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Décisions

CA Caen, 1re ch. soc., 18 novembre 2016, n° 15-03665

CAEN

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Dépôt vente de Coutances (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prudhomme

Conseillers :

Mmes Poncet, Vinot

Cons. Prud'h. Paris, du 15 déc. 2011

15 décembre 2011

Le 17 octobre 2002, Mme Sophie G. était embauchée par la SARL Dépôt vente de Coutances en qualité de responsable espace " petit objet " par contrat à durée déterminée de 2 mois pour accroissement temporaire d'activité, contrat renouvelé pour 6 mois jusqu'au 16 juin 2003 pour le même motif et les parties signaient à l'issue un contrat à durée indéterminée à temps plein.

Le 23 mars 2009, la SARL Dépôt vente de Coutances lui notifiait son licenciement pour faute grave.

Le 5 mai 2009, Mme G. saisissait le conseil de prud'hommes de Coutances pour réclamer des rappels de salaire et paiement des heures supplémentaires accomplies et pour demander que son licenciement soit jugé abusif et injustifié.

Par jugement contradictoire du 15 décembre 2011 contenant plus d'une quarantaine de fautes de français, le conseil de prud'hommes de Coutances a :

- dit que la rupture du contrat de travail repose sur une cause réelle et sérieuse

- condamné la SARL Dépôt vente de Coutances à payer à Mme G. les sommes suivantes :

- 748,42 euros au titre de la mise à pied à titre conservatoire outre les congés-payés y afférents (74,84 euros)

- 3 458,80 euros au titre du préavis outre 345,80 euros au titre des congés-payés y afférents

- 2 335 euros au titre de l'indemnité de licenciement, les sommes ayant un caractère de salaire étant soumises aux intérêts légaux

- condamné la SARL Dépôt vente de Coutances à remettre à Mme G. l'attestation Pôle emploi rectifiée sous astreinte

- débouté la SARL Dépôt vente de Coutances de sa demande reconventionnelle

- condamné la SARL Dépôt vente de Coutances à payer à Mme G. la somme de 750 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens

Le 30 décembre 2011, Mme G. formait appel de ce jugement. L'affaire a fait l'objet d'une radiation pour absence de diligences de la part de l'appelante.

Dans ses conclusions du 15 octobre 2015 soutenues à l'audience par son avocat auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, Mme G. demande à la cour de :

- dire sans cause réelle et sérieuse son licenciement

- condamner la SARL Dépôt vente de Coutances à lui payer les sommes suivantes :

- 1 090,51 euros bruts à titre de rappel de salaire sur commissions outre 109,05 euros au titre des congés-payés y afférents

- 748,42 euros bruts à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire outre 74,84 euros au titre des congés-payés y afférents

- 5 608 euros bruts au titre des heures supplémentaires outre 560,80 euros au titre des congés-payés y afférents

- 3 458 euros bruts à titre d'indemnité de préavis outre 345,80 euros au titre des congés-payés y afférents

- 2 335 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

- 15 000 euros nets de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive

- 3 000 euros nets de CSG-CRDS à titre d'indemnité pour préjudice moral

- condamner la SARL Dépôt vente de Coutances à communiquer les éléments comptables ayant servi au calcul des commissions versées à Mme G., objet du rappel de salaire, sous astreinte

- condamner la SARL Dépôt vente de Coutances à remettre à Mme G. l'attestation Pôle emploi sous astreinte

- condamner la SARL Dépôt vente de Coutances à verser à Mme G. la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.

Dans ses écritures du 29 septembre 2016 également développées à l'audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé, la SARL Dépôt vente de Coutances sollicite de la cour de confirmer le jugement, débouter Mme G. de l'ensemble de ses demandes, à titre subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions les sommes allouées à Mme G. et la condamner à verser à la SARL Dépôt vente de Coutances la somme de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.

Sur ce,

- Sur l'exécution du contrat de travail

- sur le rappel de salaire au titre des commissions

Le contrat de travail de Mme G. prévoyait qu'elle percevrait une rémunération brute de 6,83 euros à laquelle s'ajouterait une prime sur le chiffre d'affaires de 1 % pour un horaire hebdomadaire de 35 heures ; Mme G. réclame le versement de la somme totale de 1 090,51 euros au motif que la SARL Dépôt vente de Coutances a limité le règlement de la prime sur le chiffre d'affaires des ventes des articles anciens et neufs à l'exclusion de toutes les prestations complémentaires que sont les transports et les frais de dossier pour tout particulier qui dépose un objet en vue de sa commercialisation par l'entreprise.

