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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 30 novembre 2016, n° 15/02503

COLMAR

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Kap (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dorsch

Conseillers :

M. Robin, M. Regis

Avocats :

Me Cahn, Me Sengelen, Me Beckers

TGI Colmar, du 16 avr. 2015

16 avril 2015

EXPOSE DU LITIGE :

La SARL Kap, dont le gérant est Monsieur Bruno K., exerce l'activité d'agent commercial. Elle s'est vue confier la représentation de divers produits et marques agroalimentaires auprès des grandes surfaces de l'Est de la France.

Monsieur Olivier F. exerce également l'activité d'agent commercial dans le domaine de l'agroalimentaire sous l'enseigne Agence Aficial. La société Kap et Monsieur F. sont entrés en relations d'affaires sur une période dont le point de départ est discuté et dont la fin est intervenue au courant de l'année 2012. Au cours de cette relation, la Société Kap a confié à Monsieur F. la représentation des produits de trois de ses principaux mandants : les sociétés et produits Bon Bon Buddies, SA Fruyper (Olives Les Conviviales) et Frédéric Chocolatier.

Par lettre recommandée AR du 21 novembre 2012, Monsieur F. a indiqué à la Société Kap avoir appris la rupture du contrat de représentation qui unissait cette société avec la Société Frédéric Chocolatier et sollicité une indemnité de rupture de son contrat de sous-agent commercial.

Par acte d'huissier délivré le 16 juillet 2013, Monsieur Olivier F. a fait assigner la SARL Kap devant le tribunal de grande instance de Colmar aux fins de la voir condamnée, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à lui allouer une somme de 4 727,19 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect du préavis de rupture, une somme de 31 620 euros au titre de l'indemnité de cessation de contrat, avec intérêts au taux légal à compter du 21 novembre 2012 et application de l'article 1154 du Code civil, ainsi qu'une somme de 4 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 16 avril 2015, le tribunal de grande instance de Colmar a :

- condamné la société Kap à payer à Monsieur Olivier F. la somme de 25 000 euros;

- ordonné la capitalisation des intérêts ;

- condamné la société Kap à payer à Monsieur Olivier F. la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société Kap aux dépens ;

- rejeté pour le surplus.

Par déclaration du 29 avril 2015, la Société Kap a relevé appel de cette décision. Dans ses conclusions récapitulatives du 17 novembre 2015, auxquelles il sera renvoyé pour un plus ample examen des moyens conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, elle demande à la Cour de :

- déclarer son appel bien fondé,

Y faisant droit,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Colmar le 16 avril 2015,

- débouter Monsieur F. de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- le condamner à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- le charger des entiers frais et dépens.

La Société Kap soutient que Monsieur F. n'a travaillé pour elle en qualité de sous-agent commercial qu'à compter du mois de mai 2011 et qu'il n'intervenait jusque-là qu'en qualité de prestataire de services payé au forfait. Elle prétend que Monsieur F. était informé de la fin prochaine des relations commerciales entre la Société Kap et la Société Frédéric Chocolatier ; qu'il a souhaité racheter la carte commerciale de la cette dernière société pour un montant de 25 000 euros ; qu'il n'a toutefois pas obtenu l'agrément de cette société et qu'il a spontanément décidé de cesser ses fonctions pour le compte de la Société Kap en délaissant les autres clients qui lui avaient été confiés. Elle estime qu'elle ne lui doit donc aucune indemnité de rupture ni de préavis. A titre subsidiaire, elle conteste les montants des indemnités demandées par Monsieur F.

Dans ses conclusions récapitulatives du 28 janvier 2016, auxquelles il sera renvoyé pour un plus ample examen des moyens conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, Monsieur Olivier F. demande à la Cour de :

- dire et juger la Société Kap mal fondée en son appel,

- débouter cette société de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Colmar du 16 avril 2015 en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne la demande d'indemnité compensatrice de préavis,

Et statuant à nouveau sur ce point :

- condamner la Société Kap à lui payer la somme de 4 727,19 euros TTC, au titre de l'indemnité de préavis prévue par l'article L. 134-11 du Code de commerce ;

En toutes hypothèses,

- confirmer la capitalisation des intérêts à compter du 21 novembre 2013 pour la première fois ;

- condamner la Société Kap aux dépens de première instance et d'appel ;

