CA Montpellier, 2e ch., 29 novembre 2016, n° 14-06903
MONTPELLIER
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Distribution Casino France (SAS)
Défendeur :
Carrefour Proximité France (SAS), C. Distribution (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bourrel
Faits et procédure, moyens et prétentions des parties
La société par actions simplifiée Distribution Casino France (la société Casino) exploite sous diverses enseignes (Vival, Spar, Géant Casino) un réseau principalement alimentaire de proximité sous forme de supermarchés et hypermarchés.
La société à responsabilité limitée C. Distribution (la société C.) exploite un point de vente à Rieux Minervois (11160) sous contrat de franchise Spar depuis 1996, le dernier contrat conclu avec le franchiseur, la société Casino, en date du 28 avril 2008 a fait l'objet d'un avenant du 4 juin 2010, ayant prolongé sa durée jusqu'au 1er juin 2017.
Dans le cadre d'un projet de redynamisation de la [...] impliquant l'implantation d'un supermarché, la société C. a envisagé avec la société Casino un passage sous l'enseigne " Supermarché Casino " et plusieurs rencontres ont eu lieu au cours du premier trimestre 2013.
Courant avril 2013, M. Jean C., gérant de la société C. a informé la société Casino de ce que le projet de changement d'enseigne était abandonné et a fait part de son souhait de vendre le fonds de commerce ou les parts sociales qu'il détenait, au cours de l'année 2014.
Invoquant des anomalies du logiciel informatique (dénommé Gold), utilisé depuis avril 2010 suite aux préconisations du franchiseur, ayant prétendument conduit à des ventes à perte et à des erreurs de TVA, la société C. a mis en demeure la société Casino, par lettre du 10 décembre 2013, signifiée par huissier de justice, de lui fournir un autre logiciel informatique dans un délai de 15 jours, sous peine d'application de la clause résolutoire stipulée à l'article 13 du contrat les liant.
Après intervention sur site de plusieurs responsables techniques, la société Casino a proposé l'installation d'un nouveau logiciel, par courrier du 18 décembre 2013, et par courrier du 16 décembre 2013, a confirmé qu'elle détenait une offre de reprise du point de vente sous l'enseigne " Supermarché Casino ", par " acquisition du capital social de la société C. au prix de 1,350 Meuro, à réactualiser au vu du bilan 2013 ". La société Casino a réitéré par courriel du 24 décembre 2013 la proposition d'installation du nouveau logiciel en sollicitant une réponse au titre de la date d'intervention des techniciens.
Soutenant qu'aucun matériel ne lui avait été physiquement apporté, la société C. a revendiqué, par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 décembre 2013, le bénéfice de la clause résolutoire, la résiliation immédiate du contrat aux torts exclusifs de la société Casino et le retrait de l'enseigne avec tous les éléments de signalétique. Elle a également refusé l'offre de reprise, par courrier daté du 23 décembre 2013.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 31 décembre 2013, la société Casino a contesté le bien fondé et la régularité de la résiliation et a mis en demeure la société C. de poursuivre le contrat de franchise jusqu'à son terme, ce qui a été refusé par celle-ci, le 6 janvier 2014. La société C. a procédé à la dépose de la signalétique " Spar " et l'a remplacée par " Carrefour Contact ", début janvier 2014.
Par courrier du 29 janvier 2014, la société C. a informé la société Casino que les parts sociales détenues par M. Jean C., avaient été cédées à la société Carrefour Proximité France, suivant acte sous seing privé du 31 décembre 2013 et lui a fait sommation interpellative, le même jour, d'indiquer si elle agréait le nouveau dirigeant, ce à quoi la société Casino a répondu, le 4 février 2014, " qu'elle n'avait pas, à ce stade, à se prononcer au sujet d'un éventuel agrément de la société Carrefour en qualité de franchisé ", en l'état notamment de la poursuite forcée du contrat ordonnée le 21 janvier 2014 et d'une validité de la cession de parts sociales contestée judiciairement pour violation de son droit de préemption contractuel.
Plusieurs procédures judiciaires ont été initiées par les parties.
Invoquant un trouble manifestement illicite et un dommage imminent et subsidiairement, une rupture abusive des relations commerciales, la société Casino a saisi, à heure indiquée, par acte du 13 janvier 2014, le président du Tribunal de commerce de Lyon, statuant en référé, aux fins de voir ordonner, sous astreinte, la reprise et le maintien des relations contractuelles jusqu'à ce qu'une décision intervienne au fond sur le caractère licite ou non de la résiliation contractuelle.
Par ordonnance en date du 21 janvier 2014, confirmée en toutes ses dispositions par la Cour d'appel de Paris le 10 février 2015, le juge des référés a notamment retenu sa compétence et a ordonné à la société C. la reprise et le maintien de ses relations contractuelles avec la société Casino, résultant du contrat de franchise et de son avenant, jusqu'à l'obtention d'une décision au fond, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et par infraction constatée, à compter de la signification de l'ordonnance. Le juge des référés s'est réservé le pouvoir de liquider l'astreinte.
La société Casino a initié, à bref délai, une procédure au fond devant le Tribunal de commerce de Lyon, selon exploit du 17 janvier 2014, aux fins d'ordonner la reprise ou la poursuite du contrat de franchise à titre principal et à titre subsidiaire, de condamner la société C. à réparer le préjudice subi du fait de la rupture anticipée dudit contrat aux torts exclusifs de celle-ci. Par jugement du 24 juin 2014, le Tribunal de commerce de Lyon a constaté le caractère irrégulier de la résiliation, a rejeté la demande de résiliation judiciaire du contrat de franchise et a ordonné la poursuite des relations contractuelles avec la société Casino jusqu'à son terme du 1er juin 2017, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement et par infraction, se réservant la faculté de liquider l'astreinte ainsi prononcée. La société C. a interjeté appel de ce jugement devant la Cour d'appel de Paris.
