Cass. 1re civ., 16 novembre 2016, n° 15-22.723
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Maetva (Sté)
Défendeur :
Gris Line studio (Sté), Pierre Lannier (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Avocats :
SCP Boullez, SCP Le Bret-Desaché, SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que l'agence de publicité VIème jour, aux droits de laquelle se trouve la société Maetva, a confié à la société Gris Line studio la réalisation de photographies destinées à illustrer le catalogue édité par la société Pierre Lannier ; que, soutenant que ces photographies avaient été reproduites, sans son autorisation, sur d'autres supports, la société Gris Line studio a assigné en contrefaçon la société Pierre Lannier, laquelle a appelé en garantie la société Maetva ; que, par jugement du 19 novembre 2010, confirmé par un arrêt du 9 janvier 2013 devenu irrévocable, un tribunal de grande instance a condamné les sociétés Pierre Lannier et Maetva à réparer le préjudice subi par la société Gris Line studio du fait des actes de contrefaçon et ordonné une expertise aux fins d'évaluation de ce préjudice ;
Sur les premier et troisième moyens, ci-après annexés : - Attendu que ces moyens ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux premières branches : - Attendu que la société Maetva fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la société Pierre Lannier, à payer à la société Gris Line studio la somme de 48 802 euros en réparation de son préjudice patrimonial et de la condamner à garantir la société Pierre Lannier de cette condamnation, alors, selon le moyen : 1°) que les œuvres réalisées en exécution d'un contrat de louage d'ouvrage, pour les besoins de la cause publicitaire, constituent des œuvres de commande ; qu'il ressort des énonciations de l'arrêt que les photographies contrefaites avaient été destinées uniquement à l'utilisation d'un catalogue des montres de la société Pierre Lannier, à des fins publicitaires ; qu'en décidant que la contrefaçon d'une œuvre publicitaire ouvrait droit au paiement de dommages-intérêts calculés selon les règles propres à la contrefaçon d'une œuvre préexistante quand le principe de la réparation intégrale imposait aux juges du fond de déterminer le montant de la rémunération supplémentaire à laquelle son auteur aurait pu prétendre, pour l'exploitation des clichés, dans l'hypothèse où son producteur en ferait une utilisation non prévue à l'origine, pour les besoins d'une campagne publicitaire, la cour d'appel a violé les articles L. 132-21 et L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) qu'en retenant, par un autre motif, que les évaluations réalisées avec chacun des deux barèmes seraient relativement proches et n'auraient que peu d'incidence sur l'appréciation définitive, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de s'assurer que les juges du fond ont exercé le pouvoir souverain d'appréciation qu'ils tiennent de la loi ; qu'ainsi, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 132-21 et L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu que, sous le couvert d'une prétendue violation de l'article L. 132-31 du Code de la propriété intellectuelle, dont les dispositions n'ont pas vocation à régir les rapports entre les cessionnaires et les sous-exploitants, et d'un grief de manque de base légale, dirigé contre des motifs surabondants, le moyen ne tend qu'à remettre en cause, devant la Cour de cassation, l'évaluation souveraine, par les juges du fond, du préjudice patrimonial subi par la société Gris Line studio ; qu'il ne peut donc être accueilli ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches : - Vu les articles L. 111-1, L. 111-3 et L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle ; - Attendu que, pour fixer le préjudice moral de la société Gris Line studio à 50 000 euros et condamner in solidum les sociétés Pierre Lannier et Maetva au paiement de cette somme, l'arrêt retient que la société Gris Line studio est propriétaire des photographies litigieuses, pour être l'employeur du photographe les ayant réalisées, et qu'elle peut donc se prévaloir du préjudice qui résulte de l'absence de mention de son nom sur les reproductions contrefaisantes ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'auteur, personne physique, jouit d'un droit inaliénable au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre, de sorte que ni l'existence d'un contrat de travail ni la propriété du support matériel de l'œuvre ne sont susceptibles de conférer à la personne morale qui l'emploie la jouissance de ce droit, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et vu les articles L. 411-3 du Code de l'organisation judiciaire et 1015 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les cinquième et sixième branches du deuxième moyen : casse et annule, mais seulement en ce qu'il fixe à 50 000 euros le préjudice moral de la société Gris Line studio et en ce qu'il condamne in solidum les sociétés Maetva et Pierre Lannier à lui payer cette somme, l'arrêt rendu le 3 juin 2015, entre les parties, par la Cour d'appel de Colmar ; Dit n'y avoir lieu à renvoi.