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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 2 décembre 2016, n° 13-06422

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

H. Marine (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Christien

Conseillers :

Mmes Le Potier, Dotte-Charvy

TGI de Saint-Malo, du 6 mars 2013

6 mars 2013

EXPOSÉ DU LITIGE

Désirant vendre un bateau avec son moteur, sa remorque et son équipement, M. P. l'a, en vertu du contrat de dépôt-vente du 17 janvier 2009, déposé dans l'établissement de la société H. Marine en lui donnant mandat de le vendre moyennant un prix de 11 700 euros.

Selon bon de commande du 7 mars 2009, le bateau et ses accessoires ont été achetés par M. H. moyennant un prix de 12 500 euros sur lequel un acompte de 2 500 euros a été versé entre les mains de la société H. Marine mais, constatant que le poids total autorisé en charge (PTAC) de la remorque ne permettait pas de transporter le bateau avec son moteur et ses équipements, l'acquéreur a refusé la livraison et le dépositaire lui a restitué l'acompte par courrier du 29 mai 2009.

Estimant que la société H. Marine avait commis des fautes dans l'exécution de son contrat de dépôt-vente en acceptant sans lui en référer l'annulation de la vente et ne vérifiant pas l'adéquation de la remorque au transport du bateau mis en vente, M. P. l'a, par acte du 8 mars 2010, fait assigner en paiement de dommages-intérêts.

Par acte du 4 juin 2010, la société H. marine a appelé M. H. en garantie. Par jugement du 6 mars 2013, le tribunal de grande instance de Saint-Malo a :

Prononcé la résolution de la vente,

Débouté M. P. de sa demande en paiement du prix de 12 500 euros formée contre M. H.,

Condamné M. P. à payer à M. H. les somme de 355 euros de dommages-intérêts et de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamné M. P. à payer à la société H. Marine la somme de 1 000 euros à titre d'indemnité d'occupation,

Déclaré la société H. Marine responsable pour moitié du préjudice subi par M. P. en raison de la perte de valeur du bateau depuis janvier 2009,

Ordonné une expertise confiée à M. T. à l'effet d'apprécier cette perte de valeur du bateau,

Débouté la société H. Marine de sa demande en garantie formée contre M. H.,

Réservé les dépens.

Par ordonnance du juge chargé du suivi de l'expertise en date du 8 avril 2013, M. Le C. a été désigné en remplacement de M. T.

M. P. a relevé appel du jugement le 29 août 2013, en demandant à la cour de :

Infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a ordonné la 'résiliation' du contrat de vente,

Condamner M. H. à lui verser la somme de 11 700 euros au titre du règlement du prix de vente, avec intérêts capitalisables au taux légal à compter de la mise en demeure du 15 juin 2009,

A subsidiairement, infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré M. P. responsable pour moitié de ses propres préjudices et condamner la société H. Marine à lui payer la somme de 11 700 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts capitalisables au taux légal à compter de la mise en demeure du 15 juin 2009 tout en rejetant sa demande tendant à se voir, dans ce cas, déclarée propriétaire du bateau et de ses accessoires,

À défaut, confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a ordonné une expertise destinée à chiffrer la perte de valeur du bateau,

Débouter M. H. de sa demande en paiement de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

Débouter la société H. Marine de sa demande d'indemnité d'occupation,

Condamner la partie succombante au paiement d'une indemnité de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens.

La société H. Marine a de son côté formé appel incident en demandant à la cour de :

À titre principal, prononcer la nullité des contrats de dépôt-vente et de vente et, à défaut, confirmer le jugement attaqué en ce qu'il prononce la résolution de la vente,

Condamner M. P. à payer à la société H. Marine la somme de 2 500 euros à titre d'indemnité d'occupation,

Débouter MM. P. et H. de leurs demandes dirigées contre de la société H. Marine,

À titre subsidiaire, si la cour retenait une faute de la société H. Marine, dire qu'elle n'a causé aucun préjudice,

En conséquence, débouter M. P. de sa demande et, à défaut, condamner M. H. à la garantir de toutes condamnations,

A titre très subsidiaire, si la cour condamnait la société H. Marine à payer à M. P. le prix de mise en vente de 11700 euros, la déclarer propriétaire du navire, du moteur et de ses équipements,

En tout état de cause, condamner la partie succombante au paiement d'une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Ayant lui aussi formé appel incident, M. H. demande à la cour de :