Par ordonnance du 20 juin 2014, le président du Tribunal de commerce de Lyon, saisi par la société Casino, le 15 avril 2014, en sa qualité de juge de la liquidation de l'astreinte ordonnée le 21 janvier 2014, a condamné la société C. au paiement à celle-ci d'une somme de 3 100 000 euros, à ce titre. La société Carrefour Proximité est intervenue volontairement aux débats, à titre accessoire.
La société Casino a fait assigner les sociétés C. et Carrefour Proximité ainsi que M. Jean C., par acte du 7 février 2014, devant le Tribunal de commerce de Lyon en nullité de l'acte de cession intervenue en fraude de ses droits et en réparation des préjudices subis. Par jugement du 27 juillet 2015, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a notamment dit que la clause résolutoire insérée dans le contrat de franchise n'avait pas été mise en œuvre de bonne foi, dit que M. C. et la société C. Distribution ont commis une faute faisant dégénérer en abus leur droit de rompre le contrat, dit que le contrat restait en vigueur jusqu'à son terme contractuel, sauf nouvelle dénonciation par l'une ou l'autre partie, constaté que le contrat de franchise a prévu dans son article 12, en cas de projet de cession du fonds de commerce du franchisé, une obligation d'information du franchiseur et un pacte de préférence à son profit, dit que M. C. et la société C. sont ensemble responsables du non-respect par le franchisé de ses obligations contractuelles résultant de l'article 12 du contrat de franchise, rejeté la demande d'annulation des parts sociales, condamné M. C. et la société Carrefour, complice de la rupture de mauvaise foi du contrat de franchise, au paiement à la société Casino de diverses sommes en réparation des préjudices subis et de la violation de la clause de non-concurrence (article 14), et débouté les défendeurs de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions, les condamnant à verser in solidum à la société Casino, une indemnité de procédure de 50 000 euros. La société C., M. C. et la société Carrefour Proximité ont relevé appel de ce jugement devant la Cour d'appel de Paris
Parallèlement, la société C. a fait assigner la société Casino devant le Tribunal de commerce de Marseille, par acte du 11 février 2014 afin que la résiliation du contrat de franchise soit acquise et que celle-ci soit condamnée au paiement de dommages et intérêts. La société Carrefour et M. C. sont intervenus volontairement dans cette instance.
Par acte du 23 mai 2014, la société Carrefour Proximité France, cessionnaire des parts sociales de la société C., a fait assigner, à bref délai, la société Casino et la société C., devant le Tribunal de commerce de Carcassonne, au visa de l'article 1382 du Code civil, afin de dire que la société Casino avait commis une faute en demandant la liquidation de l'astreinte fixée par l'ordonnance du 21 janvier 2014, alors qu'elle avait refusé de donner son agrément à la cession et de la condamner à lui payer une indemnité de 100 000 euros, en réparation du comportement déloyal.
Par jugement du 8 septembre 2014, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Carcassonne, après avoir rejeté les exceptions d'incompétence et de connexité, a :
" - dit que la société Casino a commis une erreur en demandant la liquidation de l'astreinte alors qu'elle avait refusé de donner son agrément à l'acquéreur des parts sociales de la société C.,
- condamné la société Casino à garantir la société C. du montant de la condamnation retenu par le juge de la liquidation d'astreinte, ou, en cas de substitution, par la société Carrefour, garantir cette dernière,
- condamné la société Casino au paiement d'une indemnité de 50 000 euros à la société C. et à l'acquéreur des parts sociales de cette dernière,
- condamné la société Casino à payer la somme de 2 000 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, à la société C. et à la société Carrefour ainsi qu'à supporter les dépens de l'instance. "
Par jugement du 3 mars 2016, le Tribunal de commerce de Marseille a notamment constaté que le Tribunal de commerce de Carcassonne, dans son jugement du 8 septembre 2014, avait prononcé la caducité du contrat de franchise et de ses avenants, a dit sans objet la demande tendant à la résiliation du contrat, a constaté une situation de dépendance économique, a condamné la société Casino à payer, de ce chef, à la société C., la somme de 15 000 euros, à titre de dommages et intérêts outre une somme de 42 309,45 euros, au titre des ristournes dues pour l'année 2013, et a déclaré nulle la clause de non-concurrence post-contractuelle insérée dans le contrat de franchise. La société Casino a relevé appel de cette décision devant la Cour d'appel Paris, le 7 mars 2016.
La société Casino Distribution France a régulièrement interjeté appel du jugement rendu le 8 septembre 2014, par le Tribunal de commerce de Carcassonne, par déclaration transmise au greffe de la cour de ce siège, le 9 septembre 2014.
Suivant arrêt du 20 janvier 2015, la Cour d'appel de Lyon, saisi de l'appel relevé à l'encontre de l'ordonnance de liquidation d'astreinte du 20 juin 2014, a notamment débouté la société C. des exceptions de nullité des significations des ordonnances des 21 janvier et 20 juin 2014 et a sursis à statuer sur l'ensemble des demandes dans l'attente de l'arrêt qui sera rendu par la Cour d'appel de Montpellier dans le cadre de l'appel relevé contre le jugement du Tribunal de commerce de Carcassonne du 8 septembre 2014 .
