 à 11 heures 35 de 75,94 litres de gazole à la pompe 7 du centre Leclerc de Saint Orens de Gameville par la production du ticket de carte bancaire, il justifie de son parcours de Toulouse à Narbonne, soit le 21 mars 2011 par la production du ticket de paiement du péage autoroutier et de la prise en charge du véhicule le 22 mars 2011 à 12 heures par le garage Gura à Narbonne.
Monsieur D. produit un rapport d'expertise amiable diligenté par Monsieur C. en date du 20 juin 2011 qui, après examen du carburant et du filtre totalement encrassé, conclut à la pollution du carburant qui a affecté l'ensemble du système d'alimentation et d'injection.
Le rapport contradictoire de l'expert judiciaire déposé le 12 septembre 2013 conclut que le carburant livré à la station E.Leclerc Sodirev de Saint Orens De Gameville a provoqué la panne du véhicule de Monsieur D.. L'expert, répondant aux dires de la société Sodirev, relève que le chef d'atelier Nissan de Narbonne en présence des parties lui indique que les bidons avant prélèvements avaient été soigneusement nettoyés, ce qu'il confirme après examen. Les parties ont donné leur accord pour une analyse complète du carburant. Il a été procédé à trois prélèvements.
Le carburant prélevé a été soumis à l'analyse du laboratoire Ternaire Motors France à Vitre qui conclut : 'nous notons une très forte pollution solide visible sur la gravimétrie pouvant causer des colmatages de filtres ou des anomalies plus graves dans le circuit d'injection. Point d'éclair hors norme 55 °c min reflétant une présence d'essence ou de solvant. Pas de présence d'eau, la norme acceptant jusqu'à 200 ppm. Masse volumique dans la norme (830 à 880) ainsi que la viscosité (2 à 4,5) et la teneur en soufre (10 max). Le carburant est hors normes et dangereux pour les matériels en cas d'utilisation.'
L'expert a sollicité de la société Sodirev les analyses des cuves et leur fréquence, les dates de livraison de gasoil pour la période concernée. Les dites pièces n'ont pas été fournies à l'expert ni ne sont produites aux débats.
La seule critique de l'expertise porte sur la propreté des bidons ; elle est sans emport alors que le filtre et les organes du véhicule sont colmatés ou envahis par les mêmes pollutions que celles dont la présence est constatée dans les bidons ayant recueillies le carburant.
C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que la preuve, effectivement rapportée par la société Sodirev, de ce qu'aucun autre véhicule n'aurait souffert des mêmes avaries à cette époque et que le carburant qu'elle fournit respecte habituellement les normes, est indifférent au présent litige, et que la société Sodirev qui a fourni un produit défectueux, doit être condamnée à réparer l'entier préjudice de Monsieur D..
Le premier juge a justement apprécié le préjudice de Monsieur D. :
- au vu des éléments fournis par les parties à l'expert, ce dernier a chiffré les réparations à une somme de 6 000 euros, somme compatible avec le devis produit, en date du 5 février 2013, qui mentionne un certain nombre de pièces dont le remplacement n'est pas nécessaire. Le jugement sera confirmé de ce chef.
- l'immobilisation du véhicule est imputable à la résistance de la société Sodirev. Cette immobilisation a généré pour M. D. des frais de gardiennage et des préjudices tenant à l'indisponibilité et à la dégradation du véhicule. Le véhicule a été mis en circulation le 17 juillet 2000, il présente un kilométrage de 229.000 km, il est immobilisé depuis le 21 mars 2011. Compte tenu de ces éléments la réparation du préjudice de M. D. du chef des frais de gardiennage, des dégradations et de l'immobilisation est fixée à la somme de 6000euro : le jugement est confirmé de ce chef.
- l'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile allouée par le premier juge prend en compte les frais d'expertise amiable et de déplacement.
Le jugement doit donc être confirmé en toutes ses dispositions.
Chacune des parties succombe devant la cour ; chacune d'elles supportera la charge des dépens d'appel par elle avancés, l'équité commande qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que chacune des parties supportera la charge des dépens d'appel par elle avancés.