- condamner la Société Kap à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Monsieur F. soutient qu'il avait un véritable mandat de sous-agent commercial depuis le mois d'octobre 2008 ; que plus de 90 % de son mandat concernait ses prestations au bénéfice de la Société Frédéric Chocolatier et qu'il n'a pas été informé de la rupture des relations professionnelles entre cette société et son mandant, la Société Kap ; que cette rupture ne lui est pas imputable et qu'elle a fait disparaître l'essentielle de son activité et donc mis un terme à son mandat. Il conteste avoir eu pour projet de racheter la carte commerciale relative aux produits Frédéric Chocolatier. Il ajoute que le fait que ce client ait ou non réglé une indemnité de 25 000 euros à la Société Kap est indifférent au regard de son droit à une indemnité pour rupture de contrat. Sur appel incident, il conteste que l'échange de courriels intervenu entre les parties le 9 décembre 2011 puisse valoir préavis de rupture comme l'a considéré la juridiction de première instance.

Motifs de la décision :

Sur la rupture du contrat d'agent commercial :

La Société Kap prétend que Monsieur F. n'est intervenu en qualité d'agent commercial qu'à compter du mois de mai 2011 et qu'il n'avait jusqu'à cette date travaillé pour elle qu'en qualité de prestataire de services payé au forfait. Elle se réfère exclusivement à l'appui de son argumentation aux factures émises par l'intimé entre le mois de mai 2011 et celui de juillet 2012 qui font état, avant le mois de mai 2011, de prestations de services, puis de " commissions " à partir de cette date.

L'intimé justifie toutefois être immatriculé au registre spécial des agents commerciaux depuis le 1er septembre 2007. Par ailleurs, en l'absence de tout autre élément, il ne peut être déduit de la seule mention de " prestation de service ", présente sur ces factures, l'absence d'intervention de Monsieur F. en qualité d'agent commercial, et ce d'autant qu'il n'est pas démontré ni à tout le moins allégué que la nature de ses prestations aurait changé au cours de la relation contractuelle.

Monsieur F. soutient avoir été mandaté par la Société Kap en qualité de sous-agent commercial du mois d'octobre 2008 jusqu'à la rupture de son contrat, au plus tard, au début de l'année 2012. Il ressort toutefois du courrier qu'il a lui-même adressé à l'appelante le 21 novembre 2012 que Monsieur F. n'a travaillé pour la Société Kap que durant une période de deux années révolues au jour où la représentation des produits Frédéric Chocolatier par cette société a cessé. Il y a donc lieu de considérer que Monsieur F. a été mandaté par la Société Kap en qualité de sous-agent commercial durant une période de deux années, ayant pris fin au début de l'année 2012.

Aux termes de l'article L. 134-12, alinéa 1, du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

Il résulte ensuite de l'article L. 134-13 du même Code que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due, notamment, lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial et lorsqu'elle résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant.

Enfin, l'article L. 134-4 du Code de commerce dispose que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties.

Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.

L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.

La Société Kap soutient que la rupture du contrat est exclusivement imputable à Monsieur F., lequel aurait spontanément cessé son activité et délaissé les autres produits de son portefeuille après s'être vu refusé l'agrément de la Société Frédéric Chocolatier pour le rachat de sa carte commerciale. Ces allégations ne sont toutefois étayées par aucun élément. A l'instar du premier juge, la Cour relève que l'appelante ne justifie pas de ce que Monsieur F. n'aurait pas agi au mieux de leurs intérêts communs. Elle ne produit, notamment, aucune réclamation remettant en cause les conditions d'exécution par Monsieur F. de ses obligations contractuelles.

Il est en revanche constant que la Société Frédéric Chocolatier a mis un terme au contrat d'agent commercial de la Société KAP. Il n'est pas davantage discuté que cette dernière société a également perdu le mandat de représentation des produits Bon Bon Buddies. Tandis que la Société Kap ne justifie pas de l'existence d'une représentation des produits Olives Les Conviviales de nature à donner une consistance économique au mandat de Monsieur F.