La SARL Dépôt vente de Coutances répond que les parties " avaient convenu que cette prime serait calculée en tenant compte du chiffre d'affaires sur les ventes des produits neufs " ; elle expose qu'elle en a informé Mme G. par lettre du 12 mai 2005 (pièce 6 de la salariée) et qu'après réception de cette explication, la salariée n'a plus revendiqué à ce titre.

Le contrat de travail ne prévoit pas que le chiffre d'affaires soit limité aux ventes des produits neufs ; la SARL Dépôt vente de Coutances affirme avoir répondu à la salariée suivant la pièce 6 de cette dernière ; or, la lecture de cette pièce fait apparaitre qu'au contraire, par cette pièce 6, la salariée a reproché à la SARL Dépôt vente de Coutances de ne pas lui avoir répondu ; la cour constate que le contrat de travail ne faisait aucune différence entre les prestations entrant dans le chiffre d'affaires servant de base au calcul de la prime de 1 % et dès lors, la SARL Dépôt vente de Coutances ne pouvait limiter la prime sur le chiffre d'affaires portant sur les commissions et marge sur les produits neufs ; dès lors, il convient de faire droit à la demande de Mme G., la SARL Dépôt vente de Coutances ne rapportant pas la preuve de son affirmation, et de condamner l'employeur à verser la somme de 1 090,51 euros à Mme G. outre celle de 109,05 au titre des congés-payés y afférents.

Il n'y a dès lors pas besoin d'ordonner à la SARL Dépôt vente de Coutances de produire les éléments comptables ayant servi au calcul des commissions, la cour faisant droit à l'intégralité des demandes de la salariée.

- sur le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires

Mme G. affirme qu'elle a effectué un grand nombre d'heures supplémentaires qui ne lui ont pas été réglées, réalisant chaque jour 30 mn de travail au-delà de ses horaires contractuels, au motif qu'après la fermeture, elle devait fermer le rideau de fer après le passage en caisse du dernier client, puis procéder aux clôtures de caisse, éditer le cumul chèques, vérifier ceux-ci d'après le cumul, imprimer le journal de caisse des produits neufs et des produits d'occasion, procéder au comptage manuel de toutes les pièces de monnaie et des billets et s'assurer qu'ils correspondaient au livret de caisse, enfin vérifier qu'aucun appareil n'était branché en faisant le tour du magasin, mettre les barres de fer pour empêcher toute intrusion, taper le code alarme pour fermer le magasin et enfin fermer à clé la barrière du parking.

S'il résulte du texte de l'article L. 3171-4 du Code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient à ce dernier de fournir préalablement au juge les éléments de nature à étayer sa demande.

Mme G. verse pour seule justification de ses affirmations une lettre manuscrite (pièce 14) reprenant son affirmation d'avoir toujours effectué au minimum ? d'heure de plus le midi et ? d'heure de plus le soir pour compter la caisse, soit ? heure par jour non rémunérée et un planning mensuel portant sur les mercredis d'une année non précisée ainsi que des mentions dont la teneur n'est pas compréhensible (pièces 20a et 20b) ;

L'employeur conteste les horaires prétendus et affirme, sans que la salariée ne justifie de l'effectivité personnelle d'un tel travail, que les tâches décrites par la salariée au-delà de 19 h relevaient de sa fonction de gérant de la société ou étaient réalisées par son épouse ; il verse également de nombreux relevés de caisse démontrant que les clôtures de caisses journalières n'étaient pas réalisées après 19 heures mais avant, les relevés produits indiquant qu'elles avaient été effectuées entre 17h30 et 19 heures ;

Ainsi, Mme G. n'étaye pas sa demande ; il convient de l'en débouter.