Déclarer M. P. et la société H. Marine irrecevables et en tout cas non fondés en leurs contestations et demandes dirigées contre lui,

Dire que la vente n'est pas parfaite, ou en tous cas que le bon de commande a été annulé amiablement,

À défaut, constater l'existence d'un vice caché, d'une non-conformité, voire d'un dol et en toute hypothèse d'un défaut d'information et de conseil de nature à justifier l'annulation ou la résolution de la vente,

Condamner in solidum M. P. et la société H. Marine, ou l'un à défaut de l'autre, à lui payer les sommes de 255 euros au titre des frais engagés sur la chose vendue et de 2 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparations de son préjudice moral,

Condamner in solidum M. P. et la société H. Marine, ou l'un à défaut de l'autre, à lui payer une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour M. P. le 17 juillet 2014, pour la société H. Marine le 19 août 2014, et pour M. H. le 21 mai 2014.

Exposé des motifs

Le contrat de dépôt-vente conclu entre M. P. et la société H. Marine donnait mandat à cette dernière de vendre le bateau, le moteur, la remorque, un sondeur et son armement moyennant un prix de 11 700 euros, et le bon de commande régularisé le 7 mars 2009 entre M. H. et la société H. Marine caractérise l'accord des parties sur la chose et le prix de 12 500 euros incluant la commission du dépositaire.

La société H. Marine invoque la nullité du contrat de dépôt-vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue ou dol, ainsi que du contrat de vente qui n'en est que la conséquence, en faisant valoir que M. P. lui avait erronément certifié sur l'honneur que 'ses appareils fonctionnent parfaitement'.

Cependant, il n'est pas établi que M. P., qui a acquis le bateau et la remorque avec un autre moteur de poids inférieur, ait sciemment fait cette déclaration erronée, rien ne démontrant qu'il se soit rendu compte, après du changement de moteur, que le poids du bateau et de ses équipements excédait le PTAC de la remorque.

Dès lors, le dol n'est pas démontré et l'erreur, qui n'a pas été provoquée par le dol, n'est pas excusable de la part d'un professionnel du dépôt-vente de navires auquel il appartenait de vérifier, lors du dépôt du bateau de M. P. et de ses accessoires en vue de leur vente en un seul lot, l'adéquation de la remorque à son chargement.

M. H. soutient quant à lui qu'ayant commandé le bateau et ses accessoires à la société H. Marine sans que le bon de commande ne mentionne qu'il appartenait en réalité à M. P., le mandat non apparent qu'aurait donné le vendeur au dépositaire ne lui serait pas opposable et que, partant, la vente réalisée par un tiers qui n'avait pas la capacité de vendre la chose d'autrui ne serait pas parfaite.

Toutefois, en procédant à la vente du bateau de M. P. et de ses accessoires, la société H. Marine n'a fait qu'exécuter le mandat que lui conférait le contrat de dépôt-vente.

Si la société H. Marine s'est en réalité comportée en commissionnaire en concluant la vente avec M. H. sans indiquer dans le bon de commande établi en son propre nom que celle-ci était réalisée par un particulier pour lequel elle s'entremettait, il demeure que, dans ses rapports avec l'acquéreur, elle avait bien pouvoir de vendre le bateau et ses accessoires et que le contrat conclu avec M. H. rendait la vente parfaite dès le 7 mars 2009.

Cependant, M. H. fait valoir à juste titre que le contrat de vente a, conformément à l'article 1134 alinéa deux devenu l'article 1193 du Code civil, été amiablement révoqué par le courrier de la société H. Marine en date du 29 mai 2010 acceptant la demande d'annulation du bon de commande formée par l'acquéreur et la restitution à celui-ci de l'acompte versé.

Le premier juge a en effet estimé à tort que cette révocation de la vente n'était pas opposable à M. P. au motif que la société H. Marine n'avait pas reçu mandat à cette fin, alors qu'en déposant le bateau et ses accessoires dans ses locaux et en lui donnant mandat de les vendre, d'en percevoir le prix et de procéder à la livraison, le vendeur a fait naître dans l'esprit de l'acquéreur la croyance légitime que le dépositaire avait aussi pouvoir de négocier amiablement la révocation de cette vente en cas de découverte d'un vice caché ou d'un défaut de conformité au moment de la livraison de la chose vendue.