Dans ses dernières conclusions transmises au greffe de la cour, le 4 octobre 2016, la société Distribution Casino France demande à la cour de révoquer l'ordonnance de clôture, d'annuler le jugement dont appel, de lui donner acte qu'elle renonce aux exceptions de procédure, de déclarer irrecevables les demandes de la société C., de débouter celle-ci et la société Carrefour de l'ensemble de leurs prétentions et reconventionnellement de les condamner solidairement à lui payer la somme de 50 000 euros pour procédure abusive et dilatoire outre le prononcé d'une amende civile de 3 000 euros ainsi qu'une somme de 100 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient essentiellement que :
- la société C. a transmis des conclusions la veille de la clôture, ce qui l'a contrainte à communiquer des conclusions le jour de la clôture et ce qui fonde la demande de révocation ;
- afin de ne pas retarder l'issue de la procédure et en l'état des décisions rendues par la Cour d'appel de Paris, le 10 février 2015 et par la Cour d'appel de Lyon, le 20 janvier 2015, elle renonce aux exceptions de procédure précédemment soulevées ;
- le jugement du 8 septembre 2014 sera annulé car il ne comporte aucun visa relatif aux dernières conclusions des parties, en violation de l'article 455 du Code de Procédure Civile et statue au fond alors que le président avait exigé des parties lors de l'audience du 7 juillet 2014 qu'elles ne plaident que sur la compétence et qu'aucune mention n'est faite aux moyens de fond qu'elle a longuement développés dans ses conclusions ; il s'agit de violations manifestes du principe de l'oralité de la procédure, du procès équitable protégé par l'article 6 §1 de la Cedh et du principe du contradictoire ;
- les demandes de la société C. sont irrecevables puisqu'elle a déjà développé la même argumentation aux mêmes fins, à deux reprises, devant le Tribunal de commerce de Lyon, au fond et devant le juge des référés statuant en tant que juge de la liquidation d'astreinte ;
- l'autorité de la chose jugée empêche la société C. de soutenir à nouveau dans le cadre d'une nouvelle instance que la poursuite forcée du contrat serait impossible en raison du défaut d'agrément et de la perte d'intuitu personae ;
- le principe de la concentration des moyens ne permet plus à la société C. d'invoquer la caducité du contrat de franchise, dont elle aurait dû faire état devant le Tribunal de commerce de Lyon lors de l'audience de plaidoirie du 13 mai 2014 ; elle était, à cette date, informée de la procédure en liquidation d'astreinte diligentée par assignation du 15 avril 2014 ;
- sur le fond, le débat précédemment engagé par la société C. en raison de la prétendue impossibilité d'exécuter le contrat du fait d'un prétendu défaut d'agrément du cessionnaire, la société Carrefour, en qualité de nouveau dirigeant, est devenu sans objet, suite au jugement du 27 juillet 2015 ;
- en vertu de l'autorité de la chose jugée attachée à ce jugement, il est acquis que le contrat de franchise entre la société Casino et la société C. doit se poursuivre, que la cession des parts sociales de M. C. a été faite en violation de son droit de préemption et que la société Carrefour a été la complice de mauvaise foi de cette violation ;
- nul ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude, ni la société C. ni la société Carrefour ne peuvent invoquer un prétendu défaut d'agrément pour prétendre que l'exécution du contrat de franchise serait impossible ou encore qu'elle aurait commis une faute en poursuivant l'astreinte attachée à l'ordonnance du 21 janvier 2014 ;
- le contrat de franchise ne contient aucune obligation d'agrément ; l'article 11 prévoit une clause d'intuitu personae stipulée en sa faveur exclusivement ; la société C. a violé l'article 12 en ne lui permettant pas de faire jouer son droit de préemption ;
- dès lors que la clause de personnalité et le droit d'agrément n'ont été stipulés que dans son propre intérêt, elle est libre d'y renoncer en décidant de poursuivre l'exécution du contrat de franchise (initialement conclu avec la société C. alors dirigée par M. Jean C.), avec la société C. dont le capital social est désormais détenu par la société Carrefour, sans pour autant être contrainte d'agréer celle-ci ;
- elle n'a jamais refusé d'agréer la société Carrefour comme nouvel actionnaire de la société C. et a simplement reporté sa décision dans l'attente du règlement du litige relatif à la cession des parts sociales, en fraude de ses droits ;
- ce sont les sociétés C. et Carrefour qui s'acharnent à refuser d'exécuter le contrat de franchise ; la société C. ayant préféré poursuivre son exploitation sous l'enseigne Carrefour en distribuant des produits de cette société ;
- les intimées manipulent les clauses du contrat et les références doctrinales et jurisprudentielles pour tromper la cour ;
- la procédure en liquidation d'astreinte n'est pas fautive et les demandes d'indemnisation adverses sont tout aussi irrecevables et fantaisistes qu'infondées.
Dans ses dernières conclusions transmises à la cour le 4 octobre 2016, la société C. Distribution, a conclu à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, à l'irrecevabilité des prétentions de la société Casino suivant lesquelles elle ne peut pas agréer comme nouveau dirigeant de la société C., la société Carrefour Proximité, et en toute hypothèse, au rejet de toutes ses prétentions, au constat de la caducité du contrat de franchise à compter du 31 décembre 2013, au constat de l'impossibilité d'exécuter l'ordonnance du 21 janvier 2014 et l'arrêt de confirmation du 10 février 2015, à raison du refus d'agrément du nouveau dirigeant, la société Carrefour Proximité. Elle demande à la cour de dire que la société Casino a engagé vis-à-vis d'elle sa responsabilité délictuelle en poursuivant la liquidation d'astreinte et sollicite la condamnation de cette dernière à lui payer une somme supplémentaire de 50 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive outre celle de 100 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle fait valoir pour l'essentiel que :
- il sera donné acte à la société Casino de ce qu'elle renonce expressément aux exceptions de procédure précédemment soulevées ;
- le jugement a repris de façon concise les moyens exposés par la société Casino et n'a pas statué au vu des seules prétentions des sociétés C. et Carrefour ;
- lors de l'audience du 7 juillet 2014, toutes les parties avaient conclu sur la compétence et sur le fond et ont plaidé sur le tout, ce qui a amené le tribunal à statuer sur les exceptions et sur le fond ; l'attestation de complaisance de l'élève avocat qui accompagnait le conseil de l'appelante à l'audience, ne saurait être prise en compte ;
- le principe de la contradiction a été respecté et aucune rupture d'égalité n'est à déplorer ;
- l'assignation en liquidation d'astreinte lui a été délivrée le 15 avril 2014 postérieurement au dépôt de son dossier et de ses écritures dans le cadre de l'instance déjà engagée devant le Tribunal de commerce de Lyon ; elle était tenue de respecter le calendrier de procédure, par application de l'article 446-2 du Code de Procédure Civile ;