- Sur la rupture du contrat de travail

Par lettre du 23 mars 2009, la SARL Dépôt vente de Coutances a licencié Mme G. pour faute grave, au motif que :

Le 28 février 2009, j'ai été informé par M. H. Daniel que des objets qu'il avait confiés à la SARL Dépôt vente de Coutances le 2 janvier 2009 se trouvaient en vente au dépôt-vente de Carentan, alors que vous les lui aviez déclarés invendus et mis au rebut. Certains de ces objets étaient même sous vitrine sous clé. Je vous rappelle que les conditions générales de vente de la société prévoient que " tout objet de 15 euros ou d'une valeur devenue égale ou inférieure à 15 euros par suite de baisses, doit être repris par le déposant après 30 jours de dépôt, passé ce délai, il restera la propriété du dépôt-vente ou sera mis au rebut dans les 15 jours. En fait, ces objets n'ont jamais été mis au rebut et n'ont jamais été mis sur le compte " 81 ", à savoir objets appartenant à l'entreprise du fait de l'application des conditions générales de vente, et à aucun moment vous n'aviez une quelconque autorisation pour les prendre afin de faire du commerce à des fins strictement personnelles.

En l'occurrence, M. et Mme H. avaient confié à la SARL Dépôt vente de Coutances notamment une lampe berger représentant des canards référencée 16/136, un verre souvenir de communion en cristal St Louis référencé 16/138, 2 verres rétro communion référencés 16/139 et un moulin à poivre référencé 16/141. Il résulte de la feuille d'échéance remise au client que ces objets sont restés invendus, les clients ne sont pas venus les récupérer dans le délai contractuellement prévu, ces objets sont donc devenus la propriété du dépôt-vente de Coutances. Vous avez donc sciemment détourné des objets appartenant à la SARL Dépôt vente de Coutances pour les déposer auprès d'un autre dépôt-vente concurrent, pour votre seul bénéfice.

Une enquête de police a été ouverte, il semblerait que vous avez vendu près de 600 objets au dépôt vente de Carentan dont un certain nombre proviennent de la SARL Dépôt vente de Coutances .

Outre le fait que vos agissements sont susceptibles de poursuites pénales (et nous nous réservons le droit de porter plainte à votre encontre pour vol, détournement de bien, voire même d'abus de confiance), votre attitude est de nature à porter atteinte à la confiance que nous devons à nos clients.

Par ailleurs votre comportement est de nature à porter atteinte à l'image de marque et à la notoriété de la SARL Dépôt vente de Coutances

De même, en raison de l'importance des ventes que vous avez réalisées, il s'avère que vous avez organisé une vente parallèle de produits concurrents du magasin sans, semble t-il, respecter la réglementation fiscale et sociale applicable en la matière, allant jusqu'à prendre des objets appartenant à votre employeur ou ses clients, pour les vendre personnellement auprès de concurrents.

En outre, lorsque nous avons souhaité vous remettre en main propre la convocation à l'entretien préalable assortie d'une mise à pied conservatoire, vous avez refusé cette remise en main propre. Nous avons donc demandé à 2 témoins (MM. B. et M.) de constater votre refus de quitter la société. Ce n'est qu'après un certain moment que vous avez enfin accepté de quitter votre lieu de travail ".

S'agissant d'une faute grave reprochée privative du droit aux indemnités de rupture qu'il appartient à l'employeur de démontrer, elle correspond à un fait ou un ensemble de faits qui, imputables au salarié, constituent une violation des obligations du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

À l'appui de ses reproches, la SARL Dépôt vente de Coutances verse la procédure pénale établie par le commissariat de police de Coutances qui a été classée sans suite par le procureur de la République du Tribunal de grande instance de Coutances, les enquêteurs n'ayant pas réussi à établir que Mme G. aurait volé à son employeur des objets pour les mettre en vente dans le dépôt-vente de Carentan ; la SARL Dépôt vente de Coutances a alors déposé plainte et s'est constituée partie civile devant le doyen des juges d'instruction de Coutances le 11 octobre 2011 pour vols et dissimulation d'activité contre X et cette plainte s'est traduite par une ordonnance de non-lieu du juge d'instruction du 22 juin 2015 non frappée d'appel.

La SARL Dépôt vente de Coutances verse la copie de ses grands livres des comptes généraux de 2005 à 2009 correspondant à l'ensemble des opérations commerciales réalisées par l'entreprise sur cette période ;

C'est en raison de l'absence de preuve rapportée sur la provenance et l'identification des objets revendiqués par M. H. ou par tout autre propriétaire que la justice pénale n'a pu établir la réalité des griefs émis par la SARL Dépôt vente de Coutances à l'encontre de X pouvant être sa salariée ; de même, devant la justice prud'homale, la SARL Dépôt vente de Coutances ne justifie pas des faits de vol, détournement de biens voire même d'abus de confiance reprochés à Mme G..

