CA Bordeaux, 1re ch. civ. B, 24 novembre 2016, n° 15-00711
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
2bgp " le rendez-vous de la maison " (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lavergne-Contal
Conseillers :
Mme Serres-Humbert, M. Bouyx
Le 31 mai 2011, à la foire de Bordeaux, M. et Mme M. ont fait l'acquisition d'une cuisine aménagée auprès de la société 2bgp pour un prix de 15 000 euros comprenant la livraison et la pose des éléments et des appareils électroménagers.
Le contrat prévoyait la livraison au plus tard le 31 octobre 2011
Un nouveau bon de commande a été signé le 8 novembre 2011 prévoyant la livraison de la cuisine au plus tard le 31 décembre 2011.
La livraison de la cuisine n'est pas intervenue et aucune démarche amiable n'a pu aboutir entre les parties.
Par acte d'huissier du 5 juillet 2012, la société 2bgp a fait assigner M. et Mme M. en vente forcée de la cuisine.
Par jugement du 16 décembre 2014, le Tribunal de grande instance de Bordeaux a :
- déclaré irrecevables les demandes de la société 2bgp à l'encontre de Mme M.,
- débouté la société 2bgp de l'intégralité de ses demandes formées à l'encontre de M. M.,
- condamné la société 2bgp à payer à M. M. la somme de 7 500 euros {sept mille cinq cents euros) en remboursement de son acompte versé le 31 mai 2011, avec intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2012,
- condamné la société 2bgp à payer à M. M. la somme de 7 500 euros (sept mille cinq cents euros) en application de l'article L. 114-1 dernier alinéa du Code de la consommation,
- débouté M. M. du surplus de ses demandes,
- condamné la société 2bgp à payer à M. M. la somme de 1 000 euros (mille euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- condamné la société 2bgp aux dépens.
Le 3 février 2015 la société 2bgp a formé appel total à l'encontre de cette décision.
Par ordonnance du 11 septembre 2015 le conseiller chargé de la mise en état a prononcé la caducité partielle de la déclaration d'appel de la société contre Mme Marie-Jeanne M. et constaté que la déclaration d'appel dirigée contre M. M. n'était pas affectée par cette caducité.
Selon ses dernières conclusions notifiées le 28 août 2015 l'appelant demande à la cour de :
- réformer le jugement du Tribunal de grande instance de Bordeaux du 16 décembre 2014 en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :
- prendre acte du désistement de la société 2bgp de ses demandes à l'encontre de Mme M. qui, bien que son nom figure sur les bons de commande signés par M. M., " n'existe pas",
- dire et juger qu'aucune faute n'a été commise par la société 2bgp dans l'exécution de ses obligations contractuelles,
- dire et juger que M. M. est seul responsable de l'inexécution du contrat de vente et de pose de cuisine conclue avec la société 2bgp,
- dire et juger que, dans l'hypothèse non démontrée selon laquelle la clause contractuelle exigeant le paiement de la totalité du prix de l'installation de la cuisine lors de la livraison des meubles serait abusive, la seule sanction serait que cette clause serait réputée non écrite,
- dire et juger que la société 2bgp a fait droit à la demande de M. M. de régler le montant correspondant à la pose postérieurement à sa réalisation lorsque le dernier l'a clairement exprimée, par courrier recommandé posté le 7 janvier 2012, soit dans le délai d'exécution fixé par l'alinéa 2 de l'article L. 114-1 du Code de la consommation,
- dire et juger que M. M. ne justifie pas avoir dénoncé le contrat dans le délai fixé par l'alinéa 2 de l'article L. 114-1 du Code de la consommation,
- dire et juger que la société 2bgp est bien fondée à solliciter l'exécution forcée de ses obligations contractuelles par M. M.,
- dire et juger que la somme de 7 500 euro versée par M. M. à la signature du contrat constitue un acompte et non des arrhes,
En conséquence,
A titre principal,
- condamner M. M. à exécuter le contrat le liant à la société 2bgp,
- enjoindre à M. M., de prendre rendez-vous avec la société 2bgp pour fixer la date de livraison et d'installation, sous astreinte de 80 euros par jour de retard à compter du jour de la signification de l'arrêt à intervenir,
- enjoindre à M. M. de payer le solde du prix convenu avec la société 2bgp, soit 7 500 euros, sous astreinte de 80 euros par jour de retard à compter du jour de la signification de l'arrêt à intervenir,
A titre subsidiaire,
- donner acte à la société 2bgp qu'elle procédera à la livraison de l'ensemble des éléments de la cuisine commandée au domicile de M. M., dans le délai d'un mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir, selon une date convenue entre les parties,
- enjoindre à M. M. de prendre rendez-vous avec la société 2bgp pour fixer la date de livraison de ces éléments, sous astreinte de 80 euros par jour de retard à compter du jour de la signification de l'arrêt à intervenir,
- enjoindre à M. M. de payer le solde du prix convenu avec la société 2bgp, déduction faite du prix de la pose, soit 5 277euro, sous astreinte de 80 euros par jour de retard,
en tout état de cause,
- dire et juger qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions relatives aux arrhes de l'article L. 114 -1 du Code de la consommation dans sa version en vigueur lors de la signature du contrat car la somme versée par M. M. lors de la signature du contrat était un acompte,
- se réserver le droit de procéder aux liquidations des astreintes prononcées ;
- condamner M. M. à verser à la société 2bgp 1 500 euros au titre des dommages-intérêts pour préjudice moral,
- condamner M. M. à verser à la société 2bgp 1 500 euros au titre des dommages-intérêts pour préjudice d'image,
- condamner M. M., solidairement, à verser à la société 2bgp 4 500 euros pour frais contractuels de stockage, sauf à parfaire,
- débouter M. M. de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner M. M. au paiement de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
Selon ses dernières conclusions notifiées le 15 septembre 2015 l'intimé demande à la cour de :
- déclarer mal fondé l'appel interjeté dans l'intérêt de la société 2bgp " le rendez-vous de la maison " à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Bordeaux du 16 décembre 2014.