Il convient donc d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a prononcé la résolution judiciaire de la vente et de constater la révocation amiable de celle-ci.

Il est par ailleurs constant que le bateau pèse 330 kg sans équipements, que le poids du moteur est d'au moins 90 kg et que celui de la remorque est de 150 à 170 kg, si bien que le l'ensemble excède le PTAC de la remorque de 499 kg.

L'inadéquation de la remorque à sa destination de transport du bateau équipé constitue un vice de l'ensemble vendu, puisqu'il s'agit d'un accessoire substantiel du bateau qui ne peut être mis en circulation avec son chargement sans enfreindre les règles du Code de la route.

En outre, dès lors que le bateau était offert à la vente avec sa remorque et présenté chargé sur cette remorque, l'impropriété de celle-ci à sa destination constituait, pour un acquéreur non professionnel comme M. H., un vice caché.

Il a toutefois été précédemment relevé que rien ne démontrait que M. P. avait connaissance de l'impropriété de la remorque à sa destination de transport du bateau et de ses équipements, de sorte que le vendeur doit être regardé comme étant de bonne foi et qu'aux termes de l'article 1645 du Code civil, il ne peut être tenu au paiement de dommages-intérêts autres de ceux relatifs au remboursement des frais de la vente.

M. H. n'est donc fondé à réclamer à M. P., ni le remboursement des travaux de protection d'étrave qu'il a commandés à la société H. Marine antérieurement à la révocation amiable, ni la réparation de son préjudice moral.

En revanche, M. H., qui s'est adressé à la société H. Marine, professionnel du négoce de navires ayant vendu le bateau de M. P. pour le compte de celui-ci en ne faisant pas apparaître l'existence d'une vente de particulier à particulier dans le bon de commande, était en droit d'attendre de celle-ci qu'elle s'acquitte de son devoir de conseil relativement à l'adéquation de la remorque au bateau transporté.

La société H. Marine ne saurait en effet, à l'égard de l'acquéreur, se retrancher derrière la clause de non-garantie des vices cachés figurant dans le contrat de dépôt-vente conclu avec M. P.

C'est donc à juste titre que M. H. lui réclame le remboursement de la somme de 250 euros correspondant au coût des travaux de protection d'étrave commandés en pure perte antérieurement à la révocation amiable de la vente.

M. H. réclame aussi le paiement d'une somme de 2 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, mais il expose lui-même que l'accord amiable rapidement conclu avec la société H. Marine a pu compenser la déception provoquée par l'échec de la vente et que ce préjudice résulte en réalité des poursuites injustement engagées par M. P. ainsi que de l'acharnement de celui-ci à porter l'affaire devant la cour, ce dont il se déduit que ce préjudice moral n'est pas en lien causal avec la faute de la société H. Marine.

Pour obtenir la condamnation de la société H. Marine au paiement, à titre de dommages-intérêts, d'une somme équivalente au prix de mise en vente du bateau et de ses accessoires ou, subsidiairement, de la perte de valeur du bateau à déterminer à dire d'expert, M. P. fait quant à lui valoir que celle-ci avait manqué à son devoir de conseil en s'abstenant de vérifier l'adéquation de la remorque au bateau transporté et avait en outre pris l'initiative de négocier la révocation de la vente avec M. H. sans mandat de sa part.

Sur le premier grief, la société H. Marine fait à juste titre observer qu'aux termes des conditions générales du contrat de dépôt-vente, le dépositaire ne pouvait être tenu pour responsable de la mauvaise qualité des articles vendus ainsi que des vices cachés, et qu'à l'égard d'un vendeur qui ne lui avait confié qu'un mandat de vente sans diagnostic préalable du navire et de ses équipements, il ne saurait lui être reproché un manquement à son devoir de conseil à l'occasion de l'exécution de son mandat que dans l'hypothèse où elle connaissait ou aurait dû l'existence du vice au moment de la vente.

Cependant, il a été précédemment relevé qu'un professionnel du dépôt-vente de navires aurait dû s'apercevoir, lors du dépôt du bateau de M. P. et de ses accessoires en vue de leur vente en un seul lot, que le PTAC de la remorque n'était pas compatible avec le transport du bateau vendu avec celle-ci et de ses accessoires, cette impropriété de la remorque à son usage étant, pour un homme de métier, apparente, de sorte la société H. marine ne peut se retrancher ni derrière sa clause de non-garantie, ni derrière le caractère limité de sa mission.