- elle n'était pas obligée de soutenir devant cette juridiction une demande distincte tendant à engager la responsabilité délictuelle de la société Casino pour avoir sollicité la liquidation d'une astreinte, d'autant que la décision en ce sens a été rendue le 21 juin 2014 bien après la plaidoirie du 11 avril 2014 devant le Tribunal de commerce de Lyon, qui a rendu son jugement le 24 juin 2014 ;
- le principe de la concentration des moyens n'empêche pas un plaideur de former dans le cadre d'une autre instance une demande distincte ; la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que si le demandeur doit présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ;
- elle a certes exposé devant le Tribunal de commerce de Lyon la question du défaut d'agrément pour s'opposer à la poursuite forcée du contrat et elle pouvait reprendre cet argumentaire pour fonder une demande tendant à voir constater la caducité de celui-ci afin de s'opposer à une demande de liquidation d'astreinte, dont cette juridiction n'était pas saisie ; les moyens sont peut-être les mêmes mais les demandes sont différentes ;
- son intervention volontaire dans l'instance initiée par la société Carrefour sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, est recevable puisqu'elle entend dénoncer la mauvaise foi de la société Casino consistant à solliciter la liquidation d'une astreinte pour non-reprise du contrat alors même qu'en refusant d'agréer le nouveau dirigeant, celle-ci empêche cette exécution ;
- elle agit sur le terrain délictuel et non contractuel ;
- le Tribunal de commerce de Carcassonne a été saisi le 26 mai 2014 avant que ne soit rendu le jugement du Tribunal de commerce de Lyon du 24 juin 2014, ce qui exclut toute fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée ; la recevabilité d'une demande s'appréciant à la date à laquelle elle est formée ; le dispositif de ce jugement ne reprend pas la question du défaut d'agrément et ses conséquences ;
- le jugement du Tribunal de commerce de Lyon en date du 27 juillet 2015 constitue un élément nouveau en ce qu'il a débouté la société Casino de sa demande d'annulation de la cession des parts sociales et des demandes d'indemnisation au titre de l'atteinte à l'intuitu personae et à la divulgation d'informations confidentielles ;
- le contrat de franchise qui repose expressément sur la personne physique dirigeant de la société franchisée (M. Jean C.), est un contrat intuitu personae ;
- dans la mesure où la société Carrefour a acquis l'intégralité des parts sociales de la société C. entraînant le retrait de M. C., l'une des conditions essentielles à la formation du contrat tenant à l'intuitu personae a disparu ;
- les conditions de la caducité sont réunies, en l'occurrence, un événement postérieur à la formation du contrat et extérieur aux parties contractantes, qui a mis fin à un élément essentiel et déterminant de la formation du contrat ;
- le contrat ne prévoit pas le cas où l'intuitu personae pesant sur la personne du dirigeant disparaît suite à une cession de parts sociales, contrat auquel la société franchisée est totalement tiers dès lors qu'elle est nécessairement étrangère à la cession de ses propres parts intervenue entre les associés qui la composent et les cessionnaires ; cession intervenue de surcroît après la résiliation du contrat ;
- un nouveau contrat aurait pu être conclu si la société Casino avait agréé la société Carrefour, comme nouveau dirigeant, ce qu'elle a refusé de faire ; faute d'agrément, le contrat ne peut plus être exécuté et devient caduc ;
- en exécution de l'ordonnance de référé du 21 janvier 2014, assortie de plein droit de l'exécution provisoire, la société C. devait, afin de reprendre l'exécution du contrat, pourtant résilié, respecter la procédure d'agrément stipulée aux articles 11 et 12, dès lors que la société Carrefour succédait à M. C. :
- par acte d'huissier du 29 janvier 2014, elle a sollicité de la société Casino l'agrément de son nouveau dirigeant, ce que celle-ci a refusé, par courrier du 4 février 2014, peu important qu'elle ait prétendu différer ou réserver sa réponse ;
- la société Casino tente de dénaturer le contrat en affirmant que le mécanisme de l'agrément prévu au contrat ne serait lié qu'à son droit de préférence ;
- or et selon l'article 11 du contrat, la question de l'agrément se pose indépendamment du champ d'application du droit de préférence à chaque fois qu'un tiers est susceptible d'être concerné par le contrat en cours ;
- selon le principe de l'estoppel, la société Casino est irrecevable à prétendre qu'elle ne peut agréer comme nouveau dirigeant de la société C. la société Carrefour, au motif qu'une SARL ne peut être représentée par une personne morale alors qu'elle soutient également que la société C. peut poursuivre l'exécution du contrat sans être représentée physiquement ;
- la société Casino ne pouvait pas ignorer que M. R., dirigeant de la société Carrefour, représentait la société C. ;
- l'imbroglio dans lequel les parties se trouvent, est la conséquence directe du comportement de la société Casino qui a refusé d'agréer le nouveau dirigeant, dès lors qu'il s'agit de son concurrent le plus important dans le secteur de la proximité et qu'elle ne veut pas transmettre son savoir-faire, mais dans le même temps elle a voulu tirer profit de la décision ayant ordonné la poursuite forcée du contrat, en obtenant une liquidation de l'astreinte ;
- l'exécution de cette liquidation aboutira à un dépôt de bilan et laissera le champ libre aux autres fonds exploités sous les diverses enseignes appartenant à la société Casino, qui recherche le profit et agit par intention de nuire ;
- le défaut d'agrément l'empêche de reprendre tant l'usage de l'enseigne Spar, sa signalétique et ses normes que la vente des produits Casino ;
- ce refus d'agrément est abusif et caractérise une intention de nuire dans le seul but de pouvoir liquider une astreinte au montant totalement exorbitant ;
- la déloyauté procédurale est fautive au sens de l'article 1382 du Code civil ;
- le Tribunal de commerce de Marseille a considéré dans un jugement du 3 mars 2016 que le contrat de franchise soumettait la société C. à une situation de dépendance économique abusive ;
- la demande de liquidation d'astreinte (soumise à la Cour d'appel de Lyon) pour non- reprise d'un contrat violant les dispositions des articles L. 420-2 et L. 442-6 du Code de commerce, constitue une fraude à la loi et engage la responsabilité délictuelle de la société Casino ;
- le préjudice est égal au montant de la liquidation d'astreinte susceptible d'être prononcée à son encontre, ce qui fonde la condamnation de la société Casino à la garantir de toute condamnation à ce titre ainsi qu'au paiement de la somme de 50 000 euros allouée par le premier juge outre une somme identique complémentaire, en réparation du maintien de la demande de liquidation d'astreinte et de la procédure abusive.