- la débouter de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,
En conséquence,
Confirmer le jugement du 16 décembre 2014 du chef des dispositions qui ont:
- débouté la société 2bgp de l'intégralité de ses demandes formées à l'encontre de M. M.
- condamné la société 2bgp à payer à M. M. la somme de 7 500 euro en remboursement de son acompte versé le 31 mai 2011 avec intérêt au taux légal à compter du 13 janvier 2012.
- condamné la société 2bgp à payer à M. M. la somme de 7 500 euro en application de l'article L. 114-1 dernier alinéa du Code de la consommation.
Réformer la décision frappée d'appel et faisant droit à l'appel incident de M. M. :
- condamner la société 2bgp à payer à M. M. la somme de 2 000 euro en réparation du préjudice spécifique résultant de la privation de l'utilisation de l'ancienne cuisine détruite ou de la nouvelle cuisine vainement attendue.
- condamner la société 2bgp à payer à M. M. la somme de 3 000 euro en réparation du préjudice moral subi par celui-ci.
- réformer le quantum de la condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile allouée par le premier juge et condamner la société 2bgp à payer à M. M. la somme de 2 500 euro.
En tout état de cause :
- condamner la société 2bgp à payer à M. M. la somme de 2 500 euro devant la cour sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamner la société 2bgp aux entiers dépens.
Les débats ont été clôturés le 27 septembre 2016.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le caractère abusif de la clause contractuelle litigieuse et ses conséquences sur la résiliation du contrat
La société 2bgp soutient que :
- la clause prévoyant le paiement du solde de la commande à la livraison n'est pas abusive et, dans tous les cas, M. M. a obtenu satisfaction quant au paiement du solde après la pose.
- à titre subsidiaire, la preuve de la dénonciation du contrat dans le délai de l'article L. 114-1 du code de la consommation n'est pas rapportée.
M. M. conteste avoir jamais refusé la livraison des éléments de la cuisine et soutient s'être légitimement opposé aux exigences de paiement illicites du cuisiniste.
Il indique avoir pris acte de la rupture du contrat dans le délai légal et avant d'avoir reçu l'ultime proposition de son cocontractant conforme aux exigences du code de la consommation.
L'article R. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au jour du contrat, dispose que :
Dans les contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels ou des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions du premier et du troisième alinéa de l'article L. 132-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de :
5° Contraindre le non-professionnel ou le consommateur à exécuter ses obligations alors que, réciproquement, le professionnel n'exécuterait pas ses obligations de délivrance ou de garantie d'un bien ou son obligation de fourniture d'un service ;
L'article L. 114-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction applicable au jour du contrat, indique que :
Dans tout contrat ayant pour objet la vente d'un bien meuble ou la fourniture d'une prestation de services à un consommateur, le professionnel doit, lorsque la livraison du bien ou la fourniture de la prestation n'est pas immédiate et si le prix convenu excède des seuils fixés par voie réglementaire, indiquer la date limite à laquelle il s'engage à livrer le bien ou à exécuter la prestation.
Le consommateur peut dénoncer le contrat de vente d'un bien meuble ou de fourniture d'une prestation de services par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en cas de dépassement de la date de livraison du bien ou d'exécution de la prestation excédant sept jours et non dû à un cas de force majeure. Ce contrat est, le cas échéant, considéré comme rompu à la réception, par le vendeur ou par le prestataire de services, de la lettre par laquelle le consommateur l'informe de sa décision, si la livraison n'est pas intervenue ou si la prestation n'a pas été exécutée entre l'envoi et la réception de cette lettre. Le consommateur exerce ce droit dans un délai de soixante jours ouvrés à compter de la date indiquée pour la livraison du bien ou l'exécution de la prestation.