Elle lui reproche ensuite l'organisation d'une vente personnelle concurrente de produits après les avoir pris à son employeur ou à ses clients ; la SARL Dépôt vente de Coutances indique que Mme G. était à la tête d'un commerce constituant une concurrence déloyale à son encontre puisqu'en 3 ans, il apparaît qu'elle a procédé au dépôt et à la vente de 868 objets, cette activité étant réalisée à partir de biens soustrait à l'employeur, tandis que Mme G. reconnaît avoir enregistré dans le dépôt-vente de Carentan environ 450 objets lui appartenant, appartenant à son fils ou qu'elle avait chiné dans différentes brocantes ou vide-greniers, affirmant qu'elle en faisait l'acquisition non pas dans le but de les revendre dans ce dépôt-vente mais par passion pour les articles anciens ; elle soutient que son employeur avait connaissance de sa passion pour la " chine " et le fait qu'elle soit elle-même cliente d'autres dépôts-vente de la région que celui dans lequel elle travaillait, ne saurait constituer un quelconque acte de concurrence déloyale vis-à-vis de son propre employeur, comme indiqué dans ses écritures.

Il apparaît que Mme G. reconnaît avoir procédé à l'enregistrement de plusieurs centaines d'objets dans les 3 années précédant son licenciement dans un dépôt-vente, celui de Carentan, dirigé par M. Sébastien M. ; à défaut pour Mme G. de diriger de quelque façon que ce soit cet établissement, le fait pour une salariée de déposer dans un autre dépôt-vente que celui de son employeur, même des centaines d'objets, ne permet pas de lui reprocher des actes de commerce constituant une concurrence déloyale à l'activité de son employeur ;

Enfin, en ce qui concerne l'acte d'insubordination mentionné, la SARL Dépôt vente de Coutances reproche à sa salariée de n'avoir pas immédiatement quitté l'entreprise dès qu'elle lui a notifié sa mise à pied et verse l'attestation d'un autre salarié, Pascal B., qui affirme qu'elle a refusé de signer sa mise à pied en précisant " M., vous n'avez pas droit " ; cette attestation ne démontre nullement que Mme G. ait " refusé de quitter la société " mais, il apparaît de la lettre de licenciement que la salariée, après s'être opposée verbalement à l'injonction de son employeur de prendre en main propre sa convocation à l'entretien préalable assortie d'une mise à pied conservatoire, a " enfin accepté de quitter le lieu de travail après un certain moment " ; ainsi, aucun grief ne peut être fait de ce chef à Mme G., en l'absence de précision sur le temps mis par Mme G. pour respecter l'injonction de quitter les lieux délivrée par l'employeur.

Dès lors, la SARL Dépôt vente de Coutances ne rapporte pas la preuve de commission d'une faute par Mme G. pour justifier la rupture du contrat de travail et son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Ceci ouvre droit au versement des indemnités de rupture dont les montants alloués par les premiers juges ne sont pas contestés par les parties. Il convient de les confirmer.

Compte tenu de ces éléments, des autres connus, son âge (28 ans), son ancienneté (plus de 6 ans) et du montant de son salaire (1 729 euros), et alors qu'elle justifie s'être inscrite à Pôle emploi après ce licenciement et avoir perçu l'aide au retour à l'emploi jusque fin 2010, ayant signé à compter de novembre 2010 des contrats à durée déterminée en qualité de conseillère de vente puis en contrat à durée indéterminée à temps partiel pour la société Kiabi, la cour évalue son préjudice pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 15 000 euros, sans qu'il soit dit que cette somme soit nette de CSG-CRDS, Mme G. devant s'acquitter des droits et taxes éventuels portant sur cette indemnisation.

Mme G. réclame en outre un préjudice moral distinct ; or la cour, en indemnisant son préjudice pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, a pris en compte tant son préjudice matériel que son préjudice moral et il convient de la débouter de cette réclamation supplémentaire.

Mme G. réclame la remise d'une nouvelle attestation Pôle emploi sous astreinte et il convient d'y faire droit afin que la SARL Dépôt vente de Coutances y intègre le montant des commissions omises.

La SARL Dépôt vente de Coutances qui succombe supportera la charge des dépens d'appel et sera condamnée à servir à Mme G. la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.