D'autre part, la société H. Marine, qui allègue sans le démontrer avoir tenu M. P. informé de la découverte du vice, a négocié avec l'acquéreur la révocation amiable de la vente en outrepassant son mandat.

Toutefois, il sera observé que, contrairement à ce qu'à retenu le premier juge, il n'est résulté de ces fautes aucun préjudice réparable.

En effet, l'impropriété de la remorque à sa destination de transport du bateau et de ses équipements est établie, de sorte qu'à défaut de révocation amiable, la vente aurait, de façon certaine, été judiciairement résolue aux torts du vendeur et que l'initiative de la société H. Marine a été prise dans l'intérêt du vendeur qui, s'il l'avait ratifiée, aurait ainsi évité de s'enliser dans une longue procédure et de supporter une perte de valeur du bateau pendant sa durée.

Le préjudice de M. P., dûment informé de l'impropriété de sa remorque à sa destination à l'occasion du dépôt du bateau et de ses accessoires ou de la découverte du vice au moment de la livraison, ne saurait tout au plus consister que dans la perte d'une chance de substituer à la remorque impropre à sa destination une nouvelle remorque dont le PTAC aurait permis le transport du bateau et de ses équipements, ou à tout le moins de consentir à la vente à moindre prix du bateau et du moteur sans sa remorque.

Or, M. P. ne prétend pas qu'il était prêt à envisager de négocier en ces termes avec M. H. et la présente procédure démontre au contraire qu'il entendait à tort contester l'existence du vice afin d'obtenir la réalisation d'une vente par lot au prix fixé par lui, ce dont il se déduit que la perte de chance est nulle.

La demande en paiement de dommages-intérêts formée par M. P. est donc non fondée, et c'est aussi à tort que le jugement attaqué a déclaré la société H. Marine responsable pour moitié du préjudice découlant de la perte de valeur du navire et a désigné un expert afin d'évaluer cette perte.

Faisant valoir que le bateau et ses équipements sont restés dans son établissement depuis cinq ans et génèrent ainsi des frais de gardiennage et d'entretien dont elle n'a pas à assumer la charge, la société H. Marine sollicite de son côté la condamnation de M. P. au paiement d'une indemnité d'occupation de 2 500 euros.

Elle sollicite aussi la garantie de M. P. pour la condamnation prononcée à son encontre en faveur de M. H.

Il a toutefois été précédemment relevé que cette société avait commis des fautes personnelles, à l'égard de M. H. en s'abstenant, alors qu'elle se présentait comme vendeur professionnel, de s'acquitter de son devoir de conseil relativement à l'adéquation de la remorque au bateau transporté, et à l'égard de M. P. en outrepassant son mandat de vente lorsqu'elle a négocié la révocation de celle-ci sans en référé à son mandant.

Ces fautes commises dans l'exécution du contrat de dépôt-vente, notamment à l'égard de M. P. qui, en sa qualité de vendeur de bonne foi, était garant des vices cachés de la chose vendue mais n'avait commis aucune faute, doivent conduire à rejeter les demandes formées à l'encontre de ce dernier.

M. P., demandeur initial et appelant principal ayant succombé en ses prétentions, supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.

Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge de M. H. l'intégralité des frais exposés par lui à l'occasion de la procédure et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les autres demandes d'application de l'article 700 du Code de procédure civile seront en revanche rejetées.

Par ces motifs, LA COUR : Infirme partiellement le jugement rendu le 6 mars 2013 par le tribunal de grande instance de Saint-Malo ; Statuant à nouveau sur l'entier litige, Dit n'y avoir lieu d'annuler les contrats de dépôt-vente et de vente ; Constate que la vente du 7 mars 2009 est parfaite mais qu'elle a été amiablement révoquée ; Déboute M. H. de ses demandes formées contre M. P. ; Condamne la société H. Marine à payer à M. H. une somme de 250 euros au titre du remboursement du coût des travaux de protection d'étrave et le déboute de sa demande en paiement de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral ; Déboute M. P. de ses demandes formées contre la société H. Marine ;

Dit n'y avoir lieu à expertise ; Déboute la société H. Marine de ses demandes formées contre M. P. ; Condamne M. P. à payer à M. H. une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes d'application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. P. aux dépens de première instance et d'appel ; Accorde le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.