En l'espèce le bon de commande signé le 8 septembre 2016 prévoit un forfait installation de 2 223 euros sur un total de 15 000 euros, le prix devant être réglé en deux fois ainsi qu'il suit :
- un versement de 7 500 euros à la signature du contrat
- un versement de 7 500 euros, soit le solde intégrant le coût de la pose, au jour de la livraison du matériel conformément à l'article 2 des conditions générales.
Cette clause est donc abusive en ce qu'elle permet au professionnel d'exiger le paiement d'une prestation avant sa réalisation.
Il en résulte que M. M. était bien fondé à refuser de payer la somme de 2 223 euros au jour de la livraison des éléments de la cuisine qu'il avait commandé.
Contrairement à ce qui est soutenu par l'appelante, son client n'a jamais refusé la livraison mais a simplement et, à plusieurs reprises, expliqué sa position à ses interlocuteurs successifs par courriel du 18 novembre 2011 et par courrier du 2 décembre 2011.
Par ailleurs ce n'est que le 7 décembre 2011 que le conseil de la société 2bgp a proposé à M. M. de remettre deux chèques aux livreurs, l'un de 6 000 euros l'autre de 1 500 euros, le second n'étant pas encaissé " en cas de problème avec la pose de la cuisine ".
Devant le refus légitimement opposé par ce dernier par télécopie du jour même, le conseil du cuisiniste a ensuite offert de différer le paiement de la somme de 1 500 euros à l'issue de la pose par télécopie du 26 décembre 2011, offre à nouveau déclinée.
Ce n'est que le 5 janvier 2012 qu'il proposera finalement à M. M. de payer la somme de 2 250 euros, soit la totalité du forfait d'installation, une fois les éléments de la cuisine montés ce qui était pourtant la seule solution conforme aux règles légales.
Or, cette lettre recommandée a été déposée à la poste le 7 janvier 2012 et a été reçue par son destinataire le 12 suivant alors que le délai contractuel de livraison expirait au 31 décembre 2011.
Parallèlement M. M. a rédigé un courrier dans lequel il prenait acte de la rupture du contrat déposé à la poste le 13 janvier 2012 et distribuée le 16 suivant.
C'est donc à bon droit que le tribunal a jugé que ce dernier était bien fondé à mettre en œuvre la procédure de résiliation du contrat, le délai de livraison majoré de sept jours étant expiré lorsque M. M. a envoyé son courrier, et, partant, a rejeté l'ensemble des demandes formées par la société 2bgp tout en condamnant cette dernière à restituer la somme de 7 500 euros déjà reçue.
Sur les autres demandes
L'article L. 114-1 dernier alinéa du Code de la consommation, dans sa rédaction applicable à l'espèce, dispose que :
Sauf stipulation contraire du contrat, les sommes versées d'avance sont des arrhes, ce qui a pour effet que chacun des contractants peut revenir sur son engagement, le consommateur en perdant les arrhes, le professionnel en les restituant au double.
Le tribunal qui a qualifié d'acompte la somme de 7 500 euros versée à la signature de la convention ne peut, sans se contredire, la qualifier d'arrhes au paragraphe suivant alors que le contrat stipule expressément qu'il s'agit d'un acompte ainsi que le soutient à juste titre la société 2bgp.
Le jugement doit donc être infirmé sur ce point et M. M. sera débouté de sa demande en paiement de la somme de 7 500 euros fondée sur l'article L. 114-1 du Code de la consommation.
M. M. prétend avoir subi un préjudice matériel et moral du fait du retard pris dans la livraison de la cuisine qui n'a finalement jamais eu lieu.
Il soutient que des travaux préparatoires ont été réalisés en pure perte dans la cuisine mais ne rapporte pas la preuve de leur existence et de leur coût pas plus qu'il ne démontre avoir été dans l'obligation d'utiliser une " plaque de camping " depuis quatre ans alors qu'il était aisé de produire des photos, attestations ou un constat d'huissier.
Il ne justifie pas davantage objectivement de souffrances morales particulières.
La demande de dommages et intérêts a donc été pertinemment rejetée par le premier juge qui a également justement évalué la somme allouée à M. M. sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne la somme de 7 500 euros allouée à M. M. sur le fondement de l'article L. 114-1 du code de la consommation. Statuant à nouveau dans cette limite ; déboute M. M. de sa demande en paiement de la somme de 7 500 euros au visa de l'article L. 114-1 du code de la consommation, y ajoutant ; condamne la société 2bgp à verser à M. M. la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société 2bgp aux dépens d'appel.