Dans ses dernières conclusions transmises au greffe de la cour, le 4 octobre 2016, la société Carrefour Proximité France a conclu à la régularité du jugement, à sa confirmation, au rejet des prétentions de la société Casino et à l'octroi d'une somme de 250 000 euros, à titre de dommages et intérêts outre celle de 25 000 euros, au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle expose en substance que :
- la procédure qu'elle a introduite a donné lieu à une première audience pour laquelle la société Casino n'avait conclu que sur la compétence ;
- le président a ordonné un renvoi à l'audience du 7 juillet 2014 afin que la société Casino conclut au fond et que les parties échangent leurs moyens pour que l'affaire soit plaidée au fond ;
- s'il est exact qu'au début de l'audience, le président a déclaré que le tribunal souhaitait entendre les parties sur la seule compétence, il n'en demeure pas moins que le dossier a été longuement plaidé, sans se limiter aux questions de compétence, et que les parties ont remis leur dossier avec leurs conclusions traitant des exceptions et du fond ;
- c'est manifestement en considération de ces plaidoiries que le tribunal a statué tant sur les exceptions que sur le fond, ce qui exclut toute violation de l'oralité des débats ou du contradictoire ; la déclaration du président a été sans influence dans le débat ;
- le contrat de franchise Spar ne peut pas, suivant ses prévisions, se poursuivre en présence d'un nouvel associé unique de la société C., sans que celui-ci ait été agréé par le franchiseur, la société Casino ;
- il s'agit d'un contrat conclu en considération de la personnalité de M. C., associé majoritaire et dirigeant de la société C. ;
- l'article 11 prévoit que l'intuitu personae est un élément essentiel et déterminant du contrat ; si le franchisé n'exploite plus lui-même directement le magasin ou s'il perd le contrôle de la société d'exploitation, la société Casino a la faculté soit de résilier le contrat soit d'agréer le successeur ;
- l'intuitu personae ainsi convenu a été remis en question suite à la cession par M. C. de ses parts sociales à la société Carrefour ;
- si les articles 11 et 12 du contrat ont été rédigés dans le seul intérêt du franchiseur, il n'en demeure pas moins que le choix dont elle dispose est d'agréer ou non le successeur du signataire initial ;
- la faculté de ne pas se prononcer sur l'agrément en cas de cession n'est pas prévue contractuellement car elle ne répondrait à aucune logique ; la société Casino a le choix d'accepter ou de refuser le nouveau partenaire mais ne peut pas ne rien décider ; l'économie du contrat ne permet pas de considérer qu'en cas de défaut d'agrément du cessionnaire, celui-ci ne serait pas tenu de signer un nouveau contrat de franchise mais devrait exécuter le contrat initial ;
- l'article 12 du contrat qui contient une articulation entre le pacte de préférence et l'agrément n'a pas prévu l'hypothèse de la cession des parts sociales par M. C. ; la société Casino ne dispose pas d'un pacte de préférence, en toute hypothèse ;
- le jugement du Tribunal de commerce de Lyon du du 27 juillet 2015 a rejeté la demande d'annulation de la cession des parts sociales en considérant que la société Casino ne bénéficiait pas, sur le capital social de la société C., d'un pacte de préférence ;
- la société C. n'avait donc pas à notifier, préalablement à la demande d'agrément, le projet de vente des parts sociales ;
- la société Casino n'était pas fondée à reporter sa décision sur l'agrément dans l'attente de la décision sur la validité de la cession, alors même qu'elle s'est abstenue de le faire après la décision du 27 juillet 2015, assortie de l'exécution provisoire ; sa position équivaut à un refus d'agrément ;
- la question de l'agrément se pose du seul fait que la cession des parts sociales est intervenue et a été validée, les fautes retenues dans le cadre de cette cession, par le Tribunal de commerce de Lyon, qui sont contestées, peuvent tout au plus justifier des dommages et intérêts mais n'ont aucune incidence sur l'absence d'agrément ;
- aucune décision ayant autorité de chose jugée n'a retenu dans son dispositif que l'exécution du contrat après la cession des parts sociales n'imposait pas l'agrément du cessionnaire ;
- la Cour d'appel de Lyon a d'ailleurs sursis à statuer sur la liquidation d'astreinte ordonnée par l'ordonnance du 20 juin 2014 jusqu'à ce que la cour de ce siège statue sur l'incidence du défaut d'agrément ;
- elle n'est pas partie à cette procédure et a saisi le Tribunal de commerce de Carcassonne afin qu'il se prononce sur la nécessité d'être agréée par la société Casino et que le contrat se poursuive après la cession des parts sociales ;
- faute d'agrément du nouveau dirigeant et associé unique, la société C. n'a plus la capacité de demeurer la cocontractante du contrat Spar, ce qui entraîne la caducité du fait de la disparition d'un élément essentiel, en vertu du nouvel article 1186 du Code civil, issu de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
- en tout état de cause, et en raison de la disparition d'un élément essentiel attaché à la clause de personnalité, le contrat est éteint depuis que la société Casino a fait savoir, par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 février 2014, qu'elle ne se prononçait pas sur l'agrément ;
- la société Casino a commis une faute en demandant l'exécution forcée du contrat tout en refusant d'agréer la société Carrefour ;
- cette faute commise à l'encontre de la société C., concerne directement la société Carrefour, titulaire de l'intégralité des parts sociales de cette société ;
- l'insistance fautive de la société Casino constitue un acte de concurrence déloyale puisque celle-ci cherche à perturber son réseau ;
- la demande indemnitaire est à la mesure de la gravité et en considération des capacités de la société Casino.
C'est en cet état que la procédure a été clôturée par ordonnance du 4 octobre 2016.
Motifs de la décision
En préliminaire, les dernières conclusions échangées entre parties le jour même de la clôture de l'instruction sont recevables.
Toutefois, les conclusions et la pièce nouvelle n° 100 transmises par la société Casino au greffe de la cour le 10 octobre 2016, seront écartées des débats, par application de l'article 784 du Code de procédure civile.
Il convient également de constater que la société Casino renonce aux exceptions de procédure soulevées en première instance et dans ses précédentes écritures.
Sur la demande de nullité du jugement
Le premier juge a discuté dans le corps de sa décision les exceptions de procédure et les moyens présentés par les parties. Il s'ensuit qu'aucune nullité n'est encourue pour non-respect des prescriptions de l'article 455 du Code civil.
La société Casino soutient que lors de l'audience de plaidoiries, le président du Tribunal de commerce de Carcassonne a demandé aux avocats de limiter leurs explications aux exceptions de procédure, ce qui, selon elle, aurait dû donner lieu à un jugement statuant sur les seules exceptions.
Il y a lieu d'observer que les parties ont échangé avant l'audience de plaidoiries du 7 juillet 2015 des conclusions sur les exceptions de procédure et sur le fond.
L'attestation d'une avocate stagiaire et les indications fournies par les sociétés Carrefour Proximité et C. dans des conclusions communiquées dans d'autres instances, ne sauraient remettre en question la mention du jugement précisant que les parties ont été entendues et que les pièces ont été déposées à l'audience du 7 juillet 2015, à défaut de produire le plumitif tenu par le greffier d'audience, seul susceptible d'établir si les avocats des parties ne se sont pas référés oralement à leurs conclusions développant des exceptions de procédure et des moyens au fond.
Ainsi, il n'est pas justifié d'une atteinte à l'oralité des débats.
L'exception de nullité du jugement sera donc rejetée.
Sur les demandes de la société C.
Aux termes de l'ancien article 1351 du Code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement ; il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité.
En principe, le jugement qui, dans son dispositif, après avoir accueilli une des demandes d'une partie, " rejette toutes autres demandes ", statue sur ces autres chefs de demandes par une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée, dès lors qu'il résulte de ses motifs qu'il les a examinés.
En l'espèce le jugement au fond rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 24 juin 2014, opposant la société Casino à la société C., assorti de l'exécution provisoire, a rejeté la demande de cette société tendant à voir annuler le contrat de franchise, a dit que la clause résolutoire stipulée à l'article 13/b dudit contrat n'a pas été mise en œuvre de bonne foi par celle-ci, a rejeté la demande tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat et lui a ordonné de reprendre les relations contractuelles avec la société Casino jusqu'au terme du 1er juin 2017, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement et rejeté tous autres prétentions, fins et moyens des parties.
Ce rejet concerne notamment les moyens soulevés par la société C., développés en pages 86 à 89 des conclusions reprises à l'audience de plaidoiries du 13 mai 2014, tirés de l'impossibilité d'ordonner la poursuite forcée du contrat, au regard de l'absence de tout intuitu personae avec le nouveau détenteur des parts sociales, la société Carrefour Proximité et du défaut d'agrément opposé par la société Casino, par courrier du 4 février 2014, à une demande en ce sens faite le 29 janvier 2014. Le Tribunal de commerce de Lyon a répondu dans les motifs de sa décision que l'article 11 du contrat de franchise instituait en effet une clause d'intuitu personae mais à la seule faveur de la société Casino et que la société C. avait violé les stipulations de l'article 12 (clause d'agrément et pacte de préférence), en ne permettant pas à la société Casino de faire jouer son droit de préemption. Il a ajouté que la société Casino ne s'était pas prononcée sur l'agrément du nouveau dirigeant de la société C. et qu'il n'existait aucun obstacle diriment propre à empêcher la reprise de la relation contractuelle entre la société Casino et la société C.
Ainsi le jugement au fond du 24 juin 2014 rendu entre les mêmes parties, prises en la même qualité, ayant fait droit à la demande de poursuite forcée du contrat de franchise sous astreinte et ayant rejeté le surplus des prétentions et moyens des parties, après s'être expliqué sur les moyens tirés de l'impossibilité d'une reprise des relations contractuelles pour perte de l'intuitu personae et pour défaut d'agrément du nouveau dirigeant et associé de la société C., a l'autorité de la chose jugée quant au rejet desdits moyens, peu important l'appel interjeté qui est actuellement pendant devant la cour d'appel de Paris.
La société C., assignée par la société Carrefour Proximité, devant le Tribunal de commerce de Carcassonne, afin d'être présente dans l'instance engagée contre la société Casino, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, n'est donc pas recevable à invoquer les mêmes moyens au soutien d'une même demande qui tend à constater l'impossibilité de reprendre les relations contractuelles et par suite l'impossibilité d'exécuter l'ordonnance de référé du 21 janvier 2014, le jugement du 24 juin 2014 et l'ordonnance du 20 juin 2014 ayant liquidé l'astreinte.
L'exception de caducité du contrat de franchise invoquée devant le Tribunal de commerce de Carcassonne par la société C., se heurte également à l'autorité de la chose jugée, par application du principe de la concentration des moyens. En effet, il appartenait à la société C. de soulever le moyen tiré de la caducité du contrat de franchise résultant de la perte de l'intuitu personae et du défaut d'agrément, pour s'opposer à la demande de la société Casino tendant à voir déclarer abusive la mise en œuvre de la clause résolutoire et à ordonner la poursuite sous astreinte du contrat de franchise.
Contrairement à ce qui est prétendu, le Tribunal de commerce de Carcassonne n'a pas, dans le dispositif du jugement dont appel, constaté ni prononcé la caducité du contrat de franchise.
L'autorité de chose jugée du jugement rendu le 24 juin 2014 n'a pas été remise en cause mais confortée par les décisions subséquentes, en l'occurrence l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 10 février 2015 et le jugement du Tribunal de commerce de Lyon du 27 juillet 2015 ayant également décidé que le contrat de franchise restait en vigueur jusqu'à son terme contractuel. Le jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 3 mars 2016 n'a pas non plus remis en cause le principe du maintien du contrat de franchise et l'obligation pour la société C. de le poursuivre jusqu'à son terme.
En tout état de cause, et alors que plusieurs décisions de justice en référé ou au fond, assorties de l'exécution provisoire, ont considéré que la clause résolutoire avait été mise en œuvre abusivement par la société C. et ont ordonné la poursuite du contrat sous une astreinte, qui a été liquidée à 3 100 000 euros pour la période du 5 février au 7 avril 2014, la société C. persiste à s'opposer à leur exécution dans une instance où le Tribunal de commerce de Carcassonne n'était saisi que d'une demande de dommages et intérêts formée par la société Carrefour Proximité, pour mise en œuvre fautive d'une procédure de liquidation d'astreinte.
Par ailleurs, la société C. ne saurait sérieusement fonder une demande indemnitaire sur le fondement de l'ancien article 1382 du Code civil, en invoquant un comportement fautif de la société Casino alors que celle-ci détient plusieurs titres exécutoires ordonnant la poursuite du contrat de franchise et la liquidation de l'astreinte.
Dès lors, sa demande tendant à ce que la société Casino la garantisse du paiement de la somme mise à sa charge par une décision de justice, au titre de la liquidation d'astreinte, ainsi que la demande en paiement de dommages et intérêts, totalement dénuées de fondement sérieux, seront rejetées et le jugement infirmé, de ces chefs.
Enfin, il n'est pas établi que la société Casino se soit contredite au détriment de la société C. alors qu'elle a toujours affirmé que la procédure d'agrément prévue dans le contrat de franchise ne pouvait pas être mise en œuvre puisque son droit d'information préalable à la cession des parts sociales n'avait pas été respecté et par suite son droit de préemption. Les contradictions invoquées sont sans portée.
Sur les demandes de la société Carrefour Proximité
La société Carrefour Proximité, cessionnaire des parts sociales de M. Jean C. et nouveau dirigeant de la société C., considère que la société Casino a commis une faute délictuelle en sollicitant la liquidation de l'astreinte fixée par l'ordonnance du 21 janvier 2014, alors qu'elle a refusé de lui donner son agrément, le 4 février 2014, ce qui, selon elle, s'impose en vertu de la clause d'intuitu personae et empêche la poursuite du contrat. Elle invoque également dans ses dernières conclusions l'impossibilité d'exécuter un contrat frappé de caducité ou d'extinction.
Le contrat de franchise a été conclu entre la société Casino, dénommée " le franchiseur ", et la société C., représentée par son gérant M. C., dénommée " le franchisé ".
L'article 11 du contrat intitulé " Personnalité " dispose qu'il est conclu par le franchiseur " en considération expresse et déterminante de la personnalité du franchisé, à savoir M. C. Jean, de sa situation de dirigeant effectif de l'activité et, le cas échéant, du contrôle qu'il détient de la majorité des parts ou actions et droits de vote de la société. Le franchisé ne pourra céder ou transférer à titre onéreux ou gratuit les avantages que lui confère le présent contrat qui lui est strictement personnel, sauf accord préalable écrit du franchiseur. Le franchisé s'engage en tout état de cause à faire connaître aux tiers concernés l'existence des accords le liant au franchiseur et les restrictions en découlant. Il veillera à ce que, si le franchiseur l'agrée, le tiers concerné poursuive les relations de franchise. Le franchiseur pourra mettre fin au présent contrat, par lettre recommandée avec accusé de réception et sans indemnité, dans tous les cas où le franchisé, signataire des accords, ne l'exploiterait plus lui-même directement. Il en sera de même au cas où le magasin serait exploité ou appartiendrait à une société et que le franchisé qui avait le contrôle et la direction au moment de la signature du contrat venait perdre ce contrôle pour quelque raison que ce soit. Le présent contrat n'est pas, à l'égard du franchiseur, conclu intuitu personae, c'est essentiellement en fonction du système et des méthodes du franchiseur que le franchisé a contracté (').
L'article 12 intitulé " Clause d'agrément et pacte de préférence " stipule que : a/Dans le cas où, pendant la durée du présent contrat, le franchisé souhaiterait céder son fonds de commerce ou un de ses éléments ou céder tout ou partie des actions ou parts représentant le capital de sa société, il s'engage à notifier au franchiseur, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, le nom et l'adresse du candidat cessionnaire et à lui communiquer le prix de cession projeté, exprimé au sein d'un acte notarié ou d'une promesse de vente enregistrée, dont il communiquera une copie au franchiseur, ledit acte notarié ou ladite promesse de vente devant porter mention du pacte de préférence ci-après stipulé.
Il est convenu qu'à prix égal, le franchisé s'engage à donner la préférence au franchiseur ou à toute personne physique ou morale que ce dernier se réserve de se substituer, sur toute autre personne se portant acquéreur.
Le franchiseur aura un délai de trois mois à compter de la réception de la communication susvisée ou le cas échéant, à compter de la levée des conditions suspensives (autres que celles concernant le franchiseur) éventuellement insérées dans la promesse de vente, pour faire savoir au franchisé s'il entend :
- Soit exercer le pacte de préférence qui lui est ci-dessus conféré au prix exprimé, pour lui ou toute autre personne qu'il entend se substituer,
- Soit agréer ou non le successeur présenté.
A défaut de respecter ce délai, le franchiseur sera déchu de tous ses droits, sans recours, le pacte de préférence consenti par les présentes devenant de nul effet.
Dans le cas où le franchiseur ferait jouer le pacte de préférence, le franchisé devra réaliser la cession dans les deux mois suivants, sauf retard dû à un fait du franchiseur.
Dans le cas où le franchiseur ne ferait pas jouer le pacte de préférence qui lui est ci-avant conféré et où un successeur serait agréé, la cession devra être réalisée, aux conditions initiales, par le franchisé avec lui, dans les trois mois de l'agrément. A défaut, le franchiseur retrouvera pleinement son pacte de préférence.
Le franchiseur ne pourra être tenu d'agréer ou être redevable d'indemnité en cas de refus d'agrément, même dans le cadre d'une procédure collective, tout refus devant toutefois être motivé par des considérations objectives.(')
c/Dans le cas où le franchisé désirant céder son fonds ou les parts ou actions de son capital, n'aurait pas de candidat cessionnaire et que le franchiseur exerce son pacte de préférence, la valeur de cession, à défaut d'accord entre les parties sera déterminée par expert désigné par le Président du Tribunal de Commerce de Saint Etienne à la requête de la partie la plus diligente.
d/Dans le cas où, pendant la durée du présent contrat, le franchisé souhaiterait donner son fonds de commerce en location-gérance, le candidat locataire-gérant devra être agréé par le franchiseur. En conséquence, le franchisé s'engage à notifier au franchiseur, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, le nom et l'adresse du candidat locataire-gérant.
e/Dans le cas où le franchisé céderait son fonds de commerce ou les actions ou parts de sa société ou donnerait son fonds de commerce en location-gérance à un successeur non agréé par le franchiseur, il sera fait application des articles 13 (résiliation), 14, 15 et 16 du présent contrat. "
L'article 13 précise les cas de résiliation de plein droit par lettre recommandée avec accusé de réception prise à l'initiative du seul franchiseur en cas de dissolution de la société franchisée, d'ouverture d'une procédure collective, de cession d'entreprise, de non-respect des dispositions des articles 12 (agrément), 14 (clause de non-concurrence) ou 15 (secret).
Ces clauses contractuelles qui sont claires et ne nécessitent aucune interprétation ont été stipulées essentiellement dans l'intérêt du franchiseur qui a seul l'initiative de la résiliation dans le cas, notamment, où la procédure de l'article 12 ne serait pas respectée.
Ainsi et contrairement à ce que soutiennent les intimées, la procédure d'agrément du successeur est indissociable de la procédure de préemption puisque c'est à l'occasion d'un projet de cession, quel que soit son objet, que la société Casino est amenée à se prononcer sur un éventuel agrément du successeur présenté.
Dans l'instance ayant opposé la société Casino à la société C., la société Carrefour et M. Jean C., le Tribunal de commerce de Lyon, par jugement du 27 juillet 2015, assorti de l'exécution provisoire, a rappelé le caractère abusif de la résiliation du contrat, constaté que la société C. n'a pas respecté les obligations contractuelles mises à sa charge par l'article 12 du contrat de franchise, violant ainsi le droit de préemption de la société Casino et que la société Carrefour Proximité, s'est rendue coupable de complicité en favorisant la rupture, de mauvaise foi, par la société C. du contrat de franchise, en fraude des droits du franchiseur.
En conséquence, la société Carrefour est infondée à se prévaloir d'un défaut d'agrément la concernant, alors que son exercice par la société Casino supposait préalablement que celle-ci soit en mesure d'exercer son droit de préemption et qu'ainsi, la réponse faite le 4 février 2014 à la sommation du 29 janvier 2014 était légitime et ne pouvait pas, comme il est prétendu, empêcher la poursuite du contrat jusqu'à son terme avec la société C., nonobstant la cession des parts sociales intervenue au profit de la société Carrefour et encore moins entraîner la caducité ou l'extinction du contrat. Il y a lieu, sur ce dernier point, de rappeler à la société Carrefour que les dispositions du nouvel article 1186 du Code civil, issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, sont inapplicables aux contrats conclus antérieurement au 1er octobre 2016.
La société Casino n'a donc pas commis de faute en mettant en œuvre la procédure de liquidation de l'astreinte ordonnée le 21 janvier 2014 et ayant abouti à l'ordonnance du 20 juin 2014.
La société Carrefour sera déboutée de l'ensemble de ses demandes et le jugement sera infirmé.
Sur les autres demandes
La société Casino ne démontre pas que l'action de la société Carrefour et les demandes de la société C. revêtent un caractère abusif et dilatoire justifiant l'octroi de dommages et intérêts et le prononcé d'une amende civile. Elle sera déboutée de ces demandes.
Les sociétés Carrefour et C. seront condamnées solidairement à payer à la société Casino, la somme de 25 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, verront leurs propres demandes, de ce chef, ainsi que leurs demandes respectives de dommages et intérêts pour procédure abusive rejetées et supporteront les dépens de première instance et d'appel.
La cour n'ayant pas à connaître de l'exécution de ses décisions, ni à statuer par anticipation sur un litige qui n'est pas encore né, la demande présentée par la société Casino aux fins de prise en charge de frais d'huissier non engagés sera rejetée.
Par ces motifs : la COUR, statuant publiquement et contradictoirement, dit que les conclusions et la pièce n° 100 transmises au greffe de la cour le 10 octobre 2016 sont irrecevables, rejette l'exception de nullité du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Carcassonne, le 8 septembre 2014 ; infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; et statuant à nouveau ; déboute la société Carrefour Proximité France de l'ensemble de ses demandes ; dit que les demandes de la société C. Distribution tendant à constater l'impossibilité d'exécuter le contrat de franchise ainsi que l'ordonnance de référé du 21 janvier 2014 rendue par le président du Tribunal de commerce de Lyon, confirmée par arrêt de la Cour d'appel de Paris le 10 février 2015, et à constater la caducité dudit contrat, sont irrecevables ; déboute la société C. de sa demande en paiement de dommages et intérêts, fondée sur l'ancien article 1382 du Code civil ; déboute la société Distribution Casino France de ses demandes en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive dit n'y avoir lieu au prononcé d'une amende civile ; condamne solidairement la société Carrefour Proximité France et la société C. Distribution à payer à la société Distribution Casino France, la somme de 25 000 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; déboute les sociétés Carrefour Proximité France et C. Distribution de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile et de leurs demandes respectives de dommages et intérêts pour procédure abusive ; rejette toutes autres demandes ; déboute la société Distribution Casino France de sa demande relative à la prise en charge des éventuels frais d'exécution ; condamne solidairement les sociétés Carrefour Proximité et C. Distribution aux dépens de première instance et d'appel.