Il résulte ensuite des factures émises par Monsieur F. entre le mois de septembre 2011 et le mois de juillet 2012, que celui-ci n'a représenté durant la dernière année de son mandat que les produits Frédéric Chocolatier. La Société Kap ne démontre ni n'allègue avoir informé l'intimé de la fin de son mandat pour la Société Frédéric Chocolatier ni proposé d'autres options de représentation pour que ce dernier puisse maintenir son activité de sous-agent commercial. A ce titre, le courriel du 12 juin 2012, aux termes duquel l'intimé évoque une commande du Leclerc d'Issenheim, n'est pas de nature à justifier du maintien à sa disposition d'une véritable clientèle de substitution. De même, en l'absence de démonstration de l'existence d'un engagement d'exclusivité au profit de l'appelante, l'allégation de ce que Monsieur F. aurait travaillé pour une autre agence en 2012 est sans pertinence sur l'imputation et les conséquences de la rupture de son contrat.

Il est donc établi que la Société Kap a cessé, au début de l'année 2012, de mettre Monsieur F. en mesure d'exécuter son mandat et a ainsi rompu son contrat d'agent commercial au sens des dispositions de l'article L. 134-12 précité du Code de commerce.

L'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial est, en principe et selon l'usage, évaluée à deux années de commissions calculées sur la moyenne des trois dernières années d'exécution du mandat. Monsieur F. ne justifie toutefois du montant de ses commissions que pour une durée de seize mois et pour un montant total de 21 079,81 euros. Il ressort en outre du courrier adressé le 21 novembre par Monsieur F. à la Société Kap que celui-ci n'a représenté les produits Frédéric Chocolatier que durant les deux dernières années de son mandat. Il résulte enfin de la facture adressée par la Société Kap à la Société Frédéric Chocolatier que le rachat de la carte commerciale de cette dernière société a été évalué par l'appelante à la somme de 25 000 euros.

La société Kap ne rapporte aucun élément justifiant la réduction de ce montant.

Compte-tenu de l'ensemble de ces éléments, c'est à bon droit que le juge de première instance a évalué l'indemnité de rupture du contrat de Monsieur F. à la somme de 25 000 euros.

Partant, le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur le respect du délai de préavis :

Il résulte de l'article L. 134-11, alinéas 2 et 3, du Code de commerce que lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis. Les dispositions du présent article sont applicables au contrat à durée déterminée transformé en contrat à durée indéterminée. Dans ce cas, le calcul de la durée du préavis tient compte de la période à durée déterminée qui précède.

La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. En l'absence de convention contraire, la fin du délai de préavis coïncide avec la fin d'un mois civil.

La Société Kap soutient que Monsieur F. savait que le contrat de sous-agent commercial qui les liait allait se terminer puisque ce dernier était candidat au rachat de la carte commerciale des produits Frédéric Chocolatier, ce dont attesterait un courriel échangé entre les parties le 9 décembre 2011.

Toutefois, le fait que Monsieur F. ait souhaité racheter la carte commerciale de la Société Frédéric Chocolatier n'implique pas qu'il ait été informé, après l'échec de ce rachat, de la rupture de contrat survenue entre la Société Kap et son principal client.

La Société Kap ne justifie pas avoir informé Monsieur F. de la fin de son mandat de représentation des produits Frédéric Chocolatier ni avoir respecté le préavis légal de rupture du contrat de sous-agent commercial. Le jugement querellé sera donc infirmé de ce chef.

Au jour où il a appris la cessation du contrat de mandat confié à la Société Kap par la Société Frédéric Chocolatier, Monsieur F. avait débuté une troisième année d'activité pour son mandant. Ce dernier devait dès lors respecté à son égard un délai de préavis de rupture de trois mois, par application de l'article L.134-11 précité du Code de commerce.

Monsieur F. justifie avoir perçu la dernière année de son mandat des commissions d'un montant mensuel moyen de 1 317, 50 euros, soit la somme de 3 952,50 euros HT et 4 727,19 euros TTC pour trois mois. La Société Kap sera condamnée à lui payer cette somme.

La Société KAP, qui succombe, sera également condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à Monsieur F. la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnité de préavis formée par Monsieur Olivier F., Et statuant à nouveau sur le chef infirmé: Condamne la SARL Kap à payer à Monsieur Olivier F. la somme de 4 727,19 euros au titre de l'indemnité de préavis, Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions, Y ajoutant Condamne la SARL Kap aux dépens de la procédure d'appel, Condamne la SARL Kap à payer à Monsieur Olivier F. la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile